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TEMOIGNAGES & SOUVENIRS

 

Septembre 2014

LE PLACEUR EN CHEF – Albert PARDO

L’ENTREPRENEUR DES POMPES FUNEBRES - Albert PARDO

 

Mai 2014

RAPPELLES-TOI DE TE SOUVENIR - Sam MEZRAHI

JE ME  SOUVIENS - Sam MEZRAHI

LA FETE  DE  PESSAH EN EGYPTE – Albert PARDO

CE SOUVENIR D’ALEXANDRIE - Viviane ISK

 

 

Janvier 2014

MON EXODE D’EGYPTE A L’AGE DE 9 ANS - David YADID

GROPPI – Reçu de (par ordre d’arrivée) : Jacques SUSSMANN, Magdi MORCOS, César et Clemy PINTO, Lily KHODARA, Germaine LEVY, Albert Soued, Joe CHALOM

 

Septembre 2013

HOMMAGE A UN ETRE EXCEPTIONNEL

 

Mai 2013

LE DEPART D’ALEXANDRIE - Joe NINIO :

JE ME RESSOUVIENS... - Albert Pardo

L E   Z A B A L - ESTHER VIDAL

DIGRESSION ON JASMINE - Suzy Pirote Vidal

 

Janvier 2013

MES SOUVENIRS DU CAIRE - Jean Pierre DEBBANE :

LE PETIT GROPPI - Suzy PIROTE VIDAL

MA  SORTIE D’EGYPTE - Erella AZRIEL

 

Septembre 2012

SOUVENIRS D'EXCURSIONS CULINAIRES ALEXANDRINES - Iryt GUTER

 

Mai 2012

TEMOIGNAGE - Lucy & Avraham Calamaro

THE SPORT OF KINGS IN EGYPT FROM 1940S TO 1960S - Joe ROSSANO :

 

Janvier 2012

MY ENGLISH SCHOOLS - Suzy VIDAL

15 MAY 1948 - Maryse ZEITOUNI

 

Octobre 2011

SOUVENIRS…SOUVENIRS… - Gisèle KLEIMAN :

LES CIGARETTES DE MA TANTE KAHLA" - Esther Vidal-Mosséri

DES  JUIFS  A  SUEZ  - Rosa Menasche Haïfa

 

Juin 2011

SHAREI NAG HAMADI - Joe CHALOM

MES SOUVENIRS D’EGYPTE A LA MACCABI CENTRALE DU CAIRE - Raymond LEVY

AYAM EL KANAKA - Suzy VIDAL

JAMY EN EGYPTE 1947 -  1955 – 2009 - Jamy TIVOLI

LOUXOR KARNAK LA VALLEE DU NIL ASSOUAN ET ABOU SIMBEL - Jamy TIVOLI

 

Janvier 2011

LE CHEVALIER BAYARD – Marcel FAKHOURY.

THE LONELY KING WITHOUT A THRONE - Lucette Lagnado

“SIGN HERE” LED TO EXPULSION AND A NEW LIFE - Daisy Gill

CONFITURE DE DATTES A ALEXANDRIE DANS LES ANNÉES 50 - Clemy PINTO

EL HO-NA BEL-LAY - Suzy VIDAL PIROTE :

 

Aout 2010

A LONELY LEVANTINE SHABBAT - Lucette Lagnado

LE “SOUK EL ATTARINE” AU CAIRE - Elie PATAN :

TEXTE - Joe ROSSANO

SOUCCOT A HELOUAN - Levana ZAMIR

HUMOUR ET NOSTALGIE - Suzy VIDAL PIROTTE

NOS DERNIERS JOURS EN  EGYPTE - NAHON Raymond

 

15 Avril 2010

PARADIS D’ENFANCE A BAB EL LOUK - Joseph N. DIDAY

MY LIFE STORY - Viviane Farhi-Sicouri"

ALEXANDRIE, A L’EPOQUE OU LE MOT ETRANGER N’EXISTAIT PAS - Nadia KHOURI-DAGHER

 

 

Décembre 2009

UN ALEXANDRIN A L’HONNEUR - Marcel FAKHOURY  

REMINISCENCE - Livnat BITTY

 

 

Octobre 2009

MOI JUIVE D”EGYPTE ,ETUDIANTE A PARIS, ARRIVEE LE 26 OCTOBRE 1956.. - Livnat BITTY 

LE DRAME A SIMHA TORAH - Joe BELBEL

 

Aout 2009

HOMMAGE A UN ETRE EXCEPTIONNEL 

 

Juin 2009

THE  CHAIR - Edna ANZARUT-TURNER

 

Avril 2009

LES ÉMIGRES DE 1914-1919 - Levana ZAMIR

LES LIBANAIS D’ÉGYPTE - Nabil SACCAL

 

 

28/02/2009

IT WAS AN ORDINARY SHABBAT! - Suzy VIDAL

MA SORTIE D’EGYPTE Septième Partie - Marie Mosseri

LES EMIGRES DE 1914-1919 - Levana ZAMIR

 

31/12/2008

MA SORTIE D’EGYPTE Sixième Partie - Marie Mosseri

 

31/10/2008

MA SORTIE D’EGYPTE Cinquième Partie - Marie Mosseri

LES JUIFS DE BULGARIE - Joe NINIO

LES GRANDS MAGASINS DU CAIRE - Levana Zamir

COINCIDENCE  PITTORESQUE - Clemy PINTO

 

31/08/2008

MA SORTIE D’EGYPTE Quatrième Partie - Marie Mosseri

AHLAN WESAHLAN YA HABAYBI MEIN MASR OM EL DONIA - Viviane ISKANDER :

L’ ARRESTATION DE MON PERE - Docteur Lorys-Bitty-BERESSI :

LE DEPART D’ALEXANDRIE - Joe NINIO :

 

 

30/06/2008

HOMMAGE A DEUX TRES CHERS AMIS

SOUVENIR D’UNE JEUNE ADOLESCENTE D’EGYPTE -Esther BENGHIAT MUSTACCHI :

MA SORTIE D’EGYPTE Troisième Partie - Marie Mosseri

 

30/04/2008

HOMMAGE A UN AMI DISPARU : ROGER BOSHI - Elie K Mangoubi

LA GRANDE VISITE - Mimi de Castro

HOMMAGE A MICHEL BONNICI ET CLAUDIO LAFERLA - Marcel FAKHOURY

MA SORTIE D’EGYPTE Deuxième Partie - Marie Mosseri

 

29/02/2008

RAPPELLES-TOI DE TE SOUVENIR - Sam MEZRAHI

TEMOIGNAGE - Lucy & Avraham Calamaro

MA SORTIE D’EGYPTE Première Partie - Marie Mosseri 

 

 

Septembre 2014

 

DEUX ARTICLES TIRES DE MON LIVRE : L’EGYPTE QUE J’AI CONNUE

 

1- LE  PLACEUR  EN  CHEF

(CHEIKH EL MOKHADEMINE)

 

 

       Il est toujours tiré à quatre épingles, propre et rasé de frais. Son quartier général est le café du coin. Il est très sollicité et prend des airs importants. Son métier ? Faire travailler les autres. Pas n’importe qui : que des gens de maison. Entendez par là : Bonnes * et domestiques*. Ses clients ? Uniquement des  khawagates*. Les Égyptiens, eux, n’ont pas besoin de lui pour s’en procurer. Donc, si vous avez besoin d’une bonne ou d’un domestique votre mari le lui fera savoir, souvent par l’entremise du garçon de café car il est, la plupart du temps, par monts et par vaux. 

L’après-midi ou le lendemain il sonnera à votre porte en compagnie de la perle rare. Il conviendra avec vous des gages et, si l’accord est fait, l’entrée en fonctions est immédiate. De vous, il recevra une commission fixe, rubis sur l’ongle et autant à la fin du premier mois, si l’employé€ reste jusqu’à là. Ce dernier€ lui remettra aussi une certaine somme dès la première paye. En période de pénurie du personnel ou si le type est de mauvaise foi, il s’arrangera pour que le roulement s’accélère : autant de mutations, autant de commissions fixes ce qui est plus rentable mais moins honnête. Certaines fois, la jeune personne ne reste que deux  ou trois jours. Il la placera ailleurs et vous en procurera une autre. Et, naturellement, vous devrez payer la commission fixe à chaque fois, ce qui finit par devenir agaçant.

Je me souviens d’un placeur grand d’environ un mètre cinquante, très large d’épaules, aussi gros qu’une barrique sur pieds. Il était habillé d’une galabeya* de soie, ceint d’une large ceinture de tissu pourpre, portant un caftan de prix et le chef recouvert d’un turban imposant. A une certaine époque, il commença à pratiquer ce genre de rotation rapide du personnel qui nous donna la berlue. A peine un domestique faisait-il connaissance avec les pièces de la maison qu’il l’escamotait aussitôt pour le remplacer par un autre. Mon père en eut assez et lui signifia de ne plus revenir.  Dépité de perdre un bon client, il lui réclama des commissions imaginaires qu’on ne lui devait pas. Evidemment, mon père ne se laissa pas faire mais l’autre perdait son sang-froid et devenait de plus en plus odieux en faisant un scandale de tous les diables. Mon père avait de nombreuses qualités mais la patience n’était pas son fort et la mauvaise foi l’irritait particulièrement sans, cependant, le faire sortir de lui-même. Et pourtant, c’est ce qui arriva ce jour là.

Pour la première et la seule fois de ma vie, je le vis lever la main sur quelqu’un. L’autre se trémoussait devant lui et le provoquait à tel point en proférant des insultes, qu’il lui donna une gifle, une seule ! Je vis ce poussah perdre l’équilibre et dégringoler les étages en tournoyant sur lui-même comme une toupie. Il en conçut une telle frayeur qu’il disparut du quartier pour toujours. Mon père fut très mortifié d’avoir agi de la sorte surtout devant nous à qui il disait souvent : ″dans une discussion avec quelqu’un, ne lui fais jamais perdre la face″.  Il chercha même à le dédommager mais le garçon lui apprit qu’il avait établi ses pénates dans un autre café éloigné.

-khawagates*. : pluriel de khawaga,  en  Egypte on appelait ainsi les européens

- galabeya* : robe d’homme portée par les autochtones.

                                                         -o-o-o-o-o-o-o-o-

 

2 - L’ENTREPRENEUR  DE  POMPES  FUNÈBRES

 

 

     En face de l’immeuble où nous habitions, à la même hauteur que notre appartement, vivait un entrepreneur de pompes funèbres d’origine grecque. Il avait son magasin et son bureau à quelques dizaines de mètres de là, dans la rue principale. C’était le plus gai luron de la terre. Pourtant, dans son magasin, tout de noir vêtu, entouré des cercueils vides exposés pour que la parenté du défunt puisse faire son choix, il prenait une mine triste et compassée à croire qu’il faisait partie de la famille. Mais, dès qu’il rentrait chez lui il trouvait, tous les jours, une table de fête dressée, une nourriture riche et variée accompagnée de vins et de liqueurs appropriés.

C’était toujours pour nous un spectacle de voir ce monsieur, arrivé chez lui avec une mine lugubre, se transformer aussitôt en clown, ameuter femme et enfants, les taquiner, rire, chanter et engouffrer une prodigieuse quantité de victuailles et de boissons. Etait-ce par réaction à son triste métier ? Pour la joie d’être, lui, en vie ou bien encore par satisfaction d’avoir réalisé de bonnes affaires ?  Sans doute à cause de tout cela réuni.

 

 

Mai 2014

RAPPELLES-TOI DE TE SOUVENIR

de Sam MEZRAHI

 

 

Ce texte a déjà été publié dans ce Site le 14 octobre 2005. Je le copie ici  pour le plaisir de mes nouveaux Lecteurs car c’est un article plein d’émotion et de nostalgie qui ravive les beaux souvenirs de chacun de nous dans cette Egypte que nous avons tant aimé.

Merci Monsieur Sam MEZRAHI

JE VIENS DE RECEVOIR AUJOURD’HUI 27 AVRIL 2014 DE MONSIEUR SAM MEZRAHI LA DEUXIEME PARTIE DE CE MANIFIQUE RECIT, QUE VOUS TROUVEREZ APRES CETTE PREMIERE PARTIE.   

        

 C’était il y a plus de 50 ans et je me souviens… Pourtant, longtemps je me suis constamment efforcé de ne pas me souvenir.. Ne pas regarder en arrière, aller de l’avant, me reconstruire après l’exode…Oublier un passé qui m’avait tourné le dos. S’inventer un avenir, tenter de trouver de nouvelles racines, en effaçant les anciennes pour ne pas flancher. Surtout ne pas trébucher et rouvrir des blessures sentimentales dont on ne sait jamais le degré de cicatrisation.

          Me voici au seuil de mes soixante ans et je me sens le courage de m’abandonner à la douce nostalgie du temps de mon enfance. Je pensais mes souvenirs estompés mais ils me reviennent en sarabande, par bribes, avec leurs senteurs avec leurs sons, les bruits et les odeurs dans le désordre comme un flash-back dont la mise au point floue se fait par degrés plus précise

          C’est d’abord les quelques années qui ont immédiatement précédé notre expulsion d’Egypte en décembre 1956, à la suite de la guerre du canal de Suez, qui me reviennent. J’avais 7 ou 8 ans, et je revois l’Egypte pays de ma naissance et de ma prime enfance.  Avec le ciel au Caire, le ciel d’avant la construction du grand barrage d’Assouan, d’une incroyable pureté qui prenait toutes les nuances de bleus depuis l’aurore jusqu’au crépuscule. Les nuages très rares, la pluie presque inconnue et les nuits étoilées.

          Je regardais parfois avec ma sœur et les copains de mon âge, depuis le parking à voitures du Héliopolis Sporting Club, au loin, l’écran muet du  Palace,  le cinéma de plein air  qui projetait des films américains en technicolor où nous allions parfois en famille manger du Sémit et gaibna avec un Pepsi pendant l’entracte. (petit pain rond au sésame  accompagné d’un morceau de fromage dans un papier huileux) Et je me rappelle du Héliopolis Sporting club qui me paraissait immense avec ses jardins pleins de fleurs de toutes sortes, bien entretenus comme les Anglais savaient les faire dans leurs colonies quand ils disposaient d’une armée de jardiniers rémunérés en monnaie locale .Car la livre égyptienne ne partageait avec la livre anglaise que le nom.

          C’est là que j’ai appris à nager dans sa piscine de plus de 30 mètres, ses plongeoirs élevés, et les tables et parasols disposés tout autour où nous nous faisions servir les après-midi des collations délicieuses, les bains nous ayant ouvert l’appétit Et les terrains de tennis, tous en terre battue avec des ramasseurs de balles à disposition, enfants de nos âges qui n’avaient jamais connu l’école mais courraient pieds nus pour nous servir, sans qu’à l’époque je puisse comprendre ce que cette injustice avait de choquant.

          J’ai souvenance des brises légères qui emportaient des parfums de jasmin, de bougainvilliers  et de roses dans l’air attiédi des soirées estivales de Ras el Bar, village de maisons en torchis, de huttes et de cabanes situé dans le delta du Nil ou nous passions les vacances d’été entre la mer Méditerranée et le fleuve.

          Et les Locomadis  délicieuses friandises grecques que les vendeurs à la sauvette distribuaient le long des plages aux cris de ‘’Kiiiriac Konkanti Pistachi !! Avec des glaces italiennes élastiques et les limonades (gazouzas) ou Spathis. Il me revient aussi les litanies chantantes des  vendeurs ambulants à Héliopolis que nous hélions depuis notre balcon de la rue des Pyramides. Souvenirs gustatifs surtout, mais c’est dans ces ages là que se forme le goût et les dégoûts.

          Le vendeur de jus de réglisse, sa bonbonne en verre munie de son petit robinet accrochée sur sa poitrine avec une lanière de cuir, se servait de deux timbales comme de castagnettes pour se faire entendre au loin avec son cri  ( héérr è sousss). La canne à sucre ( assab) fraîche liée en fagots dans une petite charrette, le vendeur qui avec son couteau enlevait l’écorce dure pour nous donner le cœur tendre de la tige que nous mâchonnions ravis sur le balcon, le jus de canne dégoulinant sur le menton.

          Et les portions d’Amar el Din (pâte d’abricot séchée) dont nous faisions des cornets dans lesquels nous glissions un glaçon pour ensuite en sucer la pointe.

Souvent nous dégustions le Caca chinois (bâtons de réglisse jaune) acheté dans un étalage de fortune au bas de la maison, assis au balcon en regardant  le soleil couchant qui se fixait un instant sur la pointe des Pyramides au loin, du coté de Guizèh dans le poudroiement des sables du désert…ou était-ce le soleil levant je ne sais plus.

          Je me souviens des vendeurs de figues de barbarie ( tin choki) et leurs charrettes à bras qui mettaient à rafraîchir leur marchandise hérissée de piquants sur des pains de glace et nous les épluchaient à mains nues pour quelques millièmes de piastre. Je revois les fruits de mon enfance, cultivés, je devrais dire élevés,  sans autres engrais que le limon fertile du Nil, irrigués de façon ancestrale par son eau qui prenaient tout leur temps pour mûrir réchauffés par le soleil brillant d’Egypte. Leur goût incomparable que je n’ai jamais retrouvé bien que j’aie depuis, sillonné toutes les latitudes

 

          Les melons d’Ismaïlia jaunes, gros et oblongs à la pulpe blanche et douce, qu’on servait préparés en tranches dans leur peau si fine qu’ils étaient difficilement exportés même dans les régions limitrophes.  J’ai encore en bouche après plus de 50 ans la saveur des dates noires fraîches, les Balahs Ame’hate dont la peau fine se retirait sur un simple pincement des doigts, Je me souviens  des Palmiers dattiers altiers qui ponctuaient le passage du tram sous nos fenêtres et que nous apercevions depuis notre balcon avec encore des dattes rouges, les Zargloul, plus sèches que les noires ou marrons mais pas moins délicieuses.

          Les fameuses mangues Alphonse douces sans âpreté, à la pulpe orangée sans filaments qu’on mangeait coupées en deux à la petite cuillère, dont je n’ai plus rencontré l’équivalent ni en Afrique ni en Asie ni aux Indes. Les grenades qu’on écossait rouges avec leur pédoncule blanc et nous préparait dans un bol d’eau de fleur d’oranger, les figues de toutes espèces, oblongues ou rondes, vertes, marrons ou brunes, les Batikh, pastèques énormes rouges et juteuses dont on faisait frire et salait les pépins pour les offrir en apéritif…

          Les goyaves, fruit négligé de ce coté ci de la Méditerranée, les bananes sucrées, les oranges petites mais très juteuses, et ce fruit oublié que nous appelions les oranges amères, qui servait à faire des confitures comme la marmelade anglaise. Il y avait aussi les mandarines aux larges tranches, Youstafandi, les raisins de toutes les couleurs noirs, rouges, verts parfois sans pépins (enab banati) et les abricots (maichemaiche) que je remangerais, faile maichemaiche c’est à dire aux calendes grecques 

          Je repense à la saveur des légumes, des tomates odorantes et fermes, les courgettes qu’on cuisinait souvent farcies de riz et de viande hachée, relevés d’oignions et de tomates, le fameux Mahchi Kossa,  les aubergines, les cornes grecques (Bamia) que je cite pour mémoire mais que je n’ai jamais apprécié,  les laitues aux longues feuilles craquantes et blanches avec leurs cœurs si délicieux, de la taille d’une grosse carotte, et les petits concombres acidulés.

Pour tuer le temps à l’heure des bavardages de fin d’après-midi, dans les cafés bruyants, on grignotait les pépins de pastèque noirs, ou blancs de tournesol et de courge , le lébb, qu’on recrachait élégamment par terre, les pistaches grillées (fostok) , les olives noires et vertes ( zétoun) accompagnées de fromage blanc salé, les cacahouètes à la fine pellicule, (foul soudani) , les termès jaune et fades qu’on servait dans de l’eau pour en attendrir la peau et enfin toutes sortes de légumes marinés de la tradition, les mekhaléls, que les adultes picoraient avec leur Zebib (Arak) ou leur bière Stella, le tarbouche de guingois et la chicha au bord des lèvres, jouant au tric-trac (backgammon) ou aux dominos.

          Les rues étaient encombrées et sales, mais pleines de vie et d’activité, rythmées par les klaxons incessants des voitures américaines ou anglaises qui répondaient aux vociférations et insultes des âniers et charretiers d’un autre age, Aimchi Ya Ibn el Charmouta ! Et les dîners avec le pain Chami blanc et léger qu’on prenait pour saucer sans façons, dans le plat central, la Tahina (sauce blanche de sésame à l’huile), le Hommos au pois-chiche. ou le Babaghanouch aux aubergines. Je me souviens aussi  de ces aubergines lentement poilées à l’huile (bétingan merra’ade), la molloghéya soupe verte servie avec du riz blanc et du poulet cuit si délicieuse malgré son aspect répugnant pour les non-initiés.

          Il y avait aussi le Foul médamès plat national égyptien, les grosses fèves marrons baignant dans leur jus avec de l’huile d’olive, du jus de citron, du cumin et des œufs durs, agrémenté d’oignon blanc et, le secret pour lui donner sa consistance et sa couleur, une poignée de lentilles jetées pendant la cuisson. Ces mêmes lentilles jaunes dont on faisait aussi une soupe délicieuse le AAttze

          Les Falafels (Ta’méya) larges et plates qu’on trouve aujourd’hui partout, pâles succédanées, de New York à Londres en passant par Amsterdam ou Paris, les Kobébas arrosées de Tahina, avec des tomates coupées en petits dés qu’on fourrait dans le pain Chami ou le pain Baladi et les Koftas à l’oignions et au persil ou les Béléhates souvent en sauce accompagnées de pommes de terres poilées (batata séfrito)….

          Pour les desserts nous avions le choix, les Sambousecks , les Ménénas fourrées aux dates, les Konafas aux pistaches ou à la crème de lait fraîche, (eichta) les baklawas farcies de fruits secs ou les Atayefs arrosées de sucre liquide, surtout pas de miel, les Asabigh bé Loz , pâte feuilletée fourrée aux amandes, enfin plus simple mais notre régal, la Halawa ou la confiture de roses avec de la eichta  Car le lait en ce temps là était frais, ni traité ni pasteurisé, vendu par des laitiers qui faisaient leur tournée en carriole tirée par un âne. Avec une louche ils puisaient au Rotoli ( mesure) et remplissaient nos seaux Safihs spéciaux en étains aux couvercles vissés. Mais ce lait délicieux donnait à profusion une lourde crème onctueuse et douce qui servait pour les desserts.

          Les jours de fête nous allions chez Groppi au Caire, puis  à Héliopolis où il venait d’installer une succursale, manger des glaces ou des gâteaux occidentaux, éclairs au chocolat ou millefeuilles, quand ce n’était carrément la virée, chez Mansoura installé lui aussi à Héliopolis. On me dit que Mansoura est à présent installé à Brooklyn ou il fait le bonheur de la diaspora égyptienne et les délices des américains

          A Ras El Bar c’était les Fétiras du Fatayeri, sorte de pizzas sucrées qu’on se délectait de manger avec les mains. Les ballades sur le Nil à bord de la felouque de mon oncle Léon, avec son marin, le‘’barquier’’ comme on disait, traduction libre de l’arabe Marakbi,  qui me prêtait la barre franche de bois rugueuse de temps en temps ou me demandait de faire contre poids, assis en rappel à l’extérieur du pont sur une large planche arrimée solidement au bastingage. Ya Bakhtaik ! quelle chance tu as !

 

          Et ma fierté lors de ma première traversée du Nil aller-retour à la nage en largeur à 7 ans… et les ballades à cheval ou en dromadaire, parfois à dos de chameau ou simplement en croupe sur les ânes toujours présents et bons à tout faire.

          En ce temps là, en Egypte les réfrigérateurs étaient plus que rares, d’ailleurs leurs moteurs importés étaient souvent en panne avec les à-coups imprévisibles de la distribution électrique locale, mais il y avait les glacières que les marchands ambulants alimentaient en pains de glaces, qu’ils montaient dans les étages sur leurs larges épaules pour quelques piastres. Evidement on ne connaissait pas les congélateurs, toutes les marchandises alimentaires étaient du jour, achetées sur les marchés permanents de plein air ou chez les vendeurs ambulants.

          Il y avait aussi des mouches qu’on balayait nonchalamment avec les chasse- mouches de crins de cheval ou les tue-mouche en forme de tapettes qui écrasaient mouches, moustiques ou fourmis sur les tables servies sans que personne n’y trouve à redire. L’air chaud des appartements ne connaissait pas l’air conditionné, les ventilateurs fixés au plafond le brassaient dans un doux murmure mais les persiennes restaient closes pendant la belle saison jusqu'à la tombée du jour pour tenter de combattre la chaleur soporifique des étés Egyptiens. Pourtant les constructions d’alors savaient encore prendre en compte le climat et ménager des courants d’air.

          L’eau  que nous buvions venait des Gargoulettes ( Olla, cruche en grès) disposées dans les coins et qui en suintant lui maintenaient une fraîcheur étonnante

          Les spectacles de marionnettes (Aragoze) se donnaient sous nos fenêtres pour quelques piécettes lancées depuis les étages, ou bien délivrées dans de petits paniers accrochés avec des ficelles qu’on déroulaient depuis les balcons,  Il y avait aussi des programmes alternés comme le montreur de singe, ou les chanteurs et danseurs de rues, avec leurs pipeaux et leurs tambourins (Tarabokkas), leurs turbans et leurs cannes agités autour de la danse du ventre de danseuses dénudées et gracieuses.

          A cette époque outre le français ou l’anglais selon le choix parental du modèle éducatif, nous parlions tous l’arabe car nous étions élevés par nos nourrices égyptiennes ( nos Daadas) qui ne s’exprimaient que dans cette langue. Le bus de l’école venait nous chercher le matin à 6h45 pour nous emmener au Lycée Franco-égyptien près de l’aérodrome d’Al Maza car on travaille tôt en Egypte pour éviter la chaleur de l’après midi ; mais c’est une chaleur sèche  qui, bien que supérieure à celles que j’ai pu rencontrer en Afrique de l’Ouest ou en Asie, n’est pas aussi éprouvante car dénuée de cette humidité qui vous colle à la peau.

 

          Et nous revenions vers 13h30 déjeuner légèrement pour nous préparer à la sacro-sainte sieste d’une heure ou une heure et demie, suivie par les devoirs à faire et ensuite, yalla bina, les jeux, les rires avec ma sœur, toujours maternelle à mon égard bien qu’âgée de seulement deux ans de plus que moi, les parents, les cousins Marcos, les voisins, les amis…

          Pas de télévision bien sûr, ni même de radios intempestives, le téléphone était un luxe, simplement de temps en temps, le chant apaisant des muezzins appelant à la prière et rythmant nos journées cinq fois par jour.

          Et je revois Alexandrie, l’élégance majestueuse de sa Corniche, sillonnée de calèches découvertes, ( arabiya Khantour)  les plages populaires de Sidi Bichr et de Mandara ou celle plus élitiste de Agami  beaucoup moins fréquentée car plus éloignée, plus dangereuse avec ses courants qui picotaient les pieds des baigneurs et son sable éclatant de blancheur d’une texture si légère. On pénétrait sans appréhender le froid pour se baigner  dans les eaux de la Méditerranée qui sont chaudes sous ces latitudes, et nous passions des heures à jouer sur les plages sous le regard bienveillant des parents et amis qui nous surveillaient du coin de l’œil.

          J’ai de vagues souvenirs de la Cité des Tentes, aux pieds des Pyramides, où les riches Egyptiens invitaient leurs amis pour un pique-nique à la bédouine, assis sur des tapis disposés à profusion face aux monuments millénaires, pour des discussions où les mouvements de mains avaient autant d’importance que la voix, Il était aussi de bon ton de prendre le thé ( Chaiye) à l’anglaise ou le Café turc (Ahoua) qu’on commandait moyennement sucré (Mazbout) au Mena House, l’hôtel de luxe sur la route de Guizèh, face aux sables du désert.

          Et je me souviens quand arrivait le Kamsin (Cinquante) le vent chaud du désert qui tous les ans soufflait quelques cinquante jours entre mai et juin et recouvrait la ville comme un brouillard d’une fine pellicule de sable, il fallait calfeutrer fenêtres et portes pour tenter, généralement sans succès, d’endiguer le sable qu’il transportait et qui s’infiltrait partout.

          Les Egyptiens vivaient alors en bonne intelligence avec les autres communautés, les coptes, descendants de l’époque pharaonique qui étaient chrétiens, les Grecs orthodoxes, les Arméniens, les Turcs descendants de l’empire ottoman qui avait longtemps été la puissance tutélaire du pays, les Syriens, musulmans ou catholiques, comme du reste les Libanais, les Soudanais (Barbari) souvent employés aux taches subalternes et quelques français et anglais fixés là pour maintenir une présence après s’être disputés le protectorat de l’Egypte du temps de Mohamed Ali et s’être activés pour soutenir Montgomery contre Rommel pendant la seconde guerre mondiale. Les juifs avaient leur quartier spécifique, La Harte El Yehoud, dans le quartier des affaires du Mouski proche également du profond Bazar du Khankhalil, mais ils se mêlaient, sans se distinguer, à tous les autres.

          Les différences étaient acceptées, et loin de provoquer des affrontements, permettaient un enrichissement, chacun se servant chez l’autre de ce qu’il y avait de remarquable dans sa pratique religieuse, sa culture ou ses traditions.  Je me souviens de mes parents, me disant pour marquer une fatalité, Rabaina Kébir

          En ce temps là l’Egypte était le phare culturel du monde arabo-musulman , ses films , comédies musicales, romances ou drames étaient diffusés partout dans le monde ou l’on parle arabe , et les acteurs jouissaient d’une popularité qui dépassait et de loin les frontières. Faten Hamama, Naguib el Rihani sorte de Raimu et Ismayil Yassin sosie de Fernandel ,Choukoukou, et la sublime Samia Gamalcomédienne mais surtout danseuse du ventre inégalée.

          Ses chanteurs et chanteuses, Om Kalsoum , Farid el Atrach Habdelwohab, ou le jeune Abdel Halim Haffez étaient écoutés dans le monde entier et je suis resté, encore aujourd’hui, très sensible au charme de ces films populaires et de ces mélodies sentimentales.

          Les fêtes religieuses des uns et des autres étaient respectées par tous, Ramadan, Kippour, Noël et notre préférée Cham el Nissim, la fête du printemps pleine, de fleurs et de bruits puisque les enfants étaient exceptionnellement autorisés à se répandre dans les rues en faisant claquer des pétards.

          Il y avait peu de femmes voilées dans les villes, la religion pourtant omniprésente était bonne enfant, et la verve des Egyptiens, qui sont véritablement les méridionaux du monde arabe, pouvait se donner libre cours avec humour et légèreté.

          Je garde aussi vivace le souvenir de la Citadelle ou les Mameluks avaient été exterminés par surprise un siècle plus tôt, qui était un lieu de visite obligatoire pour les écoles, où on nous montrait l’empreinte encore gravée sur la pierre d’un cheval avec lequel son cavalier s’était précipité du haut des remparts pour tenter d’échapper au piège.

          Et nous aussi nous fûmes pris par surprise. La piteuse campagne du canal de Suez en 1956 a mis fin brutalement à cette douceur de vivre, les gouvernements français de Guy Mollet et anglais d’Anthony Eden n’ont pas mesuré les effets collatéraux de cette guerre avortée. Le président américain Eisenhower,  sur injonction des Soviétiques a finalement imposé de rebrousser chemin alors que les troupes franco-anglaises avaient pénétré dans le pays et se trouvaient à une centaine de kilomètres de la capitale.

          Dans la foulée, Alatoul, Nasser a expulsé la plupart des non musulmans qui vivaient là depuis des générations, en spoliant leurs biens, sans préavis, sans compensation et sans états d’âme.

 

          Le temps a passé sur ces évènements, avec le recul on peut considérer que les changements étaient inscrits, inéluctables, et même s’ils ont été trop brutaux, nous eûmes, pour la plupart, de la chance dans notre malheur, la chance d’en réchapper sans avoir subi les atrocités qui sont devenues communes aujourd’hui.

          Je garde ma tendresse au peuple égyptien , qui s’est montré en la circonstance fidèle à lui même, jamais sanguinaire et généralement ennemi de la violence quand il n’y est pas poussé par de faux prophètes.

          Cela ne m’empêche pas de me souvenir de mes premières larmes dans l’avion des réfugiés de la Suissair qui emportait ma famille vers Genève, quand l’hôtesse de l’air m’a donné mon premier verre d’eau de l’exode, une eau minérale pétillante, au goût inconnu et désagréable pour l’enfant de dix ans que j’étais, j’ai alors pensé en larmes ‘’ tout va changer, même boire de l’eau sera une épreuve’’

          Bientôt j’aurai soixante ans, finalement dans le voyage de la vie, je fus un passager émerveillé, navigant involontaire, ni maître du vent ni maître des voiles, sans connaître le but, la destination ni le port, en route pour la route, le voyage pour le voyage.

          La guerre du canal de Suez en 56 a marqué le début du voyage, j’avais 10 ans. Je n’avais jusqu’alors connu que l’Egypte et son Histoire, le sommet des Pyramides était l’horizon que je contemplais de ma fenêtre d’Héliopolis, et ma vie s’écoulait au rythme des eaux du Nil qui coulent paresseuses au Caire pour aller épouser la Méditerranée que le grand fleuve prends entre ses deux bras à Damiette et Rosette.

 

                                                             Sam MEZRAHI

 

 

Reçu le 27 avril 2014 de Monsieur Sam MEZRAHI la deuxième partie de  :

 

JE ME  SOUVIENS

L’avion des expulsés, des apatrides, pour Genève et ensuite Paris, le froid exceptionnellement glacial de l’hiver 56, les queues des réfugiés que nous étions devenus devant les soupes populaires, la faim au ventre partagée avec les Hongrois fuyant le communisme et les Franco-marocains orphelins de la fin de la colonisation.

Nous étions vraiment démunis , les quelques  traveller’s chèque de Cook que les parents avaient pu emporter s’avéraient non endossables à Paris mais les institutions caritatives , aussi bien catholiques que juives (comme le COGASOR) ainsi que la croix rouge étaient rapidement intervenues et avaient  pris en charge notre hébergement dans un petit hôtel familial situé dans une rue adjacente aux Champs Elysées, rue Galilée,  L’Elysée hôtel ,tenu par un couple de Suisses placides Mr et Mme Guay   qui cherchaient avec patience à expliquer à cette horde tumultueuse, car l’hôtel n’était peuplé que de réfugiés,  les règles de la bienséance à la française

Un petit pécule remis par je ne sais qui  aux chefs de famille nous permettait de faire un repas par jour, le midi. Nous allions tous en procession au self service de la rue Pierre Charron et pouvions nous offrir là du poulet frite sans boisson ni entrée ni dessert.et rapportions une portion à ma Grand-mère invalide qui ne pouvait se déplacer. 

Le petit déjeuner et le diner consistait en cafés au lait, réchauffés clandestinement dans les chambres d’hôtel au mépris du règlement avec une petite résistance électrique, accompagnés de pain baguette et de fromage ‘’Vache qui rit’’ ou ‘’Vache sérieuse’’

Ma mère pour se concilier les bonnes grâces du couple Guay, donnait des leçons gratuites d’anglais à leur petite fille, et les Guay finalement pleins d’humanité envers ces refugiés,  fermaient les yeux sur les trafics et va et vient de baguettes, fromage et lait qui circulaient entre les étages alors que la nourriture était interdite dans les chambres.

L’Etat français  avait à l’époque de la sollicitude pour les malheureux refugiés fuyant leurs pays d’origine. Nous reçûmes une subvention de logement et un accès à une HLM de Clichy, un F3 pour loger les onze personnes de la famille qui s’étaient enfuis d’Egypte ou plutôt qui en avait été expulsés sans ménagement et sans délai... Je me souviens des lits Gigogne qu’on dépliait sur le sol en linoléum pour dormir plus ou moins entassés sur toute la surface de l’appartement, y compris le coin  cuisine. Les enfants de l’oncle Jacques, le frère de mon père étaient plus jeunes que nous Roland l’ainé deviendra un grand médecin endocrinologue  et ses sœurs, Viviane chercheuse au CNRS et Nicette  Pharmacienne de laboratoire, tous les trois scientifiques de haut niveau.

Pour le moment, l’école étant obligatoire, nos parents s’étaient empressés de demander notre inscription en tant que pensionnaires, pour s’assurer que nous pourrions être hébergés dormir au chaud et manger trois repas par jour. L’administration française toujours pleine de ressources, nous avait trouvé un établissement dans l’Oise, le Collège Cassini à Clermont de l’Oise ou on avait pu nous caser, tous les cinq, Roland et ses sœur, ma sœur et moi, bien que ce soit le début du second trimestre. Les frais de pension étaient pris en charge par l’Etat les pensionnaires devant néanmoins apporter leurs draps  et leurs livres et cahiers de classe, mais nous n’avions rien, pas même de quoi acheter un crayon. De nouveau la compassion du gouvernement s’était manifestée peut être aidée par quelques œuvres charitables je ne sais plus, mais le fait est qu’en arrivant au Collège tous les enfants refugiés, Hongrois, Marocains, Egyptiens avaient reçu des livres et des cahiers neufs, une trousse d’écriture, et un trousseau comprenant deux draps une serviette de bain et une blouse grise, uniforme obligatoire pour tous.

Souvenons-nous, c’était en Janvier 1957, voila comment la France accueillait les étrangers à la dérive, en ouvrant ses bras protecteurs, en leur donnant une chance de s’en sortir, de se redresser, de se tenir debout, une chance de devenir Français à part entière. 

Jamais je n’oublierai ce que je dois à la France, ce que nous devons tous à la France généreuse et humaine de 1957 fidèle à sa réputation de terre d’asile et de liberté et qui avait alors les moyens de manifester sa solidarité avec les réfugiés qui venaient frapper à sa porte.

Par la suite quelles que soient les vicissitudes que j’ai eu à traverser, jamais ma gratitude envers la Franc ne faiblira et quand il s’agira de faire mon service militaire en 1965, bien qu’on m’ait proposé un moyen  imparable d’y échapper je n’hésiterai pas une seconde considérant que je devais cette maigre contribution de 16 mois de ma vie et de ma jeunesse à ce pays qui nous avait sauvés avec toute ma famille.

Plus tard , beaucoup plus tard porté par les hasards de la vie à la direction d’une importante société de Commerce international , j’ai eu plusieurs sollicitations pour m’installer a l’étranger afin de diminuer la pression fiscale énorme qui ponctionnait les trois quarts de mes revenus mais là encore j’ai refusé , car je me considère comme redevable à jamais vis a vis de la France mon pays , ma Patrie. 

 

Pour revenir au Collège Cassini début Janvier 1957 je viens d’avoir 11 ans, je rentre en sixième dans un monde nouveau, séparé de mes parents pour la première fois, maitrisant moyennement la langue, sans repères, totalement étranger à la vie de mes petits camarades de classe, déstabilisé par la classe mixte avec toutes ces petites filles  ce qui aurait été inimaginable en Egypte et avec un trimestre de retard sur un programme déjà largement plus évolué que celui que nous suivions en Egypte 

La France nous avait pourvus de draps et de livres mais pour le reste nous devions nous débrouiller avec nos habits habituels, qui n’étaient pas adaptés au froid rigoureux de cet hiver 56/57 resté dans les mémoires par les déclenchements des appels à la solidarité de l’abbé Pierre. On arrivait à se protéger du froid en glissant des feuilles de papier journal sous nos chandails mais les extrémités, pieds et mains mal protégés déclenchaient souvent des douleurs difficiles à supporter. Les chaussures de carton mâché achetées en Egypte, pays du soleil résistaient mal aux conditions locales et le manque de gants faisaient des  promenades imposées du jeudi un véritable calvaire.

Notre arrivée avait suscité la curiosité des élèves, mais nos accoutrements étranges et notre français approximatif avait transformé cette curiosité en une sorte d’hostilité silencieuse, exprimée par le dédain ou l’indifférence. Il n’y eut pas de guerre déclarée,  les enfants réfugiés étant en nombre suffisant pour contenir une attaque frontale, mais le rejet plus ou moins exprimé eu pour effet de nous ostraciser, et jusqu'à la fin de l’année scolaire il y eu peu d’échanges entre les deux groupes.

Pourtant c’est dans ce Collège que je suis tombé amoureux pour la première fois, c’était une petite fille de mon âge, aux longs cheveux auburn et aux incroyables yeux bleus, éclatants et lumineux. Elle s’appelait Jeaffrin, c’était son nom de famille, je ne me souviens pas de son prénom, car elle ne m’a jamais adressé la parole bien qu’étant en sixième, dans la même classe que moi. Je la regardais à la dérobée, trop conscient de mon état inférieur, mal dans ma peau, petit étranger maigrichon pas encore monté en graine, face à cette poupée qui était demi-pensionnaire  et donc habitante du coin, bien intégrée dans son élément, à l’aise et sure d’elle au milieu de ses copines qui riaient sous cape dans la cour quand elles me rencontraient presque toujours  grelottant et solitaire incapable de les aborder.   Peut être que si j’avais engagé la conversation, nous serions devenus amis, mais je sentais confusément que tout nous séparait   . Alors ces amours enfantines déjà douloureuses car non partagées pour ne pas dire totalement ignorées, m’ont tout de même été bénéfiques, car par orgueil ou par défi , pour briller aux yeux de cette petite princesse inaccessible , je me mis a l’étude avec rage et détermination , pour apprendre et savoir mieux que les autres , pour rattraper mon retard et forcer l’admiration.

Nos parents  ne disposaient pas de moyens suffisants pour que nous puissions comme les autres pensionnaires prendre le train et  rentrer chez nous chaque semaine , et donc nous passions les fins de semaine au Collège en partageant bien involontairement le sort des élèves punis en retenue , interdits de sortie . Nous avions le droit de déambuler dans le vaste préau, je me souviens aussi de quelques promenades dans les campagnes environnantes en ram c'est-à-dire en rangs serrés jusqu’au  lieu de destination ou l’on nous permettait de nous ébattre quelques temps avant de reformer les rangs pour le retour.  Le reste du temps c’était la salle des Etudes  sous la surveillance de pions qui interdisaient le moindre bavardage.

Mon père entretemps s’était vu offrir un poste de sous directeur de Banque  à Alger seul poste possible lui avait-on affirmé alors qu’il ne cherchait qu’a fuir les pays instables et que celui-ci était en pleine guerre d’indépendance. Il avait bien été obligé d’accepter malgré les dangers encourus. Ma mère l’avait rejoint et ensemble ils nous avaient écrit que nous pourrions les rejoindre avec ma sœur à la fin de l’année scolaire.  Cette perspective avait suffit à transformer mes épreuves du moment en une sorte de parcours initiatique vers un paradis programmé. 

 

Le vent m’a ensuite porté vers Alger en 57 en pleine terreur de la guerre d’indépendance, les bombes sournoises et assassines dans les lieux publics, les espoirs du 13 mai 58, au Forum d’Alger dans une foule en liesse et la suite… la désillusion, le Putsch d’Alger, les Paras à l’école, les convulsions d’une époque qui se meurt, l’OAS, la dérive…

 

Et le voyage recommence, le pensionnat en France, à Evreux pour apprendre la province, l’isolement et la solitude et repartir…

 

Paris, les études bâclées, les petits boulots, les Halles la nuit pour quelques sous, huissier dans un journal, et le service militaire à vingt ans en 65 à la frontière Allemande, à Bitche en Moselle, perdu dans la neige et le froid…

 

Apres 16 mois le retour dans le Paris des années 60, voyageur de commerce pendant trois ans qui sillonne les routes de France et c’est reparti pour le rêve, l’Amérique en 69

 

L’arrivée à New York, faux touriste et travailleur illégal, apprendre la langue, vivoter d’un petit job à l’ONU, aimer les filles de passage sur la musique des années 70, prendre le thé au San Regis avec Salvador Dali et Gala, regarder avec ferveur sur les télévisions des devantures l’homme marcher sur la Lune et cap à l’Ouest…

La route, d’est en ouest, en auto-stop ou en Greyhoud, l’Amérique profonde du Wyoming  vers San Francisco… et le rêve Hippie.

 

Les cheveux longs et ce qui est le plus lourd à porter , les poches vides, les bancs du Washington square à North Beach pour litière, la faim qui taraude et des amitiés qui se nouent, des amours qui s’ébauchent, la musique assis par terre dans un gymnase, le Filmore West devenu par la volonté de Bill Graham le temple des musiciens, les  rencontres dans un café comme avec le poète Alan Ginsberg et lui parler Baudelaire, Rimbaud, Verlaine…

 

Et repartir, Paris et ses amours,  ses amitiés,  le travail à la grande époque de prêt-à-porter féminin dans le quartier du Sentier rue d’Aboukir et rue d’Hauteville assister à l’ascension et parfois la chute des copains, Henry Darmon, Azria, Ventilo, Apostrophe, Gérard Darel, Christian Aujard, créer ma propre boite et jeter l’éponge pour le sacerdoce du négoce international chez un négociant français en 1974 et pour vingt deux ans !! Je raconterai aussi, peut-être un jour, ces temps de fantasias frénétiques de ma jeunesse.

 

Entre-temps le mariage heureux et un fils promesse de bonheur qui ne s’est jamais démentie.

 

Des voyages autour du monde pour acheter ou vendre des denrées, l’Afrique dans les désordres de l’après colonisation, les pays de l’Est sous la chape de plomb du communisme, l’Amérique latine dans le bouillonnement des révolutions locales, l’Indonésie ou la Malaisie pleins d’essor et de corruption, les Etats Unis berceau et flambeau des marchés à terme…

 

J’ai vu , j’ai côtoyé des hommes d’affaires honnêtes ou roublards venus de tous les horizons, j’ai ceinturé la planète de filiales Londres, Genève, New York , Anvers, Amsterdam, mais aussi Abidjan, Douala,  Antananarivo à Madagascar, Rio au Brésil, Coatepec, au Mexique Guatemala City…et des nostalgies multiples pour tous ces merveilleux pays, pour les amitiés qui se sont alors nouées, parfois éphémères , mais durables parfois aussi..

 

J’ai parlé avec nombre de Présidents (Houphouët, Eyadema, Mobutu, Kerekou, Ratsiraka,) de ministres des finances, du commerce ou de l’agriculture, des hommes politiques d’ici et d’ailleurs…

 

J’ai parlé aux banquiers de tous les continents... J’ai eu enfin les poches pleines, l’argent entre les mains, les voyages en Concorde ou en première, les grands hôtels, les meilleurs restaurants, les jolies filles, les plus belles voitures, les avions privés et les Yachts…

 

Mais  cette course non plus ne menait nulle part, le but était la course elle-même, je suis tombé, je me suis relevé et j’ai repris la route et mes errances en Afrique du Sud après l’Apartheid, en 97, pour revenir à Paris à l’aube du XXI ème siècle.

 

Nostalgie…Il me faut aujourd’hui trouver ma joie au milieu des tristesses, mon bonheur au milieu des malheurs, mon rire au milieu des pleurs, et ma sérénité au milieu des convulsions.

Guerres, attentats, meurtres, pauvreté, misère, faim, mort. Il faut arrêter le spectacle mais qui pourra nous rembourser ?

 

Collectionneur de latitudes ayant beaucoup vu et beaucoup appris, égrenant mes souvenirs, je veux me persuader que la fraternité des individus saura surmonter la folie meurtrière des Hommes.

 

Sam Mezrahi

 

 

LA FETE  DE  PESSAH EN EGYPTE.

J’ai écrit cet article il y a quelques années, à la demande du CLUB DE L’AMITIE  faisant partie de la COOPERATION FEMININE de Marseille.

Albert Pardo

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       Voici un exposé détaillant les préparatifs habituels de la Fête de PESSAH en Egypte et son déroulement durant la semaine qui la concerne, du temps où nous vivions là-bas. Le but de cet exposé est de comparer la célébration de cette Fête par les différentes Communautés d’Afrique du Nord. Voici donc celle d’Egypte.

Comme chacun le sait, durant cette semaine là nous consommons de la Mazza appelée aussi « pain azyme » qui est un pain confectionné sans levain. Ceci en souvenir de la sortie hâtive d’Egypte, au temps de Moïse. Le Peuple Hébreu était en esclavage depuis 400 ans et Dieu chargea Moïse de demander à Pharaon sa libération. Comme ce dernier refusait, Dieu frappa l’Egypte de dix plaies (dont la mort du premier né de chaque famille), qui éprouvèrent tant les Egyptiens que Pharaon accepta de laisser partir les Hébreux, après beaucoup de réticences, Mais ceux-ci craignirent qu’il ne revienne sur sa décision et ils partirent aussitôt alors que la pâte à pain confectionnée ce jour-là,  n’avait pas encore levé. Et c’est en souvenir de  cette libération que les Juifs consomment du pain non levé durant cette fête.

Bien que la célébration de cette Fête soit réalisée sur les mêmes bases et les mêmes prières par les Juifs du monde entier, il y a quand même quelques petites différences sur certains détails et certaines  coutumes d’un pays à l’autre. Surtout dans les Pays du Moyen-Orient dont l’Egypte, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Syrie, le Liban, etc. 

Voici comment on célébrait cette Fête en Egypte du temps où nous vivions là-bas c’est-à-dire il y a 50 ans. Je me base, naturellement, sur mes souvenirs personnels et je  demande l’indulgence de toute personne d’Egypte qui constaterait un oubli ou une interprétation ne collant pas parfaitement à la tradition. Après un demi-siècle, ma mémoire n’est plus ce qu’elle était.

 

LES  PREPARATIFS.

 

Les achats :

Pour qui connaît l’importance de cette fête, les traditions, la ferveur des pratiquants, surtout il y a plus d’un demi-siècle, il comprendrait facilement l’état d’esprit de ma mère à l’approche de Pessah.

Pour vous en donner une idée, sachez que tout, absolument tout, devait être engrangé durant les deux ou trois semaines avant la fête.

D’abord et avant tout la mazza ou pain azyme, puis le vin, la farine cachère*, le sel gemme et le sucre en cônes qu’on pilait à la maison, le riz en couffin, l’huile en bidon de 20 litres, les amandes, pistaches, noix, noisettes, cacahuètes, pépins et même le café vert en grains qu’on torréfiait chez soi, les épices, les noix de coco fraîches qu’il fallait râper pour la confiture, les dattes et les raisins secs pour le hharrossed,  et des dizaines d’autres denrées et ingrédients qu’on achetait d’avance pour huit jours et pour une quinzaine de personnes car, à part mes frères et sœurs (nous étions dix) il y avait encore mon père et ma mère, souvent ma grand’mère maternelle, un domestique et une bonne.

Tout était acheté cru et préparé à la maison pour être sûr qu’il sera strictement cachère*. Il n’y avait que les légumes, les fruits  et la viande que l’on se procurait au fur et à mesure des besoins.

Au Caire, où nous vivions, il y avait à la rue Darb-el-Barabra, dans le quartier du Mousky, plusieurs boucheries et  épiceries  tenues par des juifs ashkénazes originaires d’Allemagne, de Pologne, Russie, Hongrie, etc. où on pouvait se procurer, tout au long de l’année, tous ces produits strictement cachère.

Un mois avant Pessah, ces boutiques étaient pleines à ras bord de tout ce qu’il fallait pour cette Fête, ainsi qu’un assortiment de charcuteries délicieuses. Je n’ai jamais retrouvé ailleurs,l le goût de leur salami.

Mon père se fournissait habituellement chez un certain Monsieur Barzel et, au  fur et à mesure de la réception des achats envoyés par lui,  ma mère, mes sœurs et la bonne triaient, lavaient, torréfiaient, grillaient, épluchaient et… pilaient. Le pilon ou mortier, était un récipient profond en cuivre en forme d’urne évasée, sur un socle plat, avec un battant du même métal. Pendant des jours et des jours sauf durant la sacro-sainte sieste d’après déjeuner, l’immeuble entier résonnait de son boum-boum-boum affolant bien que, pour amortir le bruit , on ait glissé dessous un sac en jute vide, plié en huit.

 

La mise en place :

Nous avions à la sandara (le grenier) une grande caisse en bois contenant les ustensiles de cuisine strictement cachère, réservés spécialement pour la fête de  Pessah : marmites, casseroles, louches, etc. qui étaient là depuis Pessah précédent. Car il n’était pas question d’utiliser la batterie de cuisine de tous les jours. 

A cette époque, tous ces ustensiles étaient en cuivre. L’aluminium n’existait pas encore. Alors,  on  faisait descendre cette caisse et au premier passage du Rétameur Ambulant, on le hélait et il  rétamait le tout. Ceci fait, ma mère procédait à la cérémonie de la Aghala qui consistait à ébouillanter le tout.

On mettait sur le feu une grande marmite pleine d’eau et contenant le maximum de pièces de cette batterie. . D’autre part, il y avait un très gros clou d’une vingtaine de centimètres, réservé spécialement à cet effet, que l’on faisait chauffer à blanc.  A l’ébullition de l’eau , ma mère  plongeait le clou chauffé dans la marmite tout en récitant la prière de la Aghala.  Mais comme nous étions une grande famille et que la marmite d’eau bouillante ne pouvait contenir toute la batterie de cuisine en une seule fois, alors on retirait les pièces cacherisées et on y plongeait celles qui ne l’étaient pas encore.

 

Eradication du Hhamess.

On vide tous les placards, armoires, cuisine, salle de bain, toilettes de tout ce qu’ils contiennent. On nettoie à fond et on replace le tout, bien propre. Même les habits étaient brossés, les poches  et les plis des pantalons retournés et brossés également. Le carrelage de la maison, les portes et fenêtres et même les lustres étaient lavés et astiqués.

 

Kol Hhamira.

C’est la recherche de tout aliment Hhames qui peut encore exister dans la maison et que l’on doit brûler. Mais il était peu probable de trouver quoi que ce soit de tel après les opérations de nettoyage ci-dessus. Alors, afin qu’il ne reste aucun doute sur cela, l’usage voulait que l’on mette un petit morceau de pain derrière chaque porte de l’appartement et,  24 heures avant le Séder, le chef de famille muni d’une bougie allumée et d’une paire de pincettes,  entouré de sa femme et de ses enfants, il venait ramasser ces morceaux de pain en récitant le passage suivant :

« tout levain et toute substance levée qui se trouveraient encore en ma possession et que je n’aie ni vus ni enlevés, doivent être considérés comme détruits et comme n’étant plus que des grains de poussière. » 

Mon père recommençait la prière adéquate autant de fois qu’il le fallait jusqu’à cachérisation complète de tout l’appartement. KOL HHAMIRA, derrière chaque porte que comprenait la maison : chambres à coucher, salle à manger, salon, cuisine, etc. Alors, tout le monde était rassuré qu’il n’existait plus à la maison même pas l’ombre de quoi que ce soit de HHAMES. Et on brûlait tout ce qui avait été ramassé.

 

Préparation des mets

Le jour d’avant la veille de la Fête, branle bas de combat. La table de la cuisine est recouverte de légumes de toutes sortes, de différentes viandes dont celle dl’agneau pour les prières. Pour vous en donner une idée, je vais vous conter cette anecdote. J’avais l’habitude d’aller tous les jours prendre le déjeuner de midi avec mes parents. Cela leur faisait autant plaisir qu’à moi-même. Un de ces jours, c’était justement l’avant-veille de Pessah,  entrant dans la cuisine pour dire bonjour à ma mère, je constate qu’il y avait dix feux allumés, dix réchauds à pétrole en l’occurrence, sur chacun desquels cuisait un mets différent. Alors, je gronde gentiment ma mère pour la fatigue que tout cela lui occasionnait. Elle sourit, me regarde avec ses yeux doux et me dit : Mon fils, tu oublies que demain soir nous serons trente à table !!! Eh ! oui, nous étions dix enfants dont certains étaient mariés et avaient un, deux ou trois gosses.

Cette histoire illustre un proverbe de l’époque qui dit : les fêtes des Juifs se passent dans les cuisines.

 

Le Sédèr.

         Enfin, le grand soir arrive ! Depuis le matin, ma mère aidée de mes sœurs avait préparé TOUT ce qu’il fallait pour le Séder ainsi que  les préparations recommandées pour ce grand jour pour accompagner les bénédictions et ce, dans l’ordre traditionnel.

         La table du Sédèr est dressée avec la plus belle nappe et les plus beaux couverts et accessoires.

         Et on commence à lire la HAGGADAH. Au cours du déroulement du récit détaillant la vie épuisante des Hébreux à cette époque, les corvées, les punitions, les exactions qu’ils subirent puis la sortie d’Egypte et leur vie dans le désert,  on explique longuement aux enfants la signification de chaque passage et on essaye de les faire participer aux prières. On leur explique également ce que signifie  chaque bénédiction.

         Enfin, la HAGGADAH se termine et on passe au repas. La joie est palpable, les rires fusent facilement grâce aux quatre coupes de vin absorbés au courant des prières, comme il est recommandé.

         A la fin du repas, on récite encore la prière traditionnelle pour remercier le Seigneur et on passe avec joie et exubérance à la chanson HAD GADYA.

 

LE DEROULEMENT DE LA SEMAINE

         Il est évident que les repas de cette semaine ne sont pas tout à fait comme ceux des jours habituels. La raison principale est le remplacement du pain par la Mazza. Et encore, que tout doit être strictement cachère. Alors les mères de famille jonglent avec les recettes de cuisine afin de satisfaire, autant que faire se peut, l’appétit et les goûts de chacun des membres de la famille.

         Toujours à cause de la Cacherout, les enfants n’ont pas le droit d’acheter quoi que ce soit comme friandises ou autres. Afin d’y palier, ont leur a préparé de nombreuses pâtisseries sucrées et un tas d’amuse gueule : fruits secs, amandes, noisettes, noix, pistaches, pépins, cacahuètes ainsi que des confitures maisons comme celle de noix de coco, d’oranges, de fraises et le fameux HHAROSSED. Je sais que cette préparation est différente d’un pays à l’autre. Je donne plus loin la composition de celle que nous avions coutume de concocter en Egypte.

 

La sortie de Pessah.

Enfin, le dernier jour arrive. Pour le dîner de ce soir-là, on achète et on prépare le  maximum de denrées dont on a été privé durant la semaine qui vient de finir.

Voici quelques-uns dont je me rappelle :

Le salé : d’abord du pain, plusieurs genres de pain. Puis, des fromages, des salades : l’orientale,  composée de concombres, tomates, poivrons verts, oignons frais et persil, puis de tehina , celle d’aubergines et poivrons grillés, les fameux foul et falafel, des boîtes de conserve de sardine, de thon, le fameux fesikh qui est un poisson mariné dans de la saumure, des  salaisons, de la tarama, de la boutargue, le tout accompagné de mékhalelates (pickles ou variantes) d’oignons verts genre cebette, de la malana qui sont des tiges portant des pois chiches encore verts, si bon à croquer ,etc. puis

Le doux : des gâteaux de toutes sortes : baklava, konafa, ménena ,etc. du riz au lait, du miel, du beurre, de la halawa, etc .

Les boissons alcoolisées comme whisky, raki, un genre d’anisette et les bières de la Marque Stella.

Et enfin,  les boissons sucrées : limonade Spathis, Coca et Pepsi Cola, Fanta, Sico, etc.

 

En même temps on pare la maison de tout ce qui symbolise « la bonne augure pour l’année qui vient. » On met sur chaque battant de porte ou de fenêtres ainsi que sur les  cadres portant les photos et les peintures, des tiges vertes de malana,  pois chiches encore verts. Et au seuil de chaque porte on jette des feuilles vertes de laitue.

Le lendemain, dans la matinée, on monte au grenier la caisse contenant la batterie de cuisine cachère, pour Pessah de l’année prochaine, incha’allah.

 

Deux souvenirs me reviennent à propos de la Fête de Pessah. Au cours de la cérémonie religieuse commémorant celle-ci, qui dure plus d’une heure, et le repas qui la suit,  il est de tradition de faire, plusieurs fois, la bénédiction sur le vin et il est recommandé de boire à  chaque fois tout le contenu de son verre. Pour les enfants, on leur donnait du jus de raisin. Étant donné le nombre de mes frères et sœurs, de leurs conjoints et progénitures, mon père achetait  un grand nombre de bouteilles de vin et une de cognac. On avait l’habitude de présenter le vin à table dans des carafes et non dans les bouteilles. Une année, celui qui transvasa les bouteilles de vin dans ces carafes, déboucha par mégarde celle de cognac qui se mélangea au vin et le corsa tant et si bien que tout le monde devint super gai et euphorique. On se mit à chanter et à battre des mains et l’une de mes belles-sœurs, sur laquelle cette mixture agit fortement, se déchaussa, monta sur la table et se mit à la parcourir de long en large en dansant, comme dans les saloons des films western.

 

Voici encore un autre souvenir. Parmi tous les achats de Pessah il y avait aussi les biscuits cachère. Il y en avait de deux formes. Les ronds étaient plus tendres que les rectangulaires qui étaient croustillants. Ils étaient autant  appréciés les uns que les autres .Ils étaient emballés en paquets d’un  demi kilo  dans du papier kraft bleu marine. Chaque année, mon père en achetait dix paquets de chaque que l’on mettait en haut de  la grande armoire normande qui se trouvait dans la chambre à coucher de mes parents, loin de tout aliment hhamesse (non cachère). Et, bien avant la fête, invariablement, chaque matin au moment du petit déjeuner, il envoyait l’un des enfants prendre un paquet qui était immédiatement consommé. Au fur et à mesure que les jours passaient, le nombre de paquets diminuait et, trois ou quatre jours avant Pessah, mon père achetait de nouveau une vingtaine de paquets. C’était devenu un rite.

 

La recette du Hharossed  des Juifs d’Egypte

 

Ingrédients : ½ kilo de dattes SOUPLES dénoyautées - ½ kilo de raisins secs (la variété noire sans pépins, qui sont tout petits) -  3 ou 4 cuillerées à soupe de sucre, des cerneaux  de noix concassés autant et suivant le goût de chacun + 1  verre de vin rouge (facultatif).

 

Préparation : Bien laver les dattes et les raisins secs. . Mettre dans une casserole et couvrir d’eau. Laisser tremper toute la nuit. Le lendemain, si toute l’eau a été absorbée en ajoute encore la valeur d’un petit verre. Faire cuire sur feu doux, jusqu’à ramollissement. Passer à la moulinette A MAIN afin d’en retirer toutes les peaux. Ajouter sur cette crème 3 à 4 cuillerées de sucre. Bien mélanger et remettre sur feu doux jusqu’à épaississement sans faire sécher. Ajouter le verre de vin rouge AVANT la fin de la cuisson. Ajouter les cerneaux de  noix concassées et bien mélanger. Servir dans des coupes et garnir le dessus de cerneaux de noix concassés.

 

 

 

Reçu le 11 janvier 2014 de Madame Viviane ISK ce souvenir d’Alexandrie :

 

A l’époque, il y a fort longtemps, Nous avions une cabine donnant sur la petite baie de la plage de Stanley. C’était un peu la cabine du bon Dieu, réunion de nos amis. Par la suite, cette dite plage a commencé à « ramasser » une faune peu  recommandable, aussi nous l’avons quittée, un peu à mon corps défendant..mais là n’est pas le récit que je m’empresse d’écrire.

Donc à l’époque  bénie où Stanley était encore bien fréquentable, les gens du Sud, « saayda » (je n’ai aucun de parti pris, ce sont des gens charmants mais..vous allez comprendre par la suite), venaient se « tremper » dans cette petite baie, je dis « se tremper » car ils ne savaient pas nager, mais agitaient les bras et avançaient rapidement. Nous étions un peu étonnés, et curieux nous les avons observés.. le hic de cette histoire, c’est qu’ils  marchaient sur le sable du fond et les mouvements des bras simulaient la nage.. ok, c’est encore un choix, et pourquoi pas ?, mais l’affaire se corsait quand leur libido se réveillait en voyant ces jeunes filles en fleur affriolantes se jeter à l’eau, et cédant à l’impulsion, ils avançaient subrepticement vers elles et pinçaient allègrement les fesses à qui mieux mieux. Donc les vendredis, jours de leur congé, on évitait évidemment de leur prêter nos « arrière trains » ! quand j’y pense je souris, mais à l’époque, je ne souriais pas du tout. Une des fois, je me baignais avec mon papa, l’eau était trouble, et un gars a plongé (ça ils savaient le faire, ça au moins pour les besoin de la cause) et ne voyant pas très bien a qui appartenait l’objet de convoitise, a pincé mon papa, il l’a bien regretté, car sur-le-champ il y reçu une « ruade » de papa en échange. …AYOU

fin de l’histoire….  Helwa wala maltouta ? comme ma dada nous disait à la fin d’une histoire qu’elle nous racontait... vous souvenez-vous de cette expression ? (c.a.d. Jolie ou  moche ??)

ciao à tous, et bisous … pourquoi pas ?

amicalement

viviane iskander- pully suisse

 

 

 

Janvier 2014

 

Reçu le 7 décembre 2013 de Monsieur David YADID :

 

MON EXODE D’EGYPTE A L’AGE DE 9 ANS

David YADID

 

 

 

 

En haut moi à l'Ecole Lucien de Hirsh à Paris.

 

 

Première ligne: Maman enceinte de moi, Papa, mes sœurs Ginette et Ada à Alexandrie; Maman, moi bébé, Ada et Ginette; les mêmes avec Papa; Ginette en habit scout de la Maccabi et moi;

Seconde ligne: ma mère, Ada, mon père, Ginette et moi;  Ginette et moi à Alexandrie. mon père ma sœur Ginette et moi au balcon du 38 Rue Rodier Paris 9; la Nona Regina Cohen-Hemsi née à Smyrne en Turquie.

 

Quand je devais envoyer une carte postale et que je disais à maman que je ne savais pas quoi écrire, elle me répondait: « Commence déjà par inscrire l’adresse ». Je ne sais par quel mystère, cela déclenchait ensuite en moi des tas d’idées.

Donc, commençons par l’adresse.

Nous habitions Rue Amir El Kadadar au premier étage,  juste au-dessus d’une imprimerie dont j’entends encore les rotatives, et pas très loin du grand musée du Caire où j’allais parfois traîner, sans me souvenir comment je faisais pour entrer, sans payer bien sûr.

 

 Mes premiers souvenirs sont ceux de maman dans la cuisine, préparant de l’eau de rose avec un alambic ou faisant bouillir de  grandes dattes noires délicieuses qui fondaient dans la bouche. Elle refusait de jouer avec moi et finalement je jouais tout seul avec mes doigts transformés en un bateau imaginaire (mais prémonitoire!), qui voguait sur la mer d’Alexandrie vers laquelle nous partions tous les étés, pour échapper à la chaleur du Caire.

Quand nous arrivions là-bas avec mes deux sœurs, ma mère et mon père (parfois la Nona Régina nous accompagnait), nous montions une rue dont le sommet se terminait dans le ciel. Alors, brusquement l’odeur de la mer et de ses varechs iodés me prenaient tout entier dans un délice de plaisir et de promesses enchantées, de sable jaune et chaud et de baignades trépidantes.

 La Nona Régina était ma grand-mère maternelle.  Je la vois encore sur le quai, le jour de notre grand départ, nous disant au revoir de sa main tendue, et moi sanglotant tout seul près d’un jeune couple que je ne connaissais pas, mais qui essayait de me consoler. J’avais neuf ans, je sentais que quelque chose de grave se passait, mais je ne me rendais pas compte à quel point cet évènement allait bouleverser ma vie.

 

   Je devais avoir trois ans quand un matin, sur un balcon en face de notre maison, à gauche du bâtiment qui deviendrait plus tard propriété de la « Maccabi » (un mouvement sioniste scout), des Italiens avaient hissé un drapeau. Je trouvais cela réjouissant à la grande désapprobation  de mes parents, inquiets et  angoissés par l’avancée des troupes de Rommel.  Cette angoisse, que je percevais souvent car elle est restée gravée dans mon cœur, étreignait maman et passait directement comme un fluide dans mon petit corps sensible. Je l'ai perçue quand des affiches antisémites étaient placardées partout sur les murs. L’une d’elles représentait une main tatouée d’une  Maguen David, contrainte de lâcher, par la force d’une poigne « salvatrice », un long et hideux couteau pointu d’où coulaient des gouttes de sang bien rouges. Je l’ai perçue aussi quand nous parvenait la rumeur et le grondement menaçant et sourd, d’une foule énorme de manifestants. Et aussi le soir où nous étions au cinéma appelé Rio, et qu’un égyptien employé de ce cinéma est venu nous prévenir qu’il fallait fuir.  Maman m’a pris dans ses bras et a couru avec mes sœurs effrayées jusqu’à notre maison, qui heureusement n’était pas très loin.

  Ce cinéma en plein air m’évoque d’immenses crêpes poudrées de sucre blanc dont je n’ai jamais retrouvé le goût. Je me souviens également des films en arabe pendant lesquels j’attendais impatiemment que les longues litanies d’une chanteuse éplorée s’arrêtent pour que l’action reprenne ; ainsi que des  films américains pleins d’actions pendant lesquels je harcelais mes sœurs pour qu’elles me traduisent les dialogues. Malheureusement, mon père avait décidé de m’envoyer à l'Ecole des Frères où l’enseignement se faisait en Français, alors que mes sœurs, que je voulais absolument rejoindre, étaient à l’Alvernia, une école anglaise tenue par  des religieuses chrétiennes. Afin de retrouver mes sœurs dans cette école, je suis devenu célèbre dans la famille quand pour prouver mes grandes capacités, j’ai annoncé à la Mère supérieure que j’étais maintenant assez « haut » pour tirer  la chasse d’eau des toilettes!

 

 Je n’ai jamais compris pourquoi nous atterrissions tous dans des écoles religieuses catholiques, alors que mon père était un Juif fervent qui mettait les tefillins tous les matins, et faisait la prière tourné vers le ciel devant une grande fenêtre donnant sur une cour. Pourquoi, alors que je le demandais, n’avais-je pu suivre des cours d’hébreu comme mes voisins et amis Sami et Berti ?

  Sami et Berti… Avec eux nous faisions dans la rue des parties de gendarmes  et voleurs échevelées durant lesquelles on se donnait totalement, courant dans tous les sens malgré la chaleur. Il y avait aussi mon amie Joyce Alouane, avec ses grands yeux bleus et ses longs cheveux blonds et lisses. Sa famille venait du Liban. Nous faisions de grandes parties de Monopoly, de dames, d’échecs ... On disait que l’on se marierait quand on serait grand. Une fois, elle m’a demandé de l’attendre en bas d’une maison pour cinq minutes. En fait, elle se rendait à un cours de piano, mais j'ai quand même attendu son retour. Fallait-il que je tienne à elle! Un autre de mes compagnons de jeux était Mabrouk. Quand j’étais trop dans ses jambes, maman me disait : « Va jouer avec Mabrouk!». Il s'agissait d'un petit garçon  que son père avait laissé dans notre famille, car il ne pouvait plus le nourrir, bien que son nom signifie en arabe à la fois: bravo, félicitations, quelle chance tu as ! 

 

    Plus tard, à Paris, quand nous étions au 38 rue Rodier dans le neuvième arrondissement, je pensais avoir retrouvé des amis. Nos voisins s’appelaient Pierre et Jean et étaient tout comme moi élèves de l’école de la rue Milton. Un soir après l’école, je jouais aux gendarmes et aux voleurs avec eux, comme avec Samy, Berti et Mabrouk. Je me donnais à fond comme si j’étais à nouveau au Caire, quand brusquement ils sont partis en disant qu’ils ne voulaient pas jouer avec un étranger.

Déjà dans ma première école en France, celle de la rue de la Victoire, j’avais éclaté une fois en sanglots en pleine classe, car un enfant m’avait traité méchamment d’Egyptien. Les Egyptiens eux, nous traitaient  de sales Français… Nous étions Français depuis des générations et le Français était la seule langue que je parlais couramment. Heureusement,  la maîtresse a aussitôt pris ma défense, et je me suis ainsi senti officiellement soutenu et accueilli dans mon nouveau pays.  Qu’est devenue cette maîtresse ? Sait-elle que ce jour- là elle a sauvé un petit enfant de la désespérance et lui a donné, avec son école de la république, un cadeau magnifique qui s’appelle la France?  

 

     Ce pays,  je me l’imaginais déjà depuis l’Egypte, car mon père m’avait finalement inscrit au Lycée Français du Caire. En effet, mes résultats étaient catastrophiques dans cette école de frères si étouffante et  si sévère, où l’on donnait des coups de règle sur la paume de nos petites mains et même sur le dos des mains si la punition était plus sévère. Bien au contraire, un vent de liberté soufflait au Lycée Français. Nous avions une maîtresse qui nous parlait souvent de la France. Elle nous disait qu’il y avait des arbres tellement grands et nombreux qu’ils pouvaient cacher le ciel ; elle nous parlait de forêts et de prairies vertes, de fleurs et de champignons. J’étais fasciné, moi qui ne connaissais que des palmiers ou dattiers  épars, et pensais que seul le vent du désert était capable de nous cacher le ciel  en nous entourant d’un nuage de poussière orange ou jaune,  suspendu et oppressant. J’avais finalement  retenu de tout cela que Paris était une grande colline toute couverte d’herbe verte avec des fleurs et des oiseaux inconnus chez nous, tout cela bien sûr sous un ciel bien bleu.

 

    Quel fut mon étonnement quand débarquant du train à Paris, serrant surtout bien fort la main de Maman,  je m’aperçus qu’il y  avait peu d’herbe et plutôt de grands immeubles bien tristes,  car aussi gris que le ciel. Le chauffeur de taxi méfiant, demanda à maman si elle avait  « 20 balles ». Ne comprenant pas, elle lui fit répéter plusieurs fois puis finit par dire : « quel dommage que nous ayons laissé toutes nos balles en Egypte… Nous avions plein de balles là-bas !».

 Dès les premiers jours de notre arrivée, Maman avait acheté un chapeau vert avec une petite plume de faisan, qui avait pour objectif de lui donner une touche d’élégance parisienne, mais qui lui servait surtout de parapluie. Je me souviens encore du jour où en passant sur un pont, un bon coup de vent l’envoya voguer comme un petit bateau sur la Seine. Nous l’avons longtemps suivi de nos yeux nostalgiques… Lui aussi voguait vers une destination inconnue.

 Mon père a hésité quelque temps entre deux options: rester en France ou partir en Israël. Finalement, après avoir pris conseil auprès des organisations sionistes, mes parents ont conclu qu'ils étaient trop vieux et ma soeur Ginette et moi trop jeunes pour être utiles dans ce jeune pays en pleine construction. Seule Andrée (devenue Ada) qui avait seize ans, pourrait s'épanouir et être utile là-bas.  Ada a alors suivi une courte formation en France dans une Hakchara avec un groupe de jeunes, du même exode, tous enthousiastes.  Puis, malgré l'appréhension et même l'inquiétude de notre famille, elle est partie pleine d'allégresse avec ce groupe, pour rejoindre la terre promise.

 

     A Paris, nous habitions à quatre une minuscule chambre de bonne mansardée au sixième et dernier étage d’un bel immeuble de la rue de Trévise dans le neuvième. Comme avec nos bagages il n’y avait de la place que pour un seul lit à une place, nous y dormions à quatre dans le sens de la largeur, nos jambes posées sur nos valises. Le soir, quand le vasistas de notre plafond pentu ne nous éclairait plus, nous allumions des bougies, lassés d’entendre la gardienne hurler du rez-de-chaussée qu’il fallait arrêter d’utiliser la minuterie.

    Ruiné et chassé par les nouvelles lois égyptiennes, mon père qui était négociant en farine et avait plusieurs employés,  a réussi au bout de quelque temps à récupérer une petite partie de sa fortune.  Cela lui a finalement permis d’acheter un modeste appartement agrémenté d'un balcon au quatrième étage du trente-huit rue Rodier. Maman a commencé à faire de la couture pour les grossistes du Sentier et papa est devenu représentant de commerce. Il montait chaque jour les étages des immeubles, faisant du porte à porte pour faire déguster et vendre du vin d’Algérie (de Mascara entre autres).  Quand papa a eu ses problèmes de santé, maman est devenue  poinçonneuse de tickets dans le métro parisien. Elle travaillait une semaine très tard le soir et la suivante très tôt le matin, une fois pour fermer les grilles du métro et l'autre fois pour les ouvrir. J’entends encore sa respiration haletante, le matin à l’aube. Elle soufflait ainsi pour se donner de l’énergie, afin d’atteindre à pied la station parfois lointaine  qu’elle devait ouvrir. Malgré sa fatigue, elle m’aidait le soir à faire mes devoirs entre deux tickets à poinçonner quand j’allais la retrouver à la station.  

 

 Fortunée Hemsi, ma mère, était née d’une famille sépharade cultivée, descendant des Juifs chassés d’Espagne par Isabelle la Catholique. Elle parlait couramment le ladino et échangeait souvent dans cette langue avec sa famille. Elle aimait la poésie et le piano, mais elle n’a pu en jouer à nouveau que bien plus tard, quand ses 3 enfants (ma sœur Ginette née au Caire comme moi et mon petit frère Claude né à Paris) ont moins été à sa charge.

 Aujourd’hui encore, je fais régulièrement des rêves de départ et d’abandon.  Il s’appelait le « Pace », ce bateau qui nous a définitivement déracinés et nous a débarqués à Marseille; c’était un bateau italien tout blanc qui sentait par endroit le mazout. Cette odeur combinée au roulis de la mer quand il y avait de la houle, nous rendait malade. Néanmoins, je me souviens de bons moments. J’entends encore une voix émanant d’un haut-parleur grésillant, hurler: « Ké touti les passiagiéri montez sur le pont ». On nous distribuait alors de délicieux gâteaux et parfois d’énormes prunes rouges bien juteuses jusque-là inconnues de nous. Je suivais des parties d’échecs et j’observais la mer, ses dauphins et ses poissons volants.

     Arrivés à Marseille, nous avons eu «la chance» d’être parqués dans une grande résidence en dur et pas sous des tentes comme beaucoup d’autres. Je me suis rappelé de cela récemment quand j’ai appris que l’un de mes étudiants s’appelait Zéboulon. Cela m’a ému, car c’était le nom de notre camp et toute cette période a brusquement rejailli dans ma mémoire. Un matin très tôt, alors que ma mère et ma sœur dormaient encore, mon père m’a réveillé et habillé. Il m’a emmené dans un autobus où se trouvaient d’autres enfants. Je  me suis senti tout seul, oppressé, pour la première fois abandonné de ma famille.  Cet autobus partait  pour le château de Vouzon près d’Orléans. Il faisait de plus en plus froid et à un arrêt dans un café, j’ai posé mes mains sur un Godin au charbon surchauffé. La brûlure m’a appris d’un seul coup que j’étais dans un pays où l’on se chauffait et  qu’il fallait de plus utiliser ce genre d’appareil sans les toucher!

   Arrivé à Vouzon, j’étais bien sûr très triste et j’envoyais dans une orthographe approximative, de longues lettres larmoyantes à ma mère. Ces lettres étaient toutes censurées.  On m’a accordé un régime de faveur, car je pouvais passer de longues heures en compagnie de la directrice qui faisait de son mieux pour me consoler, mais ne pouvait endiguer le chagrin d’un enfant qui venait à la fois de perdre  son pays, son foyer,  ses amis, et perdait maintenant  sa famille. En Egypte, j’étais comme dans un cocon de soie. On m’appelait le roi David et on me chantait: « David Melekh Israel, Hai, Hai Vékayam,… ». J’étais le plus jeune, un petit garçon adoré de toute la famille: maman, mes sœurs, la Nona, mon père (plus distant mais fier de moi). J’étais aussi entouré des amis de l’école ainsi que des enfants de mon voisinage: Sami, Berti, Joyce, Mabrouk et tous les autres. Ce cocon perdu, je me retrouvais seul dans ce château de Vouzon, sans espoir, sans personne pour me consoler. 

 

 

     A ces malheurs devait s’ajouter un sentiment d’amertume d’être un étranger parmi des étrangers. Des adultes qui nous encadraient et des enfants rescapés des camps de la mort, nous côtoyaient. Il devait y avoir du ressentiment par rapport à des privilégiés comme nous qui n’avions pas connu ces camps nazi et pire encore, qui ne savions compatir à leurs malheurs, trop imprégnés que nous étions de notre propre désastre. Nous n’avions donc aucune compassion pour eux et eux, encore moins pour nous. Ils se montraient même parfois agressifs à notre égard. Dès mon arrivée, j’ai assisté à une bagarre entre un enfant plus âgé que moi, émigré d’un pays arabe, contre d’autres enfants rescapés des camps.

    Un jour un miracle s’est produit. Ma mère et ma sœur aînée Andrée (Ada), sont apparues au château de Vouzon. Lors d’une promenade dans le parc, elles décidèrent de m'emmener. Sans rien  demander à personne, abandonnant toutes mes petites affaires, nous avons pris la fuite vers Paris.

   Ce sentiment de non reconnaissance de notre souffrance, nous l’avons aussi subi à notre arrivée à Paris. Nous avions des tickets nous permettant d’aller manger dans des cantines casher où l’on rencontrait ces Juifs des camps de la mort qui se sentaient insultés par des gens comme nous. Nous étions tellement différents à cause de notre accent, de nos  vêtements et du fait que nous soyons   centrés sur notre  drame jugé si dérisoire par rapport à ce qu'ils avaient eu à subir.

  J’ai trouvé aussi peu d’empathie envers ma souffrance Avenue Secrétan, à l’Ecole Lucien de Hirsh. Beaucoup d’enfants rescapés des camps me côtoyaient et les évènements terribles qu’ils avaient subis, faisaient paraitre dérisoire mon propre malheur.  Nous avions une gentille surveillante avec un numéro tatoué sur le bras, qui ne faisait pas de différence entre nous. Elle était très chaleureuse, tout comme la directrice Mme Picard que j’aimais bien. Néanmoins au fond de moi, demeurait une vague d’amertume qui freinait mon épanouissement. Moi aussi j’avais vécu un drame, moi aussi je méritais d’être compris, soulagé et aimé pour mon déracinement. Quand j’étais plaint et choyé, c’était en tant que Juif pour le malheur de la Shoah, mais aussi  grand eût-il été, ce malheur n’était pas le mien. 

 

 Récemment encore, cette absence de reconnaissance de la souffrance des Juifs chassés des pays arabes, m’est remontée à la mémoire. Après avoir fait un don à la fondation COJASOR qui s’occupe des Juifs démunis, j'ai reçu les remerciements du président de cet organisme ainsi qu’une lettre  d’information sur ses activités. A la lecture de cette lettre, le sentiment amer de la méconnaissance du déracinement des Juifs des pays arabes m’a à nouveau envahi, car s’il était bien question de l’aide aux  Juifs de la Shoah, rien n’était indiqué nous concernant. Les Juifs  rescapés des camps étaient bien identifiés comme une population particulière mais pas ceux déracinés des pays arabes. Pourquoi cette ignorance? Je me souviens du jour où ayant finalement quitté l’Egypte pour nous rejoindre, la Nona  est arrivée au pied de notre immeuble parisien. J’ai descendu quatre à quatre les marches des étages pour sauter dans ses bras. C’était une femme grande, très belle et toujours habillée avec chic. Elle avait le goût du luxe, au contraire de Maman qui a toujours vécu très modestement même à la fin quand elle n’était plus pauvre et que nous avions tous bien réussi.  La Nona m’emmenait au café de la Paix  dans le quartier de l’Opéra où je me sentais tout intimidé et n'osais regarder autour de moi, car il fallait très bien se tenir pour lui faire plaisir.  Derrière cette façade, il y a avait une femme devenue très pauvre qui justement allait pointer au COJASOR comme beaucoup de Juifs expulsés des pays arabes.

    Après l’école maternelle de la rue de la Victoire puis la préparation à la 6° rue Milton, on m’a tout d’abord placé dans un internat au Lycée de Meaux avec ma grande sœur Ginette, car je bénéficiais comme elle d’une bourse.  J’ai détesté cet internat où je vivais loin de mes parents que je ne pouvais voir que les week-ends quand je n’étais pas collé. L’année suivante,  j’ai été inscrit au Lycée Michelet à Paris. Cette expérience a été encore plus désastreuse : dès le premier soir j’ai compris qu’il fallait cacher ma quéquette, ayant vu un enfant se faire tabasser dans la cour de l’école tout simplement parce qu’il était Juif. Le même soir, je me souviens de la gêne que j’ai ressentie, en voyant mon père à une fenêtre éclairée de la cour du lycée, coudre des étiquettes à mon nom sur mes vêtements.

    Après deux mois passés dans ce lycée, je suis revenu dans l’école de la rue Milton et j’y suis resté de la cinquième à la troisième. Quand pour diverses raisons je ne voulais pas aller à l’école, maman me disait d’aller au grenier en cachette de mon père. J’arrivais ensuite à l’école muni d’une lettre signée de maman. Celle-ci déclenchait toujours à mon grand désappointement, l’hilarité de l’enseignant. En effet, ma mère  lui demandait de m’excuser car j’avais été « indisposé »! Il m’a fallu du temps pour comprendre de quoi il s’agissait.

    Comme j’avais de bonnes notes (surtout en mathématiques),  j’ai pu ensuite facilement intégrer le Lycée Jacques Decour, proche de la rue Milton.

 

      Rue Rodier, il n’y avait pas de chauffage dans notre appartement ; la salle de bain c’était la cuisine et nous partagions les toilettes avec les voisins du même palier. J’étais très admiratif des jeunes Français du second ; je pouvais les apercevoir sur leur balcon depuis notre dernier étage (sans ascenseur bien sûr). Ils me paraissaient tellement supérieurs, si bien intégrés et détendus dans cette société si ardue à comprendre et à pénétrer pour moi.  La famille s’agrandissait de temps à autre avec d’autres réfugiés qui ne savaient pas où aller et venaient pour quelques temps s’entasser dans notre petit trois pièces. Nous avons mis du temps pour apprendre à nous protéger du froid. Papa  mettait du papier journal entre mon pull et ma chemise, et je craignais toujours que les autres enfants s’en aperçoivent et se moquent de moi.  De toute façon jusqu’en Cinquième, je me distinguais des autres ne serait-ce  que par mon accent : celui des Français d’Egypte. J’étais pour certains « l’Egyptien », et cela me mettait en rage. Un jour, alors que nous étions en rang pour entrer en classe, j’ai donné une gifle à un garçon plus grand et plus fort que moi qui me traitait « d’Egyptien », ce que je trouvais à l’époque si injurieux. Mal m’en a pris, car j’ai reçu une volée de coups de poings pendant que comme d'habitude,  les autres élèves nous entouraient et excitaient le combat. On s’est retrouvés  tous les deux chez le directeur une fois que le sang eut cessé de couler de mon nez. Il nous a expliqué qu’il ne fallait  pas se battre, sans chercher à comprendre ce qui se passait  dans mon cerveau en tempête. Une autre fois, une insulte sur un mur de l’école à mon égard m’a fait convoquer chez le même directeur pour me signifier clairement qu'il fallait dire à mes amis d’arrêter! Je me suis rendu compte alors que la logique n’atteignait pas forcément les grands personnages…

Néanmoins à mesure que le niveau des classes s’élevait et que mon accent disparaissait, je me sentais de mieux en mieux intégré et je n’ai plus rencontré dans ma vie courante ce genre de problèmes.

       A quatorze ans, j’entrais dans le mouvement de jeunesse juive, Hachomer Hatzair qui m’a orienté vers un sionisme laic complétement engagé à gauche avec un côté scout. On nous transmettait toutes sortes de connaissances qui éveillaient mon esprit à la philosophie, au marxisme, aux découvertes de la science, à l’origine de la vie et même à la psychanalyse. Alors que depuis mon arrivée en France j’avais appris avec le temps à me battre comme un loup solitaire, Hachomer me redonna le goût du collectif et de l’idéal humain. En colonie le matin, on montait le drapeau d’Israël et on chantait l'hymne Hatikva. Il y avait de nombreux tioulim (excursions) pendant lesquelles nous marchions des kilomètres, sans boire, avec un sac à dos souvent lourd. On dansait et chantait beaucoup au son de l’accordéon parfois autour d’un grand feu, et je devenais un Juif de Pologne ou d’Europe centrale sans m’en rendre compte. Mon identité sépharade n’était même pas imaginée par les  membres du groupe, et elle était oubliée par moi-même et d’autres amis qui eux venaient d’Afrique du nord. J’avais deux bons amis dans ce groupe, Hubert et Gérard Benhamou (ce dernier voulait devenir journaliste). Ensemble nous faisions des quêtes pour le Keren Kayemeth Leisrael (KKL). Une fois, nous sommes entrés dans une boutique qui portait un nom à consonance allemande, résonnant comme un nom Juif pour nous venant de pays arabes. L'homme à qui nous nous sommes adressés a été bien étonné de notre requête car il était vraiment allemand, mais il a tout de même donné son obole !  

     En première, j’adhérais aux jeunesses communistes puis au parti communiste, le seul à défendre vraiment les pauvres. J'y ai trouvé une seconde famille et des idées de solidarité universelle que je savourais avec plaisir, car elles faisaient table rase de tous mes problèmes d’intégration et d’identité nationale. Les hommes sont tous égaux dans la fraternité contre l’exploitation de l’homme par l’homme et je devenais tout simplement un camarade parmi les autres.

J’allais vendre l’Humanité  tous les dimanches matins en haut de la rue des Martyrs. J'ai fait connaissance là-bas, d'un brocanteur Juif rescapé des camps d’extermination. Il m’a expliqué comment  un jour, dans la file où il se trouvait avec son frère lors de sa déportation, il avait été dirigé vers la gauche et son frère vers la droite. Il ne l'avait jamais revu.

Lors d’une manifestation contre Israël, le sentiment du Juif déraciné d’un pays arabe a vibré amèrement en moi et j’ai quitté définitivement le Parti.

 

       Très tôt, je me suis réfugié dans la lecture grâce à la bibliothèque nationale de la rue Drouot où je pouvais facilement arriver depuis la rue Rodier.  J'y ai découvert de nombreux auteurs dont les œuvres me fascinaient : Alexandre Dumas, Zola, Jules Verne, Stendhal, Steinbeck, Malaparte, Hemingway, Politzer,…

       Assez brillant jusqu’en troisième à l’école communale de la rue Milton, j’étais devenu plutôt moyen ou même faible pendant mes deux dernières années au lycée Jacques Decour. Il est vrai qu'il n'était pas facile de travailler dans notre petit appartement du 38 rue Rodier, dans le bruit et sans chauffage. J’ai essayé de trouver une classe ouverte dans mon Lycée, mais je m’en suis fait chasser par un surveillant incompréhensif. Miracle ! J’ai eu mes deux bacs du premier coup, mais  j’ai ensuite beaucoup peiné en prépa de grande école et aussi pendant mes premières années à la faculté. Mes résultats ont commencé  à s’améliorer quand j’ai obtenu une chambre dans une résidence universitaire rue de la Victoire ainsi qu’une petite bourse.

  Je militais pour le parti dès le lycée Jacques Decour. Cette activité me prenait tellement de temps que  mon père a demandé à parler à mon professeur d’histoire M. Barbut, qui était communiste et député, afin qu’il me conseille de me consacrer à mes études. Il pensait que j'aurais ensuite toute la vie pour militer. A ma grande surprise, Barbut est effectivement venu me voir pour me répéter ces paroles. Cependant, je ne peinais pas à l’école seulement pour cette raison,  mais surtout  parce qu’apprendre par cœur des connaissances livresques en grande quantité m’empêchait de rêver, d'inventer, de créer et nuisait à mon besoin constant de m’évader et de laisser voguer mon imagination. En Egypte, on m’appelait souvent le « penseur » car j’étais souvent perdu dans mes pensées. Mon imagination s'éveillait à tout moment, devant les manifestations de la vie : une mouche, une fourmi, le vent…  Ce n’est qu’en fin d’études, quand  j’ai pu enfin commencer à laisser voguer en toute liberté mes pensées, que je me suis révélé et que j’ai pu inventer et travailler dur dans le plus beau des métiers: chercheur. J’étais sans cesse à la frontière de l’inconnu, tout en étant utile aux autres!

  Mes publications m’ont rapidement apporté une réputation  nationale puis internationale. Je suis devenu chercheur dans un institut de recherche renommé et j'ai réussi à obtenir de grands projets européens, décuplant ainsi les possibilités de développement dans les voies de recherche que j'avais ouvertes. Je suis ensuite devenu professeur dans une grande université parisienne.

 Après avoir milité pour le sionisme au Hachomer puis au parti, toute ma ferveur militante s’est transformée en un don total à la recherche, à la science, dans ce merveilleux métier où chacun s’efforce d’apporter une petite poussière d’étoiles pour toujours agrandir le savoir humain.

 

  Dans ma maison adossée à la forêt de Montmorency pas très loin de celle où a vécu quelque temps J.J. Rousseau et où je vis heureux avec ma chère Myriam, je vois Paris et je peux imaginer ce petit grenier de la rue de Trévise où nous avons vécu. Je me souviens de mon père Nessim Yadid, et de l’énergie qu’il a su nous insuffler pour que nous poursuivions nos études jusqu’au bout malgré les difficultés auxquelles il avait été confronté en repartant vaillamment de zéro. Je suis surtout reconnaissant à ma mère, Fortunée Hemsi-Cohen Yadid, pour son amour infini qui a été notre force. Elle a vécu pauvre à Paris, consentant à tous les sacrifices avec abnégation. Elle a consacré son énergie et le peu d’argent qu’elle gagnait à nous nourrir, nous habiller, nous choyer et nous éduquer.  La famille s’est agrandie avec mes enfants chéris, Marguerite et Julien puis mon petit-fils Matéo. Je leur ai déjà raconté tout cela, mais un jour leurs enfants et petits enfants pourront ainsi lire et connaître un peu l’histoire de mon exode. Mon petit frère Claude, médecin  radiologue à Angoulême est le père de Laura et Ilan. Ma sœur Ginette, chimiste puis enseignante, habite à Eaubonne. Elle a repris le flambeau de la tradition. Elle a eu Yves et Sylvie puis trois petits-enfants. C’est Sylvie qui m’a gentiment aidé à mettre en forme mon Français égyptien. Ety et Jo mes demi-frères ainés vivent en France depuis notre exode. Ety a eu trois enfants, Jo deux filles: Diane avec ses 5 enfants et Eva et ses quatre enfants. Tous maintenant installés en Israël. Ety a eu trois enfants dont un vivant au Brésil. Notre sœur aînée israélienne Andrée (Ada  à Haïfa), écrivain, poète et sociologue au Technion, connaît le  succès avec ses nombreuses publications. Elle a une grande et belle famille de ses enfants Ariel et Talia, qui ont eu trois enfants chacun et l’ont rendue arrière-grand-mère déjà 6 fois.   Ada est une grande militante pour la paix, elle est l’initiatrice de ce récit et je milite avec elle pour la reconnaissance de cet exode des Juifs des pays arabes, malheureusement très ignoré en France et partout dans le monde, y compris en Israël !

 

 

 

Reçu de (par ordre d’arrivée) : Jacques SUSSMANN, Magdi MORCOS, César et Clemy PINTO, Lily KHODARA, Germaine LEVY, Albert Soued, Joe CHALOM ,

 

GROPPI

Once a magnet for Egypt’s high society when it was considered the world’s Ritziest tea room, Groppi, set in Cairo’s Talaat Harb Square, still retains its original mystique although its interior is somewhat faded. Groppi’s, the creation of Swiss pastry maker Giacomo Groppi, has been featured in countless films and extensively written-about. 
Groppi stands as a living legend and is still a magnet for visitors to Cairo today. It symbolizes a never to return era; a time of great wealth and ostentation; the days of the Egypt’s kings, princes, pashas, beys and cotton magnets when the Egyptian pound was worth more than either sterling or the dollar. 
It was once a place of political intrigue, a venue where historic deals were done and a beloved haunt of authors, journalists, artists, movie stars and socialites eager to be seen. Those who remember that glittering era first hand are dwindling. The few who still remember wax lyrical about those good old days.

 Architect Chafik Nakhla, recalls what Groppi once symbolised for him. 
“Oh how I loved Groppi,” he said with a far-away look in his eyes. Throughout the 1950s, when we lived in Assiut, we regularly spent our summers in Alexandria . En route, we would usually stop for a week at the Shepheard’s Hotel in Cairo . 
“We children were not allowed outside the hotel without our governess but we would persuade Abdou, the family retainer, to go to the Groppi Garden each morning so as to bring back freshly-baked croissants for breakfast. I can still taste them now.” 
Now steeped in memories of a gentler era, Chafik enthused over Groppi’s Petit Suisse (sweet fromage frais) and its marrons glacés “better than any in Paris ”. It was then his wife Marian, an English-language teacher at the American University of Cairo , joined him on his trip down memory lane.

 

Cairo’s answer to Fortnum and Mason’s

“My parents would often take me to the garden for ice-cream soda with strawberry syrup,” she said. “Christmas and Easter were special times when there were always fabulous displays, a giant Christmas tree, stockings filled with sweets and goodies, life-sized Santas or huge Easter bunnies. You could say that Groppi’s was Cairo ’s answer to London ’s Fortnum and Mason’s.”
Leon Wahba, who once lived near the Groppi Tea-room on Suleiman Pasha Street , now a citizen of the US , shares that memory. “I was only 13 years when we left Egypt ,” he says, but what I recall best was Groppi’s ice-cream, sold off bicycles with coolers. Those ice-cream vendors would often park right outside my school. It was a wonderful treat on those hot Cairo days.”
Adel Toppozada, former Deputy Minister of Information and grandson of former Egyptian Prime Minister Hussein Pasha Rushdy, describes the area around Talat Harb during his youth, as “extraordinary”. 
“Those streets boasted the best coffee shops and tea-rooms but none could compete with Groppi’s. It was normal in those days to see the aristocracy stepping out of a Rolls or a Cadillac for a hairdressing appointment at Socrate or George or Climatianos, which sold exquisite men’s hats and ties. Those were the days when the shops were stocked with anything you could possibly want from Paris , Rome or London .”
“In my student days, we often went to Groppi’s or Locke’s, dressed up to the nines. These were real occasions and people always looked as though they were going to a party, the women in long evening dresses and fur stoles. Groppi’s tea room was the place to people watch and be seen.” 
“Kamel Shenawi the journalist and poet had his own table and I often spotted the author Taufik Al-Hakim, who had a reputation for being a misogynist”. 
“During WWII, Groppi’s on Adly Pasha Street (a second branch of Groppi’s) was frequented by members of Britain’s Eighth Army and was a favourite of General Montgomery, who came to enjoy jazz evenings in the garden,” says Toppozada.

 

German prisoners

Indeed, Colonel David Sutherland, who was characterised by Dirk Bogarde in the WWII movie “They who Dare”, recounts in his memoirs how he treated two German prisoners to tea at Groppi’s before turning them over to British interrogators. 
How cruel was that? Oh how those men must have suffered during their incarceration longing for those delicious flavours and refined ambience that encapsulated Groppi’s of the day. 
A biography of Admiral Sir Horace Law, a descendant of Horatio Nelson, describes how guests at Law’s wedding party marvelled at a cake made by Groppi’s, the like of which hadn’t been seen in London for years.
But the British weren’t the only ones milling around Groppi’s during the war. 
According to a statement signed by a Fascist spy Theodore John William Schurch, a Swiss national who was incarcerated by the British, Groppi’s was the venue for meetings with his Italian recruiter.
And according to SS archived microfilm, Hitler’s right-hand man Adolph Eichmann visited Cairo in 1937, where he met with a member of the Haganah on October 10 and 11 at Groppi’s – a meeting that some chroniclers of history would prefer to erase. 
A member of the US 98 Bomb Group recounts an evening spent at the Groppi garden in the 40s. “Well into the evening, the musicians stopped playing and all dancers left the dance floor, which was then hydraulically raised two feet to become a stage for the floor show. There were some very accomplished performers…I think they were the best floor show acts I have ever seen.” 
In 1952, due to its British army clientele, Groppi’s tea room narrowly escaped destruction. An anonymous eyewitness recounts the day Egyptian protestors almost burned it down.
“First was the sound of shattering glass of Groppi’s windows. Some of the mob went inside and escorted the employees safely outside. Some climbed for the Groppi’s sign and dismantled the Royal emblem (Confisserie de la Maison Royale) from it. They then proceeded systematically to smash everything in the place.” 
But Groppi’s swiftly recovered and in later years during the 50s” it was fashionable to take breakfast at Groppi’s side-by-side with pashas, famous politicians, artists, writers and editors, such as Ali Amin, Mustapha Amin and Mohammed Al-Tabei,” says Toppozada.
Former UNESCO official and Secretary-General of the Aga Khan Foundation Said Zulficar, who lives in France, has rather less pleasant memories of breakfast at Groppi’s.
“In 1960/61 when I was doing research in Cairo for my PhD thesis, I lived across the street from Groppi’s at the Tulip hotel, which cost EG 1 per night. And so I used to have breakfast every day at Groppi’s, which was the “in place” in Cairo and often sat with other habitués, who assisted me with my research. These included journalists, historians, an ambassador and several members of the French commercial delegation (there was no French embassy since the 1956 Suez War).”
“These daily breakfast meetings went on for some three months after which I fell ill with hepatitis and went to convalesce in my grandmother’s Alexandria flat. I give this detail because my absence from Cairo saved me from a terrible fate.” 
“One morning, the Secret Police raided Groppi and arrested the whole crowd under the accusation (totally trumped up) that the French team was plotting with their Egyptian breakfast colleagues to overthrow the regime. They were imprisoned for over six months but in the end they were all released as there was no proof of any such conspiracy”. 
“I never resumed my daily breakfasts at Groppi’s, nor have I ever returned to the Tulip Hotel, which is still there”, says Zulficar. 

Leftist conspirators and secret police

In his book “Cairo: the City Victorious” Max Rodenbeck describes the ambience of Groppi’s Tea Rooms and the nearby Café Riche, which both had its share of “leftist conspirators and secret police…”. 
In 1981, Groppi was sold to Abdul-Aziz Lokma, founder of the Lokma Group, its present owners, explains Khalim A. El-Khadem, Groppi’s current General Manager. It was then that the bar was closed down and the sale of alcohol banned.
El-Khadem told me that Giacomo Groppi was the first to introduce Egypt to crème-chantilly and ice-cream and his chocolates were of such fine quality they received world-wide renown.
King Farouk was so impressed with the excellence of Groppi’s chocolates that during WWII he sent 100 kilograms as a present to King George for his daughters the princesses Elizabeth and Margaret. 
These, says El-Khadem, were put on a ship which avoided German submarines by taking a circuitous route from Egypt to London via West Africa , Spain , France , Belgium and Scotland . Incredibly, they arrived intact. 
The patisserie, the chocolates, the marrons glacés and the jams were made in Groppi’s factory which still stands today complete with original machines.
“The manufacturing processes were kept strictly secret,” says El-Khadem.
“No single employee was allowed to know every ingredient contained in the final product. There were always two or three chefs employed; each responsible for only one manufacturing phase.” 
“The recipes were all in French, which the employees didn’t understand, so when Groppi eventually hired a Swiss-German to run his factory, he was given French lessons to enable him to read them.” 
El-Khadem admits that not all of Groppi’s products today are made according to the original recipes because consumer demands have changed. 
Ibrahim Mohammed Fadel, Groppi’s longest-serving employee, has worked for the company for 60 years. He worked closely with not only Giacomo Groppi but also his son and “Mr. Bianchi, who become a partner in the 1940s.” 

Naguib Mahfouz

He recalls the days when the former head of Egypt’s Wafd Party Fouad Serageldin was a regular of the Adly Pasha branch, and remembers how the Nobel Prize recipient author Naguib Mahfouz would frequently stop by Groppi’s tea house to read the newspapers. 
It’s a pity that walls can’t talk. Groppi’s encapsulates almost 100 years of Egypt’s history and an elegant, sophisticated milieu that no longer exists; except, that is, in the fading memories of those who were privileged to have been part of that glittering and exciting world. 
Sadly there is little doubt that one day all that will remain of Egypt ’s Belle Époque and Groppi’s glory days will be found on celluloid or deep within the pages of novels and biographies.

 

 

 

Septembre 2013

 

Août 2009 – Août 2013 : Il y a quatre ans déjà ! Je ne peux pas m’empêcher de remettre ici l’Hommage dédié à Victor Sanua lors de sa disparition en AOUT 2009.

 

HOMMAGE A UN ETRE EXCEPTIONNEL

 

ADIEU VICTOR SANUA

MON AMI DE TOUJOURS

 

Victor SANUA vient de nous quitter…

         J’ai fait la connaissance de Victor SANUA il y a 72 années. Et plus exactement le 15 juillet 1937. J’étais scout à la MACCABI WORLD UNION de la rue Abdel Aziz et, la veille de ce jour,  ma Troupe et moi avions campé à Héliopolis, une belle petite ville fondée par le Baron Empain à une vingtaine de kilomètres du Caire, qu’il avait reliée à la capitale par un métro, le seul en Egypte jusqu’à dernièrement.

Au matin de cette journée mémorable, nous vîmes arriver un petit groupe de jeunes gens qui vinrent s’installer près de notre campement ; une quinzaine de filles et de garçons avec qui nous avons sympathisé rapidement. Nous apprîmes d’eux qu’ils s’étaient constitués en une association, le Jewish Camping Club, dont les fondateurs étaient : Victor SANUA, Isy CRESPIN  et Michel CHAMMAH. Par la suite, étant devenus amis, nous nous inscrivîmes à leur club. Ils avaient un petit local à la rue Kasr El Nil dans lequel on allait jouer au ping-pong, danser aux sons d’un phonographe, papoter et organiser les sorties du week-end aux alentours du Caire avec leur petite tente, plus pour justifier l’appellation de CAMPING CLUB que pour organiser des campements car leurs parents, à cette époque,   n’autorisaient pas leur progéniture à passer les nuits hors de la maison, surtout les jeunes filles.

        Au fur et à mesure de nos sorties dominicales vers Les Pyramides, Les Barrages, Le Fort Napoléon, Ezbett El Nakhl , Méadi, Hélouan, la Citadelle, Haouamdeya,   et tant d’autres endroits, notre amitié fraternelle se renforçait. Je me suis tant lié avec Victor, Isy et Michel que l’on nous surnommaient : Les Trois Mousquetaires qui, comme on le sait, étaient Quatre. Il nous arrivait aussi de sortir tous en barques au clair de lune, autour du pont de Kasr El Nil et nous chantions les chansons de l’époque : E VIVA EL MARE, LUNA ROSSA, etc. Parfois, nous organisions aussi des surprises-parties chez l’un ou l’autre : nous achetions des victuailles, du vin ou de la bière et nous dansions aux sons du phonographe. C’est chez Victor que j’ai connu ma future épouse, le 31 décembre 1942, au cours du Réveillon organisé chez lui.

Victor SANUA avait une personnalité charmante, attachante; il incarnait la joie de vivre ; toujours souriant, aimable, s’intéressant à chacun de nous  et, éclatant de rire, il nous mettait tous en joie. Lorsque on le voyait danser les claquettes comme Fred Astair, avec un radieux sourire sur son visage,  son bonheur de vivre  irradiait de tout son être. Il a gardé ce merveilleux sourire sa vie durant : je ne l’ai jamais vu autrement.

Alors qu’il continuait ses études à l’Université Américaine, ceux d’entre nous qui avaient dû interrompre les leurs pour travailler, s’inscrivaient aux cours du soir du Lycée Français du Caire ou bien aux cours de l’Ecole Universelle par Correspondance de Paris . Et, pour améliorer nos connaissances en Anglais, il nous  réunissaient chez lui une soirée par semaine. A des dizaines d’années de distance, je me souviens encore du titre du livre de lecture qui était King Solomon’s Mines.

Puis, les années passèrent : il partit aux Etats-Unis et notre groupe se dispersât à la suite de l’Affaire de Suez : Isy Crespin en Israël, Michel Chammah à Paris et moi, à Marseille. Mais nous étions en relations par correspondance et téléphoniquement.

Il appartient à plus qualifiés que moi de parler de ses importants travaux scientifiques et de ses nombreuses conférences internationales sur l’autisme et autres sujets. Moi, je voudrais témoigner de son inlassable activité pour la défense de la mémoire de la Communauté Juive en Egypte dont, entre autres, la création de International Association of Jews from Egypt, aux Etats-Unis, Canada etc. Voici la teneur de ma lettre du 08/05/2005 à la réception de son dernier livre :

 

A GUIDE TO EGYPTIAN JEWRY

IN THE MID-TWENTIETH CENTURY

The beginning of the demise of a vibrant Egyptian Jewish community .

 

Cher Ami,

Je constate avec émotion que tu as mis tout ton cœur et toute ton âme pour construire ce monument dédié au souvenir de l’Age d’Or des Juifs d’Egypte. Chaque page, chaque article, chaque photo fait apparaître ton profond désir d’éclairer ce témoignage de leur présence dans ce Pays et, surtout, pour que le souvenir de cette présence ne soit pas effacée par le temps qui passe.

Certains Egyptiens, pour une raison que je ne comprends pas, ont voulu occulter cette présence alors que ces Juifs ont tout fait pour le rayonnement, pour le progrès, pour la prospérité de l’Egypte. Et ce, que ce soit depuis le modeste artisan de Haret El Yahoud jusqu’à Joseph Cattaoui Pacha, Ministre des Finances de ce Pays, en passant par les innombrables savants, chercheurs, médecins, députés, sénateurs, juristes, avocats, ingénieurs, industriels, exportateurs, banquiers, commerçants, écrivains, poètes, journalistes, enseignants, artistes, etc.

Grâce à ton travail admirable depuis plus d’un demi-siècle,  le souvenir de cette présence bienfaisante ne risque plus jamais de s’effacer. En feuilletant ton livre, qui ne représente qu’une petite partie de ton œuvre remarquable, toute personne, Juif d’Egypte ou étranger à ce Pays, quel que soit sa nationalité ou sa confession  saura que, durant des siècles, des centaines de milliers de Juifs ont vécu heureux en Egypte en bonne intelligence et amitié avec les Egyptiens.

Avec mon amitié et mon affection.

          Albert Pardo.

 

Il est venu me voir à deux reprises à Marseille et, à chaque fois,  nous avons passé la nuit à évoquer nos merveilleux souvenirs de jeunesse  au Caire. J’ai eu la joie de l’avoir  au téléphone une  dernière fois ,  moins d’une semaine avant sa disparition.

Adieu, mon cher Victor, mon ami de toujours ! J’attends sereinement mon tour pour vous rejoindre, toi,  Isy Crespin et Michel Chammah et pour que les Trois Mousquetaires reprennent leurs  discussions amicales interrompues ...

 

 

 

Mai 2013

 

Reçu le 14 février 2013 de Monsieur Joe NINIO :

 

LE DEPART D’ALEXANDRIE

 

Il y a près de 50 ans je vécus mon premier départ d’Alexandrie.

Je n’étais alors qu’un jeune adolescent de 18 ans, accoudé au bastingage du vieux paquebot « Samsun », vers fin septembre 1956, avec pour tout bagage un certificat de Bac dans la poche et quelques pulls tricotés à la hâte par ma mère.

 Mes parents m’avaient donné la somme maximum autorisée de 23 Livres Egyptiennes qui représentait alors deux ou trois mois de subsistance …. aux prix alexandrins, mais c’était surtout l’intégralité de leur épargne en ces jours sombres de guerre du Canal de Suez!

 Après les affres d’un embarquement précipité et très bousculé, j’étais maintenant envahi par les angoisses d’un futur proche plus qu’incertain. Je ne savais rien de ce que serait mon sort d’apatride, sans documents, après notre arrivée à Marseille.

 Les mêmes questions tourbillonnaient dans ma tête : « Pourquoi ? » et « Qu’adviendra-t-il maintenant de mes parents qui sont restés de force, et quel sera mon sort, moi qui part tout seul sans autre moyen qu’un billet sans retour pour Marseille? ».

 A bord, impuissant devant ces évènements qui me dépassaient largement, accroché à la rampe d’acier, j’essayais avec toute la force de mes pensées de retenir ces bras qui, sur les quais, larguaient trop rapidement les amarres. Mais bien vite, la ville d’Alexandrie s’évanouissait dans la brume du crépuscule.

 Comme beaucoup d’autres alexandrins qui ont du partir très vite, j’allais vivre pendant longtemps la douleur de ce déchirement. Il me faudra des années pour l’évaluer dans toute son ampleur. En fait, Alexandrie était le berceau où depuis des générations, mes aïeux, mes parents, mes amis et mon école avaient toujours constitué mes repères fondamentaux. Qu’allait-il nous arriver maintenant ?

 Des sentiments étranges m’assaillaient pour la première fois. Il y avait bien sûr l’inconscience de mon âge qui me faisait assimiler ce départ à un jeu, à une grande aventure qui allait commencer. Mais je me souviens encore de l’angoisse de ce que pouvait me réserver le futur, celle de ne rien savoir sur ce qui pouvait m’attendre à l’autre bout de la Méditerranée pour une nouvelle vie où je repartais à zéro. Et surtout l’incertitude oppressante sur le sort de mes parents que je laissais derrière moi dans une situation très difficile.

Ces heures furent le vertige de l’inconnu alors que toute notre vie dépend de quelques réponses, n’avoir rien pour s’accrocher à ce présent qui s’écoulerait dorénavant dans le sablier de mon existence. C’est cette prise de conscience qui m’a soudain fait passer à l’âge adulte : en regardant les autres, je sentais que, comme eux, mon regard de gosse avait perdu quelque chose dans son éclat, il avait changé en quelques heures en s’assombrissant d’angoisses.

 

J’étais envahi de doutes. Je ne pourrais plus jamais avoir l’approbation des autres, de mes parents, de mes amis ou de mes chers profs. Dorénavant je devrais prendre des risques dont j’aurais l’entière responsabilité. Est-ce cela devenir adulte ?

Mon camarade de classe, le brillant Freddy, était sur le bateau avec moi. Nous nous sommes revus plusieurs fois depuis, au fil des années. Nous communiquons maintenant souvent par Internet en vieux copains. Mais je ne lui ai encore jamais dit qu’à ce tournant de ma vie il a représenté soudain ma seule continuité, mon seul espoir, car je n’avais jamais encore affronté la solitude. En effet Freddy, qui avait un passeport anglais, allait après notre arrivée à Marseille, rejoindre à Londres mon ami Bob pour poursuivre ensemble leurs études à l’Université. On devait inch’allah, se revoir là-bas !

C’est ce qu’en théorie je devais faire aussi, ayant eu la promesse de l’aide matérielle de mon oncle Victor qui se serait occupé de moi si je réussissais à arriver en Angleterre. C’est cet espoir, matérialisé par Freddy qui allait le vivre avec tout le succès qu’il s’est mérité dans sa vie, qui m’a soutenu pendant les quelques jours de traversée, et jusqu’à notre arrivée à Marseille. Là j’ai connu la solitude car la réalité m’a vite rattrapé.

Comme la plupart des passagers du « Samsun », j’étais parti en tant qu’apatride. Je n’avais jamais eu besoin d’avoir un passeport avant d’être expulsé. Mais, né en Egypte, donc « égyptien » aux yeux de l’Angleterre, et vu l’état de guerre entre les deux pays, je ne pouvais certainement pas obtenir le permis d’aller à Londres.

Cette solitude allait déboucher sur une nouvelle naissance, sur une longue histoire de vie, qui je l’espère va continuer encore pendant longtemps. Je savais tout le temps que je pouvais être réveillé et stimulé par cet évènement, ou au contraire, et tout aussi facilement, être plongé dans une paralysie totale.

J’ai souvent vécu les deux situations, avec la prise de conscience et l’instinct de rebondir après l’anesthésie passagère.

En fait et comme tous ceux qui sont passés par là, dorénavant, je n’avais de compte à rendre qu’à moi-même, dans le respect des enseignements et de l’éducation que j’avais reçus jusqu’ici, même si ceux-ci, avec mes 18 ans, n’avaient pas encore été complètement assimilés et auraient du porter un écriteau « Attention, Peinture fraîche»

 

Mais j’ai eu comme d’habitude énormément de chance, et cette chance m’a accompagnée tout le long de mon parcours. J’ai pu découvrir des aspects de la vie et de moi-même qui m’ont permis de rebondir, de recommencer à chaque fois que je m’étais trompé de chemin, de sélectionner et de consolider toujours mon vécu pour essayer à chaque fois de structurer une meilleure relation avec moi-même et surtout avec ceux que j’aime.

Je n’y ai pas toujours réussi par le passé. Maintenant, dans ma situation actuelle mes choix sont plus clairement définis et j’ai eu encore une fois beaucoup de chance, il y a quelques années, de rencontrer ma compagne qui m’a accompagnée pour ce dernier voyage à Alexandrie.

Le parcours de cette vie a été un engagement continuel. Il a eu plusieurs fils conducteurs. Ceci pourrait faire l’objet d’un témoignage différent, car il ne concerne vraiment que le cercle restreint de ceux qui m’entourent encore aujourd’hui. Ceux qui ont tellement compté dans ma vie et qui ne sont plus là parce qu’ils sont partis trop tôt le savaient de toute manière, j’en suis sûr. Les autres le devineront à l’avenir dans ce qu’ils voudront trouver au plus profond de ce que je leur aurai témoigné avec mon affection et mon respect de tous les jours.

Pour en revenir à Alexandrie, comme tous les anciens Alexandrins, j’en ai toujours gardé une grande tendresse, une nostalgie des saveurs, des parfums, des bruits, comme l’a si bien décrit Bob dans son livre « Mais d’où venez-vous Monsieur ? ».

J’y suis retourné quelques fois pour mes affaires, mais sans avoir jamais eu le temps de refaire un parcours et un état des lieux dans mes souvenirs. Ou plus probablement parce que bien que réceptif à tout ce qui concerne les échanges avec d’autres personnes durant le cours de la vie, je n’avais certainement pas le temps de me réveiller et m’émerveiller à la rencontre de personnes vraies qui auraient pu jalonner ce parcours à l’envers.

Maintenant j’y suis retourné en tant qu’homme, oh combien adulte !

Je savais que mon départ d’Alexandrie en 1956 avait été vécu par un adolescent inachevé. J’étais tombé alors, depuis le ventre créateur de tout ce que cette ville représentait, dans un univers totalement inconnu dont la réalité ne m’est apparue que par petits morceaux, par les bribes d’un vécu qui se poursuit encore aujourd’hui.

Mais j’ai toujours eu la chance de pouvoir poursuivre mon désir de bien faire plutôt que de me faire paralyser par la peur de l’inconnu. A l’heure de mon départ en 1956 j’avais été envahi par l’angoisse et la peur du lendemain. Heureusement, c’est le désir qui a pris le dessus et toute sa place dans ma vie.

Je suis retourné cette fois à Alexandrie, bien entouré par l’affection de ma compagne de vie, pour y retrouver des symboles, ceux qui m’ont accompagné, cachés au fond du cœur, durant toutes ces années. Pourquoi ? Je n’en connais vraiment pas la logique. C’est soit pour accéder à un équilibre de maturité relatif à mes parents, à mon père qui nous a quitté trop tôt, détruit par ces évènements de 1956 dont il n’a jamais pu se remettre, à mes amis et à mes compagnons d’enfance. Soit aussi peut-être, maintenant que je suis comblé dans ma vie d’homme, pour me réconcilier avec moi-même sur ce plan après le déchirement de la séparation d’il y a 50 ans.

J’étais très ému et optimiste ce matin là en arrivant à nouveau par bateau à Alexandrie. Le même port, les mêmes vieux bateaux rouillés en train de pourrir à l’ancre, les mêmes épaves le long des brises lames laissées par les batailles de 1945. Et surtout le même abandon dans ces bâtiments qui jadis avaient abrité les grands commerces de coton et d’oignons de notre époque. Le temps se serait-il arrêté à Alexandrie ou aurait-il fait marche arrière ?

Je voulais proposer à cet évènement une relation plus respectueuse, plus intense, plus humainement responsable, en dépassant les clivages, le radicalisme et les incompréhensions qui depuis ont envahi la région, tout le Proche Orient et maintenant le monde entier. Je voulais pouvoir dire et entendre des choses qu’autrefois on retenait, on censurait. Où aurais-je pu trouver meilleure audience qu’à Alexandrie ? Surtout parce que mon ami Sandro m’avait préparé un accueil de grande qualité en la personne de Madame C. qui nous a consacré tout son temps pour que je puisse faire mes retrouvailles au Lycée et en ville.

Depuis, je ne voulais pas écrire quoi que ce soit à ce sujet car mon expérience a été très dure et elle pourrait être mal interprétée par ceux qui m’ont accueillis si généreusement. Mais tant pis, par honnêteté intellectuelle, et par respect pour ces mêmes personnes, je ne peux garder sous silence ce ressenti des mêmes angoisses : que se passera-t-il maintenant pour Alexandrie, quel sera le futur pour tous ces jeunes et moins jeunes ? Combien de temps vont-ils poursuivre dans cette voie avant de s’éveiller comme nous l’avons fait depuis que nous avons été expulsés ?

Car en réalité, au terme de ce retour en arrière, j’ai trouvé une ville complètement inconnue, maladroitement maquillée en surface, où la plupart de mes repères humanistes avaient disparus. Heureusement qu’ils sont inscrits à jamais dans le cœur de tous ceux qui l’ont connue à son époque de gloire.

Les seuls témoignages de sa splendeur d’autrefois, comme le Lycée Français, ne résistent vraiment plus à la dégradation et au pillage irresponsable que j’y ai constaté.

J’avais toujours pu faire la différence entre les personnes et leur comportement, mais là la conduite des dirigeants qui laissent faire est trop lourde à supporter. Les conditions d’espoir dans l’avenir commun de notre humanité qui justifie de faire de sérieux efforts sur soi-même pour s’intégrer au développement de notre société, plutôt qu’à se laisser submerger par celui religieux, si présent partout, et qui règle dorénavant les comportements de toute cette génération, et bien, tous ces espoirs ne sont pas là, malgré la réalisation extraordinaire qu’est cette magnifique Bibliothèque Alessandrina. On ne lit pas cet espoir dans les yeux des jeunes. On y devine par contre une espèce de résignation contre ce qui est trop puissant pour qu’on puisse y changer quelque chose tout seul. Je ne veux pas faire d’autres considérations sur la société d’Alexandrie d’aujourd’hui qui ne seraient certainement pas à leur place ici. Mais il y a des enseignements par ailleurs dans le monde où il est évident, que poursuivre sur ce chemin ne peut que mener à toujours plus d’enlisement dans une société de plus en plus gourmande et contraignante pour les esprits.

J’ai toujours eu la chance de rencontres exceptionnelles avec des personnes dont il émane une sensibilité particulière, une chaleur envoûtante et qui ont toute la simplicité et la tolérance des grands, et desquelles se dégagent les valeurs humaines de dignité essentielles qui définissent clairement leur positionnement. Ceci a été encore une fois le cas à Alexandrie avec Madame C. et son hospitalité, sa gentillesse et sa sensibilité hors du commun. Mais le contexte ambiant d’Alexandrie a été tel que cette fois-ci, je crois que j’ai définitivement quitté la ville, au bout de près de 50 ans de séparation.

C’est ce départ final qui est le titre de cette lettre.

 

Aussi, une nouvelle fois, je me dis que nous les Alexandrins, nous avons eu bien de la chance de connaître le lait et le miel, avant de partir exilés, pour semer et récolter ailleurs, dans un monde que nous voudrions libre et tolérant comme celui de notre Alexandrie d’alors, où l’on peut aimer, engendrer et avoir chacun notre culture avec l’assurance pour nos enfants d’une vie riche et bien remplie.

Adieu Alexandrie ! Tu as été le témoin de mon premier éveil à l’amour, dans ce port que je quitte maintenant sans regrets. Tu es toujours dans mon cœur telle je t’ai connue alors, même si tu n’existes plus réellement que dans mon esprit, avec tous les parfums et la multitude de sensations de mon vécu d’homme dont tu as été le premier témoin affectueux et attentif.

Joe Ninio

 

JE ME RESSOUVIENS...

Albert Pardo

LA MOLOKHEYA, LA BAMIA  ET MOI

 

       En Egypte, dans la cuisine judéo égyptienne, deux plats se distinguaient particulièrement et ils étaient (ils le sont toujours) très appréciés par les connaisseurs  : la molokheya (corète potagère) et la bamia (gombo). A tel point que, là où ils vivent, dans n’importe quel pays où ils ont choisi de vivre après avoir quitté l’Egypte, ils n’ont de cesse que lorsqu’ils arrivent à trouver ou à importer de la molokheya et de la bamia. Ma mère, une fine cordon bleu, excellait dans leur préparation pour le plus grand plaisir de mon père et de mes frères et sœurs. Mais moi, malheureusement, je ne pouvais pas les sentir. C’est que, tant

la molokheya que la bamia,, en cuisant, elles devenaient quelque peu  visqueuses et dans leur préparation il y a certaines épices et beaucoup d’ail dont les odeurs conjugués m’indisposaient beaucoup. Ce qui fait que je n’ai jamais goûté ni à l’une ni à l’autre. A chaque fois qu’elle cuisinait la molokheya ou la bamia, ma pauvre mère se désespérait de mon refus d’en manger et me disait : mon fils, si tu goûtes et que cela ne te plaise pas, je le comprendrais mais tu refuses même d’y goûter !!! Et lorsque le souvenir de la molokheya ou de la bamia m’effleure, j’ai des remords de l’avoir déçue tant de fois.

         Voici, à ce propos, une histoire comique concernant la bamia. Un quidam venant de débarquer en Egypte d’un pays du moyen orient trouve sur son chemin un vendeur de bamias vantant sa marchandise. Ayant entendu dans son pays tous les éloges concernant la bamia d’Egypte, il a voulu y goûter pour en acheter. Il se penche sur le cageot du vendeur, prend une bamia crue,  la croque et  la crache aussitôt en faisant des reproches au vendeur : tffou ! c’est çà votre bamia, mais c’est dégueulasse… Alors le vendeur lui dit : Mais, monsieur, cela ne se mange pas crue …Il faut la faire rissoler  dans du beurre avec des morceaux de viande, y ajouter de la sauce tomate, de l’ail, du sel, du poivre, du curcuma, un peu de piment et là vous vous régalerez …Et l’autre de lui répondre : mais avec tout çà, je n’ai pas besoin de bamia pour me régaler, j’y mettrais mes chaussures ce serait aussi bon !!!

 

 

Reçu  de Madame Levana ZAMIR :

 

L E   Z A B A L

PAR: ESTHER VIDAL, née Mosséri à Helwan

1911-1984

Transmis par sa fille, Levana Zamir

Chaque fois, chaque fois que Nono prenait le paquet des ordures pour le jeter à la poubelle en bas, chaque fois il ne pouvait s'empêcher de soupirer après cette corvée.

Ah expliquait-il… Nous étions tout petits, et je ne me souviens jamais que quelqu'un de mes frères ou sœurs aient jamais jeté les ordures. Non.

Les riches et les pauvres avaient leur ramasseur d'ordures qui moyennant trois piastres par mois venait chaque matin ramasser les ordures et vider notre boite. Tous les matins, cela faisait une millième chaque jour… Une millième. Et ici, ici le plus riche comme le plus pauvre se doit de descendre lui-même ses détritus… et payer un prix énorme pour qu'on les prenne en bas. Ah ! et cela sans parler des grèves ou il laissent tout sur le tas.

Et Nono ne peut s'empêcher de raconter en détail, comment Osta Ahmad vidait dans sa hotte noire, tous les jours, la Sefihat Zebala. Quand la hotte qu'il portait sur ses épaules était pleine, il la déposait dans sa charrette et la remplaçait par une vide  qui se remplissait à son tour. C'était son travail, il vivait lui et sa famille de cette besogne.

Vers les douze heures il finissait le tour de tout le quartier et, dans le Mestoed, le bruloir des détritus, de grands tas se dressaient ça et la pour être détruits. Osta Ahmad séparait les papiers des boites d'étain, et des épluchures. Si jamais il trouvait une cuillère, un couteau ou même une paire de ciseaux, il savait juste à qui ils appartenaient et les rendaient à leur propriétaire. Il avait notre pleine confiance.

Un très vaste terrain était à sa disposition, et sous le four ou brulaient les ordures, on avait placé un immense réservoir en fer épais, qui rempli d'eau chaude desservait le Hamam qui n'était pas loin de la… Des tuyaux très larges amenaient l'eau tiède durant la semaine, et brulante les jeudis et les vendredis, ou la foule hommes et femmes et enfants, venaient se baigner à raison d'une piastre par tête. Ah les beaux jours… Les beaux ébats qui ne reviendront jamais !...

Mais écoute, ce n'est pas tout.  Le feu qui réchauffait l'eau du bain, faisait cuire lentement entre ses cendres brulantes, le Foul du Shabat. La terrine en terre cuite, bien bouchée avec un couvercle et un torchon bien propre enduit de 'tafl' - argile, et il fallait gouter au foul le mieux cuit et le plus délicieux !  Osta Ahmad menait et ramenait la terrine lui-même, il en avait des dizaines, des dizaines. Il savait exactement à qui celle-là appartenait et à qui celle-ci appartenait sans jamais se tromper. Ainsi il vivait honnêtement, dans cette éternelle besogne, entre les amoncellements de détritus et de cendres qu'il vendait comme engrais à des fermiers qui de loin venaient la chercher.

Et puis attend, ce n'est pas tout… Les vendredis soirs, après les dix heures, il faisait le tour du quartier et éteignait les lampes de toutes les maisons. Oui, une à une, chacun à l'heure convenue. Il recevait pour cela un pain, une pita entière, grande et croustillante et en plus un bout de gâteau. Voila, c'était la vie d'un pauvre diable, qui encore une fois nous apprend qu'il n'y a point de sots métiers… il n'y a que de sottes gens.

Et ici, ici, dans tout ce modernisme effarant, la vie est si dure, si compliquée. Oui, Nono a raison. Je me rappelle, non seulement au quartier, mais partout, à Héliopolis à Helwan, à Ghamra… le tarif était trois piastres par mois. Même dans le grand immeuble à 7 étages de la rue Malaka Nazli, le Zabal montait 7 étages pour une millième par jour. Il ne grinchait jamais, jamais il ne se plaignait, au contraire, on dirait qu'il faisait de son mieux pour nous contenter. Il lui arrivait de nettoyer le fond de la boite à ordures, et y mettait un bout de papier ou un carton résistant à l'eau ou à l'humidité. C'est cela la vie sans ambages, sans prétention aucune, à améliorer un état si stationnaire depuis des centaines d'années.

Mais ici, c'est autre chose… Nous avons évolué parait-il, en reculant ou en rétrogradant nos mesures d'assimilation…

 

 

 

Reçu le  de Madame Suzy Pirote Vidal :

 

DIGRESSION ON JASMINE.

 

 

Why does Jasmine have such a particular appeal for us ‘Egyptians?’

When I went to school as a young teenager and no longer needed the school bus, I took Baron Empain’s Metro and went to Heliopolis where my secondary school stood not too far off from the strange and weird Empain villa.

On days when the Khamsin winds blew and everything became yellow I looked at that villa from my class window and imagined a vampire lived there!

In the early hours of the morning, throughout the 10-minute walk to school I would smell the delightful scent of foll that filled the air and it charmed me.

But I reluctantly had to go to my jail.

I could have stayed near a jasmine bush for hours had it not been that I was already late for school and that I would receive a punishment.

There was the special ‘foll’ that the Arabs threaded into necklaces. It had a very small hollow stem that could be easily formed into a necklace. And in the evenings in summer either in Cairo or Alexandria when we went out, these vendors ran after us singing out “Foll, foll.”

It was inexpensive and a cheer delight.

My dear father always offered us, the women in the family, at least two necklaces each. All through our walk to an open-air restaurant where he would take a birra Stella and we would jump on the mezze, we smelled this delightful scent.

Sometimes I tried to keep the foll fresh overnight, but next day it was a light brown and had lost its scent. What a disappointment! I tried to put it in the fridge but it did not work out either.

It was one of those fugitive pleasures in life.

Later when we had boyfriends, it was their turn to offer us these necklaces.

It was a significant gesture, a kind of engagement.

Did we ever wonder at the work it took to give us a quick short-lived happiness?

Surely not!

We took everything for granted in Egypt: The man who came up the service stairs with ‘talg.’ The labann with his rich milk, the zabbalim who came all the way to the fifth floor to take our garbage.

Certainly first and above all the flowers had to be planted.

Then when they bloomed, picked up one by one. I imagine those villagers sitting down on the ground in front of their flowers and threading them while exchanging jokes or singing till they had finished their stock.

They probably earned their living in that way and if they did not succeed in selling their necklaces, they would go hungry and perhaps only eat ‘eich baladi ou bassala’.

Some objects remind us of sad moments but jasmine always of happy ones!

I smell this delicate scent and think: oh yes, once I received a necklace by so and so.

No tears were attached to ‘foll’.

The French perfume industry relies on jasmine. It is the basis of a good perfume and it fixes the scent whereas some other flowers do not. Before synthetic perfumes made their appearance, season pickers handpicked jasmine and their baskets were weighed to know how much each had picked. According to the weight they got paid what was due to them.

At the World Congress of Jews from Egypt, in Haifa, Albert Heimer who had read my book brought me a “foll” from his garden every day! He couldn’t have given me anything more precious!

It was a significant gesture. I closed my eyes and smelled this tiny delicacy and relived the special moments in Egypt.

When I started to write my books, the very first one already had its name in my head and it was related to jasmine. I called it:“The Jasmine Necklace.”

That flower is the symbol of our happy life and tells me so many stories.

My notebooks and books are full of dried flowers. I have this passion. And though they no longer have their perfume, they nevertheless remind me of so many things.

Then 1956 and 57 pointed their ungracious noses and because there were so many Egyptians happy to get rid of us, we were kindly pushed out to leave of our own free will. We finally left that country. But what an agonizing heartbreak that was!

What could be better than this greeting in the morning Sabah el Foll: reinvigorating, imaginative and personal! Is it not a thousand times better than a “Good morning” or “Bonjour?”

Imagine yourself waking up surrounded by the magic of foll. What a way to start a day!

Or looking at newly washed sheets that are zai el Foll.

Or when asking someone: Ezaiyak and the answer is Zay el Foll. Immediately in your head you imagine this is a happy person who is not prone to grumbling and saying ZaY  el zeft!

Or a proud housewife saying of her home that it was zay el foll!…

It was absolutely part of our culture in Egypt and we never knew it until we missed it!

Personally and since that departure I have never worn a jasmine necklace again and I do not know if today with all the pollution of Cairo the young vendors still run after you crying out Foll, Foll!

Ya Khessara! ehna rohna mengher el Foll!

 

 

 

 

Janvier 2013

 

Reçu le 27 septembre 2012 de Monsieur Jean Pierre DEBBANE :

MES SOUVENIRS DU CAIRE

 

En ces temps anciens, à peu près contemporains de Lascaux ou d’Altamira, Farouk était roi d’Egypte. Il y avait des pachas et des beys et l’Egypte ne comptait qu’une vingtaine de millions d’habitants : des fellahs, des coptes, des italiens, des grecs, des français en particulier dans la zone du canal (de Suez… ceux-là habitaient surtout à Ismaïlia et étaient assez prétentieux), beaucoup d’anglais (la plupart étaient habillés en kaki) et un peu de tout, des juifs, des musulmans, des chrétiens. On ne résonnait pas par nationalité mais par passeport. Tout ce monde là vivait en très bonne intelligence mais avec des préjugés venus tout droit du Moyen-âge. Nous, les enfants, avons été élevés comme au temps du roi Louis-Philippe, celui qui avait un parapluie et une tête en forme de poire.

Le pavillon national était vert avec un croissant et trois étoiles blanches, à la fin de chaque séance de cinéma, il y avait l’hymne national que toute la salle écoutait debout et l’indicatif des informations à la radio, c’était les trompettes d’Aïda. On fêtait l’arrivée du printemps en lançant des pétards, c’était Chem el Nessim.  On achetait les gâteaux chez Groppi et chez Bigel, les pâtisseries orientales chez Hadj el Bekir, l’épicerie fine chez Lappas et on rêvait devant les jouets exposés toute l’année dans les vitrines de Robert Hugues rue Kasr el Nil. En période de Noël, on rêvait aussi chez Sednaoui, Gattegno, Cicurel ou Benzioni.

Le cinéma Rivoli avait un orgue électrique qui sortait du sol pendant l’entr’acte, le cinéma Metro avait donné Gone with the wind en 1942 ou 1943 avec des sous-titres en français, le Diana Blanche-Neige, Le Fantôme de l’Opéra et Les Enfants du Paradis. L’Opéra Royal était magnifique, tout en bois (il a fini par brûler) : on y a vu Louis Jouvet, Jean Marais et bien d’autres. Non loin, il y avait le cabaret Kit Kat, où chantait Om Kalsoum (on n’y est jamais entrés, ce n’était pas convenable à notre âge).

C’était cela Le Caire de ma jeunesse,  un monde qui n’existe plus dans un pays qui n’existe plus, dans un temps qui n’existe plus et qui n’existera jamais plus, ce qui est exactement la définition d’un phénomène archéologique !

 

 

Reçu le 10 octobre 2012 de Madame Suzy PIROTE VIDAL :

LE PETIT GROPPI

 

Any Jew who lived in Cairo remembers the Groppi establishments. There was “le grand Groppi” and “le petit Groppi. Le Grand Groppi *  (see below) was the  Swiss cake shop famous for its chocolate cakes and  le Petit Groppi, an inner garden not far from the Synagogue Shaar Hashamaim. (Gate to heaven)

Every Saturday in winter, it was the meeting place of Jewish families, when we still had a life as Jews .The women went to that garden whereas the men went to the Synagogue. After the service, the men joined us. My two older uncles Leon and Jacques handsome in their suits would pretend they did not know us and joined their friends inside the inner salon. My nonno joined the women.

And the chattering went on: ‘I saw that one or the other one at the synagogue or did you hear what happened to that one.! It was the news exchange of the day, particularly concerning Jewish families.

There was no cooking on Saturdays because of Shabbat and everything had been prepared beforehand. The food was re-heated by the ‘khadam’ (the servant)  and we just put our feet under the table and started eating.

Then one day they had what they called their bloodless revolution. They did not kill us in the streets but only fools walked the streets!  So the weekly meetings at le petit Groppi vanished from our lives. The great Exodus started with the vast majority of Jewish families leaving.

Life was never the same again!

 

(*) Note d’Albert Pardo : Chère Suzy, ton texte m'a rappelé que, le samedi soir, nous allions en groupe  d'amis  dîner et danser au Grand Groppi situé  à la Place Soliman Pacha dont la statue était au centre de cette place. Le vrai nom de Soliman Pacha, prononcé en arabe «Solimane Bacha El Franssaoui (le Français)» est : Joseph Anthelme Sève, un officier français qui  se convertit à l'Islam et devint généralissime de l'armée égyptienne en 1833. L'une de ses filles, NAZLI a été la grand-mère de la Reine NAZLI, mère du Roi Farouk.

 

 

Reçu le 12 novembre 2012 de Madame Erella AZRIEL :

MA  SORTIE D’EGYPTE

 

55 ans après

Le 3 Janvier 1943 est la date de ma naissance. Je n'ai aucun souvenir de ce jour-là. Le 3 Janvier 1957 est la date de ma re-naissance et j'en garde un souvenir très précis: l'aéroport de Lod (Ben-Gurion), pluie torrentielle, froid pénétrant, larmes d'émotion et sanglots de Papa au contact du sol: "les enfants nous sommes en "Eretz Israel"!  Je ne comprenais pas encore l'impact de ces premiers pas sur une terre inconnue que mes parents évitaient d'évoquer  auprès des domestiques. "Eretz Israël, Palestine, Etat d'Israël" ' mots toujours chuchotés prudemment à voix basse, étaient pour moi  énigmatiques et je n'en saisissais pas encore la portée.

 

      

Traumatisée par les derniers événements en Egypte – la Campagne du Sinaï, les émeutes contre les Juifs, les masses défilant par milliers dans les rues du Caire, torches à la main criant farouchement "Edbah el Yahoud" (égorgez les juifs), les nuits dans les ténèbres, cachés dans le long corridor-abri après le couvre-feu , je me sentais soudain  perdue! Maman avait beau nous rassurer, l'incertitude me rongeait. Des larmes d'indignation et de douleur m'étranglaient à l'idée d'abandonner à la hâte la maison où j'étais née et où j'avais vécu des années heureuses. Nos livres tant aimés, nos cahiers jonchaient le sol. Des valises remplies de vêtements et quelques objets jetés pêle-mêle étaient désormais le seul bagage emporté! Tout le reste était offert à un officier égyptien qui s'était emparé de tous nos biens pour une somme dérisoire. L'usine de textile gérée par mon père ayant été séquestrée par le gouvernement de Nasser en décembre 1956, il ne nous restait aucun autre choix: il fallait se sauver le plus vite possible avant la grande catastrophe.

Ne plus revoir mes amis intimes, mes amis de classe, mes professeurs, mon école, le lycée français de Babelook, où je venais de commencer l'année du brevet! Me séparer des paysages familiers et tant aimés: le pont Kasr-El-Nil, les jardins japonais, le café Groppi au coin de la rue, les pyramides où nous allions toutes les semaines et…surtout les sables doux et chauds de Ras El Bar située dans le delta du Nil  à l'embouchure du Nil et de la mer méditerranée. Véritable paradis où nous passions les mois de juillet et Août, logés dans des huttes de bambou. L'air, le soleil, la mer, les balades en barque sur le Nil, cette eau bleue et limpide où Papa nous avait appris a nager et que je n'ai retrouvée nulle part depuis. Les souvenirs  du parfum envoûtant des guirlandes de jasmin portées par les nuits d'été, de la saveur des beignets (lokomadis) dégustés au petit déjeuner, du son apaisant et grisant du vent chaud soufflant dans les voiles de la felouque – ces souvenirs restent toujours vivants en moi. "Quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules plus frêles mais plus vivaces (…) plus fidèles, l'odeur et la saveur restent longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer (,,,) à porter (…) l'édifice du souvenir."(Proust, A la recherche du temps perdu).

D'un coup, j'étais cruellement arrachée à tout ce que je chérissais et qui me procurait bonheur et sécurité. J'étais épouvantée à l'idée de commencer une nouvelle vie, apprendre une nouvelle langue , m'adapter à une culture différentes! Jusqu'à ce jour, j'étais d'une timidité foncière, toujours un peu renfermée en-moi-même, je parlais peu.  Ce 3 Janvier 1957 ouvre une ère nouvelle dans ma vie.

Tout d'abord, mes parents ont joué un rôle des plus importants dans ma vie d'adolescente. En dépit de toutes les difficultés prévues, j'ai appris, grâce à leur optimisme, leur courage et leurs encouragements, à surmonter les obstacles et à me frayer une voie dans "la jungle" israélienne. Je suis consciente du patrimoine qu'ils m'ont légué: patience, tolérance, savoir- vivre, assimilation facile, sensibilité,  ténacité, humour, joie de vivre , tant de valeurs morales universelles (caractéristiques aux juifs d'Egypte) dont j'ai été imprégnée tant à la maison qu'au Lycée Français .

Puis, nous avons eu la chance d'avoir été accueillis par la sœur de ma mère et sa famille déjà installés à Haïfa depuis les années 50. Leur générosité et leur affection nous ont sauvés de la "Maabara" (bidons-ville destinés aux nouveaux immigrants): neuf personnes dans un petit appartement de 3 pièces durant 3 mois! Pas facile pour nous qui avions abandonné un grand appartement luxueux dans un beau quartier résidentiel du Caire, 6 rue Kasr-El-Nil, à quelques pas du Musée du Caire (Place El Tahrir…). C'est ici à Haïfa que j'ai appris à me contenter de peu, à lutter farouchement sans me plaindre afin d'atteindre mes objectifs: appartenir à une nouvelle société sans toutefois perdre mon identité et mon indépendance .Grâce à mes cousins et surtout à un des voisins qui s'est porté volontaire de nous enseigner l'Hébreu (2 heures tous les jours après l'école durant un an), au bout de 3 semaines, je pouvais parler, comprendre et suivre les cours à l'école. Le fait d'avoir vécu en Egypte, exposée à différentes cultures et langues (français, italien, anglais, arabe, grec, ladino..) m'a permis de m'assimiler facilement et de communiquer rapidement avec l'entourage. Je porte un excellent souvenir de mes études secondaires à l'école de l'Alliance Israélite Universelle où j'ai pu acquérir des connaissances dans toutes les matières en Hébreu et approfondir mes connaissances de littérature et de la langue française. Ce sont des années précieuses où j'ai découvert le bonheur d'apprendre et de m'instruire et en même temps d'appartenir. C'est dans ce cadre scolaire, familial et social (grâce à tous ceux qui m'ont initiée et soutenue) que je suis sortie de "ma coquille" . J'ai appris à surmonter ma timidité tout en empruntant un zest de "houtzpa israelite", tout juste un petit peu. Je fais partie de la société Israélienne sans toutefois abandonner la mentalité et la culture acquises durant ma jeunesse au Caire et en famille. Je n'oublierai jamais l'air sévère et déterminé de la  directrice de l'école primaire qui, lors de mon inscription  le 4 janvier 1957, avait exigé de moi d'être "comme tout le monde": changer de nom, changer de vêtements, effacer mon passé et adopter le mode de vie israélien des sabras (le fameux "creuset" imposé par Ben-Gurion)….j'étais prête à tout mais pas à me trouver affublée d'un nom imposé par elle! Mon nom était Angéline, Lina à la maison, et j'y tenais. Un jour, durant le cours de Bible, nous parlions du rêve de Yaakov qui voyait des anges ("ere'llim") monter et descendre de l'échelle. Angèle=Ange= Ere'l= Erella ! Eureka! J'avais choisi moi-même  la traduction de mon nom  dont j'aimais le son harmonieux.

Il m'a été très difficile de subir l'agressivité des jeunes sabras, le manque de politesse et leurs stéréotypes provenant de leur ignorance de cultures différentes de la leur. Toutefois, avec le temps, j'ai trouvé le moyen de les apprivoiser et  pénétrer leur "carapace" épineuse.

Après le bac, le second baptême du feu était Zahal : période éprouvante et passionnante vécue dans une unité d'élite qui m'a ouvert les portes d'un monde mystérieux et édifiant. Durant 2 ans de service militaire, j'ai vécu une expérience rare et précieuse source de savoir, savoir-faire et savoir-être qui m'inspirent et me guident dans tous les domaines tous les jours.

Les nombreux "putschs" dans plusieurs pays arabes, l'instabilité dans notre région et l'état d'alerte constant auprès des soldats de ZAHAL marquent cette période de 1962 à 1964. Le danger imminent, les longues nuits de travail avec les officiers en charge de la sécurité des frontières ont forgé petit à petit des liens inextricables avec le peuple et le pays.

C'est alors que j'ai enfin compris l'impact de  la décision sioniste de mon père et son émotion en foulant la terre d'Israël. Nous sommes nés en Egypte mais c'est au peuple d'Israël que nous appartenons, c'est dans  ce pays que je veux vivre, élever mes enfants et éduquer la jeune génération.

Ma route était tracée: après 3 ans à l'Université de Haïfa, je me voue à l'enseignement du français et à l'éducation au lycée de l'Alliance. C'est dans cet  établissement qui m'a formé durant ma jeunesse que j'allais  consacrer 35 ans de ma vie. A travers la langue française, enseigner une culture, une façon de vivre, une joie de vivre et le besoin d'appartenir. "Cela nous concerne tous" disait Camus dans La Peste. Etre lucide et conscient de ce qui se passe autour de soi, élargir les cercles d'activités, contribuer, se sentir responsable. Quel bonheur de rencontrer mes ex-élèves après 35 ans et les entendre citer La Fontaine, Sartre, Saint-Exupéry, Molière…(" comme des phares dans la nuit" me répètent-ils à chaque rencontre). Quelle satisfaction et quelle fierté de les voir contribuer à leur tour à la société israélienne et ne pas se contenter d'être "une petite tête" (rosh katan) égoïstes et individualistes.

Ma passion pour la littérature française a toujours été pour moi source d'inspiration et de plaisir. Une bourse d'études offerte par l'ambassade de France m'a permis de passer un an à la Sorbonne et de soutenir une thèse de doctorat de 3eme cycle  à l'Université de Lyon (1982) .

Malgré le désir de continuer dans la voie de la recherche, j'ai décidé de mettre l'accent sur la formation des jeunes et en parallèle à la formation de professeurs. Nommée directrice pédagogique au lycée de l'Alliance et quelques années plus tard Inspectrice régionale de Français à Haïfa, j'ai pu développer et réaliser des programmes d'études adéquats. Rendre l'enseignement et l'apprentissage significatifs, agréables et adaptés aux changements fréquents de notre existence en Israël.

La tâche était lourde mais je l'ai accomplie avec enthousiasme.

J'ai pris ma retraite il y a quelques années sans pour cela arrêter mes activités. Je consacre une grande partie de mon temps à faire des recherches et donner des conférences interdisciplinaires sur la culture française (littérature, théâtre, cinéma, art, mode) et ses liens avec la culture israélienne. Le rapprochement entre ces 2 cultures répond à une double passion : mon amour du patrimoine français dont j'ai été nourri depuis mon enfance en Egypte et mon attachement à la société israélienne et au pays d'Israël. Et je ne suis pas la seule: mon mari (né à Alexandrie, ex- officier à la marine) et mon fils (officier haut-gradé à la marine, marié et père de 5 filles) partagent cet engagement à l'égard du pays.

Nous évoquons souvent des souvenirs d'Egypte : la vie aisée et la jeunesse  heureuse, la vie dynamique et tellement chaleureuse en famille, les plats préférés, la cuisine de maman, les parfums exotiques, les sons de la musique orientale, les proverbes pleins de sagesse, les couleurs variées des paysages inoubliables et inséparables de notre existence. Toutefois, le départ d'Egypte et la "montée" en Israël est l'événement  qui a transformé ma vie, m'a permis de "renaître" , de former ma personnalité, de découvrir mon identité et donner un sens à ma vie.

Dr. Erella Azriel (fille de César et Léonie Zeitouni)

Octobre 2012

 

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Septembre 2012

 

Reçu de Mme Iryt GUTER cet article écrit par Mme. Simone Béhar NEMON

SOUVENIRS D'EXCURSIONS CULINAIRES ALEXANDRINES

  A Alexandrie, chez mes parents, nous mangions rarement dehors car nous avions une  cuisinière à qui maman avait enseigné, un tas de bonnes choses, et nous mangions mieux que dans les restaurants. 

  

Pour le chich Kebab on allait chez "El Hati", et pour du poisson au San Giovanni ou bien au Mex.  Le "Foul" et les "Fallafels", sans pareils se trouvaient à la Rue Nebi Daniel, chez Benyamin qui servait aussi un appétissant fromage frit , et des oeufs hamines.  A Aboukir on mangeait des oursins "Ritzas" ; et je m’étais parfois demandée si Champollion, de passage vers Rosette, s'en était régalé lui aussi.

  

Qui se souvient du vendeur albinos qui, aux entractes du Cinéma Royal se promenait à travers les rangées appelant "Eskimos-Chocolats-Mentips !  Good for stomach !"

  

Et puis qui se souvient des "Lokoumades", des "Dondourmas", et des "Granitas ?" A la plage de Stanley Bey, vous souvenez vous des vendeurs ambulants qui vendaient des "Colourias" et puis les vendeurs de pistaches qui vous leurraient avec leurs jeux de "goz walla fard ?"

  

Sur la Corniche, on trouvait parfois des vendeurs de maïs grillés "Douras" ou des châtaignes.

  

Aussi le vendeur de figues, criant "Agami ya Tin !", celui de dattes " Balah Beta' l Malek !" (indiquant que les dattes venaient du jardin du roi).  Et le vendeur de pastèques, poussant sa lourde charrette criait " A la Sekina !" (Indiquant qu'il ouvrirait la pastèque au couteau pour vous faire voir qu'elle était bien rouge et douce.  Soi disant vous seriez libre de la refuser... )

  

Assise au café avec mon père, je commandais un "Campbell" (une boisson pour les jeunes, faite avec un petit peu d'angustura dans un verre de gazeuse Spathis", servi avec une tranche de citron).  Papa, lui, commandait une bière "Stella", et l'on nous servait gracieusement d'abondant "mezehs" (c'est à dire : des cacahuètes, des pommes frites, des salades assorties, des tourchis", et de la "tahina", en somme, un vrai festin !)


Quand, à la gare de Ramleh, je m'arrêtais souvent au "Brésilien" pour un verre de café glacé, et au "Délice" pour des pâtisseries, sans aucunes pensées pour ma taille.  Je choisissais parmi les babas au rhum, les éclairs, les palmiers qu'on appelait "lunettes", les mille feuilles,  les Meringues qu'on appelait "baisers", les Sablés et tant d'autres, et puis en sortant, je disais simplement à Vassili, le directeur, "mettez les sur le compte !"

 

Après plusieurs années, je suis retournée à Alexandrie, à la recherche du temps passé. 

  

Comme dans le vieux film "Carnet de Bal", rien n'est comme on s'en souvient !  Tout change;  Alexandrie aussi !  Les gâteaux de chez Délice n’étaient plus appétissants ; le café du Brésilien, comme de l'eau et les mezehs  réduits à quelques cacahuètes, comme mes souvenirs d'ailleurs.

 

 

 

Mai 2012

 

Une Pensée de Madame Suzy PIROTE VIDAL à propos de l’EGYPTE , notre Pays de naissance:

 

LA NOSTALGIE QUI NE NOUS QUITTERA JAMAIS ET QUE LES NOUVELLES GENERATIONS NE COMPRENDRONS PAS TOUJOURS.....

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TEMOIGNAGE

Lucy & Avraham Calamaro

                       

                               

 

 

 

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JE SUIS NEE AU CAIRE LE 21 AVRIL 1944- J'HABITAIS A BABELLOUK BELLE REGION AU CENTRE DE LA VILLE- J'AI FAIS MES ETUDES A LA MISSION LAIQUE FRANCAISE DE BABELLOUK+ 1 AN A L'UNIVERSITE AMERICAINE EN PSYCHOLOGIE.
MON NON DE FAMILLE ETANT JEUNE FILLE ETAIT  LUCIE BELBEL ET MON PERE ETAIT UN DES PLUS GRANDS COMMERCANT EN EGYPTE..

J'AI EU UNE ENFANCE HEUREUSE JUSQUE L'AGE DE 7-8 ANS MAIS MALHEUREUSEMENT DES LE DEPART DU ROI FAROUK D'EGYPTE LES CHOSES EN COMPLETEMENT CHANGEES.

JE ME RAPPELLE LE JOUR DU DEPART DU ROI CAR J'ETAIS A ALEXANDRIE EN CE TEMPS- NOUS NOUS SOMMES RENDUS AU PORT OU TOUTE UNE FOULE DE CURIEUX ATTENDAIT POUR VOIR COMMENT LE ROI D'EGYPTE A ETE EXPULSE DE SON PAYS-
C'ETAIT TRES ROYALE ET TRES DISTINGUES- IL EST ARRIVE AVEC SA FEMME NARIMAN ET SON SEUL FILS – ILS ONT FAIT ENTENDRE LA MARCHE EGYPTIENNE "BELADI,BELADI,BELADI LAKI HOBI OUET FOUADI…" PUIS ON A ENTENDU LES CANONS- J'AU EU LES LAMES AUX YEUX- POUR MOI C'ETAIT LA FIN D'UNE PERIODE MAGNIFIQUE POUR LES JUIFS  ET LE DEBUT D'UNE AUTRE PERIODE COMPLETEMENT DIFFERENTE.  

JE N'AURAI JAMAIS REVE QUE LES CHOSES ALLER TOURNES COMME CELA- MOHAMED NAGUIB A PRIT LACHARGE ,JE ME RAPPELLE QU'IL EST VENU RENDRE VISITE A LA SYNAGOGUE  ISMAILIYA POUR NOUS DONNER SES HOMAGES- ET LES JUIFS ONT RESPIRES PROFODEMMENT. MAIS MALHEUREUSEMENT CELA N'A PAS DURE LONGTEMPS CAR NAGUIB N'ETAIT PAS ASSEZ FORT COMME L'ONT DIT LES EGYPTIENS ET UN JOUR ET SANS AVERTISSEMENT IL Y EU DES DEMONSTRATIONS –LES EGYPTIENS ONT BRULES LE CAIRE- ILS ONT CASSES LES VITRINES DES MAGASINS ,ILS ONT VOLES TOUT CE QU;IL Y AVAIT DEDANS ET LES JUIFS ONT CREVES DE PEUR.

NOUS NOUS SOMMES ENFERMES A LA MAISON DURANT UNE SEMAINE SANS METTRE  LE NEZ DEHORS. JE ME RAPPELLE CE JOUR CAR LE MAGASIN DE BONDI UN JUIF QUI VENDAIT DES ARMES ETAIT PAS LOIN DE CHEZ NOUS ET LES BOMBARDEMENT QUI SORTAIT DE SON MAGASIN ARRIVES A NOS OREILLES MALGRES LES FENETRES FERMEES..

ET PUIS VOILA  GAMAL ABDEL NASSER ET AU POUVOIR- DICTATEUR INFINI QUI HAIT LES JUIFS, LES COPTES,LE CHRETIENS ET TOUT CE QUI EST RICHE OU EDUQUE. ON A BIEN SENTIT CETTE HAINE JUSQU'AU JOUR DE NOTRE DEPART.

JE ME RAPPLELLE QUE CHAQUE FOIS Q'ISRAEL FAISAIT QUELQUE CHOSE CONTRE LES ARABES ET BIEN NOUS ON A SENTIT CELA. LES MOHABARATS VENAIT TARD LE SOIR TAPPER A NOTRE PROTE AVEC LEURS PIEDS ,LEURS MAINS ET RENTRAIENT DAND NOTRE MAISON EN NOUS DEMONDONS DE NE PAS BOUGER,ILS RENVERSAIENT TOUT CE QU'IL VOYAIENT,IL DECHIRAIENT LES EDREDONS DISONS QUE NOUS CACHONS DES ARMES ET EN GENERAL ILS PRENAIENT AVEC EUX MON JEUNE ONCLE AGE ALORS DE 20ANS POUR QUELQUES JOURS- DES JOURS HORRIBLES OU ON NE SAVAIT PAS OU IL SE TROUVAIT. MAIS GRACE A DIEU ON POUVAIT TOUT ACHETER AVEC L'ARGENT ET AUSSI L'ENDROIT OU SE TROUVAI MON ONCLE.  MON PERE DONNAIT ALORS BEAUCOUR D’ARGENT POUR QU'ON LE LIBERE. ET CE PAUVRE JEUNE HOMME REVENAIT A LA MAISON APRES QU'IL A RECU DES COUPS, DES GIFLES ET A ETE HUMILIE,

CELA NE FINISSAIT JAMAIS , LA VISITE DE MOHABART CHEZ NOUS ETAIT PERMANENTE CAR MON ONCLE ETAIT MEMBRE DU GROUPE MACCABI BATSKETBALL.

ET VOILA ARRIVE LAGUERRE D'ISRAEL/FRANCE/ANGLETERRE EN 1956 –LE MOCHABARAT  REVIENNENT  CHEZ NOUS POUR PRENDRE MON ONCLE MAIS CETTE FOIS CI C''ETAIT DIFFERENT –APRES DEUX TROIS JOURS LES MOCHABARAT NOUS ENVOI UN PYJAMA A MON ONCLE TOUT PLEIN DE SANG –ON A PENSE QU'ILS L'ONT TUES- MA GRAND MERE SA MAMAN EST RENTRE EN DEUIL ET A PORTE UNE ROBE NOIRE PENDANT TROIS SEMAINE JUSQUE QUE MON PERE APRES DE LONGS EFFORTS A REUSSI FINALEMENT A SAVOIR OU IL  EST ET QU'IL N'EST PAS MORT.

MON ONCLE ET MA GRAND MERE AVAIENT LA NATIONALITÉ FRANCAISE , MON PERE ET MA MERE AVAIENT LA NATIONALITE ITALIENNE.

APRES A PEU PRES UN MOIS DE LA GUERRE DE 1956 GAMAL ABDEL NASSER A DECIDER DE RENVOYER TOUS LES JUIFS FRANCAIS ET ANGLAIS HORS D'EGYPTE IL LEUR A DONNER 24HREURES PAS PLUS- ILS ONT ETE OBLIGE DE LAISSER LEUR MAISON ,LEUR BIEN ET TOUT CE QU'ILS AVAIENT AU GOUVERNEMENT EGYPTIEN, ILS ONT MEME SIGNES QU'ILS N'ONT RIEN A RECUPERER EN EGYPTE.

DONC DANS CE CAS MON ONCLE AUSSI DEVAIT PARTIR ET SA MAMAN AUSSI-UNE FEMME DE 70 ANS QUI N'A JAMAIS QUITTE SON PAYS L'EGYPTE POUR SE RENDRE N'IMPORTE OU. NI NOS PRIERES AU GOUVENEMENT NI L'ARGENT DE MON PERE ON PU CHANGER CET ORDRE.

ET VOILA DANS 24 HEURES MA GRANDMERE A QUITTER TOUTE SEULE EN AVION POUR RETROUVER SON FILS A PARIS QUI EST [PARTI AVANTT ELLE.

SANS UN SOUS ,SANS RIEN SEULEMENT UNE VALISE AVEC DES HABITS.

MA FAMILLE CONTINUE A VIVRE AU CAIRE CAR MON PERE GAGNAIT BIEN MALGRE TOUT CELA JUSQUE UN JOUR ON A TAPPER A NOTRE PORTE POUR NOU AVISER QU'ON A ETE SEQUESTRE COMME TOUS LES RICHES EN EGYPTE.\QUAND JE DIS TOUS  C;EST AUSSI LES MUSULMANS,LES CHRETIENS ET LES COPTES. ILS ONT DEMANDER A MON PERE  DE LEUR REMETTRE LES CLES DES TROIS VOITURES QUI SE TROUVAIENT AU GARAGE ,ILS ONT MIS L A MAIN SUR L'ARGENT QUI SE TROUVAIT A LA BANQUE ,SUR LES DEUX GRANDS MAGASINS QU'IL AVAIT ET SUR TOUTE LA MARCHANDISE QUI SE TROUVAIT A L'INTERIEUR .

  MALGRE TOUT CELA PAPA N'A JAMAIS PENSE A QUITTER- IL GAGNE BIEN ET POUVAIT FAIRE DES AFFAIRES SOUS LA TABLE

. MON GRAND FRERE ET MOI ETAIENT DEJA GRANDS  ET POUR NOUS CE PAYS ETAIT LA CAGE D'OR OU MES PARENTS NOUS ONT CLOUES-

MON GRAND FRERE  TERMINAIT EN CE TEMPS L'UNIVERSITE DU CAIRE (INGENIEUR) ET MOI J'ETAI A L'UNIVERSITE AMERICAINE- LES CHOSES DEVENAIENT DE PLUS EN PLUS COMPLIQUE ET LES PROFESSEURS AINSI QUE LES ETUDIANTS NE M'ONT PAS DONNE PLACE POUR RESPIRER.

LES INSULTES CONTRE LES JUIFS , LA PROPAGANDE INTOLERABLE NE M’ONT LAISSE QU'UN CHOIX ET DE QUITTER L'UNIVERSITE. J'AVAIS DEJA 19 ANS

EN CE TEMPS, RESTER A LA MAISON C'ETAIT PAS DANS MON AGENDA.

DONC IL FALLAIT QUE JE FASSE QUELQUE CHOSE –CHERCHER DU TRAVAIL AUCUNE SOCIETE NE POUVEZ CE PERMETTRE DE LE FAIRE CAR JE SUIS JUIVE. 

ALORS QUE FAIRE- J'AI ESSAYER AVEC MON PASSEPORT ITALIEN DE TROUVER QUELQUE CHOSE (DANS MON PASSEPORT IL N'Y A PAS ECRIT DE RELIGION JUIVE) ET VOILA JE TROUVE UN TRAVAIL DANS UNE SOCIETE ALLEMANDE QUI PRODUISAIT DES OPONTS POUR L\'ARMEE EGYPTIENNE.

AUCUNE JEUNE FILLE ET AUCUN JEUNE HOMME  JUIFS NE TRAVAILLER EN CE TEMPS EN EGYPTE J'ETAIS LA SEULE DE POUVOIR TRAVAILLER DANS UNE SOCIETE CONNUE PAR LE GOUVERNEMENT FRANCAIS.

ET BIEN VOUS VOUS DEMANDER POURQUO J'AI TRAVAILLER POUR LES ALLEMANDS ET ENCORE QUI CONSTRUISAIENT DES PONTS POUR L4ARMEE.

ET BIEN JUSQUE QUE JE SUIS ARRIVEE A PARIS EN 1965 JE NE SAVAIS RIEN APROPOS DE LA SHOA CAR LA CENSURE EGYPTIANNE CONFISQUEE TOUTES CHOSES QUI TOUCHAIT A CE SUJET.

DONC QUE POUVAIS JE FAIRE ?  J'AI TRAVAILLE UN AN COMME SECRETAIRE ET FINALLEMENT APRES DE LONGS LONGS EFFORTS MON FRERE ET MOI ONT REUSSI A CONVAINCRE PAPA QU'IL EST TEMPS DE QUITTE L'EGYPTE.

LE JOUR DE NOTRE DEPART 4 SOLDATS SONT ARRIVES CHEZ NOUS A LA MAISON ,ILS NOUS ONT MIS A 6HRS DU MATIN A LA PORTE ET ON PRIS LA CLE DE L'APPARTEMENT. ET VOILA FINALEMENT ON QUITTE CE PAYS QUI POUR MOI ETAIT LA CAGE D'OR OU J'AI ETE ENFERME DEDANS PENDANS A PEU PRES 20 ANS

 

 

                                 -o-o-o-o-o-o-o-

 

 

Reçu le 5 mars 2012 de Monsieur Joe ROSSANO :

 

THE SPORT OF KINGS IN EGYPT FROM 1940S TO 1960S

 

(A mon tres cher ami Si-Berto et en souvenir de tout les mauvais tuyaux que tu m’as donne aux courses, helas si l’on pouvait miser sur le dernier de la course, toi et moi nous aurions fait beaucoup d’argent.)

 

From the recesses of my memory, this article I hope will give you an aperçu on horse racing in Egypt from the 1940s to 1960s  In 2002 and 2006 I touched very briefly on this subject.   Enjoy  Joe La Gargoulette   

 

In memory of my dear father, uncle, and to all the others unforgotten comrades who enjoyed the "Sport of Kings"

  

Thursdays' afternoons were very specials, and what was so special about this day: The eve of the official week end holiday? No. The day movie theaters change films? No.  Getting together with friends to discuss Friday’s soccer matches and how the Cairo’s 3 clubs Ahly, Zamalek and Tarsana (Arsenal) will do? No. Something special on TV like a Laurel and Hardy movie, a Bat Masterson series, a Rihani play, the Troup Reda, or the monthly soiree with Om Kalsoum? No .    Well?.

 

The much anticipated weekly event couldn't come to soon. There was a mental countdown among aficionados, and the first thing asked when greeting one another... what time is it? Minus 40 hours....24 hours. Heard anything new? Yes I heard from a friend of a friend who knows someone who worked at the print shop who on the sly said  that there will be few surprises in forecasting, and in handicapping this coming week end races...You got the time? Yes approximately less than 19 hours before the paper will be out to the public.

 

Yes indeed, Thursday was the day after (perhaps two days earlier?) the Al Riada horse racing newspaper comes off the printing press, followed the next day  by l'Echo Sportif, and the Turf.   My, my, all these out of shape athletes rushing to snatch the first edition. This marked the beginning of 44 hours of intensive scrutiny, an almost non stop intellectual marathon leading to Saturday's afternoon 1st race.   Nothing is left to chance, the statistics, time clocked during practice, how was the weather between the running exercises, was the horse happy, was the jockey awake, what both had for breakfast. These are some of the very important facts to consider before placing your bet.... At the cafes, backed by the Al Riada, l'Echo Sportif, and the Turf  statistics and predictions, the real pros dispensed freely their prognostication: Someone just thinking out loud- “Hey! who do you see winning the first race?”  With nine entries, you get of course nine different winners, with precise details of how each horse will run the race and in what order they will be crossing the finish line. The same goes for all the other races on the program....Amateurs!!.    Of course one of  these 'pickers' will be right and he'll brag about it ad nausea, until someone asks the question on how he did in the other races. 


There are of course other intuitive methods, less scientific but somehow more fruitful: such as add your age to any one of your companion (what do you want my age for?) and then multiply it by the shoe size you wear.   Another with an equal high rate of success: go to the paddock and have a direct eye to eye contact with the horses parading before the race .  A not so reliable and confusing formula: while on your way to the track you pick all the numbers your eyes come across, car license tags, building numbers, the speed you're traveling...”I forgot to call Emile a friend said”…”What's his phone number another one asked?.....You got the idea.    Of course there were always as many last minute rumors as horses on the card.. A horse relieving himself in the paddock for some this could be significant, that the horse is lighter now, feel good, more comfortable and ready to run

After the week-end, from Monday to Thursday afternoon, that time was strictly reserved for the intricate analysis to what went wrong. Then the cycle restart all over again.

 
Few teachers from my school, Lycee Francais du Caire, were very good friends of the family, and also friendly to me when I was at the racetrack, especially after I bet on Mercure, a long shot that paid 50 to 1.  Friends and teachers were curious on how I picked that horse.  I will never forget the first time I went to say good morning to one of the professors on a Monday, just the next day, after a warm and friendly chat at the track, he behaved as though this never happened. He was cold and distant and seemed affronted by my overly familiar greeting. And that was the last time .

 

There was many Jewish owners, a cousin of mine had a stable of perhaps a hundred horses, other cousin (s) with just a few.  There was Jewish Jockeys, Ozeri a Yemeni, Kroub, I believe that Rochetti was too, not sure about Angelo.  Among the Jewish trainers, Maurice Zilber,

became successful and very famous in France and as well as in the international equestrian circle. http://en.wikipedia.org/wiki/Maurice_Zilber and Handali, Maurice Tsillag (I’m not sure about the spelling)  These are what come to mind, there might have been other Jewish jockeys and trainers

.

To my brothers and sisters who enjoyed the King of sports and the sport of Kings, the manicured turf, the genteel and wonderful ambiance at the tea island, the saddling of these magnificent creatures at the paddock, and the elation when cashing your winning ticket. It was not uncommon to see a small happy group at the cashing window sharing one winning ticket.  Yes, my friends I shared these same feelings.

 

From the recesses of my memory, and with moist eyes, I’m sharing with you few names of these magnificent athletes who gave us such pleasure

Affioungui-Amran-Adnan-Allam-Addlallah-Adwan-Aboul Fettouh-Azzam-Abdoun- Avatar -Awantagui-Belfegor-Balfagui-Ballyhoo-Balfour-Baroud-Banabak-Baltazar-Dinar-Dastour-El Moutanabi-El Wardan-El Wardani-Elwan-Ferdan-Ferdoss-Fadlallah-Fanar-Fanous-Garrah-Gawhari-Hegazi-Hamiar-Hamdan-Hamdoun-Ibn Hamdoun-Korbag-Kerdani-Lady Orestes-Lord Byron-Merazi-Moustachar-Ma'aboula (unbeatten mare and winner of many international competition)-Moussbah-Moftah El Farag-Marazi-Marawan-Marwan-Mercure-Mirghani-Mamdouh-Midan-Nasrallah-Nemrod-Nemr-Nar-Na'ama-Orage-Oraby-Parnassos-Radwan-Rashwan-Rim El Sahara-Ra'ad-Rizkallah-Sa'adoun-Sha'aban-Sidhom-Sauvage-Sauvageon-Shirazi-Sharkassy-Sirdar-Salman-Top Hat-Wahdani-Warak-Wagdan-Wagdani-Za'abola-Zawi-Zawia 

The four tracks, in winter time  Guezireh and Heliopolis, in Cairo, and in summer Smouha and Sporting in Alexandria. How many happy faces on the special train de mer, leaving for Alexandria every week end during the racing season, to attend the Sport of Kings. The return trip had a more somber  atmosphere, which was certainly different from when we started out. In spring, they were occasional Gymkhanas, camel and donkey races. Camels were ridden by Nubians, the military black guardians of the frontier (Hagana)  It was an occasion to see familiar faces during the off season, the joyous crowd cracking jokes about the races and exchanging funny repartees and without missing to place a bet on each race.

There was a first class (25 piasters to get in) and second class (10 piasters or more), and if I remember well an extra 5 piasters to access the Tea Island at the Guezireh. And for those avoiding the entrance fee, they could bet through the second class fence, using a shuttle (a navette) for a small fee, it could be one or two cigarettes, or a small percentage from the winnings.  Or chip in and buy an entrance ticket to a trusted person

The races in Egypt run clockwise, unlike most of the world’s racetracks.  There was no gates, the horses lined up close to the starting ropes

Most of the racing horses were Arabians, and there was one thoroughbred race per racing day. There was also a selling race for beginners, and the winner was auctioned.

Benyamin at Ramleh, famous for his foul, falafels, fried cheese, fried eggs and fresh hot and puffed small pita bread in a basket, was a favorite place for the gamblers to have lunch before going to the racetrack  Another smaller restaurant, Sultan, a block away and across from the Sporting racetrack, was owned by Ozeri, the jockey’s father, there too you could have enjoyed the same menu. At Heliopolis there was Mansourah, and in Cairo le restaurant Issaevitch among many others.

There was no official announcer for the race, we had to rely on the  commentaries of some confused spectator with powerful binoculars " the  lightweights (long shots) are leading the pack...” after crossing the finish line, and relying on his comments, we were still confused , as to the exact finish order..  And if there was a photo finish or a Steward objections. That would instantly cause speculations by the public, and the ones, strictly by chance, who guessed the result would immediately consider themselves as the world’s greatest horse racing experts   “You see I told you so” – “No one has a nose for horses like me… (a cynical voice from the crowd “El a’akrout shamam” meaning he’s a good smeller) - “You must listen to me when I say something…and then he predicted that within two years King Farouk will be brought back from exile and the monarchy re-instated, and in 10 years a cure for stupidity will be found, in 20 years the first horse racetrack on the moon will be operational, and in 2010, total peace and prosperity throughout the world”  For some, that won’t be the end of the story, it will be repeated out loud for days at the cafes for the benefit of all the patrons, and to whoever cares or not to listen

They used to call the long shot "outsider". And frequently many outsiders won races and surprised the dumbfounded aficionados "What happened? One of the more frequent answers to this question "the race was fixed" another answer was that the jockey riding the favorite horse was probably partying all night before the race, and...." And there are those who suspected that every race they lost was fixed, but the winners of course had a different opinion

And when a long shot wins a race, the whole track is silent, except for the jubilant schmuck holder of the winning ticket sitting next to me "How you picked him to win?" - "Well I saw him at the paddock and he smiled at me" Later at the paddock I asked him - "Which mare are you picking to win this race?" - "Very hard to pick, they all have beautiful faces" – a loud sarcastic voice from the crowd - "No doubt the man must be in love and can't make up his mind who he will choose to introduce to his parents”

After the race there’s always someone blaming himself in public-  "How stupid of me, and why why and why I didn't bet on him, specially after the hot tip I got from a friend of a friend who had a friend who's sister is married to a friend of a friend who had a friend who lives in the same building as the trainer...why why and why…

The betting was quite simple: 1)To win -  2)To show for the first three horses crossing the finish line (very seldom two if the field was short) - 3)Twin: pick the first two horses who crossed the finish line - 4) Doublé: picking the winners of two following races -  5) Natat (in Arabic) pick two winners from different races, like the 1st and 3rd race. The last two wagers were not available each race. I believe. if not mistaken, there was also a wager called triplet and quadruplet, the proceeds of one race is bet on the another race, and then on a third and all on the fourth

In the late 1940s, and only in the morning before the races, one could place bets at a ticket office near the cinema Cosmo, and off Rue Emad El Din.  And in later years, only in the morning on racing days, at the Guezireh, the access was free. It’s possible it was the same for the other racetracks. There was of course quite a few bookmakers, this thriving cottage industry was not approved by the law, but tolerated. It was quite convenient for gamblers and high ranking officials to gamble without having to go to the racetrack, I’ll leave this story for another day.

It  really  was a great way to spend a lovely afternoon in the open air with friends.  Frankly some gamblers could be the funniest people you' d  ever met.  Their salty comments specially after they bet on the wrong horse, are real gems.  In general the gamblers are usually optimistic. In a bad day it was not uncommon to hear a friend remembering the days he won, “Yes, I’m now even, I remember it was exactly on the same day a year ago that I won 20 pounds”. Frankly I don’t consider that even, when he just lost over 200 pounds today, but didn’t have the heart to tell him that.. 

Not unusual conversation at the café:

"Hello! Emile, how you made up last weekend at the track?"

"Don't ask, Joe. I was so cleaned out, I had to borrow money for the cab fare. I decided to lay off for the rest of the season."

"Sorry to hear that Emile. Take good care and I'll be seeing you."

"Yes, next Saturday at the race track."

"But I thought that you just said that you'll stay away for the season."

"I'll be there only as a spectator and to test my will power. Say. you wouldn't happen to have a hot tip would you?"

Ah, yes, many happy memories of days gone by.

Copyright Joe Rossano (a.k.a "La Gargoulette").  All rights reserved.  This material may not be reproduced in any form without the written permission of the copyright holder.

 

At 7 minutes and 39s of this 1950 video http://www.youtube.com/watch?v=Dj1uuyHYbSs&feature=related you’ll have a short view of the Guezireh racetrack, how they used to weigh the jockeys, the paddock, the elegant ladies, and part of a race

 

Click on following sites to see 2 old pictures of Heliopolis horse racetrack, and the Guezireh Tea Island at the Guezireh racetrack

 

http://en.wikipedia.org/wiki/File:Heliopolis_Old_Inhabitants_2_(2).jpg

 

http://www.flickr.com/photos/8637723@N05/3873958298

 

To see a picture of the Guezireh Tea Island at the race track click on this site

 

http://www.flickr.com/photos/24122157@N08/3416358401/

 

I remember the Tea Island with beautiful flowers, and manicured lawn and hedges

 

JOJO

 

 

 

Janvier 2012

 

Reçu le 10 octobre 2011 de Madame Suzy VIDAL,

 

My English Schools

by Suzy Vidal, author of The Jasmine Necklace Trilogy.

 

There was this oddity in some Jewish Egyptian families: they sent their children to Catholic schools! Strangely enough there were not many conversions to Catholicism, even though we listened to prayers and Catechism every day!

Not speaking a word of English, my parents chose to send me to The Alvernia English Convent School For Girls in Zamalek to begin my education because I was a very disobedient child and no matter what my parents said, I never obeyed. So they shopped around and found that Alvernia was the school that had the greatest discipline. If the nuns could not tame me then no one would!

 

I was four when I started my kindergarten. I went to school with my English style uniform, felt hat and carried a small wicker basket with my meal in it.

In school, Sister Mary Kitchenisa (as we called her) heated our lunch at noon.

The school bus picked me up regularly and I rarely missed it. If I did, then it was very complicated to go to Zamalek on my own and my mother had to accompany me.

The nuns being pure Irish did not understand a word of French let alone Arabic. Everything was in English! At the beginning I was lost and unhappy!

My sister, for example, came to Alvernia just for one day and refused to go back! She was sent to the Lycée.

There were several other English schools but almost all were directed by missionary nuns or priests to save us from going to hell.

 

The pendant school for boys was Victoria College.

There, discipline was no joke!

When the boys misbehaved they received a caning by the headmaster who asked the culprit to bend on a stool and administered his strokes on the naked back of the knee. The pain was excruciating! The boys called caning: torture.

Few were the ones to escape that!

 

In the girls’ schools there was no caning but pulling and twisting of ears. This can be as painful as caning especially on young ears. The favourite punishment however was to put the girl facing a corner and going on with the lesson.

It was extremely tiring to stand without moving but sister did not care about that. Or, she put the culprit outside till the lesson was over. That was not so tiring but then the lesson was completely lost.

The sisters, believing I was deaf, kept saying about me: “and you know sister she never even cries!”

 

Another way of punishment was to impose a certain number of lines, never fewer than 100. When these lines were not done, they went up to 500!

It was forbidden to talk in class and anyone who did that was immediately punished. If the pupil had been very naughty, she was sent to Mother Superior who would go on with a long speech about what a great honour it was to be in this school and that the uniform was to be respected in all possible ways!

 

Concerning uniforms these had to correspond in every detail to the picture in the regulation manual:

In summer: white, long-sleeved blouse, a tie around the collar, lighter blue uniform with all the appreciated English decorations: badge, colour of the section then for those who were angels a prefect’s badge. At the waist the sash tied correctly according to regulations. A straw hat decorated our head and on our feet strict, black-laced shoes with white socks. The hem of the uniforms had to cover the knees because it was indecent to show that (sexy) part of the body.


In winter: dark blue uniform, English style blazer, the school badge and felt hat.

Regular inspections took place. At least once a week!

Any uniform that was not in order was the reason for a letter to the parents to remind them of the prestige of that school and how to represent it correctly.

That was funny because most parents did not understand one word of English and had difficulty in deciphering what Mother Superior wrote!

 

Oxford and Cambridge Boards homologated these schools.

We learned all the English subjects: our nuns taught us English Poetry, English Maths, English History, the simplified version of Shakespeare’s plays and calligraphy conscientiously. The girls who came out had that unmistakable writing! We also had drawing, sewing and singing.

A laywoman taught gym.

Our school was a British colony on another planet!

 

For my secondary education, once I had started in English and that English seemed to be the language of the future - remember the Americans and the British Commonwealth ended the 2nd W.W. successfully - I went to St.Claire’s College for girls, in Heliopolis. To go there I took the Metro built by Baron Empain and sat in the harem compartment.

 

By then the teachers had moulded us into typical young English ladies and we knew all about English Grammar, English History, Poetry, William Shakespeare and unfortunately their strange system of weights, measures and surfaces, plus their monetary system which was in L.s.d. (pounds, shillings and pence). Not forgetting Algebra and Geometry. For a mysterious reason I was good in Algebra but certainly not in Geometry (impossibility to understand the theorems).

We were living in a metric system where our Egyptian pound was 100 piastres and one piastre 10 (?) millims, but we had to know that the English drove in miles, (1,607 mtrs) or weighed butter, meat and fruit in lbs (454grs), their beer by the pint, (0,473 grs) and that their yard was not one metre at all but 91 centimetres. The British ton was 1,O16 grs, whereas the American ton was 907,18 grs.

And this is only part of the headache. Racing tracks were measured in furlongs equalling 201, 17mtrs!

They never did anything like the rest of the world!

 

We also learned that Napoleon was an adventurer only there to exasperate the British! The Duke of Wellington won the Battle of Waterloo  (in Belgium), and Nelson defeated Napoleon at Aboukir (in Egypt). Mainly that everything British was better than the rest of the world! In short all the rest was zarta!

 

We were given a lot of homework and we had to study the maths tables until we dropped. I never completely assimilated all of them especially the table of 9! I remember taking my book along with me when we went on picnics to the Pyramids, to the Jardin Zoologique or to the Japanese Gardens in Helouan, and studying during that extraordinary season we called winter!

 

I had a desperate time solving problems and though my dad was a chartered accountant it sounded like Chinese to him. He scratched his head and confessed he did not understand the problems! Because the tap was leaking in British liquid measures or that the car was filled in British gallons (4,546 and the US gallon being 3,785 litres) and running at 30 miles an hour (one mile is 1,609km).

It was the same for every other subject.

When I had to study for a dictation there was no one to make me practise.

So I had to write certain words ten or twenty times to make sure I had them correctly. That is how I became very good in dictation.

Later this acquired love of the English language led me to become an author.

 

At St.Claire’s College too the uniform was all-essential.

We wore the famous dark pleated skirt and our spotless white blouse in summer had to be decorated with a large frilly collar and around the neck a long string with pompons, (red, blue and white of course).
In winter we changed into a dark blue blouse and added the English blazer with the school badge. Not forgetting the dark blue felt hat transforming us into English pupils! I hated that hat and as soon as I could, stuffed it into my school bag. Once I was caught and given 100 lines, which I did not do. They were turned to 500! I had my fair share of punishments!

We were forbidden to talk to any boy when wearing their beloved uniform because then we would disgrace it!

At the end of a school year we had a Gym Feast trained by Monsieur Hemo, and his famous “claquette”. Our gym teacher did not speak a word of English!

Maybe they were right to be so rigid because the school was greatly renowned.

One of King Hussein’s numerous wives (Dina of Jordan) came out of St.Claire’s. Several other well-known public figures added their names to the prestigious list. This school still exists today.

I played my first tennis matches trained by a “master”. Then at University, I was the Tennis captain.

Gradually and at long last, (I did not become a princess) I learned discipline and became a good student.

I sat for my Oxford and Cambridge exams then went to A.U.C. (University). Our University professors considered the girls coming out of St.Claire’s College as superior in English and they wrote their appreciation on our tests!

Later, I became a teacher (!) first in Milan after our exile, then in Belgium where I got married.

I too was a strict teacher but never pulled anyone’s ear or made any hurtful and unkind remarks such as our Sisters did: “you are hopelessly stupid or you will never succeed in life” or other such niceties!!

I now know that my parents did the right thing by sending me there to become what I am.

They canalised my energies into something meaningful!

The discipline learned in school did not stop my heart from bleeding when we left Egypt but helped me to survive.

 

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Reçu le 8 janvier 2012 de Madame Maryse ZEITOUNI :

 

15 May 1948 -

 

Who can forget the excitement (although hushed and kept under wraps) at the establishment of the State of Israel, despite constant referrals on Cairo Radio to the soi-disant Etat d'Israël (the so-called State of Israel)?  I feel sorry for my kid brother who wasn't even born then.  At the time, I was at Alvernia English School grappling with pounds, shillings, pence, Byron, Keats and Shelley.

 I remember the random roundup of Jews, which struck fear in our hearts.  Who will be next?  On the 6th floor of our building, Boubi Hassia and Jacques Blau were herded off to Huckstep Prison with so many others.  Why?  What could they possibly have done to deserve such demeaning and harsh treatment after all their contributions to the country of their birth?

 I remember the tears and sadness of so many good-byes to friends I had known since kindergarten.  Those were not times when you would wear your Magen David prominently.  ( I do remember the days when all of Cairo would close down on Yom Kippour.)  At a showing of "Green Dolphin Street" there was some kind of native uprising on the screen and hecklers in the audience started screaming "Sahiuni" (Zionists) and there we were in the midst of all that pent-up rage.  But after every jolt and shock to our Jewish systems, we would be lulled into a false sense of security and life would go on.

 28 October 1956 - I have blocked out the trauma of Suez and the massive expulsions of British and French nationals (most of them Jewish).  I was focusing on the joys of motherhood at the time.  The details of the crisis and its impact on Egyptian Jewry did not register fully with me.  Selective memory?

 I want to remember sailing in the sunset at the guerba in Ras El Bar with the fragrant scent of jasmine filling the air, the scrumptious meals at Marine Fouad and the glorious Mediterranean stretching out to infinity (but I can breathe more freely and say what I please at Jones Beach).

 In what capital of the world can a donkey interrupt a philosophy class?  In dear old Bab-El-Louk, that was par for the course.

 

Put on a happy face,

Maryse Zeitouni

 

 

 

 

Octobre 2011

 

 

Reçu le 14 juillet 2011 de Madame Gisèle KLEIMAN :

 

SOUVENIRS…SOUVENIRS…

 

Cher Mr. Albert Pardo

Je vous remercie de votre réponse et serais reconnaissante si vous voudriez bien mettre a jour mon article écrit en 2007 ...je voudrais vous dire qu'en le lisant je me suis émue de me relire..car 4 ans ont passées depuis ...

Je vous prie d'agréer mes plus cordiales salutations et continuez votre oeuvre sublime...

 

Moi je suis nee au Caire en 1939. Nous habitions a Abdine en face du palais du roi Farouk jusquen 1948 que le roi a donne ordre de renvoyer tous les juifs qui habitent pres de lui.La alors nous avons demenage a la rue Kasr El Nil jusqu'en 1960 que je suis venue en Israel

Alors pour qui peut s'interresser ou bien me reconnaitre je m'appelle Gisele ex Menahem, la troisieme des soeurs Leonie(Loulou) et Yvonne. On nous surnommees les trois graces...Nous avons ete eduquees chez les soeurs religieuses a l'ecole Saint Vincent De Paule a la rue Helmieh, il y avait un bus qui nous prenait le matin et nous ramenait l'apres-midi, nous dejeunions a l'ecole au refectoire >Nous avons etes tres bien elevees , moralement, etudes, politesse ect...Nous avons passes toute notre enfance depuis le jardin d'enfant jusqu'au Bacheau.

Nous etions une famille assez aisee avec bonnes et domestiques ect..En 1954 quand on a brule le Caire nous avons aussi ete un peu atteints car notre maison se trouvait entre la banque Barclay's et la banque belge et ils ont tout brule meme jusqu'a nos fenetres...Nous avons etes tres choques de voir les corps morts carbonisees qu'on sortait par les fenetres.Nous assitions toujours au manifestations qui passaient sous notre balcon(mozahra)

Nous avions beaucoup d'amis et des parents qui se sont dispersees dans tous les coins du monde...Ma maman nous a quittes tres tot a l'age de 42ans par la suite d'un cancer. Mon pere qui a prit a coeur perdu la vue peu a peu et devint aveugle et sourd par suite d'operations echouees.

Ma grande soeur se maria avec Raymond Forte et partie avec sa famille au Bresil. Ma seconde soeur s'est marriee avec Roland Hayeck et partie en Californie Et moi j'ai connue Willy Kleiman dans les partys que l'on organisait toutes les fins de semaines a cote du temple Ismaeleya ,nous nous sommes frequentes deux ans les plus belles annees de ma vie a sortir en groupe d'amis dans des partys, a l"auberge des Pyramides, au menahouse ect et puis les belles promenades aux pyramides, au barrages ect ect...Willy et moi aimions beaucoup danser et dansions si bien que partout nous recevions des prix...jusqu'aujoud'hui d'ailleurs

En 1959 Willy a du me quitter pour partir en Israel avec sa maman.La separation a ete tres dure et deja arrive a Alexandrie avant meme de prendre le bateau qui devait l'emener a Athenes station avant Israel il m'ecrit une lettre pleine de larmes qu'il ne pourrait vivre sans moi et que je devrais le rejoindre...Moi j'avais commence les formalites pour partir au Bresil ou ma grande soeur se trouvait..Mais le Bresil n'a pas accepte mon pauvre papa car il etait aveugle et sourd.

Entretemps je le soignais et je travaillais a l'ecole Aubert des langues vivantes a la rue Emad el Din, la ou j'ai appris la steno dactylo et l'anglais.Pendant un an Willy qui etait arrive en Israel ne cessait de m'ecrire pour venir le rejoindre et voila qu'en Juillet 1960 j'ai quitte l'egypte avec mon pere, la soukhnout nous a aides naturellement et apres un mois a Athenes je suis venue rencontrer mon amour qui a ete mobilise a l'armee, notre rencontre etait tres emouvante ...J'ai ete envoye dans un kibboutz pour apprendre l'hebreu dans un oulpan 4 heures d'etudes et 8 heures de travail a la cuisine ou au jardin d'enfants pendants 6 mois ..Par la suite Willy fut libere du service militaire et nous nous sommes marries simplement dans un jardin d'une villa d'une cousine a Willy c'etait un marriage si simple beau et naif....

Je resume en disant qu'aujourd'hui apres 45ans de marriage je suis mere de trois bons enfants et grand-mere de 5 charmants petits enfants. Je suis a la retraite apres 35 ans de travail ,,,je m'occupe de la maison, de ma petite fille ,je suis membre dans un club pour faire un peu de gym. et tous les mardi soirs nous allons dans un petit club de juifs emigrants d'Egypte tous ages de notre age, on se rencontre, il ya parfois des conferences interressantes, parfois de la musique et on danse aux sons de nos beaux souvenirs de jeunesse...Nous sommes tous comme une famille

Voila je crois que j'ai beaucoup bavarde Je serais contente d'etre en contact avec qui le desire ou si quelqu'un m'a reconnue je repete je suis la plus jeune des trois soeurs Leonie(Loulou) une brune,(Yvonne) une rousse et moi (Gisele)accajoue...Je suis tres sensible et sentimentale et j'ai toujours la nostalgie de mes beaux jours d'enfance et de jeunesse

 Je profite que nous sommes a la veille de la nouvelle annee 2008 pour vous souhaiter a vous et toute votre famille et tous les egyptiens emigres d'Egypte

" KOLLO SANNA WOUNTOU TAYEBIN ' que cette annee vous soit a tous douce et legere, une parfaite sante Beaucoup de bonheur et  " LA PAIX " sur Israel et le monde entier Amen

 Bien amicalement

 GISELE

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Reçu le 31 août 2011 de Madame Levana ZAMIR ce souvenir émouvant qui nous retrempe dans un passé merveilleux de bonheur,  de simplicité et de joie de vivre :

 

"Les Cigarettes de ma tante Kahla"

par: Esther Vidal-Mosséri

 

Une petite histoire simple et colorée sur la vie d'antan, quand la vie coulait si douce.

Extrait du recueil "Par delà les jours", écrit par Esther Vidal-Mosséri.

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On a juré que fumer est une des raisons de tant de graves maladies qui tourmentent notre pauvre existence… Mais, réplique Nono Vita: "Depuis que je me connais, j'ai vu ma grand-mère Réna et son mari, Nono Habib, fumer… Il lui tendait sa cigarette à elle, avant d'allumer la sienne propre… Et tous les deux bavardaient des heures durant, sans tenir compte de la fuite du temps, commodément assis sur leur canapé, le plateau du café, avec tout son attirail, déposé entre eux. Cet attirail comptait un petit réchaud à mèche trempée dans l'alcool – la spirtiéra – une boite de café turc, sentant bon à une lieue à la ronde, une autre boite de sucre fin, blanc, importé de l'Europe et, enfin, une petite cafetière en cuivre doré, ainsi que le plateau et les tasses.

 

Mais les cigarettes de mes grands-parents, ils les roulaient eux-mêmes: dans la tabatière remplie de bon tabac sec, ils puisaient avec le pouce et l'index, délicatement, une pincée de pacotille blonde, la mettait dans le papier fin, d'une transparence idéale, coupé à la mesure de la cigarette. Il la roulait lentement amoureusement patiemment, goutant à l'avance au plaisir de fumer et de se délecter du nectar de ce tabac choisi… Et puis, ayant remis en place le carnet de ce papier fin, ainsi que la tabatière, alors, ils allumaient la cigarette qui envoyait dans la chambre, les volutes bleus d'un nuage toujours montant avant de disparaitre tout à fait, vite suivit par un autre nuage… deux vieux amis… deux vieux amis, unis pour le meilleur et pour le pire… deux vieillards…

 

Mais Khalti Kahla, notre voisine de palier, fumait, elle, de vraies cigarettes, prêtes. Une dizaine dans la boite… sans marque aucune, sans nom, sans adresse… enroulées à la main par de petits ouvriers. Elle m'appelait Atati, me raconte Nono Vita, et c'était toujours moi, qu'elle envoyait pour lui acheter ces cigarettes. Elle les vidait de leur boite et les mettait dans son étui à elle… un étui de fer blanc, qui mieux que le carton, conservait ses cigarettes, bien au sec. Mais elle ne jetait pas la boite: elle me la donnait, et moi, je les conservais en lieu sûr… Quand j'avais déjà une dizaine de ces boites, je les donnais au vendeur de cigarettes qui lui, me remettait une piastre !... Oui une piastre entière… c'était quelque chose en ce temps là… J'avais sept ans… et avec cette piastre, je pouvais aller au cinéma Olympia… et faire le fier avec mes copains."    

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DES  JUIFS  A  SUEZ

Par Rosa Menasche Haïfa

 

Haïfa, le 21/07/83

 

A Suez, sur la Mer Rouge, à l’embouchure du Canal, quelques familles juives ont constitué une minuscule communauté depuis le début du siècle. Des familles comme les Dancour, les Azoubel, les Menasche, les Horowitz, les Lichtental, les Benatar, les Cadranel et autres, ont vécu en parfaite harmonie avec les communautés d’européens, les italiens, les grecs, les français, les anglais, les hollandais, les maltais et avec des relations de réelle amitié avec les égyptiens.

Les juifs de Suez venaient des horizons les plus lointains (Rhodes italienne, par exemple) et exerçaient les métiers les plus divers : grand commerce, orfèvrerie, bijouterie, photographie, etc.

Pendant la seconde guerre mondiale, à Rosh Hashanah, à Kippour, Pessah, combien de soldats juifs de l’armée britannique et de frères américains, ainsi que de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande ont trouvé un foyer juif pour les accueillir, les héberger ! Souvenirs d’enfance inoubliables même lorsque les Polonais attablés chez nous et déployé sur la table en gros caractères, le quotidien « Le Progrès Egyptien » de langue française, reportait les néfastes nouvelles de l’occupation nazie du couloir de Dantzig.

Vers 1947, les commandos palestiniens ont menacé des juifs, dont mon père, qui vivaient pour la famille et le travail, sans activité politique d’aucune sorte. Menaces de mort et de terreur s’ils n’allaient pas verser des sommes importantes pour financer ces commandos mêmes.

Le gouverneur local a pourvu à protéger ces juifs en les faisant escorter ( pendant un certain un certain temps) par des soldats de l’armée égyptienne, fusil à l’épaule, du travail à la maison et vice-versa.

Cela n’a pu duré au-delà de la guerre de 1956 alors que plusieurs membres de cette petite communauté ont été internés. Certains, comme Gabriel Menasche, mon père,z.l.,, né à Suez, furent transférés à la Citadelle, prison du Caire pour délinquants communs, car il refusait d’être expulsé séance tenante en tant que citoyen italien et juif habitant la zone du Canal de Suez, soupçonné de pouvoir devenir un espion et cinquième colonne de l’Etat d’Israël.

1977 : Visite mémorable de Sadate à Jérusalem. Ce même Gabriel Menasche observe son poste de TV, à Milan et goûte une joie insoupçonnée mêlée d’émotion. Ca y est : la roue tourne.

Qu’est devenue cette petite synagogue perchée au troisième étage d’un vieil immeuble aux grands balcons de bois, près du Souk, où nous fêtions, entre  autres, Souccoth, la fête des Cabanes et la fête où, dans notre lointain passé, nous avions prié pour toutes les nations du monde ?

Des tapis persans encadraient les parois de ce vieux balcon et là, les femmes bavardaient tranquillement en attendant les points culminants de la prière. Les enfants jouaient dans une petite pièce à côté.

Et la soif qui vous prenait à Kippour, et la musique irrépétible des « rimmonim », avec en sourdine le bruit du Souk.

Suez, Port-Tewfik, cieux aimés et délicieux, petits jardins, plages aux marées généreuses, Sayed, Mohammad, Barakat, Ali Shérif, Rashad Effendi, qu’êtes-vous devenus ? Et le quartier arabe de l’Arbaïm est-il toujours sur pied ? Et l’Hôpital français où je faisais mes premiers pas dans le volontariat à l’âge de 15 ans ?

Suez et Port-Tewfik, ce n’est qu’un au-revoir… 

 

 

 

 

Juin 2011

 

Reçu le 4 février 2011 de Monsieur Joe CHALOM :

 

SHAREI NAG HAMADI

 Ibrahimieh, Alexandrie (1940-1957)

 

Petite rue du quartier d’Ibrahimieh, commençant rue Ambroise Ralli, rejoignant la promenade de la Corniche après avoir croisé l’interminable rue Tanis, parallèle au bord de mer. Petite rue cosmopolite paisible, comme tant de rues de cette banlieue de Ramleh à l’époque.

Avant le croisement avec la rue Tanis la population est plus cosmopolite. Au delà de la  rue Tanis la rue devient plus musulmane et plus populaire. Musulmans et non-musulmans se côtoient et paraissent un peu s’ignorer, sans aucun signe hostilité. Les enfants dits « européens » regrettent un peu ce cloisonnement : certains auraient bien aimé jouer au « soldat et au voleur » avec les gosses du bas de la rue !

A l’entrée de la rue, coté Ambroise Ralli, se trouve l’épicier musulman Ghali (pas plus cher qu’un autre malgré son nom), petit chef d’entreprise toujours souriant, dynamique et bien achalandé. En face de chez Ghali est située la villa assez vétuste d’un menuisier ébéniste italien. Il travaille dans une cour poussiéreuse, au pied de notre maison, entouré de son épouse, de ses chiens et chats. Sa mine est plutôt sombre et fermée ; on le dit traumatisé par l’internement de ses deux fils durant la guerre, entre 1939 et 1945.

Quelques mètres plus loin, gardés par des Baouabine (gardiens d’immeubles) saïdiens, trois assez beaux immeubles de cinq à six étages (certes embellis par le souvenir) habités par des italiens, des grecs, des maltais, des arméniens, un grand nombre de juifs et des musulmans. Nous habitons dans l’un d’entre eux. Au pied de ces immeubles, les Baouabine gèrent une caisse de boissons rafraichissantes (Coca-Cola dit « caccoula », Sinalco, Spathis, etc) et la vente de blocs de glace, totalement indispensables en été. A coté, des bancs de bois accueillent des joueurs de flute qui se délassent surtout la nuit : « Ya leili, Ya eini, Ya ein !).

Notre rue était à deux pas de la mer et nous profitions presque journellement durant les vacances scolaires. Avant de filer à la plage, nous avions l’habitude de faire un tour sur notre balcon et de regarder à gauche en direction de la plage. Si les flots apparaissaient au loin d’un beau bleu, cela laissait présager « une mer d’huile » ; Si ils paraissaient un peu blanchâtres, on pouvait craindre une mer « démontée » ( !!) avec un grand drapeau rouge planté sur la plage.

Quand j’ai retrouvé avec émotion ma rue lors de mon premier retour en 1991, j’ai été surpris par l’exigüité du lieu : Il y avait à peine cinq mètres  entre les maisons des deux cotés de la rue. Et ceci était déterminant pour notre vie sociale. Les soirs d’été, ma mère s’installait au balcon pour prendre l’ait et pour « papoter » avec les voisins « d’en face », tout en grignotant de la pastèque ; elle avait ainsi de longues conversations avec les dames Aghion de l’autre coté de la rue. En haussant un peu le ton elle lançait même des invitations à Madame Borroda qui habitait encore un peu plus loin.

Le matin, ma sœur et moi utilisions à notre tour cette proximité : Installation d’un « micro-téléférique » entre notre balcon et celui des Aghion ; envoi, à bout de bras, de paquets de timbres-poste à notre ami maltais  Roby Cortis qui habitait en dessous des Aghion, ou à nos voisins arméniens Magar et Vartan. C’était le « Club d’été » de la rue Nag-Hamadi.

Mais ce « Club d’été » ne fut pas éternel. Juste après la guerre, Magar et Vartan disparurent de la circulation. Ils étaient partis en Arménie Soviétique, patrie de leurs ancêtres. Beaucoup plus discrètement, vers 1948, un grand nombre de nos voisins juifs – surtout des jeunes - s’éclipsèrent discrètement : Les Della Ricchia, les enfants Adereth, les fils Aghion, Joe et Anita Négrin ne faisaient plus partie de notre paysage familier. Ils étaient partis « là-bas », comme on le chuchotait à l’époque.

La nostalgie commençait à poindre avec le départ de ces personnages si familiers. Quelques années plus tard, en 1956-1957,  ce fut à notre tour de partir.

Quand je suis revenu dans la rue en 1991,  certains vieux baouabine (qui tenaient toujours le débit de boissons) se souvenaient encore de nous, et même de certains noms de famille qui leur étaient encore familiers. Mais le cosmopolitisme était terminé, et sans doute à jamais.

 

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Voici un article de mon regretté ami Raymond LEVY (surnommé LEVY LE ROUX à cause d’une chevelure flamboyante) ex Secrétaire Administratif de la Maccabi « Centrale du Caire » Rue Abdel Aziz.

 

MES SOUVENIRS D’EGYPTE A LA MACCABI CENTRALE DU CAIRE

 

         En 1925, j’ai été entraîné par mes Amis Jacques Gold (que son aîné repose en paix) et Willy Saphir, qui fut expulsé d’Egypte (menottes aux mains) vers la France où il exerçait en tant que journaliste pour les grands journaux et revues

         J‘ai eu comme premier chef Otto Oppenheim aidé de son second Max Singer. Le père de Otto Oppenheim et son autre fils Jack se dévouaient aussi corps et âme pour la Maccabi, attirant la jeunesse juive du Caire : Louveteaux, Eclaireurs, Rovers et Sportifs.

         Les enfants qui m’entouraient et moi avions été très impressionnés par les leit motiv : « Mères Juives, confiez-nous vos enfants, nous en ferons des hommes » et « Apprenez à vivre avec un esprit sain dans un corps sain » et nous nous sentions devenir, petit à petit, des hommes forts et conscients de notre avenir sioniste.

         J’ai passé de belles années parmi mes camarades à la Maccabi : les jeux, les sports, les excursions, les rencontres internationales avec nos autres frères éclaireurs de toutes les nations. Nous chantions en hébreu autour du feu sans toutefois comprendre un mot, notre éducation se faisait en français à cette époque.

         Une histoire bien amusante s’est passée dans l’une de nos réunions avec les éclaireurs des autres nations. Chaque groupe devait envoyer un  représentant pour prêter le grand serment « Scout » dans sa langue maternelle et, nous autres, les Juifs, nous étions dans l’embarras…Tout d’un coup, le grand diable de garçon du nom de Mazliah se lève, se dirige vers le feu, fait le grand salut et déclame… la prière « Schema Israël, etc… » nous tirant tous d’embarras à la grande satisfaction de nos chefs.

         C’est au « Bet Haam » de la rue Fouad, en face des Tribunaux Mixtes que j’ai eu l’honneur de voir, pour la première fois, notre premier Président, le grand Haïm Weizman qui m’a tout de suite remarqué à cause de mes cheveux roux fauve flamboyant. J’ai même eu droit à une caresse de sa part pendant qu’il parlait de moi avec les représentants de la Communauté Juive du Caire, Messieurs Salama, Cicurel, Sanua, etc.

         Plus tard, nous trouvant sans local à la suite de l’assassinat de M. Salomon Cicurel, nous avons loué un appartement dans un sous-sol dans l’  avenue de la Reine Nazli sous la direction des frères Busnach, Jacoël, Amarillio, etc. les frères Oppenheim n’étant plus au Caire. Ce local n’était pas commode par manque de terrain de sport. Entretemps, j’avais grandi et m’était transformé de Louveteau en Eclaireur.

         De ce local provisoire nous avons trouvé, en face de la Grande Maison Orosdi Back à la rue Abdel Aziz un local plus adapté à nos besoins avec comme Président Monsieur Amiel, un entrepreneur qui nous fit cadeau de la construction, avec une salle de fêtes et c’est là que nous avons reçu en grande pompe Lord Melchett, président de la « Maccabi World Union », qui était de passage en Egypte pour l’organisation de la première « Maccabiade » en Eretz Israël.

         Nous avons reçu aussi M. Dizingoff, le Maire de Tel Aviv qui nous fit un discours qui nous avait beaucoup impressionné. C’est dans ce local que, pour la première fois, nous avons eu le plaisir de former une équipe « jeunes filles » de basket ball, sous la direction du Capitaine Mlle. Mizrahi ainsi que des Eclaireuses.
Notre équipe de Basket Ball jeunes gens était championne d’Egypte et champions des Maccabiades avec la participation des trois frères Harari, l’équipe de Boxeurs comprenant des champions d’Egypte tels que les Hadjès, Salonikio, De Bono et, plus tard, le jeune Mattatia.

         Sur ce, notre Président M. Appel, grand bijoutier du Caire, fit son apparition et,  sous sa direction, la Maccabi prend un grand essor. Entre temps, je me suis marié et mon fils aîné a suivi ma trace à la Maccabi, à l’âge de 6 ans je l’envoi en campement pour 21 jours il me retourne malade et c’est le Dr. Aron Shual, camarade de la Maccabi qui le soigne avec grand dévouement. A  l’âge de sept ans il collecte de l’argent pour le K.K.L. et jure ses grands  dieux qu’il veut devenir un soldat dans l’armée Juive !!!

         C’est en 1951 que nous partons pour nous installer définitivement en Israël où mon aîné a tenu parole, il a en effet servi dans « Tzahal » pour environ 11 ans.

                                                                                     Raymond Levy

 

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Reçu le 27 avril 2011 de Madame Suzy VIDAL (Sultana Latifa) :

 

AYAM EL KANAKA

 

Coming out of Egypt (1956) we were only allowed to take one suitcase and £10!

I chose to take my nonno’s personal kanaka.

His name was Brahim (Abraham) and he was married to Sarah, exactly as in the Bible.

Brahim was a short man. If energy were to be counted by centimeters, it would be a laughable matter because energy overflowed from him.

Like Abraham he had a stutter.He would stop in the middle of a sentence open his mouth and look for his words.

He woke up at 5 o’clock, washed in cold water, said his prayers with his tefelim around his forearms, then trotted off to the kitchen to prepare his ahwa in his own Kanaka before the goy came over for his day’s work.

This Kanaka was a small one-cup Turkish coffee maker in copper on the outside and pewter inside. The handle was in wood with a small hook to hang it next to the other kanakas on which you could see, 2, 3, 4 and 5. These numbers weren’t Cabalistic but indicated the quantity of cups one could prepare with that specific kanaka. For instance the mark 3 meant that three cups could be prepared. We are talking of Turkish cups here.

There was the mazboot coffee, sugar just right and soccar ziyada sweeter. Nonno was for the mazboot, whereas I was for soccar ziyada, thus surely prepring my path to diabetes!!!

Nonno took a generous spoon of ground ahwa which he himself had bought green and then taken to be roasted, put it in the kanaka containing water added sugar and then placed it on the spiritiera, alcohol burner. Once the mixture had risen three times, his coffee was ready.

He sat in front of a back window to, as he said: “ne shoof  wesh el sama,”to see the face of heaven. He probably planned out his day while sitting there.

After drinking his coffee, he would get ready to go to the Muski where he had his shop selling wholesale English fabrics and more especially poplin cotton.

I still have a blouse made out of that poplin.

The silly things one takes out when going into exile!!!

The kanaka represents a whole era for me.

The time when guests came for a chat, or when they came for Abel after a departure to a better place.The reading of good fortune. No one laughed at that.

Brahim had an Egyptian nationality, then for the only reason that he was Jewish, it was taken away from him and he became stateless. We used to call this “apatride.”

His shop was confiscated and put in the hands of a sequester.That was the name given to the man who lorded it when the shops were seized.

We were told secretely that the police was coming to “talk” to nonno. We did not know when but we were so scared that my parents urged Nonno to take a ticket for Milan where our cousin lived. Imagine someone who had never left his country taking a plane and speaking only Arabic?

He left everythng, his money, his shop, his home.

When he reached Milan Airport no one understood what he was saying.

 He cried like a little boy, till finally the authorities brought over a translator. Then our cousin in Milan was contacted and came over to get him.

“I have never seen greater morons than you!” She told us later. “leaving an old man all by himself!!!”

The Kanaka is hung in front of my place when I have breakfast in my kitchen and reminds me of that dearly loved nonno.

I no longer cry now, I haven’t got any tears left in my body!

I think of Brahim serenely knowing that he is resting in Israel, that was his dearest desire.

Suzy Vidal: aka Sultana Latifa, a Jewish refugee from Egypt

 

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Reçu le 19 mai 2011 de Monsieur Jamy TIVOLI :

 

JAMY EN EGYPTE 1947 -  1955 - 2009

Souvenirs : Jamy et ses camarades en Egypte

 

 

Dans l’avion d’Egyptair qui me ramène en France, je pense à la masse de travail qui m’attend : 15 jours d’absence à cette époque de l’année j’imagine le courrier qui s’empile sur mon bureau, les rendez-vous, les ceci ou les cela. …. Je jette un regard par le hublot et vois le delta qui défile sous mes yeux, mon esprit vagabonde : oublié le courrier empilé, les ceci et les cela …Je me revois petit garçon  il y a 62 ans  à Alexandrie,  débarquant du Cyrénia, mon beau père sur le quai m’attendait, je réentends les clameurs de joie de cette foule bigarrée heureuse de retrouver un parent, un ami venant de France, d’Italie ou de Grèce. On avait mis 8 jours pour traverser la Méditerranée : Marseille, Gènes, Le Pirée. Après le départ de Marseille, à Gènes visite du cimetière. Pour voir le Stromboli qu’on longeait on s’était levé à 4 heures du matin, le détroit de Messine avec  Charybde et Scylla ces fameuses îles tant redoutées dans l’Antiquité.

Au Pirée visite d’Athènes, du Palais Royal  avec ces Effzones si curieux avec leurs drôles de chaussons, et puis à l’Acropole je fus émerveillé par les cariatides, ces jolies jeunes filles si bien sculptées. Très étonné par le prix demandé par le taxi : 70 000 drachmes pour le trajet : Le Pirée - Athènes. Tous ces souvenirs me reviennent de façon très précise : miracle de la mémoire ces faits vieux de 62 ans que je croyais enfouis ou perdus remontent à la surface

et je suis ému jusqu’aux larmes, mon ami Moïse m’a dit que les orphelins ont une sensibilité particulière :  j’avais perdu mon père à l’âge d’un an.

A Alexandrie, Billy mon beau-père m’accueillit, nous primes l’un de ces merveilleux cars Américains aux formes arrondies. Une halte au Rest House : je goutai des mets égyptiens ou grecs aux saveurs merveilleuses . Puis l’arrivée au Caire, à Zamalek 8, Sharia Ahmed Ishmet Pacha.

Nous passions nos journées au Ghézireh sporting club, paresseusement à la piscine ou à jouer au tennis : à la maison 3 domestiques nous servaient : un cuisinier, un suffraghi, une nanni pour garder mes ½ frères.

Une vie d’enchantement entourée d’un environnement qui m’émerveillait avec ces superbes flamboyants, ces belles villas, et au centre ville, ces belles rues aux magasins élégants.

Le Lycée Français de Bab-el-Louk : c’était le saint des saints, l’un des meilleurs lycée français dans le monde. J’appréhendais la rentrée et le bizutage initiatique un rituel français. Je m’imaginais obliger de courir nu dans les rues du Caire avec des plumes dans la fesse, mais en Egypte cela ne se faisait pas et je fus reçu comme un ami et mieux comme un frère. Depuis cette affection fraternelle a perduré à travers les décennies jusqu’à aujourd’hui. 

 

Quelques turbulences, je sors de ma torpeur et de ma rêverie :.je pense à cette chanson romantique de Charles Trenet « Que reste –t-il de nos amours » Une photo, vieille photo de ma jeunesse …..et oui que c’est loin, mais proche tout ça.

Ce voyage après plus de 54 ans je l’avais organisé  avec 4 anciens du Lycée, 2 de mes fils,

3 de mes petites filles et nos épouses, nous accompagnaient

Nous n’avons pas retrouvé au Caire cette vie idyllique sans doute idéalisée par nos rêves de

jeunesse et par le vie de pacha que nous menions. Le Caire comme Alexandrie sont

devenues des mégapoles, sales, polluées, bruyantes, dont les beaux immeubles sont dégradés.

L’Egypte, c’est 80 millions d’habitants, contre 20 quand nous l’avons quittée, la population

augmente d’un million de personnes par an. Le Grand Caire a une population de l’ordre de

 20 millions d’habitants, Alexandrie plus de 4 millions.

Personnellement je n’ai pas été déçu, je m’y attendais, je n’avais en tête que des souvenirs sans nostalgie : le temps passe vite et façonne de nouveaux paysages.

Au Caire, visites classiques du musée où nous insistâmes pour voir la stèle qui marquait la frontière entre l’Egypte Antique et Israël il y a 4000 ans, des pyramides de Guizeh, le spectacle son et lumière furent des moments touristiquement très intéressants mais connus.

La pyramide de Saqqarah, toujours aussi majestueuse et magique, me rappela ma première rencontre dans la petite maison de Jean-Philippe Lauer que ma mère connaissait. Il nous fit visiter il y a 62 ans  avec passion les 40 sarcophages des Bœufs Apis, malheureusement fermés aujourd’hui.

Dans le Vieux Caire, la visite du musée Copte est une petite merveille, celle de la plus ancienne Synagogue d’Egypte «  Ben Ezra »  fut très intéressante. Nous pûmes relever des noms connus comme Vidon ou Beinisch dont les descendants sont nos camarades et vivent près de Paris. Mme Carmen Weinstein, présidente de la Communauté nous accueillit à la porte du Cimetière Juif de Bassatine : cimetière dévasté, mais propre, avec des allées bordées d’arbres et quelques  fleurs. Pour nos camarades nous y recueillîmes  la Terre de ce cimetière que nous avons ramenée en Terre de France pour la remettre à ceux de  nos camarades qui le souhaiteraient : quelques inscriptions touchantes en langue française nous étions tous émus, silencieux les larmes aux yeux en pensant à nos camarades qui avaient les leurs ici quelque part .

En compagnie de la présidente de la Communauté, nous visitâmes la synagogue de la Rue Adly. Pour y accéder, il faut montrer patte blanche et passer les différents points de contrôle passeport de rigueur…..cette synagogue est parfaitement bien entretenue et très belle.

Alexandrie qui rivalisait autrefois avec les plus belles villes de la Méditerranée subit, elle aussi, des ans et de la bêtise humaine l’irréparable outrage. Nous mangeâmes dans des restaurants sympathiques le Fish market, au club nautique grec et chez l’ex Benniamine. Nous couchâmes à l’hôtel Windsor près le Cécil Hôtel un vieil hôtel très « victorien ». Nous visitâmes cette superbe bibliothèque près de la faculté de Lettres où nous vîmes ces centaines de charmantes jeunes étudiantes qui représentent le futur du pays  affublées du foulard. Et enfin nous visitâmes après palabres avec la maréchaussée, présentation des passeports (photo-copiés) la synagogue de la rue Nebi Daniel ..  M. Gaon Joseph, le Président de la Communauté  nous fît les honneurs  de cette très belle synagogue, très bien entretenue .

Un de mes camarades me signala des chaises au nom de Tivoli, une branche éloignée qui s’était établie en Egypte au 19ème siècle.

 

 

 

LOUXOR KARNAK LA VALLEE DU NIL ASSOUAN ET ABOU SIMBEL

 

C’est la partie magique et mythique du voyage. Arrivés à LOUXOR par avion, nous déposâmes nos bagages sur notre bateau, une dahabieh  du nom d’Agatha Christie que notre ami du Lycée Français Elhamy Elzayatt avait mis  à notre disposition pour 7 jours : 8 cabines doubles tout confort,  une vingtaine d’hommes d’équipage pour nous servir et notre guide Hosamm Zaki, remarquable d’Egyptologie.

Nous partîmes visiter Karnak ce temple est impressionnant comme chacun sait mais de visu

on est ébloui par l’exploit et la beauté de cette œuvre gigantesque.

Puis nous rejoignîmes LOUXOR à quelques encablures. Nous y étions à la nuit tombante, magie de ce temple illuminé  et  sur un promontoire  mystère de cette église copte enchevêtrée à une mosquée.

De retour sur  notre dahabieh, un excellent dîner nous attendait, puis départ dans la nuit où nous remontions le Nil soit à la voile, soit halés par un bateau à moteur. Au petit jour, premier levé pour admirer le lever du soleil sur le Nil. Petit déjeuner copieux, et allongés sur des transats confortables nous admirions en maillot de bain ces spectacles somptueux, ce fleuve Dieu, ces villages où les gens vivent heureux loin des tracas et des soucis : nous déjeunions sur le pont du bateau, ou nous nous arrêtions dans quelque île où nous faisions un barbecue. Nous allions au gré de l’eau, on observait  des aigrettes, des martins pêcheurs, des grands hérons bleus, de grands cormorans, des pics bœuf quelques oies sauvages, et allongés sur  nos transats en nous dorant au soleil du Tropique du Cancer si proche on voyait défiler  de petits temples, des tombeaux creusés dans la roche , des mausolées.  Le soir on organisait des parties de tric-trac, autre fois Jacquet mais aujourd’hui appelé je ne sais pourquoi de ce nom horrible de « backgammon ». Mais ici sur la terre des pharaons, ce sera tric trac. Nous aimions à discuter de tout et de rien et puis vers 20H00 nous nous retrouvions tous autour de la grande table dans la salle à manger où on nous servait des plats orientaux délicieux inspirés par Roger qui dosait le mariage des épices et Kouky qui les goûtait, le tout arrosé d’excellents vins Egyptiens que nous ne connaissions pas du temps où nous vivions en Egypte et que nous voulions mettre nos connaissances et  nos compétences à son service. Mais le Destin en décida autrement.

  Les serveurs et le personnel triés sur le volet nous rappelaient nos anciens cuisiniers, suffraghis ou baouabs par leur extrême gentillesse et leur politesse exquise qui étaient l’apanage de cette terre antique, comme le sont pour la France les meilleurs vins et les fins fromages. On s’arrêtait dans la journée pour visiter tel ou tel temple, franchir l’écluse d’Esna avec tous ces marchands qui de leurs barques lancent avec précision objets et vêtements  récupérés sur le pont de la Dahabieh, soit rendus à l’adresse du marchand dans la barque, soit avec  quelques euros en échange. Edfou, Kom Ombo, Assouan, l’Ile de Philae, dîner sur une île avec les Nubiens, et puis cerise sur le gâteau Abou Simbel : une  merveille  pharaonique et un travail de sauvetage exceptionnel que  nous devons à Christiane Desroches  Noblecourt  qu’elle en soit mille fois remerciée. Sur les parois du temple est relatée la victoire de Kaddesch . Or chacun sait qu’à Kaddesch il n’y eut aucune victoire,  après une première confrontation qui ne fut pas décisive, les troupes Hittites se retirèrent et proposèrent un traité de paix que Ramsès II accepta . Mais la propagande de l’époque attribua à Ramsès II une victoire glorieuse, et il fut divinisé. Cela me rappela certains évènements survenus 3350 ans plus tard où la même propagande érigea en victoire une bataille au sort funeste.

Mes chers amis et camarades, mes frères, qui avez connu cette culture Orientale, cette exceptionnelle éducation que nous avons reçue  les épreuves et les aventures qui nous ont façonnées, je n’ai cessé de penser à vous tout au long de ce voyage dans ce pays qui  nous a marqués. Nous étions 90 000 et maintenant  une vingtaine. Je pense à «  l’exode  oublié « de mon ami Moïse…. Je pense aussi à notre émotion lorsque nous visitâmes le Lycée français la gorge nouée et les larmes aux yeux. Mais les septuagénaires que nous sommes devenus aiment rire et faire la fête  en  bons Sépharades et sont unis comme des frères.

 

 la Comterie (Savoie) le 26 décembre 2009

 

Jamy Tivoly Avec le concours  de David Harari, Kouky Carmona, Roger Coriatt, et Jean-Pierre Hazan,  tous anciens du Lycée Français. De Bab el Louk

 

 

Janvier 2011

 

Ouvrage de Monsieur Marcel Fakhoury

LE CHEVALIER BAYARD

 

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Reçu le 26 septembre de Madame Lucette LAGNADO :

 

The Lonely King Without a Throne

By LUCETTE LAGNADO

 

 

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Therese and Joel for The Wall Street Journal Ahmed Fouad II in Switzerland.

 

Ahmed Fouad II leads a quiet, secluded life in the Swiss countryside, surrounded by mementos of his ancestors—oil paintings, busts and old black-and-white photographs. He reads history books, putters in his garden and ruminates about the past. One of his favorite possessions is a picture of his father, King Farouk of Egypt, saluting the cheering crowds at his 1937 coronation.
The 58-year-old Fouad—as he prefers to be called—is the last King of Egypt. The honor was conferred on him when he was six months old by his father as one of his final acts before abdicating in July 1952.
Egypt's government doesn't recognize the title, or Fouad's claim to it. But within Egypt, new signs of longing for a monarchy many Egyptians never knew are emerging. "In the past, we were more or less pariahs," Fouad says. "They used to say so much that was bad about my family. Now it has completely changed."
On the 58th anniversary of the revolution that brought down King Farouk, Egyptians are looking at the government that replaced him with a more jaundiced eye. Despite economic growth, about 40% of Egypt survives on $2 or less a day, according to the World Bank. The recent killing of a 28-year-old man by police in Alexandria has been a reminder of the power security forces wield.
Elections are set for next year, but in light of President Hosni Mubarak's nearly 30-year tenure, there is a sense that little may change in the authoritarian system that took shape after the revolution, giving military and security services effective control over the country. Mr. Mubarak, 82, has suffered health problems and there is a widespread belief that his son is being positioned to take power—as in a royal succession.

 

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His father, King Farouk, salutes the crowd at his 1937 coronation.

 

In the midst of all this angst, "Farouk fever" has been sweeping Egypt. A TV soap opera on King Farouk was such a hit its producers just unveiled another series about the royals. Books set in the era are selling briskly at the popular Diwan bookstore chain in Cairo. A tour company is marketing cruises along the Nile on a yacht with a "Farouk Suite."
In his Swiss hideaway, Fouad lives the odd life of a king without a throne. For an entourage he only has his companion and aide, an amiable Swiss widow named Nelly. He likes to take walks in the countryside, occasionally watches TV—mostly Egyptian programs, CNN and old Westerns—and when he dines, he'll simply pull up a chair in the kitchen.
He has a passport from Monaco that identifies him as His Royal Highness Prince Ahmed Fouad Farouk. He also has an Egyptian passport that lists his name, no title. In egalitarian Switzerland, many call him "Mr. Farouk." A small group of loyal Egyptian friends insist on addressing him as "Your Majesty" or "King Fouad." Fouad says this is "kind of an embarrassment."
"You are and you left as the king," says Youssef Makar, a friend who is seated nearby. "And to us you will always be the king."
In July 1952, the young Fouad, swaddled in fine Egyptian embroidered cotton, boarded the royal yacht with his parents and three half sisters as they fled the country during the revolution. He was in the arms of his nanny, and Farouk ordered them to walk in front of him. "He is the King," Farouk declared. They landed in Capri and Fouad, carried by his nanny, was the first off the boat.
The baby king "reigned" from abroad for nearly a year as his father hoped that people would rally around his young son. But it quickly became clear that the officers who led the revolution had no use for kings or princes. Egypt was declared a republic and Col. Gamal Abdel Nasser, who had helped engineer Farouk's overthrow, rose to power.
Queen Narriman, Fouad's mother, wanted a divorce and returned to Egypt in 1953. Farouk insisted she leave their son behind. His three daughters, from his first marriage, also went with their father.
Farouk then settled in Italy, and placed his children in a small Swiss village with aides—an English nanny, a French governess and an Albanian bodyguard—to look after them. Fouad only saw his father a few times a year.

 

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Fouad, at about age 6, and Farouk in Switzerland.

 

He attended a public school in the village, studying with children of vineyard workers. While no one at home ever talked about him being the king, other kids at school would tease him. It didn't help that his Albanian bodyguard took him to and from school every day. Later, Fouad was sent to Le Rosey, an elite Swiss boarding school.
In 1965, Farouk died suddenly in Rome. Fouad was 13 and shattered. "I lost a father when I most needed him," he says.
As a young adult, Fouad spent winters in Gstaad and summers in Monte Carlo, where he was befriended by Prince Rainier of Monaco. As he grew older, he wrestled with a broken marriage, a lack of steady work and bouts of depression.
He says he had jobs as a consultant, as well as in real estate in Paris, where he lived on the upscale Avenue Foch. "I had trouble paying the mortgage," he says. His marriage, which produced three children, ended in divorce after two decades.
In recent years, Fouad lived in a small flat in a middle-class apartment complex outside of Geneva. This summer he moved to a rented house in the countryside. Some say he bears a resemblance to his late father—six feet tall and with the same fair skin. Yet he hasn't inherited his father's outgoing personality. "I don't like cocktail parties and I never go to night clubs," he says. People who have seen him at receptions say he appears awkward and shy.
He grew "profoundly depressed" as one by one his three sisters died. Last November, his oldest sister, Ferial—who had been like a mother to him—passed away. His mother also died; the two had eventually reconciled. "Now, I am alone," he says.
The 1952 revolution grew out of discontent with the King's rule, resentment over Britain's pervasive involvement in Egypt's affairs and a sense that Farouk was to blame for the country's defeat during the 1948 War of Independence with Israel. Some poor Egyptians lived like serfs while a privileged few had huge land holdings. The king himself, without a male heir, abandoned his first wife, the beloved Queen Farida.
Fouad is sensitive to charges that his father walked away with massive treasures or had large foreign bank accounts. His father had some means, he says, but coped largely because of help from the Saudi royal family. His half-sisters—each one a royal princess—"were all working women," he says. One was an interpreter, another helped her husband run a hotel, a third worked as a translator. As for Fouad, he says he receives help from Middle Eastern royals and remains especially grateful to the Saudis.
After Farouk's ouster, Nasser began to implement policies that emulated socialist ideals, including land reforms, the nationalization of factories and rent controls. Foreigners and minorities were booted out or pressured to leave. A police state was born. Egypt fought three wars with Israel, then made a shaky peace with the Jewish state. The architect of that historic treaty, Anwar el Sadat, was gunned down in October 1981. His vice president, Hosni Mubarak, took power and has held it ever since. He has tried to undo many of Nasser's economic policies that were seen as harmful to Egypt and has kept the peace with Israel.
The royal family was most reviled under Nasser. The image of the monarchy was defined after the revolution by stories of Farouk's personal shortcomings—his womanizing, his voracious appetite, his gambling and expensive hobbies like collecting fancy cars, coins and Fabergé eggs.
In the summer of 2007, the narrative began to change.
It's customary during the month-long Ramadan observance for Muslim families to have a big meal together to break the sunrise-to-sunset fast. Egyptian television producers trot out new shows to capture viewers relaxing after their feasts. In 2007, one of the hottest new shows was a 30-episode drama about Farouk and his court. "All of a sudden they were allowed to see a human being," says Mahmoud Kabil, an Egyptian actor.
Mr. Kabil co-starred in the new royal soap about King Farouk's colorful mother, Queen Nazli, which aired in August to coincide once again with Ramadan. The show came in second in the ratings sweeps, with millions of viewers, Mr. Kabil says.
"Farouk fever" has spread. Young Egyptians born decades after Farouk left make pilgrimages to his grave in a Cairo mosque to lay flowers; there are Facebook pages and blogs dedicated to the royal family.
Egyptians are "living through unprecedented hardships which makes the past—any past—look beautiful by comparison," remarks Samir Raafat, a Cairo author who has chronicled life under the monarchy. "They typically become more nostalgic especially with the rising cost of living and the total breakdown of everyday amenities: transportation, housing, education, hygiene."
The nostalgia is proof of how much Egypt has changed under Mr. Mubarak, a spokesman for the Egyptian Embassy, Karim Haggag, says. "The government considers the period of the monarchy as part of Egypt's historical legacy, which has to be preserved," he says. The press is more free, he says, and there is a more open political and intellectual climate. A constitutional process will determine who follows President Mubarak, he says.
Several exiled monarchs are scattered in Europe and the U.S. Reza Pahlavi II of Iran, the son of the late Shah of Iran, has an office in Virginia and has openly criticized Iran's ruling mullahs. King Constantine II of Greece fled his country in 1967 when the junta abolished the monarchy, and resides in London. King Michael of Romania for many years couldn't even go back to Romania, which he had ruled until 1947. He lived in Switzerland but in recent years he was invited back to Romania.
Fouad says he doesn't really hang out with them: "People think there is a brotherhood of exiled monarchs, but there isn't," he says.
Fouad has travelled to Egypt several times and is free to come and go, but he worries about "causing trouble" and is careful to avoid raising red flags. "I don't want people to think I have political ambitions," he says. "And sometimes when I go there, it gets very emotional."
Now Fouad finds himself swept up in the tide of longing for his father's era. Last spring, he was a coveted guest at Cairo receptions, offered special access to ancient monuments and addressed as "Your Majesty" in some quarters. Then there was the tour of the 500-room Abdeen Palace, where he was born. He visited a small room where more than a dozen seamstresses sat at a long table, repairing his mother's sumptuous wedding dress from her 1951 wedding to his father—yards of embroidered satin encrusted with 20,000 diamonds.
Or so it was said. Fouad says the gems were only crystals.
His father's "comeback" has given Fouad a new optimism. He longs to return to Egypt in some capacity—perhaps as cultural ambassador. Monarchs such as the King of Spain, Juan Carlos, have helped their countries move to democracy, he says: "It works for Spain beautifully."
Meanwhile, Fouad continues to mourn the past. Politically, his father needed a son, "but I came very late," he says. "I am sure that if he had had a son earlier, it would have been different."
                 Write to Lucette Lagnado at
lucette.lagnado@wsj.com

 

 

 

 

 

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Reçu le 4 octobre 2010 de Madame Daisy GILL :

 

 

“SIGN HERE” LED TO EXPULSION AND A NEW LIFE

By Daisy Gill

 

 

Renewed public interest in the now largely forgotten 1956 Suez War prompted Alan Gill, a UK-born Sydney writer and journalist, to goad his wife, Daisy, into providing the following recall of her experiences.

 

Film scriptwriters are fond of depicting the knock on the door, usually at midnight, followed by interrogation or arrest of the unhappy occupants.

 

Well, in our case this was no fictional episode. Only the timing of the knock was different. It happened on 22 November 1956 – which happened to be my 25th birthday. Two armed policemen turned up at my parents’ flat in a smart area of Cairo, A sheet of paper was thrust in front of my surprised father, who was asked to sign.

 

Protestations that he could not read Arabic were ignored. He was told to sign first and an explanation would be given afterwards. It turned out to be a notice of expulsion and that we were leaving of our own free will!

 

It was not the first visit by police. We were already under house arrest and had received several routine checks that we were still indoors. During one call the porter, who was usually deferential, shouted what he would like to do to the English dogs. He did not realise that we were among the “dogs”. I suppose I can’t really blame him. We were at war, and our troops had invaded his country.

 

The expulsion order was simple but direct. We had a week to leave the country in which I was born and where my parents, and for that matter grandparents had spent most of their lives.

 

Though neither my parents nor myself were politically active, we had world politics thrust upon us. We had been caught up in the infamous “Suez War” which followed the seizure and nationalisation of the Suez Canal by Egyptian President Gamal Abdel Nasser. The resultant intervention by British and French forces in cahoots with the Israelis led to the expulsion of all British and French nationals, who had to return to their supposed countries of origin.

 

I say “supposed” because, although proud of his British ancestry, my father, though educated in England, and a manager with the Shell Company, first in Alexandria, then in Cairo, was in reality part of that unique polyglot, multi-lingual community, which typified European settlement in the Middle East. Culturally we were what “real” English people would consider distinctly “foreign”.

 

It was a tough period for us and for several thousand others. In some cases husbands and wives were separated. One partner may be expelled, the other not. For example, a Greek married to a Maltese. We were allowed to take 10 Egyptian pounds, which proved worthless, and one suitcase containing only clothes. It meant goodbye to family pets, photo albums and jewellery. (A few very precious small items, such as a couple of photographs or very precious jewel were slipped unnoticed in a handbag.) Items of furniture were left as they were. The key of the flat was left with a relative. Coinciding with the initial house arrest we had been dismissed from our jobs. Some employers, being decent people, did so only under duress.

 

At the time none of this bothered me much. I had a boy friend (not my future husband) in England, and expulsion would bring me closer to him. Those who were expelled to Britain were offered makeshift accommodation in nissen huts last occupied by German POWs in World War II. My parents were spared this indignity as my elder brother was working in London at the time, and we found temporary accommodation with him.

 

Things actually went fairly well for us. Within days of our arrival in a cold, wintry Britain my sister and I had found jobs with Barclays Bank International (then Barclays Bank DCO) in London, and were strap hanging on the “Tube” with the bowler hatted types. Dad was re-employed by Shell, though in a lower capacity. We had little money, and there was nothing at all for luxuries. Gradually we rebuilt our lives.

 

Young people rarely look back, which was perhaps as well. Fifty years on, I now have time to reflect. I think about the old days – the daily house help, the clubs and privileged life that European people enjoyed in the Middle East. In England I met my husband, Alan, and we emigrated together to Australia in February 1971 (it was the day Britain introduced decimal currency.) The reality is that had I stayed in the Middle East the lifestyle I enjoyed would not have lasted and our friends have scattered. It is a bygone era that will not return. Perhaps Nasser did us a favour. We have found happiness in Australia and, and in spite of having travelled fairly widely, in the words of the song: “I still call Australia home.”

 

 

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Reçu le 19 octobre 2010 de Madame Clemy PINTO – Saô Palo :

 

CONFITURE DE DATTES

A ALEXANDRIE DANS LES ANNÉES 50

 

Chez nous, familles Osmo et Dassa - voisines d'étage -  c'était tout un ceremonial.

 

Sur la grande table de la salle à manger recouverte d'une toile cirée :  d'un côté, un  grand bol contenant des amandes émondées.  De l'autre des « kilos et des kilos » de dattes jaunes bien lavées.  Une troisième assiette contenait des cure-dents. Et une 4e. assiette recevait les noyaux des dattes.    Notre travail, (c.a. d. nous les enfants), consistait au dénoyautage des dattes jaunes.  On poussait le noyau vers l'extérieur avec 2 cure-dents à la fois, et on introduisait une amande dans l'orifice ainsi formé.

 

Tous les enfants étaient de la partie.  Par ordre d'âge : Clemy, Lucette, Ruby, Samy et même notre petit Maurice chéri (3 ou 4 ans à l’époque).  C'était à qui poussait le plus fort. 

 

Inutile de dire qu'à chaque 3 ou 4 dattes, on se fourrait une amande dans la bouche en mourant de peur que les amandes ne soient pas suffisantes, mais comme les mamans connaissaient le truc (depuis leur enfance, peut-être... ), elles s’étaient préparées. 

 

Pendant ce temps, ma tante Anita (Osmo) et ma chère maman Nella (Dassa) préparaient le syrop et plaçaient les dates les unes à côté des autres.

 

Une fois la confiture prête, nous étions si impatients d’y goûter, qu'on n'attendait même pas qu'elle refroidisse.  On plaçait ensuite les dattes dans de grands bocaux, qu’on divisait pour chaque famille et on les servait aux invités dans un compotier spécial entouré de petites cuillers en argent, avec autant de verres d'eau glacée que de convives.

 

Comme la saison des raisins « banatis » était la même que celle des dattes, quelques jours plus tard c'était la cérémonie de la confiture de raisins, mais elle était de loin, beaucoup moins amusante...

 

Je suis sure que vous avez tous des souvenirs de ces confitures que nos mamans préparaient, sans oublier celles à la noix de coco, aux abricots, aux fraises, aux écorces d'orange - laringues -  et celle aux pétales de roses  (cette dernière était inconnue chez moi ; par contre, dans la famille de Cesar (Pinto) mon mari, c'était chose courante).

 

Bien sûr, quelques semaine plus tard, il fallait préparer les bocaux de « picklès », mais je vais réserver ce sujet pour une prochaine fois. 

 

Ça, c’était le bon vieux temps, le temps de l’abondance et des gâteries,  surtout pour les enfants que la politique n’inquiétait pas... 

Bon appétit, alors.  Régalez-vous.      Clemy

 

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Reçu le 15 décembre 2010 de Madame Suzy VIDAL PIROTE :

 

EL HO-NA BEL-LAY

 

How many of us have suffered from that horrendous ho-na!!!

I , for one, when in Egypt had several ho-nas!

How was it done?

There was an iron recipient about one or two liters in which was poured warm water with either an emollient or a herbal preparation. On the lower part of that ho-na was a tube from which the liquid would pass through directly with the lay, into the bowels.

The most stressful part was immediately following the ho-na.

You had a tremendous urge to evacuate this liquid, but you were not allowed to.

You had to keep it as long as possible till you were ready to die!!!

Then when you were finally allowed to go to the toilette, it was the greatest relief on earth.

The ho-na was a regular instrument of torture  I always dreaded that torture.

However today and knowing this through personal experience, the modern ho-na is a real jewel compared to the one we knew in Egypt.

Gone, is the iron recipient, the tube and the la!!!

It is now replaced bu a small plastic tube, with an innocuous laii.

I lived through this experience only a few weeks ago when I was in hospital after a fall.

I wouldn’t say it was a delight compared to the Egyptian ho-na, but almost.

This expression was also used for people who were very boring.

If you had the misfortune of seeing one, you couldsay:

”Ya mama, howa/heyd ho-na”

And someone would add

“ho-na be lay yakhti!”

Suzy Vidal

 

 

 

Aout 2010

 

A LONELY LEVANTINE SHABBAT

 

In Cairo, the once-crowded Shar Hashamaim is restored, but there are almost no Jews left to pray in it.

Lucette Lagnado

Special to the Jewish Week

Wednesday, April 28, 2010

 

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david cowles, Ark at Ben Ezra, Cairo,1994.

 

 

 I make it a point to go to shul on Saturday morning, and that wasn’t going to change when I found myself in Cairo last summer. Yes, it is in an Arab country, but it is my Arab country, where I was born and where of late I have found myself traveling again and again. There is no one there for me — the 80,000 Jews who once lived in Egypt are pretty much gone, as are all my relatives. Cairo, to paraphrase Janet Flanner, was yesterday.

While at a festive gathering at the home of the United States ambassador, I asked if there were services I could attend that coming Saturday. Everyone shrugged, but then the head of Egypt’s virtually nonexistent Jewish community, Carmen Weinstein, spoke up to say there was certainly a place where I could pray, and I thought I detected a certain edge in her voice.

I could go, she informed me, to the magnificent central synagogue, Shar Hashamaim — The Gates of Heaven. My parents were married there back in World War II, and I have always had a romantic attachment to it. When I’d first returned to Egypt in 2005, I saw little beauty in the careworn massive stone building. Like most of the synagogues in Cairo, it looked like the house in the Addams Family: dark, frayed, forbidding.

But since that time, Weinstein had overseen a major renovation, encouraged and embraced by the American Jewish Committee, to restore the temple to its former splendor. Hundreds of thousands of dollars were apparently spent by the Egyptian government to fix it up, and there’d been a formal ceremony marking its reopening. The Gates of Heaven has no rabbi and no regular minyan, but come certain holidays, the handful of Jews who remained in Cairo, many quite elderly, venture out and reunite in the sanctuary.

 

One Saturday morning last June, my husband and I made our way to downtown Cairo, the hub of what had once been an intensely glamorous city; the synagogue had been situated steps from delightful patisseries, fashionable department stores, cinemas and boutiques. But, of course, that was when Jews and a multitude of Europeans — French, Swiss, Italians, British and Belgians — made Cairo one of the most cosmopolitan cities in the world. Since these “foreigners” were thrown out or forced out, Cairo had become hopelessly provincial. The elegant stores gave way to cheap emporiums. And the Gates of Heaven was essentially abandoned — there were no Jews left to pray.

I spotted a small, armed militia outside the temple’s doors. They looked suspiciously at us, but I was ready for that: Egypt likes to post armed guards outside all its Jewish sites no matter how dusty. Gotta give them credit. How many other Muslim countries protect their Jewish sites with such diligence? Once we showed our passports, we were free to enter.

The synagogue was poorly illuminated, but it was clear much work had been done to restore it to its original splendor. The marble steps leading to the Holy Ark were gleaming. And the wooden pews that once accommodated hundreds of worshippers had some of their original luster. On the bima, I saw an open Torah scroll.

There were all the elements of a great synagogue except one: people.

I went up on the bima and put my hand on the scroll. Then, I climbed the marble stairs and kissed the velvet curtain that covered the Holy Ark. I looked around me, unsure what to do next.

I felt excruciatingly lonely. Though I have prayed the Sabbath morning prayers a thousand times, I didn’t feel I could recite them anymore, not without the soothing voice of a rabbi or a cantor or fellow worshippers. It all seemed heartbreakingly pointless.

The Gates of Heaven had once accommodated several hundred worshippers, and its women’s section upstairs alone had scores of seats. I had been told the strict separation between men and women only encouraged romance; young men would stealthily look up as pretty girls dressed in their loveliest clothes would preen as close to the balcony as possible, to make sure they were noticed by their intended. There were flirtations and matches and fateful encounters, every Shabbat.

I grabbed a prayer book and flipped to the page of the Amidah, the silent devotional, and prayed quietly. Then, after taking one last walk around the empty sanctuary, I picked up my passport from the guard in the booth, took my husband by the hand, and left.

I could think of nothing more to do on this lonely Levantine Sabbath.

      *     *    *     *

In the last couple of months, we’ve heard that Egypt is repairing more synagogues; indeed, that they expended funds to restore the most venerable temple of all, Rav Moshe, in the Old Jewish Quarter, where Maimonides was said to have studied and prayed some 800 years earlier. Egyptian Jews, myself included, regularly went to Rav Moshe when they were sick, hoping to be healed. I traveled to Cairo again last month to visit Rav Moshe and was impressed by the meticulous restoration. The Egyptians have also begun work on a broken-down Karaite shul and vowed to renovate some other once-grand institutions.

It all has seemed pretty wonderful to me — an Arab country faithfully restoring its Jewish institutions? It was as if my most fervent wish was coming true. Or was it? Is fixing up the empty, abandoned Jewish properties in countries devoid of Jews really worthwhile?

Looking back at my less-than-transcendent experience at Shar Hashamaim, I wonder if what I did had any meaning. Perhaps I could have communed with God nearly as well by staying in my room at the Marriott and davening there. It would have been more cheerful.

In Philadelphia, Rabbi Albert Gabbai of Congregation Mikveh Israel, who was born in Egypt and even sang in the choir of Gates of Heaven as a child, echoed the view that repairing it and other synagogues is essential — if only to remind the world, he says, that once upon a time Jews were there and in substantial numbers.

Since he left Egypt decades ago — after spending some years in prison camp, which is what happened to Jewish men who lingered — Rabbi Gabbai has had no desire whatsoever to go back, except to his synagogue, except to Gates of Heaven. He embraced my decision to pray there. “It means that you are reclaiming the place for Jews — for you as a Jew, and for all the Jews — [saying that] it belongs to them.”

Not everyone would agree. Rabbi Gerald Skolnik of the Forest Hills Jewish Center casts a tepid eye on efforts to refurbish synagogues in places where there are no Jews; from Poland to Egypt, he wonders what is the point other than to attract tourist dollars.

“Is it better for a synagogue to be rehabilitated instead of being torn down or made into a mosque? Halachically, yes. But what is sadder than seeing an empty synagogue?”

Rabbi Elie Abadie, who presides over the Edmond J. Safra congregation in New York, staunchly argues in favor of restoring these lost synagogues. As a native of Lebanon, he has suffered the heartbreak of watching grand houses of worship destroyed or converted or sold or abandoned — as most were in and around Beirut. He passionately believes that the governments that drove out their Jews “have the financial and ethical responsibility to restore the synagogues.”

As for my woebegone feeling on that Cairo Sabbath, he says, “If a person is praying in a synagogue — albeit empty — those prayers are at a higher level and more meaningful because the synagogue maintains its sanctity. Even if there is no minyan [quorum of 10 men] the prayers are at a higher level,” Rabbi Abadie contends. God, he says, was of course there in the original Great Temple, and then in the Second Temple. “Once the Temple was destroyed, its sanctity was transferred to all synagogues all over the world,” he said. When a synagogue is built, he said, “it is believed that God enters it and remains there,” till eternity.

I found comfort in hearing that while I may have felt desperately alone that Sabbath morning, God was indeed there beside me in that great cavernous space in Cairo.

 

Lucette Lagnado is at work on a companion volume to "The Man in the White Sharkskin Suit" (HarperPerennial), a memoir of her Egyptian-Jewish family.

 

 

 

Reçu le 9 mai de Monsieur Elie PATAN :

LE “SOUK EL ATTARINE” AU CAIRE

 

Ce souk n’était pas à “Old Cairo” ou “Vieux Caire – Masr Atika ou Fostat”, mais bien au centre de la rue Mosky, près du “Hemzaoui” qui en ces temps,  était plein de boutiques et magasins de juifs, bouillonnant de monde, un centre commercial très actif.

La rue Mosky est assez longue,… Elle commence près du “Midan-El-Ataba-El-Khadra”, puis on traverse la rue “El Khalig-El-Masry”, actuellement appelée rue “Port-Said”. Vite on arrive vers une toute petite place ronde, à peine visible, du nom de “Midan-el-Mosky”; si l’on rentre dans la petite ruelle à gauche, on commence une tournée dans “Haret-El-Yahoud”. Ici à Pourim cela bouillonnait de monde,… On s’y promenait et on visitait, une par une, les innombrables Synagogues qui s’y trouvaient. Je me rappelle les balançoires, les “Maragihh” (grande roue tournante) et les sandwiches d’aubergines frites avec une sauce très piquante!

 

Continuons notre chemin dans la rue Mosky, qui change de nom, “Shareh El Sekka El Gedida”, où sur notre droite, nous sommes dans l’ancien quartier du “Hemzaoui”. La rue continue tout droit jusqu’au quartier de “Khan-Khalil” et la rue “El-Sagha” (la rue des bijoutiers) avec ses centaines de magasins aux vitrines illuminnées par tant d’or et diamants,… tout près de la Mosquée Université “El-Azhar”.

Mais retournons au “Hemzaoui”,… nous tournons à droite et pénétrons dans les ruelles étroites et sinueuses du “Souk-El-Attarine”. C’est difficile d’y trouver son chemin et l’on s’y perd aisément. L’odeur des épices est inoubliable, vos narines sont sursaturées de ces odeurs fortes qui vous envahissent et vous commencez à éternuer continuellement . Vous ne pouvez pas vous tromper,… vous êtes en plein centre chez les “Attarine”, un vrai bazar levantin,… tout le Proche et Moyen Orient sont là.

Des étalages infinis de produits et d’ingrédients connus et inconnus, venus de pays lointains; des épices en graines ou moulues en poudres coloriées, des résines, des herbes aromatiques séchées, des écorces et des racines d’arbres ,… bref une féerie de couleurs et de formes diverses, rivalisant avec les meilleurs tableaux des peintres impressionistes.

Un vrai régal.  Ici, c’est le paradis des “Epices” et du “Boukhour”.

J’en connais tous les coins les plus reclus pour les avoir visité et fréquenté durant des années,… (J’étais étudiant au collège des frères “Saint Joseph” à Khoronfish tout près). C’est ici que je venais m’approvisionner de “Habbahane, kamoun, shatta, kosbara, kourkoum, mesteka, tamr-hindi ,…etc ,…etc,… ainsi que les encens nécessaires pour le “Boukhour”, que ma grandmère, qui vivait avec nous, ma nonna Marietta (Allah Yerhamha) ne pouvait s’en passer. C’était son rituel hebdomadaire; chaque vendredi après midi avant le kidoush de “Kabalat Shabat”, elle embaumait la maison de ces odeurs spécifiques, particulièrement calmantes,  allant d’une chambre à l’autre pour les purifier contre “Le mauvais oeil”, éloigner les maladies, et les esprits méchants.

Mais un détail très important ne peut être oublié ou omis,…  “Les sons” !  En effet, après avoir acheté les épices en graines, il fallait les moudre. Pour cela, chaque magasin avait des ouvriers pour ce travail. Ils versaient les ingrédients dans un grand récipient,… un mortier en marbre ou en granit, de forme conique. Chacun tenait une longue et lourde barre d’acier, de forme cylindrique et commençait à marteler et écraser les graines, avec un son et un rythme régulier, accompagné d’un murmure ou d’un court refrain chantonné de façon régulière et monotone.

En 1982, lors d’un voyage en Egypte et d’une visite dans le souk, j’ai acheté quelques épices ,… les mortiers en granit étaient là,… les barres d’acier aussi, et j’attendais impatiemment avec ma camera pour filmer la scène. Mais quelle fut ma déception lorsque le jeune vendeur introduisit les graines dans un mixer électrique, et en quelques secondes me remis le paquet.

Remarquant mon étonnement, il m’en demanda la cause,…Je lui racontai alors tous mes souvenirs d’antan sur le souk et tout le quartier,… il m’écoutait avec beaucoup d’attention, lorsque soudain du fond de la boutique, apparut un personnage âgé (c’était son grand-père) qui, intéressé par mon récit, n’attendait que cette occasion pour bavarder, étaler et raconter ses souvenirs,… il m’invita à rentrer prendre un thé,… quelle hospitalité, cela ne peut se passer qu’en Egypte ,… j’acceptais de bonne grâce,…

Il me parla du Hemzaoui, des familles juives, de Youssef Mizrahi et son magasin de jouets, de Hamaoui qui vendait des articles de maison, de Moussa et son frere Soliman marchands de tissus ,… etc,…

Nous étions dans un autre monde, vagabondant dans notre passé commun,… Les effets bienfaiteurs d’un moment de nostalgie !

Pour quelques minutes, j’oubliais que c’est dans ce même quartier du Hemzaoui et la rue El-Azhar toute proche, qu’eut lieu le lynchage de plusieurs juifs, durant les annés 50 du siècle dernier.

Voila mes chers, quelques réminiscences du “Souk El Attarine” du Caire.

Elie Patan

www.epatan.com

 

 

 

Reçu de Monsieur Joe ROSSANO :

 

Elie Patan, that was a great description of the Mousky. Allow me to add few names and establishments
The jewelers, Sirghani (very nice family),and Lichaa
The kabbab restaurant Agati, and the well renown Cafe Fishawi
The haberdasher, Azzouz Milad, a very nice Coptic family, the older brother George was running the store, Fayed became a doctor, and the youngest brother Annis last I saw him he was studying at the Cairo university
In 1970, there was a very old 'A'atar' in Acco. One of the funniest old man I ever met. He was hilarious and an excellent salesman, I bought few things, among them a special amulet, and he suggested an aphrodisiac, one of his special concoction
In the old part of Mexico City, I passed by a Lebanese A'atar, among the products he was selling an assortment of dried fish shells
In the USA, bokhour can be found sometimes at Indian grocery stores.
I don't recall exactly if it was at the entrance of the Mousky or ar the vicinity, they were stores selling second hand clothes.

Excerpts from a three of pieces I wrote
"This is strictly for the ones among us who can remember their early teen years growing up in Egypt, and still can't shake the habit of the perennial and traditional practice of noise making at Purim....and beyond.
Not a minute to soon, the day finally arrived, the great expectation is here. In Cairo all the roads lead to the Musky, our present destination. Wow, to the eyes of a youngster, the biggest noise making arsenal to be found anywhere,....Firecrackers, Roman candles, Sparklers and of course the darling and ever popular Cherry bombs...."
THE ATABA EL KHADRA SQUARE : "This was a big and a very hectic square, crowded with loaded carts pulled by humans and donkeys, cars, bicycles, buses and the terminals of several tramways lines. Not too far from the Ezbekieh gardens and the open air movie/skating rink, the central post office (and I believe the Post Office Administration?), the "Immeuble Tiring", a landmark building, and at the corner of Rue Farouk, a little store that sold the best carbonated lemonade in Egypt. and in the rest of the world.
There was the famous minus five stars hotel Parliament (lokandet Barlaman), a favorite place of visitors from the south, it was said that the bed bugs were very chummy and as faithful as a dog. That place was a magnet for "les flibustiers et mauvais garcons", they preyed on these innocents tourists, it was like shooting fish in a barrel. Occasionally the papers printed stories about bizarre transactions such as the selling of a bridge, the hairs of The Prophet, a tramway partnership, or shares of "La Gare du Caire" etc.
This square was also close to the Hamzaoui, an important wholesale center. The Muski, home of well known specialties stores, jewelers, second hand clothing stores and spice merchants, and the old Haret El Yahoud and the famous Khan Khalil Bazaar."
"Bokhour" (incense made of a mix of dry plants and arabic gum): This ritual was performed to chase away a streak of bad luck such as a long spell of bad investments or gambling losses, or to resolve a lovers' quarrel and bring them back together. To be effective, this ritual must be performed just before noon on a Friday. More than one person could participate in this event, usually a group of friends and neighbors. Even if it doesn't help you, it won't hurt you. The "Boukhour" mixture was placed over a "Babour" (un réchaud a petrole). A participant had to pass over, by straddling the thick plume of smoke, exactly seven times. You were cautioned to be very careful not to catch your "galabiah" on fire and to wear long pants if you had hairy legs.
"Fok el rossass" (liquefy the metal): For more serious cases, such as chasing away an illness, finding a job, or if a "Boukhour" ritual had failed, a "specialist" in his home prepared a powerful potion. The candidate's presence was not required. All that was needed was for someone to present your case accurately, to state the problem. The candidate would get a small bottle containing the potion to pour on any street corner before noon on a Friday.
A prescription often given to women trying to get pregnant was to cross the Nile, during a certain specific time, on a "Felucca" or row boat (of course, I didn't participate in this ritual).
Included in the quartier Attarine of Alexandria" the cinema Metro, Amir, Rio, Rialto, the restaurants Santa Lucia and in the back of the restaurant La Patisserie Fluckiger, Pastroudis, Elite, Chez Gaby ex Il Ritrovo, Lourantos. The Greco Roman museum, TWA airline, and....Horreya Street ex Aboukir, with its beautiful villas of promonent Jews, that includes the American Cultural Center. Klonaris sporting goods, boutiques and antic stores, few social clubs, and yes a sea diving school and....I think I bored you enough I leave the Hamzaoui for another day

Jojo

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Reçu le 31 Juillet 2010 de Madame Levana ZAMIR cette belle lettre écrite en son temps par sa chère maman :

SOUCCOT A HELOUAN

par Esther Vidal (née Mosséri)

(1911-1984)

 

C'est une Lettre du Kiboutz Nitzanim

écrite le 29 Septembre 1983, dernier jour de Souccot

Yom Kipour est passé dans le jeûne et la prière au Kiboutz Nitzanim, et Souccot est déjà là. L'immense Soucca dressée sur la place centrale du Kibboutz, illuminée et  ornée avec le meilleur goût possible, est prête à recevoir 600 convives autour de tables rondes toutes recouvertes de nappes blanches.

On m'a prié de monter sur l'estrade et raconter comment était Soucca Mitzrayim.

Vous savez qu'à Nitzanim les Havérims ont une toute autre mentalité que nous. On m'a donné juste cinq minutes pour m'expliquer. Il fallait donc être brève, nette et intéresser ce monde.

A haute voix devant le micro, je m'entendis dire: Soucca Mitzrayim ? Oh Havérims… Soucca Mitzrayim, Soucca Rahamim, Ahava ve Shalom… Oh! tente bénie, tente de clémence, de charité et de paix… Petite sœur de l'immense tente de Nitzanim.  Son toit était recouvert de palmes vertes et fraîches avec aux quatre coins des grappes de dattes rouges ou jaunes.

Soucca Mitzrayim avait ses quatre côtés couverts d'un blanc tissu. Du côté Est brillait le parokhet brodé en lettres d'or. Tous les fruits de la saison et même les nouveaux  suspendus là-haut, égayaient de leur couleur ce petit sanctuaire où, une grande coupe de verre remplie d'huile attachée à la poutre du milieu par une longue chaîne, était allumée nuit et jour durant toute la Fête de Souccot…

Je sentis le silence qui se fit soudain et je continuais: oui mes amis, nous prenions tous nos repas sur la belle table de la Soucca, et, le soir venu j'enviais mes frères et mes cousins qui dormaient avec papa et l'oncle sur les canapés blancs qui se faisaient face.

Quand nous rentrions du Temple, grands et petits, tous de blanc vêtus avec la calotte (la Ta-é-ya) blanche couvrant toute la tête, écoutant pieusement le Kidouch, la brise du soir se jouait entre les draps immaculés qui remuaient doucement, pareils à des ailes d'anges, des anges descendus du ciel, qui, d'un moment à l'autre nous entraîneront dans leur envol, haut très haut, loin… très loin… vers Jérusalem, vers la Terre Sainte, vers Eretz Israel…

Imagination d'enfants… rêves que nous avons voulu voir se réaliser… souhaits que nous échangions entre nous des siècles durant, miracle que nos aïeux ont tant attendu… et voilà … voilà que nous, pour nous ce Ness s'est réalisé. Nous sommes tous venus… nous sommes tous là ensemble… et souhaitons que d'autres Nitzanims se réalisent… notre peuple en a tant besoin… notre peuple dispersé aux quatre coins du monde dans leurs Souccots, nous avons besoin de cette Soucca, la patrie, Ha Moledet, Soucca Rahamim, Ahava, Chalom ve Chalom, Chalom, Chalom…

Je suis descendue de l'estrade, mais quelque chose de très doux planait encore dans l'air… j'aurai pu continuer, parler, raconter, décrire le Grand Temple du Caire et son immense Soucca faite de Tarc Egyptien, cette toile aux mille couleurs vives, brodée de dessins pharaoniques, où durant les huit jours les jeunes venaient prier, déjeuner, chanter, danser. Cette tente joyeuse où Nahum Effendi, Grand Rabbin, recevait les diverses hautes personnalités de l'Egypte et de l'étranger venus présenter leurs souhaits au seuil de l'an nouveau, à la belle communauté israélite du Caire. J'aurai pu décrire le délire, la joie des jeunes et des moins jeunes remplissant les rues, le soir de la Simhat Thora, les livres saints entre les bras, danser, chanter, pendant que la foule, des cierges allumés en mains, des bouquets de fleurs, de petits parokhet à bout de bras clamaient: Simhou-Na ! Simhou-Na !... Lé Simhat ha Thora !!

Oui, les Havérims voulaient encore et encore entendre. Je leur ai décrit la Soucca que David Mosséri a construit de ses mains en 1885 dans la cour du Temple de Hélouan et où mes fils à moi, 4ème génération ont fait leur Bar-Mitzva, où ils faisaient le Kidouch et la Berakhat Hamazon jusqu'en 1950… cette Soucca qui doit être encore debout là-bas… seule… seule… mais jamais oubliée…

Ceci n'est pas une nostalgie ni un compte rendu, ceci est simplement Soucca Mitzrayim.

 

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Reçu de Madame Suzy VIDAL PIROTTE (Sultana Latifa) ces quelques articles pleins d’humour et de nostalgie, tirés de son livre : THE JASMINE NECKLACE TRILOGY

HUMOUR ET NOSTALGIE

 

OUR BATH TODAY AND YESTERDAY !

Today you can have hot water for your bath at the turn of your tap.

I’m going to tell you how it was more than 65 years ago in Egypt.

Friday pre Shabbat bath was a ceremony.

The first step was to buy the petrol from a peddler passing by with his donkey and crying out “gas, gas.”

My mother stuck her head out of the balcony and shouted “gas, gas”.

The peddler looked up and my mother motioned him to come up through ‘l’escalier de service’ (five storeys) with his gas in a container on his shoulder. We did not think then that it was inhuman or undignified.

He left his donkey unattended with a big bag of oats tied to its head eating while the man went up.

Your primus was then filled with el gas. The Primus was every family’s prized possession. Standing on three legs that would hold the recipient, it had a small ashtray-like mould in which you poured some alcohol and then you started pumping.

You scratched a match and when you were lucky it lit up the primus.

If you were unlucky it boomed up in your face sometimes causing severe burns.

But through time, we had become experts in lighting the Primus correctly.

The water was heated up in a recuperated oil safiha, pail, put in the corner of the bathroom.

In my home we had three copper toshts (basins) of different sizes.

The very small one was to put the loofa and Naboulsy soap; there was also a pitcher to add the hot water to the cold one in another safiha. The biggest tosht was to stand in and wash ourself.

The medium one was to rinse. You poured water with that lovely pitcher.

After your complete rinse, you slipped into your bournouss, put your feet in your aba-ib clogs, sabots, and clicked out of the bathroom.

The bath was then prepared for the next person and so on till every family member was ready for Shabbat.

Then one day Butagas entered our homes and hot water came flowing out like magic.

However lighting the Butagas was also treacherous.

If you turned the small handle that let out gas and did not light it immediately it lebbed, boomed, in your face too.

So modernism also required getting used to.

Has anyone thought of that poor “gas man?” and what happened to him when the Butagas took over?

Now we do not even have a butagas at all, our central heater in the cellar does it all. Night and day your hot water is at your disposal! The whole system is not bigger that a fridge and it gives you Central Heating in your radiators and hot water.

It also works with gas: from  the North Sea.

What an easy life we have now compared to our parents.

And still we complain!!!

Suzy Vidal (Sultana Latifa)

KASSAT EL HAWA: SUCKING GLASSES, VENTOUSES.

For breathing difficulties or bronchitis, those precious kassat el hawa were applied to your back. Kassat el hawa were similar to drinking glasses except they had a rounded bottom and smaller neck.

You prepared a torch and soaked it in alcohol then put a match to it. The patient outsetched on his abdomen, you turned the turned the torch in the kassat and quickly applied them to the back. You looked like a tortoise with a glass roof.

The patient had to keep still till the skin inside the kassat turned bluish and looked as though ready to explode.

What a relief when those kassat made that kissing noise and your back was liberated!

However there were marks on your back: black and blue moons or half moons. These remained for a few months. When summer came along and the marks had not faded out, it was embarrassing in a swimsuit. But then you knew who had been ill that winter.

Sultana Latia (Suzy Vidal)

taken from THE JASMINE NECKLACE TRILOGY OGY

CURING A SOAR THROAT.

There weren't 50 ways of curing a soar throat.

Only the hated and dreaded methyl blue.

once  again you wrapped a piece of cotton on a stick; dipped it into the methyl and with your mouth wide open received the awful taste of that so-called miraculous medication!.

It was not certain that your throatache was cured but you surely turned  into a blue person: blue tongue, blue teeth and blue lips!

Sultana Latifa

taken from the Jasmine Necklace Trilogy

NONNA SARAH’S TREATMENT FOR HIGH BLOOD PRESSURE :

This is "the" one treatment I remember clearly!

Today i may be looking for my keys or eyeglasses or anything else but my nonna's high blood pressure treatment I remember clearly. And that was around 1948!

The leech (sangsues) doctor regularly came to my grandparents. When my nonna said she had a babour (réchaud) in her head, it meant that it was time to apply those leeches.

Was he a doctor?
i do not know. but he knew his job.

My nonna sat on a sofa in her darkened room and he took one worm after another and pressing its jaw gripped my nonna's white skin on her temple. He put three or four worms on each side and nonna sat there with a basin full of water waiting for the worm to have drunk her blood and fall off.

As a child I sat on one of the stools and watched fascinated. From thin little things they grew and grew till they became fat and dropped in the basin.

They left little holes in my nonna's white skin (she came from Smyrna).

She would rest in her darkened room and feel better till it was time again to stop "el babour" with the visit of the "leech doctor."

Sultana Latifa taken from The Jasmine Necklace Trilogy.

 

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Reçu le 9 mai de Madame NAHON Raymonde :

 

NOS DERNIERS JOURS EN  EGYPTE.

 

C’etait un mardi,  je faisais mes devoirs  et devais recopier une carte pour le cours de geographie, quand tout a coup il y eut ces bruits effrayants... les vitres tremblaient, la maison entiere semblait vouloir s’effondrer. C’etait le debut de la guerre de 1956, les avions bombardaient le Caire et ses environs.  J’avais 13 ans et on venait juste de commencer l’annee scolaire (au Lycee Francais).

Nous sommes 3 soeurs Desiree, Aimee et moi, la plus jeune Raymonde. Nos parents nous entouraient d’affection et faisaient tout pour nous epargner la peur et l’inquietude, donc nous n’etions pas du tout preparees. Qui de nous savait les nouvelles? Lisait les journaux? Savait ce qui se passait dans la politique? Les jeunes d’aujourd’hui sont si bien plus  informes, grace a Internet de ce qui arrive dans le vaste monde. Nous etions des enfants choyes, sans preocupations, a part nos etudes, nos amis, nos belles toilettes, les films a voir, bref rien que des choses si superficielles!

Pour nous ,tout a coup tout fut bouleverse. Mon pere travaillait comme chef comptable chez Albert Gomel, mais comme tous les commerces juifs celui la aussi fut sequestre.

Le Lycee aussi au debut, puis il fut dirige par des Egyptiens puisque les profs Francais avaient du quitter precipitamment.  On lisait l’inquietude sur le visage de nos parents. Papa a la maison (ce qui n’etait jamais arrive jusqu’a present) avait une valise toute prete pour le cas ou on l’aurait arrête comme on le faisait pour les juifs sans aucune raison. Nous n’allions plus en classe . On commencait a parler de quitter l’Egypte. Mais pour ou? Nous etions des apatrides sans nationalite aucune. Donc il faudrait s’organiser pour nous rendre en Israel. Tout cela pris un peu plus d’un an. Cette periode etait terrible. L’incertitude de ce qui nous attendait, l’inquietude et la peur du futur nous tourmentaient. Ce qui arriva par la suite nous bouleversa encore plus:

Un jour trois jeunes etudiants Egyptiens vinrent voir si nous avions des meubles a vendre, car ils savaient que les juifs se debarrassaient de toutes leurs possessions pour quitter le pays. Ils demanderent plusieurs questions et maman y repondit  naivement. Ainsi ils surent que nous partions pour quelques jours a Alexandrie, mais que papa resterait a la maison et comme cela il pourrait leur vendre ce qui les interresserait. Au retour notre portier nous raconta que des jeunes garcons ont essaye de penetrer dans notre appartement, mais qu’il les avaient attrapes a temps et appele la police. Ce meme jour mon pere vit leur photo dans le journal et decouvrit qu’ils etaient des assassins, qui venaient aux nouvelles, savaient quand une personne se trouvait seule a la maison, y  penetraient et assassinaient  comme ca sans raison aucune, par desoeuvrement ou par amour du crime. Ils etaient des jeunes de bonnes familles et etudiaient a l’universite du Caire.  Quand notre portier les avaient denonces  et qu’on prit leurs empreintes on decouvrit leurs crimes. C’etait par miracle que papa n’etait pas a la maison et  fut ainsi  epargne..

Tout cela rendit la decision de nos parents de quitter l’Egypte encore plus rapide. C’est ainsi que fin Novembre 1957 nous avons embarques sur  le paquebot grec Aeolia pour le Piree , et une quinzaine de jours plus tard  sur le paquebot italien Enotria pour Haifa.

 

 

15 Avril 2010

 

Reçu de Madame Etty DIDAY cet article écrit par son frère, le regretté Joseph N. DIDAY.

 

PARADIS D’ENFANCE A BAB EL LOUK

 

         Les années qui ont suivi 1930 me rappellent ma prise de conscience au sujet du paradis de mon enfance ;

         Je reviens de l’école et m’approche de notre maison, 65 rue Nubar Pacha. En fait elle appartenait à mon oncle, c’était tout flou dans ma petite tête. Avant d’atteindre la porte je m’attardais à la devanture de l’encadreur de tableaux du rez-de-chaussée. L         a devanture était sale, les vitres poussiéreuses mais je m’obstinais à rechercher du regard le patron italien qui m’avait vu naître. Il avait les mains et les ongles jaunâtres mais j’admirais les cadres impeccables qu’il réalisait avec ses cartons, ses bois sculptés, ses bronzes dorés. Je sentais l’artisan passionné par sa tâche et j’étais sensible à l’application qu’il prodiguait à sa finition. Je suppose que c’est lui qui a dû exécuter les beaux cadres qui étaient accrochés sur les murs de notre appartement du 1er étage. Je lui suis reconnaissant d’avoir préservé les inoubliables photos de ma famille. Dans l’entrée à gauche, la photo de mon grand-père Youssef qui avait comme toujours la rose à la boutonnière. Cette photo me permettait de mieux imaginer l’époux de ma grand-mère Esther née Palombo, veuve, qu’elle me décrivait rarement. Dans le salon, la photo du grand-père de mon père, Ibrahim Yadid. Il avait une mine resplendissante, l’obésité étant à la mode, elle étant un pseudo signe de santé. C’est peut-être pourquoi il n’a pas vécu assez longtemps pour qu’il me prenne sur ses genoux. D’ailleurs, ni son fils ni même mon grand-père maternel n’ont pu le faire. Est-ce la vie dure ou le joug de leurs chères épouses ? Enfin, je ne mentionnerai que les deux cadres dorés : l’un concernant la photo de mariage de mes parents Diane et Nessim, couleur sépia, l’autre, celle avec ma sœur Esther  où chacun de nous tenait un marteau à la main ( nous étions en avance sur l’ère actuelle de bricolage).

         Je pousse la porte en face de l’immeuble, je jette un coup d’oeil sur la petite boîte aux lettres fixée à droite. Elle était moche et mal entretenue et pour cause : nous ne recevions pas beaucoup de correspondance. Les parents et amis bius téléphonaient ou nous rendaient spontanément visite le chabbat et les jours de fêtes juives. Le journal «  La Bourse » acheté régulièrement par mon père m’était prêté tous les soirs. Pas de revues ni d’illustrés, il n’y avait que « Match » que me prêtait M. Chammah Michel, notre voisin de palier. A la majson, il n’y avait pas de bibliothèque et pour cause, ma grand-mère était illettrée. Pourtant, tous les vendredis soirs je la voyais tenir le livre reliée en cuir, doux au toucher . Elle déchiffrait le texte de la traduction en arabe de la prière hébraïque. Elle jouait avec fidélité et inlassablement cette scène devant la fenêtre que nous avions percée, sans demander l’accord du propriétaire, dans le mur de la salle à manger.

         L’implantation sous cette fenêtre d’une salle de patinage en plein air, et plus tard un cinéma d’été « Strand » allaient introduire dans ma vie des possibilités de loisirs répétitifs et peu onéreux : Fred Astaire, Fernand Gravey, La Grande Valse, Ginger Rogers, etc…

         La salle à manger était la salle de séjour où se succédaient les activités de communication et d’échange de la vie familiale. Dans le coin droit, il y avait le piano noir oùje tentais souvent de déchiffrer des airs appris à l’école des Frères de Bab el Louk, «  FrèreJaques » ou « Près de la Fontaine ». Je n’avaos pas droit aux leçons de piano étant victime du sexisme féminin, seulement ma sœur y avait droit.

         Mes oreilles étaient condamnées à subir l’horreur des gammes de Czerny.  Heureusement, plus tard, les valses de Chopin m’ont  réconcilié  avec l’instrument. D’ailleurs jusqu’aujourd’hui, quand je sens la visite d’un moment heureux je fredonne la valse de Chopin n°3. La table de la salle à manger était aussi l        a table de ping-pong, grâce au filet installé entre deux repas. Sur cette table les jeudi et dimanche matin je me revois entre les mains du Rabbin à barbe poivre et sel m’initiant aux rudiments de la prière. Lire sans comprendre, puisque sans traduction était la règle. Mon père qui avait quitté l’école à quatorze ans me disait : « Ne t’inquiète pas, tu comprendras plus tard ». D’ailleurs il n’a pas hésité à me faire donner au Lycée Français du Caire des leçons d’hébreu par M. Alfillé. J’ai ainsi eu le droit à la grammaire et la compréhension des prières à la veille des fêtes, en catimini, car le lycée étantr laïque, il n’y avait en principe pas de cours religieux. Mes camarades de classe étaient musulmans et catholiques et la tolérance était de règle et le cosmopolitisme d’usage courant, (grec, italien, anglais, français, syrien, arménien, etc.)

         Cette table a servi avec ses multiples rallonges de lieu de réunion des membres de la famille qui accouraient à l’occasion des fêtes et avant, pendant et après le Chabbat .

         Un jour, il y avait des membres de quatre générations qui étaient heureux de ressentir la chaleur de la rencontre. Ma grand-mère sortait avec fierté son plateau en argent massif sur lequel elle servait ses confitures inoubliables de courge, de noix de coco, de dattes farcies d’amandes. Le  sirop d’oranges servi «était confectionné à la maison sans parler des autres douceurs orientales qui elles aussi étaient préparées en famille et cuites au four de la boulangerie Simmonds siruée sur le trottoir d’en face. Cette table recevait aussi les dix indigents barbus qui avaient été invités par mon père aux anniversaires annuels des personnes décédées telle que ma mère et mon grand-père.

         Une fois la prière terminée, le Kaddich était récité en présence des membres de la famille, puis le repas était servi à ces hommes de bonne volonté qui partaient avec une générosité individuelle de la part de mon père. Après cela toute la famille participait à un repas, où les spécialités culinaires nema nquaient pas, le coucous compris.

         A droite, près du piano, il y avait le canapé avec son velours rouge où prenaient place ma grand-mère Esther et les parents qui la visitait. J’écoutais les innombrables histoires de mariage, naissance, divorce, fête, mésentente, problèmes matériels et psychologiques, etc…

         Set Esther était consultée par tout le monde, m^me par un oncle Maître Abramino Yadid qui était juge à la Cour d’Appel Rabbinique. Elle avait la sagesse et le bons sens alliés à un sens de la vérité et de la justice.

         La porte fenêtre de la salle à manger donnait sur un balcon en fer forgé qui nous permettait de surveiller la rue, son tramway, les défilés, les manifestations d’étudiants, le défilé des allées et venues du Roi Farouk avec le sable rouge au sol, entre le parlement et le Palais d’Abdine qui était à proximité de notre quartier de Dawawine. A l’extrémité opposée de notre appartement, un grand balcon donnait sur une cour intérieure, c’était là où on tendait les cordes pour suspendre le linge en particulier les dessous énormes de l’époque 1900 de ma grand-mère. Ils trônaient et enquiquinaient le voisin de palier qui n’était autre que mon oncle. Il nous lorgnait de sa fenêtre et désapprouvait comme il le disait le panorama sexy.
         A une extrémité de ce salon il y avait une armoire en bois où toutes les friandises étaient stockées, en particulier les plateaux d’un mètre de diamètre de baklava et autres feuilletés  au fromage, fruits secs et miel.

         Le jour ou il n’y avait pas de linge nous y jouions aux billes ou aux patins à roulettes, le soleil était de la fête. Il y avait même un mur recouvert de plâtre dont j’ai grignoté des miettes en déclarant que le sucre était bon. On diagnostiquait mes carences en calcium.

         Le confort de la salle de bains laissait à désirer. Il y avait l’eau courante froide, sans source d’eau chaude, ni chauffage central. Pour prendre un bain on chauffait l’eau sur le réchaud « primus » avec piston manuel qui fonctionnait au kérosène. La marmite (safiha) était portée avec précaution dans la salle de bains. Evidemment l’accident était possible. L’une de mes cousines, Yolande Jabès, a eu les cuisses amochées par l’eau bouillante. Il y avait de l’ambiance dans cette salle de bains car on y allait à tour de rôle. Bien sûr, le jour où ma tante Fortunée se mettait du henné sur la tête il y avait un branlebas que je ne suis pas prêt d’oublier. De plus la scène d’épil  ation avec le mastic de sucre et de citron était drôle. D’ailleurs j’y goûtais avant la séance ; j’appréciais ce goût de caramel.

         La pièce qui m’était la plus chère était le salon, les fauteuils étaient recouverts de velours rouge et le châssis était doré. Le lustre avait des prismes de cristal et les rayons de soleil se décomposaient à leur contact, c’était une féerie multicolore. Quand il n’y avait pas de monde on recouvrait les chaises de housses blanches. Le sol était couvert d’une moquette de laine verte imprimée. J’aimais la solitude de cette pièce où je m’enfermais comme dans un royaume réservé. C’est là que j’ai réalisé mon premier portrait en aquarelle d’après un livre anglais que j’eux la chance d’emprunter à la bibliothèque américaine. C’est là aussi que j’ai commencé à coucher sur une feuille blanche mes premières impressions de solitaire, mes désirs de comprendre mon environnement  et les interrogations de ma vie future.   

           

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Envoyé par Mr. Joseph Jesua qui l'a reçu de Mme.Viviane Farhi-Sicouri" :

 

~ MY LIFE STORY ~
Denise Hodara

December, 1999

To celebrate the end of the 20th Century in America, to be living in Rockville Centre, NY and to be a member of the Sandel Senior Center was probably a fairy tale dream in my youth. My stories and memories are totally different from all others members of the Center. To tell you about my life story I will have to start at the very beginning.

         I was born on April 21, 1929 in Alexandria, Egypt – a beautiful small city along the Mediterranean Sea. Life was modern for some; yet, life was backward for the natives of the country. My family history is interesting to mention and can be described as having international background. My father’s origin is from Spain; they immigrated to Egypt in the early 18th Century. My mother’s origin is from Morocco when that country was under the French protectorate, thus they were French. The history that was always told about our family was that my great, great grandfather worked in the Palace of the Sultan and had the title of Prime Minister.  They also immigrated to Egypt around the 18th Century.  My father-in-law’s origin is from Portugal and his family immigrated to Turkey. As a young boy, in the beginning of the 19th Century, his family immigrated again to Egypt. My mother-in-law is also from Morocco and her family immigrated to Egypt at the same time as my mother.
         Our family was large with many children. They lived in Alexandria, in the European Sectors and quickly became prosperous. I remember my life being nice and easy when I was young. We lived in a big luxurious house, called a “Villa”, with servants and maids, a gardener and a security guard. Always I heard that daily expenses were cheap and people could afford to live comfortable lives. Many families were members of Clubs and some even dared abroad. I remember the nights of the Holy Days when my family – even my great grandparents – would gather for supper at my grandmother’s house. The preparation of traditional food, the way the tables were set and the happy gathering we had. The last family reunion was Passover night 1949 and there were 65 people present. Where is the family now? Dispersed all around the world. Members of the family immigrated to Australia, South Africa, Brazil, England, France, Switzerland, Italy and Israel. The only members of the family to come to United States of America were my husband, our two children – Ruth and Yehuda – and myself.
         Sometimes my memory goes back to the period when we had a small Grunding radio and all the family, as well as visiting aunts, uncles, and cousins would sit around the radio to hear the news on the BBC station about the happenings of World War II in Europe. Alexandria had many foreign armies during that period and our villa was not far from where the British Army was stationed. I remember during the War we had blackouts at night, often the sirens would sound and we would run down in built up shelters for the period that enemy planes were bombing the city. As children, we loved to hear the siren, to hear the planes and especially to meet with all the neighbors at the shelter in the middle of the night. Then came the frightening period in 1942 when the enemy – the German and Italian armies – had crossed the African desert and arrived in Alamein, the frontier of Alexandria.  War was at our doors and it had become obvious that we had to abandon our home and escape to Cairo. This was an unforgettable experience in itself; we had never gone to the railroad station and I had never seen a train. I remember the trains being very crowded and running very slowly. There was lots of uproar and panic of attack by Italian planes but no attack was ever made on the trains. This period remains vivid in my memory.

         Finally World War II ended and prosperity had returned. Modern technology appeared in Egypt and my parents bought the first refrigerator. Imagine, no more buying ice for the ice chest!  Then we had the “Butagaz” and hot water was running in the fountains for showers. What a relief! We had our own phone at home; you would just lift up the earphone, the operator would say, “pronto” and you would give the phone number and the connection would be made. Then came our first Austin car but this luxury car was just for Dad to go to work – a fifteen-minute drive. We children had to commute to school by double-decker Tramway trolleys.  As children we never went to movies or shows; only when I reached my teenage years did I begin to go to the theater, operas and ballets accompanied by my parents. If I remember correctly the price for movie tickets was equivalent to 5 cents for a three-hour show!  Food and labor were cheap and life was nice and easy going. Beaches in the summer time were a beautiful site to see, so full of life with many visiting tourists and a multitude of colorful umbrellas populating the vast sands. My teenage years were such wonderful times; being the eldest of five children I had a special place in the family.

         That all changed when the War of 1948 between Egypt and Israel was upon us, which brought hate and fear for our community. Many young people were put in concentration camps, among them my cousins, friends and my future husband. After two years of pain and suffering many were set free from the camps. It was then that we got married but it soon became apparent that my husband and I had to leave the country, as we were not safe to remain living there. We had to leave Alexandria, the family, our friends, our comfortable life and immigrate to Israel – the only country that would accept us during that period of war.

         For the first time in our lives we were separated from the family – traveling by ourselves, with no money and no documents.  We were allowed to carry very few belongings. We traveled by sea on a small ship called “Pace”, where we headed to Marseille, France. We stayed in a camp with tents for a short period until we were put on an exodus ship to Israel.  Imagine, I was twenty-one years old, already pregnant, and with no money in our pockets. We were away from our family and had to start our newly married life in a most difficult situation. Israel was at war and immigrants were arriving by loaded ships on a daily basis. The country did not have the capacity to accommodate all of the new comers and thus we were put in camps living under tents; the young men had to go immediately to fight in the war.  This was a traumatizing period of my life and I remember the difficulties we had to face. Our best solution was the alternative, to join the community life of the kibbutz, where we’d be with other young couples, protected and fed for the hard labor we had to perform on a daily basis. From a spoiled child I had to learn to work. My first job was in the kitchen to cook for 125 to 150 people. The next assignment was cleaning bathrooms, on to planting in the fields, feeding the chickens, mending and sewing clothes and on and on. From time to time, it would be my job to be the “security guard” at night, having to carry a Stan (a type of rifle) on my shoulder to protect the Kibbutz. We did this in groups of four. I know you expect me to mention shows and theater, movies and dances and music of that period. Well, nothing of that was in our daily life and in the five-year period in the kibbutz we worked very hard. We were with a young group of South Africans. They had voluntarily emigrated from Cape Town and Johannesburg. We had joined together to fight for survival. My husband went to fight in the 1956 War against Egypt and other enemy countries. This period is a whole chapter in itself and for a long time I had nightmares. Two children were born in the kibbutz, which gave us much joy and happiness, yet neither of our families were around us to celebrate the joyous occasions and no way to get in touch with them, as we were in enemy countries.
         After five years of kibbutz life, we moved to town and my husband managed to find a job in a bank. For the first time we were earning money. How nice it was to be independent, to be free to manage and plan our own life.  It was an exciting time of hopes and dreams. Two years later we bought our first house. A very small one but it was ours.  My husband wrote to his brother in Switzerland saying, “We moved to our palace and I feel like King Farouk in his Montaza Palace!”  Yes, this was the way we felt.

         Once settled, I began to work a part-time job, teaching English to high school students. The year 1962 was a year of big decisions. My family had left Egypt and immigrated to Sao Paulo, Brazil. As soon as they settled down they asked us to join them. It was over 12 years that we had been separated. Discussions were difficult, as my parents-in-law preferred that we remain in Israel near them. Israel was still at war, life was not easy and the future was uncertain. My husband was still under the duty to serve the army whenever called upon and this was very often – as war and danger were still a continuous reality.  Finally, I had decided I wanted to be near my family. We sold our palace. Once more we were to move to another country. For the first time, the children boarded a ship, called the ”Moledette”. The excitement was big and occasionally the changing environment around them had frightened them. Upon arriving in Naples, Italy, we were greeted by my brother-in-law David who took us to Geneva, Switzerland. I remember my son’s fear to enter the hotel elevator. There were many questions and surprises that followed.  We had to travel by plane and for all of us our first experience. What a fright! We held hands and prayed until we landed. I remember David being amused to see us so impressed to be in a plane.
         In Geneva, it was the first time we were introduced with the television and the advanced life of Europe. After a month of touring Europe, we had to leave for Brazil on a cargo ship that made several stops along the Mediterranean Sea. We then headed toward the Atlantic Ocean. When we crossed the Equator there was a small ceremony. Finally we arrived in Santos Port of  Brazil. The Port was crowded with people and as you can imagine I had difficulty finding and recognizing my family, whom I hadn’t seen for 12 years. We all had grown and changed so much. What a big crowd had come to receive us. It was a very happy day that will remain in my memory.
         Life in Brazil had its complications – different language, different customs and different mentality. The city of Sao Paulo was too big for people that had emigrated from a tiny country like Israel. The children were nervous and afraid and had to learn to adapt themselves to a new system and style of life. Inflation in the country was terrible and for immigrants with little funds it was distressing. My husband had difficulties adapting himself to the mentality and customs of the family and the country. We left Sao Paulo after three months and moved to Rio de Janeiro with plans to return back to Israel. But we fell in love with Rio de Janeiro once there. We settled our life and easily found jobs. I started by working in a famous jewelry boutique and then became a kindergarten teacher in an Israeli Religious School, and the children loved their life in Copacabana near the seashore. After seven years established in Brazil, my husband had an offer of a job in New York. There was no hesitation in our decision to move forward for a better future.
         In September 1968 we landed in Kennedy Airport, New York. What a lovely day! Finally a dream we had since our youth had become a reality. We were the first immigrants born in Egypt to enter US without a quota. People emigrating from African countries were on the waiting list for more than 20 years. We had President Johnson to thank; he abolished the quota waiting list. Five years later we were sworn in as U.S. citizens.
         We arrived with very few belongings – each of us carrying a bag and a huge trunk with books and movies.  We had in our possession US$300 and a job. A friend received us for the first week.  We immediately started working.  My husband worked in Wall Street and I was a kindergarten teacher in a Yeshiva in Queens. My first earning was $50/week. We rented a huge apartment for $273 per month and after a few months we were on our way to settling comfortably in our new life. The children were working too and going to school to learn English and continue their studies. For the first time in our life we felt truly free with a good secure future ahead of us. Morning and night we would say “God Bless America!” After ten months of teaching, I had a different ambition for my future. I left the job of teaching and moved toward office work. I was lucky enough to find a job in Banco do Brazil, thanks to the languages I possessed. I remember my first days in the office, I was afraid, I felt insecure and ignorant. I had to learn all the elementary steps and started from the real bottom at the age of forty. My first salary then was $108 per week.

         After a short time in New York we had advanced and our salaries in our job positions allowed us for some extra luxuries that we never had before. We finally bought our first bedroom set after being married for twenty years. We bought the biggest TV on the market and were comfortably settled. I remember our first experience in 1969 with the snowstorm that had shut all of New York for nearly a week.  As soon as the snow started accumulating, we went into the street to feel the snow and began playing with it.  We had never seen snow before. 

         Our children, Ruth and Yehuda eventually moved on, got married and had children of their own. Today I am so happy and blessed to be a grandmother of four and fortunate to be close to my daughter and her family – her husband Andrew, and my grandchildren Robert and Lisa.   
         I retired in 1994 after working 25 years in the Brazilian Bank and from a small, frightened clerk, I had reached an executive position with good benefits.  As a senior citizen, I joined the Sandel Center where I am proud to be a member. 

         Let the 21st Century bring us continued peace, joy and good health to enjoy life to the fullest!                                                                                                                                            

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Voici un article de Madame Nadia KHOURI-DAGHER que je publie ici avec son aimable autorisation.                                                                                                                                                                                                        

 

Alexandrie, à l’époque où le mot étranger n’existait pas

               

Nadia Khouri-Dagher -  www.nadia-khouri-dagher.com

 

Alexandrie, à l’époque où le mot étranger n’existait pas par Nadia Khouri-Dagher Alexandrie 1860-1960. Un modèle éphémère de convivialité : communautés et          identités cosmopolites (Autrement, série Mémoires, 1992.)               

                Nadia Khouri-Dagher -  www.nadia-khouri-dagher.com 

 

Mazarita, Chatby, Campo Cesare, Ibrahimieh, Cléopatra, Sporting Club, Sidi Gaber, Mustapha Basha, Carlton, Buckeley, Rouchdy, Glymenopoulos, Zizinia, Fleming, Bacos, Seffer, Schutz, Gianaclis,… Par cette seule énumération des stations du tramway d’Alexandrie, Ilios Yannakakis, qui a dirigé avec Robert Ilbert cet ouvrage sur "Alexandrie 1860-1960", a su résumer ce qui fut l’essence d’une Alexandrie à cheval entre deux siècles, à cheval entre mille mondes : son cosmopolitisme, son ouverture, son brassage de cultures et de langues. Européenne et orientale, occidentale et méditerranéenne, industrielle et antique, mondaine et populaire, religieuse et libertine, communautaire et individualiste, raffinée et vénale, affairiste et cultivée, élitiste et égalitaire, moderne et traditionaliste, ordonnée et libérale, plurielle mais unique : paradoxale et contrastée, terriblement vivante et attachante, telle fut la ville qui suscite encore aujourd’hui, parmi ceux qui y ont vécu, et parfois même parmi ceux qui ne peuvent en avoir aucun souvenir, ce sentiment à la fois doux et douloureux qui s’appelle nostalgie... Comme Vienne, Tanger , Prague, ou Beyrouth, villes jumelles par leur situation géographique de carrefour et par la place qu’elles surent faire aux "étrangers", Alexandrie fut un véritable vivier artistique et intellectuel. E.M. Forster, Constantin Cavafy, Sayyed Darwich, Giuseppe Ungaretti, Beyram Ettounsi, Lawrence Durrell, mais aussi, plus près de nous, Edouard el Kharrât, Stratis Tsirkas, ou Youssef Chahine : Alexandrie est célèbre par les artistes, les écrivains et les intellectuels, venus d’horizons très divers, qu’elle a nourris de sa sève, et de son vent. Mais qui connaît Averoff, Menasce, Sursock, Karam, Aghion, Salvago, Cicurel, Bennachi, Antoniadis, Hannaux, Sachs ? C’est pourtant grâce à ces notables alexandrins, tous d’origine "étrangère" (mais ce mot n’existait pas alors, nous rappelle Yannikakis...), qu’Alexandrie fut prospère et active, qu’Alexandrie "craquait sous le bonheur de vivre". Car, en l’absence de toute structure étatique, ces entrepreneurs de talent furent les véritables gestionnaires, planificateurs, et protecteurs, d’une communauté urbaine qui ne comptait que 13.000 habitants en 1821, et qui allait atteindre près de 800.000 à la veille de la Seconde Guerre mondiale, et devenir l’un des premiers centres économiques, commerciaux, et culturels, de la région. Tout le miracle alexandrin tient à cette organisation unique de la communauté urbaine que décrit, dans un chapitre abondamment documenté, Robert Ilbert, et que détaillent plusieurs contributions : la coexistence "conviviale", pour reprendre l’un des mots-clé de l’ouvrage, de communautés bien différenciées : les Grecs d’abord, les plus nombreux avant les Italiens, les Arméniens, les Juifs (égyptiens et européens, mais le chapitre qui leur est consacré, par Jacques Hassoun, ne dit pas s’il s’agissait d’une ou de deux communautés), et aussi les Syro-libanais (fâcheusement omis par l’ouvrage, malgré leur rôle économique et intellectuel fondamental dans la société alexandrine et, partant, égyptienne), les Français, les Anglais, les Russes, etc. Ces communautés fonctionnaient sur le mode d’un évergétisme à l’antique, les notables finançant, avec l’aide des institutions religieuses propres à chaque groupe, la construction des institutions éducatives, professionnelles, hospitalières, de secours, mais aussi culturelles et sportives, nécessaires à la promotion sociale et à l’encadrement (à l’"insertion", dirait-on aujourd’hui) des nouveaux immigrés qui débarquaient en nombre au port d’Alexandrie. Car l’activité économique et culturelle d’Alexandrie n’attirait pas seulement des entrepreneurs avisés, des commerçants doués, ou des intellectuels éclairés : la ville était aussi devenue un véritable "Far West" en plein "Middle East", refuge et espoir des opprimés, des misérables d’Europe et de Méditerranée : Grecs chrétiens fuyant les persécutions ottomanes, Juifs fuyant les pogroms de Russie, paysans italiens fuyant les troubles du Risorgimento… Et ce sont ces notables, représentant toutes les communautés d’Alexandrie — y compris les Egyptiens musulmans — qui, en créant la municipalité d’Alexandrie, en 1885, offrirent à la communauté la première structure de gestion publique de la cité. Alexandrie nous offre ainsi une véritable leçon d’économie politique : mélange étonnant de libéralisme économique et de lourdes subventions (aux hôpitaux, aux écoles, aux orphelinats, aux centres d’apprentissage, aux réfectoires pour pauvres...), cocktail de résussites individuelles et d’un encadrement social rigoureux (encadrement des jeunes dans des structures telles les cercles religieux, les scouts, prise en charge des plus démunis...), Alexandrie représente un modèle réussi de gestion tout à la fois de l’économique et du social. A l’heure où libéralisme et interventionnisme, encouragement de l’initiative individuelle et protection sociale, sont perçus comme deux réalités inconciliables, Alexandrie nous montre l’interdépendance et le caractère synergique de l’économique et du social, de la liberté et du contrôle, de l’intérêt individuel et du "bien commun". Alexandrie représente aussi un modèle réussi de gestion par ce que l’on appellerait aujourd’hui "la société civile" des affaires publiques, et ceci explique sans doute cela. Mais Alexandrie nous offre une autre leçon, sans doute plus importante, clé de la précédente. Et c’est le cinéaste Youssef Chahine qui, avec sa sensibilité d’artiste, exprime le plus simplement, mais le plus puissamment, le message qui court tout au long de l’ouvrage : « A Alexandrie je crois qu’on était plus doux, plus compréhensif, loin de ce drôle de racisme, de ce nationalisme absolument primitif... Un esprit de... je ne veux pas dire coopération, le mot est trop petit. Un amour... ». Car cette coexistence chaleureuse (qui « ne signifie pas qu’on ne se disait pas de temps à autre "sale chrétien", "sale juif", ou "sale musulman" », rappelle Chahine), cette formidable synergie de toutes les dynamiques, vont s’effondrer avec la montée des nationalismes importés d’Europe, entre les deux guerres, puis, définitivement, avec la Deuxième Guerre mondiale. C’est là, pendant et à cause de la guerre, que se situe le point de rupture final de la "convivialité" alexandrine, et non pas à l’Indépendance, qui ne fera finalement qu’accéler les divers processus de prise de conscience nationalistes en cours. Les Grecs sont appelés par leur armée nationale, les Italiens, devenus ennemis, sont internés dans des camps, les Juifs autochtones se voient refuser la nationalité égyptienne. "La méfiance", "le soupçon", se souvient Paul Balta, s’installent entre des communautés qui doivent désormais s’ignorer, voire se haïr : "Fallait-il obéir aux adultes qui nous interdisaient soudainement de nous parler, de nous voir ?" A l’issue du conflit, les Alexandrins, "qui avaient le monde pour culture et les hommes pour patrie", "sont contraints au choix, à la définition nationale". "Une angoisse sourde, informulée encore... Qui sommes-nous, nous les étrangers ? Voici un nouveau mot qui se substitue à celui d’Européens, utilisé jusqu’alors", se souvient Yannakakis. Et chacun s’en retourne d’où il n’est peut-être jamais venu, puisque souvent né dans la ville. "Je ne savais pas si je partais pour rejoindre mon pays ou si je quittais mon pays...", pleurait Georges Pieridis sur le bateau qui l’emmenait. "La force du souvenir, sa présence abime le coeur", nous souffle ici Edouard El Kharrât, au coeur d’un texte magnifique. "Alexandrie, c’est fini", dit plus abruptement le héros d’un film de Chahine... Mémoires, nostalgies douloureuses mais inutiles d’une époque révolue, ou bien raison de croire encore ? L’Histoire est capricieuse… "Dieu sait, et vous, vous ne savez pas", avaient coutume de dire les musulmans d’Alexandrie...

 

 

Décembre 2009

Reçu le 8 novembre 2009 de Monsieur Marcel FAKHOURY :

UN ALEXANDRIN A L’HONNEUR

Encore un magnifique exemple d’intégration réussie de nos compatriotes originaires d’Egypte là où ils ont choisi de résider.

Albert Pardo

 

 

 

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Reçu le 19 septembre de Madame Livnat BITTY :     

REMINISCENCE

         J‘ai  mis beaucoup de temps… des dizaines d’années   avant de pouvoir organiser mes souvenirs. Le levier a été ce qu’il y a eu autour de ma 1ere année en France, arrivant d’Egypte pour un PCB probatoire aux études de médecine ,et quelques jours après me trouvant sous le choc d’une guerre qui fera briser toutes  mes évidences admises jusque-la.

       L ‘intervention militaire de la France et de l”Angleterre contre l’Egypte, lésees par la nationalisation du canal de Suez  pourrait, à la limite,  se comprendre  mais la participation d’Israël bouleversait toute la situation. Désormais, les Juifs vivant en Egypte, les Français et les Anglais n’étaient plus des paisibles citoyens mais des gens méprisables,indésirables, assimilés à l’ennemi. expulsés ou poussés à quitter le pays.

         La 1ere lettre de mes parents m’ait parvenue par le Croix Rouge 2 mois plus tard, ensuite nous avons pu nous écrire. Cependant sachant dans quel chaos ils se trouvaient,  je me morfondais d’inquiétude.

Vivre seule pour la 1ere fois de ma vie réclamait un certain effort qui tantôt me paralysait, tantôt m’accaparait. L’arrivée de flots de ‘’réfugiés–rapatriés’’, familles parentes ou voisines hébergées dans des hôtels et auxquelles je rendais visite, étaient une source de renseignements mais aussi d’angoisse existentielle pour peu que je les écoutais avec empathie. Nous avions à faire le deuil de l’’Egypte que nous avions connue et aimée, à maudire  Nasser. C’était la perte du pays natal et tout ce qui va avec comme paysages, images ,et mots…A l’évidence, le monde avait changé avec les conséquences de  l’expédition de Suez : pour moi comme pour des dizaines de milliers d’autres juifs d’Egypte et bon nombre d’étrangers qui ont précédé ou suivi leur départ. Certains appellent cela « la 2eme sortie d’Egypte ».’ .C’était un coup du sort ,voire un traumatisme qu’il allait falloir surmonter pour vivre et oublier. Ma psyché a changé comme ma vie…Peut-être un sentiment d’incomplétude…une nostalgie…une  affectivité plus réactive ou au contraire gelée …mes souvenirs sont-ils  intacts ou remaniés ?...  ,je ne sais… longtemps j’ai élude ces questions .

         Dans les 1eres années de leur nouvelle vie je sentais  mes parents souffrir sans se plaindre de leur vie quotidienne si différente : pas de soleil le matin au réveil, la pluie, le froid, la neige, l’orage en été, pas de bonne pour faire le ménage et servir pas de dimanche au club, un budget à étudier dans le détail et, surtout, l’absence des proches, partis pour le Brésil ou le Canada. De l’hôtel au quartier latin puis en location à Boulogne,  ils ont emménagé  à Garges  comme  propriétaires d’un appartement grâce à des prêts facilitateurs et ils y sont demeurés jusqu’à la fin de leur vie. Une petite communauté juive s’y est structurée comme a Sarcelles et Villiers-le-Bel. Au début on louait une salle tenant lieu de synagogue pour les grandes fêtes, on allait rue de Trévise  pour la fila  et les amandes , les feuilles de vigne , rue Cadet pour la viande, les épices,et le cacher...Peu a peu le rythme travail-vacances s’est mis en place et nous sommes partis un été non pas vers le sud mais à la pointe de la Bretagne, dans un village au joli nom de Saint-Quay-Portrieux.

         De même qu’a la maison au Caire,  nous parlions français mais sans addition de mots arabes. Il me semble que seulement 2 mots égyptiens nous sont restes ,et que mes enfants d’ailleurs connaissent : ce sont : ‘’yalla!’’ ! (allons !)  et ’’maalesh’’! (ça ne fait rien !) ein  davar .Or, en vérité, ‘’ça’’ faisait beaucoup!!! Il y avait eu un davar: ç’est l’immigration : d’abord les arrières grands-parents et grands-parents descendus en Egypte de Salonique, Skopje, Alep, Palestina, puis les grands-parents Beressi et Bitty .forcés à immigrer en France et que la Providence a fait voisins  à  ‘’la Résidence de la Dame Blanche’’ à  Garges-les -Gonesse..Des liens ont commencé à se nouer  : l’oncle Gaston en visite  demande  a retrouver un ami d’’Alexandrie  monsieur Jacques Bitty et part a sa recherche avec Papa . Ils n’ont pas été bien loin  ,du 12 au 4 de la meme rue.C’est ainsi qu ‘a la fin de mes annees de faculte j’ai connu Mr et Mme Bitty . un certain samedi après-midi celle-ci  est venue nous présenter son fils revenu d’Algerie  pour jouer au bridge.

Le bridge tient lieu de carte de visite disait mon père : la suite lui a donné raison! Et l’immigration est devenue l’Alya !.

 

 

Octobre 2009

 

Reçu le 2 septembre 2009 de Madame Livnat BITTY  cet émouvant souvenir :

 

 

MOI JUIVE D”EGYPTE ,ETUDIANTE A PARIS,

ARRIVEE LE 26 OCTOBRE 1956..

 

         C’était un vendredi matin. je me rends a l’Hôtel du Nil à la Chaussée d'Antin, choisi par le cousin Armand Nessi, parce que près de son bureau. Le soir, il m'emmènera dîner chez lui et dans le métro il m'initie aux trajets avec correspondance.

Lundi soir, la France, l’Angleterre et Israël attaquent ensemble l”Egypte. Très vite, je réalise qu' en  tant qu’individu, ma vie ne pourra plus être partagée avec simplicite ni avec les Francais, ni avec les Israeliens, ni avec les juifs d'Egypte .Je ne serai plus jamais comme avant.

Nous sommes un petit groupe d'etudiants en medecine,Maurice et Roland Rokache, Nino Gani et moi. Nous  nous sentons en porte-a faux ,victimes de la politique et d 'un avatar de l” Histoire. Allons-nous etre arretes  en tant que porteurs d'un passeport egyptien ? Pourrai-je retourner chez moi?que se passe-t-il au juste pour nos familles?Papa de nouveau interne a Hakstep?vais-je recevoir l'allocation mensuelle prevue pour cette 1ere annee d'etudes? jours  d'angoisse accroches aux grands titres  et articles des journaux.

Les 1ers expulses arrivent et racontent..la communaute juive d'Egypte est demantelee suivant la nationalite inscrite sur le passeport des uns et des autres et qui,comble de l'ironie n'a pas toujours de rapport avec la langue qu'ils parlent a la maison.

Les''agresseurs ''sont sommes de quitter le pays dans les 8 jours ,les autres sont pousses a s'exiler par toutes sortes de mesures privatives par rapport aux egyptiens..musulmans auquels desormais vont appartenir toutes les forces vives du pays.

Mon oncle arrive avec le flot quotidien des arrivants d'Egypte a la gare des Invalides.Lui ,sa femme et ses enfants  sont transferes dans un centre d'accueil qui consiste en dortoirs.  d'autres familles a ..Vichy  ! les ''rapatries''devront apprendre a se moduler une nouvelle identite tout en surmontant le traumatisme de leur depart hatif et definitif.beaucoup sont loges ensuite dans des hotels proches des grands boulevards ,et beneficient d'une allocation mensuelle du Cojasor. La chasse a l'emploi commence..ou l'attente d'un visa pour le Canada , comme nos amis Guetta .J”apprends avec soulagement que mon pere n'a pas ete arrete, et ce n'est qu'en decembre que je recois une 1ere lettre,par la Croix Rouge.

Le probleme de mes ressources via ''la mission culturelle egyptienne''est resolu .Tous les mois je me rends avenue d' Yena prendre un cheque equivalent a 60 livres egyptiennes       [somme fixee par mon pere avant mon depart ] .

Neanmoins sur le plan psychologique j “etais loin d”etre a l'aise . Le foyer de jeunes filles ou j'esperais etre hebergee m'a refusee ''en raison des evenements''.Une amie Gaby Dayan m “a heberge dans son minuscule 2 pieces ou elle vivait avec sa gentille maman et son jeune frere.La cohabitation posait parfois des difficultes en raison du peu d'espace. 3 mois plus tard j'ai eu la chance d 'etre logee confortablement dans le petit hotel particulier d'un couple de retraites : 197  quai de Jemmapes ,dans le 10eme arrondissement. Le service des etudiants etrangers constatant que je parlais francais comme une francaise m'a dirigee vers le service des etudiants francais qui m'a donne cette adresse et ces braves gens ont accepte de me louer une belle chambre pour un prix derisoire.Par la suite j'ai souvent eu des experiences semblables qui m'ont chauffee   le coeur  et j'ai fait definitivement  confiance et aime les Francais .

Je me posais beaucoup de questions sur mon avenir : qe se passera-t-il quand mes parents arriveront? La suite de mes etudes? Le pays ou nous vivrons ? Je refusais categoriquement de partir aux Etats-Unis ou au Bresil ,immigration envisagee par mes parents pour se joindre a leurs freres et soeurs. Israel n'etait pas une option vu l'age de mes parents.Mon sentiment de precarite me faisait douter de la reussite aux examens de ce P.C.B. J “etais mal a l'aise quand on me demandait ''d' où tu viens?” .Juive de religion ,egyptienne de naissance,francaise de coeur et de langue, une triple identite ou une identite en 3 pans bien clives ?

Ma vie sur le plan du judaisme etait inconsistante , et le blocage a dure jusqu'a Pessah. J'ai passe la soiree du Seder chez mon amie Viva Cazes dont le pere etait franc-macon et chez eux on ne chantait pas ''le cavretico''  du folklore judeo-espagnol a la fin de la Hagada.

Des sentiments depressifs douloureux m'empoignaient quand je songeais a ma maison a Meadi, a la vie du Club si agreable, aux rues du Caire que j'arpentais avec une amie jusqu'au ''Bambou” pour son fameux jus de mangue,au cine-club du Metro ,et meme a la grande gare du Caire revenant d'Alexandrie, dans l”euphorie des dernieres vacances avant le grand depart ,   prenant  ensuite un taxi ,seule comme une grande.

Je pensais a mes parents fragilises par les nouveaux rapports sociaux dans le pays,Ils avaient vendu leurs biens pour rien,[ma bibliotheque a une camarade de classe musulmane venue a  l”affut alors qu'elle etait loin d'etre une voisine!] et s'etaient installes a la ''pensiona di Roma'' en attendant leur visa pour la France . Plus jamais les plages d'Alexandrie,les amis de la-bas ,les visages connus et reconnus tout etait perdu et mon billet d' avion de retour inutile.L 'amour-propre etait abrase, j'etais handicapee par ma situation boiteuse, mouvante,et par le regard des autres plus surpris qu'hostile.Les evenements de Hongrie derivaient l'attention plutot vers l''Europe et les mefaits des communistes  davantage que le souci du destin des Juifs d''Egypte.

Le  poids de ces realites  etait surtout psychique et me rendait plutot solitaire et introvertie.J “etais incapable de frequenter la fac de maniere reguliere ,d'etudier de maniere disciplinee, et pourtant j'ai reussi mon annee du PCB ,aidee in fine par l'amitie d”Helene Zarmati comme moi ecartelee entre passe,present et futur , en recherche de stabilite pour se construire dans cet ordre nouveau encore mal defini.

Quand mes parents m''ont rejointe , il a ete decide qu'ils s'etablissaient a Paris  pour les facilites que le pays offrait aux refugies ,pour l'interet de conserver le francais dans la vie quotidienne, pour mes etudes de medecine grace a une bourse  ,et pour la scolarite de mon frere a 2 doigts du bac.

J ‘ai alors renonce a ma nationalite egyptienne en deposant mon passeport a l'ambassade suisse chargee des relations entre l'Egypte et la France et me suis constituee ''refugiee d'origine egyptienne ''. Jusqu'a ma naturalisation je devais chaque annee me presenter a la Prefecture de Police pour renouveler ma carte de residente''temporaire!'' munie d'une attestation de ressources.C”etait la bourse de l''Entraide Universitaire “  renouvelable elle aussi chaque annee  a condition d'apporter la preuve de la reussite.Ce furent des annees difficiles , sans loisirs , qui se sont bien terminees , et par un diplome et par un mariage.J'ai eu la chance de rencontrer Joseph Bitty ex-Alexandrin ,sorti de l'Ecole polytechnique et nous nous sommes maries a la synagogue de Casseloup-Laubat  le 2 septembre 1962.

 

Reçu le 10 octobre 2009 de Monsieur Joe BELBEL :

LE DRAME A SIMHA TORAH.

Mon père nous emmenait en vacances à Masr-El-Attica pour deux raisons :

  1. Il n’était pas assez aisé pour se permettre Ras-El-Bar, Alexandrie ou Aboukir.
  2. A Masr-El-Attica, il y a le Nil et donc possibilité de pêche à la ligne.

Comme beaucoup de cairotes, il fuyait la capitale pendant les trois mois les plus chauds. Il louait un appartement couvrant la période de Juillet, Août et Septembre. Dans ce coin, il y a des résidents juifs permanents. Malgré la proximité du tramway, ce quartier est très calme, car il est retiré. Il est entouré de murs et on avait l’impression d’être dans un village fortifié, à l’instar de certains villages du midi, haut perchés. Le clou de cet endroit que mon père et de nombreux coreligionnaires chérissaient, c’est sa vieille synagogue qui est maintenant un musée. Cette antique lieu de prière que tous les Juifs d’Egypte (et même d’ailleurs) connaissent renferme des Séfer Torah uniques. Certains rouleaux de la Torah sont écrits sur des peaux de cerfs ou de daims et ces peaux datent du IXème siècle.  Malgré le départ des Juifs d’Egypte, les autorités de ce pays ont eu la sagesse d’allouer à cette vénérable synagogue le statut de musée. Ce musée est ouvert à tous et à toutes les confessions ».

De mon temps, la meilleure façon de faire honneur à une synagogue n’est pas de la convertir en musée. Au contraire, il faut la faire vivre, y aller prier, y fêter les moments rituels célèbres. Mon père et beaucoup d’hommes de Masr-El-Attica se rendaient dans ce lieu de culte. Je me rappelle de certains Tish’A Béav (qui tombent en Août) où il y avait foule d’hommes. Tous assis par terre, le livre d’Eikha ouvert sur leurs genoux. Tous chantant tristement « Eihkaaa ya chéba badad ». Egrenant les malheurs qui se sont abattus sur nos ancêtres, il arrivait un  moment où tous couvraient leurs têtes de cendre et pleuraient à chaudes larmes. Comme s’ils assistaient là, sous leurs yeux,  à la destruction de leur patrie.

Généralement, nous retournions au Caire fin Septembre pour les grandes fêtes : Rosh Hachana, Yom Kippour, Souccoth et, bien sûr, Simha Torah (objet de la présente chronique). Cette année là, j’avais 8 ans, pratiquement toutes les fêtes sont tombées fin Septembre et on a prévu de les fêter sur notre lieu de vacances.

Les pratiquants savent sur le jour de Simha Torah (La Joie de la Torah), à la synagogue, tous les Séfers Torah sont de sortie. Il ne faut laisser aucun coffret à l’intérieur. Tous doivent voir le jour et participer à la fête. Les fidèles sont nombreux et tous veulent ‘acheter’ l’honneur de porter une Torah. Mon père étant prioritaire en tant que fonctionnaire du rabbinat du Caire (et garde du corps du regretté Grand Rabbin Nahum) avait donc droit à un Séfer. Il payait comme les autres sa dîme à la synagogue.

Ce jour là, non seulement on prie avec la Torah dans ses bras, mais, à un certain moment, on chante et on danse, comme si l’on avait sa fiancée dans ses bras. L’excitation était telle que les chants s’entendaient à des centaines de mètres, hors de la synagogue. Donc, tout le monde chante et danse. Moi, le gosse de 8 ans, déjà très au fait de l’hébreu, des prières et de la liturgie, je veux, je désire danser avec une Torah dans les bras. Je suis excité et je brûle d’envie de participer à cette farandole spéciale. Mon père m’aime beaucoup car il est heureux de voir un fils si jeune suivre les shabbaths et les fêtes scrupuleusement. D’une part, il veut me faire plaisir et, d’autre part, il n’arrive pas à trouver la solution à cette adéquation : « Le poids du Séfer Torah et la force physique de son fils de 8 ans ». Il hésite. J’insiste tellement qu’il se laisse fléchir.

Avec beaucoup de précaution, il me confie le précieux objet. Il garde sa main sous mon coude afin de s’assurer que je tiens correctement le coffret. Une fois rassuré, il me conseille d’être prudent et de ne pas gesticuler. J’acquiesce tellement je suis fier de porter un Séfer Torah. Je chante avec les autres. Je fais quelques pas, suivi de mon père. Mais l’excitation est trop forte. C’est comme des gens assis à la terrasse d’un café et qui entendent une samba endiablée. Ils bougent, ils tapent des pieds, etc. Je m’enhardis à lever une jambe, puis une autre. Non, vraiment, ce n’est pas possible de rester inerte au milieu de cette folie. Je danse de plus en plus vite et de plus en plus fort. Je tourne avec tous les assistants. Je suis aux anges. Je suis tellement dans les nuages qu’arrive ce qui doit arriver. Le poids du coffret est au-dessus de mes jeunes forces :

JE LACHE LE SEFER TORAH QUI TOMBE PAR TERRE.

Dans un fracas épouvantable ! La cérémonie s’arrête immédiatement. Des centaines d’yeux vont de moi au coffret précieux. Il est cassé. Il y a plusieurs morceaux mais, grâce à Dieu, le rouleau de la Torah n’a pas été touché. La peau n’a subi aucun dommage. Je ne sais pas où me mettre. Je suis là figé, tétanisé. Mon père, près de moi est catastrophé. Ses yeux montrent un homme épouvanté. Combien de temps s’est passé entre le moment où la catastrophe est arrivée et celui où des personnes se sont précipitées pour ramasser précautionneusement les morceaux du coffret et religieusement les rouleaux de la Torah.

Pour moi : un siècle ! Je pense que les fidèles ont eu un reflex rapide et c’est rapidement qu’ils ont ramassé ce qui était par terre. Cela a plombé l’ambiance. Plus personne ne désirait chanter et danser. Le rabbin a pris la parole. Il regrette ce qui est arrivé. Il ne condamne pas l’enfant mais, sous entendu, la personne responsable de cette initiative. Le rabbin n’a pas formellement accusé mon père. Il a simplement fait allusion. Tout le monde avait besoin de mon père au rabbinat : les dossiers à remplir, les dons, les subventions, certaines démarches.

Le rabbin a ajouté que toutes les personnes qui ont vu la Torah par terre devaient jeûner : un jeûne du type Esther, du lever au coucher du soleil. Le jour le plus adéquat étant le jeudi, jour où l’on ‘sort’ justement la Torah.

Plus tard, mon père s’est mis en rapport avec le rabbin afin de convenir de la suite à donner : faire réparer le coffret par un artisan reconnu, replacer le rouleau de la Torah, prévoir une bénédiction et une petite cérémonie pour le jour où la Torah réparée serait replacée entre les autres.

J’ai jeûné quatre jeudis de suite, ne trouvant pas la punition assez grande face à ce forfait.

Ceci s’est passé il y a 69 années et je m’en rappelle comme si c’était hier. La preuve !

 

Aout 2009

 

HOMMAGE A UN ETRE EXCEPTIONNEL

 

ADIEU VICTOR SANUA

MON AMI DE TOUJOURS

 

Victor SANUA vient de nous quitter…

         J’ai fait la connaissance de Victor SANUA il y a 72 années. Et plus exactement le 15 juillet 1937. J’étais scout à la MACCABI WORLD UNION de la rue Abdel Aziz et, la veille de ce jour,  ma Troupe et moi avions campé à Héliopolis, une belle petite ville fondée par le Baron Empain à une vingtaine de kilomètres du Caire, qu’il avait reliée à la capitale par un métro, le seul en Egypte jusqu’à dernièrement.

Au matin de cette journée mémorable, nous vîmes arriver un petit groupe de jeunes gens qui vinrent s’installer près de notre campement ; une quinzaine de filles et de garçons avec qui nous avons sympathisé rapidement. Nous apprîmes d’eux qu’ils s’étaient constitués en une association, le Jewish Camping Club, dont les fondateurs étaient : Victor SANUA, Isy CRESPIN  et Michel CHAMMAH. Par la suite, étant devenus amis, nous nous inscrivîmes à leur club. Ils avaient un petit local à la rue Kasr El Nil dans lequel on allait jouer au ping-pong, danser aux sons d’un phonographe, papoter et organiser les sorties du week-end aux alentours du Caire avec leur petite tente, plus pour justifier l’appellation de CAMPING CLUB que pour organiser des campements car leurs parents, à cette époque,   n’autorisaient pas leur progéniture à passer les nuits hors de la maison, surtout les jeunes filles.

         Au fur et à mesure de nos sorties dominicales vers Les Pyramides, Les Barrages, Le Fort Napoléon, Ezbett El Nakhl , Méadi, Hélouan, la Citadelle, Haouamdeya,   et tant d’autres endroits, notre amitié fraternelle se renforçait. Je me suis tant lié avec Victor, Isy et Michel que l’on nous surnommaient : Les Trois Mousquetaires qui, comme on le sait, étaient Quatre. Il nous arrivait aussi de sortir tous en barques au clair de lune, autour du pont de Kasr El Nil et nous chantions les chansons de l’époque : E VIVA EL MARE, LUNA ROSSA, etc. Parfois, nous organisions aussi des surprises-parties chez l’un ou l’autre : nous achetions des victuailles, du vin ou de la bière et nous dansions aux sons du phonographe. C’est chez Victor que j’ai connu ma future épouse, le 31 décembre 1942, au cours du Réveillon organisé chez lui.

Victor SANUA avait une personnalité charmante, attachante; il incarnait la joie de vivre ; toujours souriant, aimable, s’intéressant à chacun de nous  et, éclatant de rire, il nous mettait tous en joie. Lorsque on le voyait danser les claquettes comme Fred Astair, avec un radieux sourire sur son visage,  son bonheur de vivre  irradiait de tout son être. Il a gardé ce merveilleux sourire sa vie durant : je ne l’ai jamais vu autrement.

Alors qu’il continuait ses études à l’Université Américaine, ceux d’entre nous qui avaient dû interrompre les leurs pour travailler, s’inscrivaient aux cours du soir du Lycée Français du Caire ou bien aux cours de l’Ecole Universelle par Correspondance de Paris . Et, pour améliorer nos connaissances en Anglais, il nous  réunissaient chez lui une soirée par semaine. A des dizaines d’années de distance, je me souviens encore du titre du livre de lecture qui était King Solomon’s Mines.

Puis, les années passèrent : il partit aux Etats-Unis et notre groupe se dispersât à la suite de l’Affaire de Suez : Isy Crespin en Israël, Michel Chammah à Paris et moi, à Marseille. Mais nous étions en relations par correspondance et téléphoniquement.

Il appartient à plus qualifiés que moi de parler de ses importants travaux scientifiques et de ses nombreuses conférences internationales sur l’autisme et autres sujets. Moi, je voudrais témoigner de son inlassable activité pour la défense de la mémoire de la Communauté Juive en Egypte dont, entre autres, la création de International Association of Jews from Egypt, aux Etats-Unis, Canada etc. Voici la teneur de ma lettre du 08/05/2005 à la réception de son dernier livre :

 

A GUIDE TO EGYPTIAN JEWRY

IN THE MID-TWENTIETH CENTURY

The beginning of the demise of a vibrant Egyptian Jewish community .

 

Cher Ami,

Je constate avec émotion que tu as mis tout ton cœur et toute ton âme pour construire ce monument dédié au souvenir de l’Age d’Or des Juifs d’Egypte. Chaque page, chaque article, chaque photo fait apparaître ton profond désir d’éclairer ce témoignage de leur présence dans ce Pays et, surtout, pour que le souvenir de cette présence ne soit pas effacée par le temps qui passe.

Certains Egyptiens, pour une raison que je ne comprends pas, ont voulu occulter cette présence alors que ces Juifs ont tout fait pour le rayonnement, pour le progrès, pour la prospérité de l’Egypte. Et ce, que ce soit depuis le modeste artisan de Haret El Yahoud jusqu’à Joseph Cattaoui Pacha, Ministre des Finances de ce Pays, en passant par les innombrables savants, chercheurs, médecins, députés, sénateurs, juristes, avocats, ingénieurs, industriels, exportateurs, banquiers, commerçants, écrivains, poètes, journalistes, enseignants, artistes, etc.

Grâce à ton travail admirable depuis plus d’un demi-siècle,  le souvenir de cette présence bienfaisante ne risque plus jamais de s’effacer. En feuilletant ton livre, qui ne représente qu’une petite partie de ton œuvre remarquable, toute personne, Juif d’Egypte ou étranger à ce Pays, quel que soit sa nationalité ou sa confession  saura que, durant des siècles, des centaines de milliers de Juifs ont vécu heureux en Egypte en bonne intelligence et amitié avec les Egyptiens.

Avec mon amitié et mon affection.

          Albert Pardo.

 

Il est venu me voir à deux reprises à Marseille et, à chaque fois,  nous avons passé la nuit à évoquer nos merveilleux souvenirs de jeunesse  au Caire. J’ai eu la joie de l’avoir  au téléphone une  dernière fois , moins d’une semaine avant sa disparition.

Adieu, mon cher Victor, mon ami de toujours ! J’attends sereinement mon

tour pour vous rejoindre, toi,  Isy Crespin et Michel Chammah et pour que les Trois Mousquetaires reprennent leurs  discussions amicales interrompues ...

 

-o-o-o-o-o-o-o-

 

 

Juin 2009

 

Reçu le 22 mai de Madame Edna ANZARUT-TURNER :

THE  CHAIR

 

When I lived in Alexandria,  my understanding of  Arabic was rather lacking in quality and in quantity, as I only used it with the servants and the hawkers.

 

Our main language at home was English, and second language was French.  My grandfather and great grandfather (Anzarut) had attended school in Manchester (England)  Manchester Grammar School, and my mum and dad had attended the Lycee Francais in Alexandria

 

Looking back, I feel that literary Arabic should have been part of the school curriculum  right from the start....kindergarten level.

 

Unfortunately this was not the case, and I recall with a groan that the serious study of literary Arabic was  instigated at a most inconvenient time.......a time when I found it impossible to learn or understand this otherwise quite beautiful  and poetic language.  

 

For some mysterious reason that I have never been able to comprehend, I was very good at grammar, so had high marks for dictations.  I was also able to read quite fluently, but could not understand a single word....not one.

 

One day among others...we had to write a composition in Arabic on any subject we wished, so with my limited vocabulary which comprised a  dozen or so colloquial words, I wrote two and a half pages.

 

It went something like this

 

THE CHAIR

 

We  have many chairs (ehna andenna keteer karrassee)  and we all sit on a chair,, because the chair does not sit on us. The chair has four legs (arba'a raigle), we have two  (etnaine)

 

We do not have four legs like the chair (ehna mafeesh arba'a raigle  zay el korsee!). We only have two, (ehna andena bass etnain.....keffaya) and this helps us walk, but the chair cannot walk  (abbadan) because it has four legs (doll keteer awee ).

 

etc...etc...on and on for over two pages of script..all absolutely grammatically correct (at the time).... EVERY WORD IN ARABIC.....and with absolutely no spelling errors.

 

In those days we had an extra large, baboolah looking  Arabic teacher of more than ample proportions.

 

The morning after we had given in our assignment, our  Arabic teacher stood facing the class,  pointedly staring at me with Machiavellian eyes, an open copybook in her hand..

 

"What on earth is she up to" I wondered fearfully..."and why is she staring at me like this?"

 

I found out soon enough..my strenuous efforts at writing my first novel in Arabic had something to do with it....and I had this strong gut feeling of angst that my ten minutes of homework had not been appreciated.

 

"I am going to read to you something that one of you has written" she snarled with a twisted evil smile on her lips....and so Miss Farragh read my composition.

 

She had not even finished reading the first sentence when my classmates started laughing uncontrollably ....They were all used to my propensity towards writing outrageous comedy, as I had written a  few rather amusing plays that had been performed in front of the whole school.

 

My school chums were rolling over with laughter, tears streaming down their face, well before the Arabic teacher had finished reading.

 

Miss Faragh (we all called her Miss Farkha) put my copybook down, and nearly exploded with rage.  She had wanted the class to laugh at me, and not with me.  She lunged towards me with a rugby tackle ...I was a tiny thing, and she was enormous!!!   

 

It was obvious that Miss Faragh was hell-bent on turning me into a  mince-meat shish kebab !

 

Luckily for the survival of this grandmother of 6,  she found it very difficult to manoeuvre the narrow aisles between our school desks.

 

I was terrified of her!  Miss Farragh meant business!  I hopped on top of  the desks and jumped from desk to desk to escape certain mauling death.

 

My school chums were cheering me on,  aiding and abetting this fugitive, by pushing their desks closer together so Miss Faragh would not get through.

 

Finally, panting with exertion, totally out of breath and shaking with rage, she rolled over to the  classroom door,  flung it open, threw my copybook out in the corridor,  and in her guttural Arabic  accented English roared "FOLLOW IT".

 

With a hop, skip and jump (Cirque du Soleil eat your heart out!!) I made a successful  final somersault towards  freedom and safety, and have lived NEVER to regret it!

 

Fortunately... in spite of the big Zero that I received in Arabic composition, this did not significantly affect my school average, due to the  high marks that I attained in  every single other school subject.

 

The End. (Khallaaas)

 

Edna Anzarut-Turner

 

 

 

Avril 2009

 

Reçu de Madame Levana ZAMIR :

Les Émigrés de 1914-1919

Esther Vidal, née Mosséri

 

Esther Vidal, née Mosséri, l'auteur du livre l'Etreinte du Passé  ( voir N.B. à la fin de cet article) a aussi légué a ses enfants son carnet personnel de "Nostalgie et Mémoires" contenant ce chapitre sur les Émigrés venus d'Europe dans les années 1914-1919, et leur assimilation a la Communauté Juive de Helwan. La fille de l'auteur, Levana Zamir a bien voulu nous le confier.

 

Ils remplissent la petite ville de Helwan. Ils viennent de loin, de partout… de tous les pays… de toutes les nationalités… de toutes les religions. Il y en a qui sont venus de Malte, et ils sont Chrétiens, les Cassingena. Une grande famille: trois veuves vêtues de noir et cinq marmots… ils habitent l'Hôtel Panorama. De notre fenêtre je les vois: tous assis sur les marbres de l'escalier à longueur de journée, essuyant furtivement des larmes du revers de la manche, parlant une drôle de langue – un meli-mélo de français, d'arabe et d'italien.

 

Ils sont nourris par les religieuses de notre école ou les trois petites filles ont été admises. Et longtemps je suivis leur assimilation à la vie, leur nouvelle vie, leur vie à Helwan. Longtemps je fréquentais les petites filles, devenues grandes, vertueuses, rangées, acceptant leur lot sans gémir… acceptant le travail qui ennoblit les âmes… acceptant de se mêler a la société qui les a aidé a refaire leur avenir, un avenir qui sourit, oui sourit, malgré tout, à ceux que la volonté de vivre est toujours la plus forte.

 

Les Cassingena étaient les premiers émigrés que je côtoyais. Puis vinrent les Ephrayim: c'était une famille nombreuse venue d'Ukraine, quatre garçons potelés, roses, d'une forte carrure, la tête grosse et ronde et chauve… le visage ouvert, les yeux vifs et intelligents, courant l'un après l'autre comme de petites souris, ne parlant jamais. Seul le père connait quelques mots de français et peut s'expliquer avec Papa. "Mr. Ephrayim est surement comme nous Israelite" dis-je a maman. Car ce matin la il ouvrit la porte au laitier et je vis sur son front le tephilin et sur son bras droit aussi. On dit qu'il est riche, c'est pour cela qu'il a pris une maison spacieuse. On ne voit jamais sa femme, toujours occupée aux soins des bambins. Mais à kippour elle vint au Temple. Quand aux garçons, ils fréquentèrent l'école arabe, sous prétexte d'apprendre la langue du pays… Mais la vérité sortit de la bouche des enfants: "Ce sont des Chrétiens" dirent-ils, montrant du doigt l'école des Frères, "nous avons une Mezouza à notre porte, nous ne devons pas mettre nos pieds, là ou il y a la croix"… Cette remarque faite en arabe ne m'étonna point, mais me donna à réfléchir. Avec les années, le père, Mr. Ephrayim, s'avéra orfèvre, les fils grandirent et continuèrent le métier de leur père, mais jamais ils ne se mêlèrent à nous. Distants, polis, ils avaient leur propre vie et après presque dix ans ils quittèrent Helwan.

 

Presqu'en même temps qu'eux, arrivèrent les Gorban, les Blums. Des fugitifs ayant pu sauver leurs biens et purent aisément refaire leur situation. Ils s'occupèrent d'hôtellerie et leurs affaires prospérèrent. Ma petite soeur Marie, étant de l'age de Rose Gorban, fut son amie et son soutien a l'école… et fut son intime de longues années, tandis que Sophie Blum jalousait ces deux fillettes et perdait son savon à mettre la discorde entre elles. Les Gorban et les Blum étaient des Polonais de la même ville, ils parlaient le Idish, ils savaient profiter de chaque mot, de chaque geste. Ils n'eurent jamais besoin de l'aide de la communauté. Au contraire, ils aidèrent largement ceux qui étaient dans le besoin. Durant les prières du Shabat au Temple et durant les Fêtes, leurs donations dépassaient toute générosité. Mr. Gorban et sa femme estimaient beaucoup notre famille et le mari confiait souvent à mon père ses petits ennuis. Son fils unique, Elie, était l'ami et le copain de mon frère David et quand ils quittèrent Helwan vers l'année 1923, tous deux pleurèrent en se jetant dans les bras l'un de l'autre. Rose, qui considérait ma soeur Marie comme une soeur a elle, insista pour l'avoir auprès d'elle au Caire durant une longue semaine. Elles se parlaient au téléphone et leur amitié ne fut interrompue que par le départ de Rose pour l'Europe.

 

Mais Marie avait bien ou porter ses épanchements, car Marie Biberman attendait patiemment que son heure fût venue pour coller ses pas à ceux de ma sœurette. Je les revois encore toutes les deux, âgées à peine de cinq ans, chacune pour la première fois, se regardant longuement comme pour se scruter, comme pour lire ce qui était écrit sur leur front…

 

Je jouais à la marelle ce jour la après la classe, avec mes soeurettes dans l'immense cour dallée de l'Hôtel Valavanis depuis longtemps silencieux. Le beau marbre des parapets, les colonnes du plus beau style, les cinquante chambres donnant sur quatre grandes rues, les beaux salons, tout, tout était muet. Ce silence me pesait et m'étonnait à la fois. Quand je demandais à Papa pourquoi l'hôtel était-il ainsi délaissé, il me disait: à cause de la guerre… Je ne pouvais comprendre alors, que tous ces hôtels silencieux dorénavant, et alors grouillant de vie, avaient appartenus à des Autrichiens, des Grecs, des Allemands… Je jouais donc à la marelle quand le grand portail en fer forge s'ouvrit à deux battants, laissant pénétrer l'un après l'autre les membres d'une nombreuse famille portant chacun son fagot tant bien que mal. Ma pierre de jeu à la main je regardais ces nouveaux venus essoufflés, rompus, déposer leur bagage et s'asseoir dessus. Mon père qui avait ses magasins juste au sortir du portail, était venu nous chercher toutes les trois pour rentrer a la maison. Son regard tomba sur ces étrangers et leur misère le frappa dans toute son ampleur. Le chef de famille vint vers mon père et lui dit: Shalom. Bnei Amenou ? Mon père hocha la tête et après une longue causerie faite en français je le vis sortir et de suite revenir avec une pile de pains frais croustillants, de belles pièces de fromage blanc doux et une bouteille d'eau fraîche. Le Monsieur donna aux enfants à manger, et à nous aussi. Ainsi, dès la première heure nous furent frères et soeurs, une grande famille de ce grand Peuple dispersé sur le globe terrestre, mais unis dès le premier regard… Monsieur Biberman – car j'entendis mon papa l'appeler ainsi – senti qu'il était enfin arrivé à bon port, après les durs secouements d'un pays à l'autre. Car venant de France, après avoir fui la Russie, il était complètement dénudé de tout bien. Deux chambres du premier étage de l'hôtel leur furent données pour quelques mois… la communauté leur dispensa quelques meubles et trouva du travail pour le chef de famille. Nous apprîmes que le fils aîné âgé de 19 ans faisait la guerre en Palestine, enrôlé dans la Brigade juive. Sophie, âgée de 17 ans parlant Français, fut engagé dans une Banque. Les trois jeunes soeurs: Mary, Hélène et Olga, vinrent à l'école des Soeurs avec nous et nous devinrent inséparables. Leur petit frère David, ayant le même age et le même nom que mon frère, fut son copain durant de longues années. Seule la maman, une personne ronde grassouillette, avec un lourd chignon de cheveux blonds toujours prêt à se défaire, ne plaçait jamais un mot… Elle souriait en nous voyant discuter, gesticuler avec ses filles en français, car elle comprenait cette langue mais ne la parlait pas. Elle n'échangeait que quelques phrases avec Madame Gorban quand elle la rencontrait dans la rue. Je n'ai jamais su ni compris ce qu'elles se disaient. Hélène qui avait mon age, était dans la même classe que moi. C'était une bonne élève, mais un peu fière et même arrogante" avec ces filles qui se croient quelque chose et qui, en vérité, ne valent rien" disait-elle. Quand je lui demandais pourquoi elle se conduisait ainsi, elle me regardait longuement et disait: "Toi, tu es autre chose Esther, toi tu es moi… moi, mon autre moi, avec en plus un bon coeur et une petite naïveté qui t'es bien spéciale"…

 

Chère Hélène … drôle d'Hélène. Tes beaux yeux verts-bleus, ta peau laiteuse, tes cheveux blonds, drus, courts, tes gestes secs, tes paroles tranchantes, fouettant de vérité… ta petite personne, ton ombre suivant la mienne sur le chemin du retour de l'école ou du temple, ta petite personne, je n'ai jamais pu l'analyser suffisamment, car seuls ces instants brefs nous étaient accordés. La vie avare pour toi et pour moi, ne nous laissait pas de répit. Tu as poussé trop vite Hélene, et un beau jour tu ne vins plus à l'école… ni ta soeur Mary d'ailleurs. Ma maitresse m'envoya voir pourquoi. Pourquoi? Oh, j'en pleurai Hélène, et j'eu honte de le répéter a celle qui m'avait envoyée. Tu as été travailler comme vendeuse, oui vendeuse, dans un magasin de nouveautés, et Mary aussi. Ne pouvais-tu attendre de finir tes études secondaires ?  Non, car Sophie se mariait et il fallait vivre, aider le père. Tu rentrais tard, fatigue. Point de congé… point de répit… la fièvre de la capitale s'empara de vous, deux petites jeunes filles, les frêles émigrés d'hier. Vous vous leviez tot, tres tôt, et le train sifflant, crachant ses nuages noirs de fumée, vous emportait vers le Caire, vers les lumières de la ville, vers les salles de danse, les rendez-vous… Mr. Biberman ne pouvait plus lutter. Il l'avait fait durant de longues années. Ses pauvres jambes qui avaient tant parcouru de chemins, ses jambes traînaient déjà, et ses tempes ou les cheveux grisonnants s'affirmaient déjà, ses tempes gonflées par la tension artérielle battaient le chari-vari. Mais son coeur fidele et reconnaissant gardait a jamais grave en lui l'image de Maurice Mosseri, mon père. Et ton petit frère David, devenu un beau jeune adolescent, courrait derrière son copain portant le même nom en criant: Doudou, Doudou !...

 

Ils se revirent souvent, très souvent, malgré les temps. Car on ne peut oublier les belles années de l'enfance, ces années ou l'on partage tout: les joies, les pleurs, les gâteaux, les bonbons, la miche de pain arabe, chaude arrosée de miel noir ou tapissée d'une belle tranche de fromage blanc et doux, doux comme la vie… la vie sans cesse renouvelée, avec ses espoirs, ses instabilités, avec ses éternels recommencements. La vie qui noue et dénoue les liens les plus beaux, les plus chers, les plus solides, les rendant frêles, si frêles que notre mémoire tremble de les perdre un jour. Mais non, non… Les roses blanches, les petites roses thé, grimpant sur le grillage de l'hôtel Gorban, s'entêtaient à fleurir, bien bien longtemps après que les Gorban fussent parties…

 

Dans ma promenade matinale, je passais devant le portail en fer forgé, cadenassé… mais les roses thé étaient la… J'en faisait un petit bouquet, malgré les épines qui me piquaient les doigts, et toute la journée, ces fleurs posées dans l'entrée parlaient des absents.

 

Et des fois… des fois, je me surprends riant aux éclats, comme ça, seule, en revoyant un certain tableau. Un tableau émergeant des nuages des temps, des distances des ages, un tableau mouvant ou six petites filles debout, en file indienne sur le parapet de marbre de la cour dallée de l'hôtel Valavanis, se jetaient l'une après l'autre, en poussant des cris de joies, sur les immenses édredons de plumes, les édredons russes, qui enfouissaient dans leur duvet les petits corps qui se relevaient et recommençaient leur jeu… Mais Madame Biberman arrivait avec son grand balai à la main, pour secouer ses édredons. Et nous, nous six petites filles heureuses d'être ensemble, l'écho de leur joie se répercutant, s'agrippant aux murs, aux colonnes…

 

Allez vous-en souvenirs, allez-vous en, éparpillez-vous aux quatre coins du monde, comme nous nous sommes éparpillées nous toutes…

 

Les flots de soleil et de lumière entrant dans les chambres de l'hôtel réouvert par d'autres gens, rénové par d'autres mains, les flots de chaud soleil sont les mêmes, mais nous, nous ne sommes plus là…

 

 

N.B. Le Livre L’ETREINTE DU PASSE d’Esther Vidal, née Mosséri paraîtra bientôt dans ce Site en plusieurs chapitres.

 

 

 

Reçu le 15 mars 2008 de Monsieur Nabil SACCAL :

 

LES LIBANAIS D’ÉGYPTE

précurseurs de la « Nahda » arabe aux XIXe et XXe

 

La grande émigration libanaise vers l’Égypte, commencée au XVIIe siècle, a pris son essor entre la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle, particulièrement après les massacres commis en 1860 dans la montagne libanaise ainsi qu’à Damas, ce qui entraîna également une émigration syrienne.

Au XIXe siècle, l’Égypte devenait plus attirante économiquement, vu les réformes sociales et culturelles effectuées par Mohammad Ali puis Ismaïl Pacha, ainsi que d’autres khédives ou vice-rois, qui voulaient faire de l’Égypte un « coin » d’Europe en Afrique. Alexandrie est devenue à la seconde moitié du XIXe siècle une ville méditerranéenne, européenne, arabe et islamo-judéo-chrétienne, concurrente de Marseille et Istanbul, et son port recevait des navires de toutes les parties du monde, garantissant 60 % de l’activité économique égyptienne.

Des centaines de paysans montagnards et de propriétaires terriens libanais, venus à pied, à dos d’âne ou à bord de petites embarcations, suivis de grandes familles bourgeoises, à majorité chrétienne melkite, puis orthodoxe et maronite, de Saïda, Tyr et Zahlé, s’installèrent à Alexandrie, à Damiette, à Mansourah, à Tanta et au Caire, travaillant dans l’agriculture et le commerce. Les Libanais connaissant d’autres langues que l’arabe furent embauchés dans les grandes sociétés et banques étrangères et développèrent, avec les Égyptiens, les secteurs économiques privés. Ils réussirent dans les professions libérales, comme comptables, magistrats, avocats, médecins, ingénieurs, entrepreneurs, etc, et certains occupèrent d’importants postes au gouvernement, allant même jusqu’à influencer la politique locale. Le nombre de Libanais d’Égypte, à la fin du XIXe siècle, dépassait les cent mille personnes.

Les Libanais émigrant en Égypte avec des capitaux se sont bien établis et ont investi dans les petites industries de l’huile, de la savonnerie, du tabac, des pâtisseries… D’autres ont fondé de grandes sociétés et industries de sel, de sodium, de textile, de parfum, de bois, de la soie… En 1905, les Libanais furent les pionniers des industries chimiques et du coton en Égypte. Ils travaillèrent aussi dans le secteur du transport (train et autobus) dans le delta du Nil, établissant des liaisons régulières pour les gens et les marchandises à partir des ports jusqu’aux villages les plus éloignés du désert. Dans les villes, ils ouvrirent de grands magasins de nouveautés (prêt-à-porter, produits de beauté…). Certains firent rapidement fortune et construisirent des palais qu’ils habitèrent.

Ce succès rapide entraîna, à son apogée, l’ouverture d’églises, d’écoles, de clubs et d’associations de bienfaisance, appuyant les nouveaux émigrants libanais et envoyant des aides au Liban, tout en contribuant au développement de l’Égypte. Citons parmi ces familles les Assouad, Athié, Bakhos, Boulad, Boulos, Cassir, Chalhoub, Chaoul, Chahine, Chedid, Corm, Daher, Debbané, Eddé, Farah, Farès, Gemayel, Habachi, Hachem, Haïmari, Hakim, Khlat, Khoury, Nasser, Nouh, Rohayem, Saab, Sarrouf, Sayegh, Chéhadé, Tadros, Younès, Zeidan, Zein…

LA    «NAHDA »

À la même époque, le Liban connaissait une activité intellectuelle intense qui fut à l’origine de la Renaissance arabe, la « Nahda », basée sur la liberté, la patrie et la langue arabe, dans une perspective de conception de l’arabité suivant des objectifs nationalistes, laïcs et non religieux. Les écrits des Libanais dans les domaines littéraire, culturel, scientifique, pédagogique et philosophique ont été à l’origine de la « Nahda » et un des « maîtres » libanais  de toutes ces disciplines a été sans doute Boutros al-Boustani, né à Debbiyeh dans le Chouf (1819-1883), qui ne quitta jamais le Liban. La censure ottomane tentant d’étouffer ce nouvel essor, de nombreux intellectuels libanais prirent le chemin de l’Égypte, où la Renaissance arabe a effectivement vu le jour, avec de grands esprits comme les Égyptiens Taha Hussein (1889-1973), Saad Zaghloul (1859-1927) et son frère Fathi Zaghloul, qui, à travers ses traductions en langue arabe, a introduit la pensée politique et la sociologie occidentales en Orient.

Les Libanais d’Égypte ont contribué au développement des courants de la pensée libérale et scientifique avec, notamment : Farah Antoun (1874-1922), intellectuel originaire de Tripoli, fondateur de la revue al-Jamiah (L’université) et auteur de plusieurs livres ; Yacoub Sarrouf (1852-1927), directeur de la revue scientifique al-Muqtataf (Sélection), fondée à Beyrouth en 1876 et transférée au Caire en 1883 ; Gergi Zeidane (1861-1914), écrivain réformiste de nouvelles et de romans historiques sous forme de feuilletons, fondateur de la revue al-Hilal (Le croissant) en 1892, qui a contribué à l’éducation de plusieurs générations, non seulement en Égypte, maisdanstoutl’Orientarabe.

LA PRESSE ET L’ART

Le XIXe siècle fut celui du développement de la presse en Orient, qui avait eu sa première imprimerie en 1697 au Liban, suivi par l’Égypte en 1820. Avec l’imprimerie, la presse révolutionna la société arabe dont l’éveil culturel permit aux élites de débattre de nouvelles idées en approfondissant leur connaissance de l’Europe. Le premier journal officiel en arabe et turc fut el-Waqa’i el-Masria (Les événements égyptiens), apparu en 1828 en Égypte. Au Liban, Khalil el-Khoury fonda le premier périodique indépendant arabe, Hadiqat el-Akhbar (Le jardin des nouvelles) en 1858, et Abdel Kader Kabbani Samarat al-Founoun (La production artistique) en 1875, qui seront suivis de plus de cent autres journaux. À la même période, les frères Béchara et Salim Taqla fondèrent (1875) à Alexandrie le célèbre journal al-Ahram (Les Pyramides), transféré au Caire en 1899. Ce journal, conçu de façon moderne, se développa rapidement au niveau régional et international, devenant aujourd’hui l’un des plus grands du monde arabe, avec des versions hebdomadaires française (al-Ahram Hebdo) et anglaise (al Ahram Weekly).

Dans le domaine de l’art, les Libanais ont également été prolixes, notamment au théâtre. La première pièce écrite et jouée en Orient fut al-Bakhil (l’Avare), adaptée de Molière et présentée en 1848, près de la place des Canons à Beyrouth, par le Libanais Maroun al-Naccache, qui devint ainsi le père du théâtre arabe. Vu les difficultés rencontrées au Liban en raison de l’occupation ottomane, les Libanais développèrent le théâtre en Égypte, où Georges Abyad, fondateur du théâtre égyptien moderne, créa en 1912 la première troupe arabe professionnelle.
            La révolution de 1952 en Égypte fit tomber la monarchie, ce qui entraîna un choc au sein de la colonie libanaise, très affectée par ce changement brusque, principalement après 1956. En effet, à cette date-là, la nationalisation nassérienne toucha la classe bourgeoise dans son ensemble, musulmans comme chrétiens. Des centaines de familles perdirent du jour au lendemain leurs biens personnels, industries, magasins et autres propriétés, saisis par le nouveau gouvernement. Cela provoqua une nouvelle grande vague d’émigration vers le Nouveau Monde et l’Australie. Beaucoup sont cependant restés en Égypte, préservant jusqu’à ce jour les relations égypto-libanaises, plusieurs fois millénaires. Ces personnes sont très engagées dans la société égyptienne, comme il existe un grand nombre d’Égyptiens et de Libano-Égyptiens au Liban, qui font le pont entre les deux pays dans les domaines culturels, économiques et politiques.

                                                                          

AUTEUR INCONNU

 

 

 

 

28/02/2009

 

 

Reçu de Madame Suzy VIDAL le 12 janvier 2009 :

 

IT WAS AN ORDINARY SHABBAT!

 

The day: Shabbat

The month:January

The year: 1952

The street: Malika Farida

The City: Cairo, Egypt

 

It was just an ordinary Shabbat.

 

The food had been prepared beforehand and the dodo (domestique) would come at around 1 o'clock to re-heat it.

We were getting ready for our usual Petit Groppi reunion.

Then all of a sudden a huge outcry from the street and hundreds of Arabs coming out from the intestines of the ground.

We knew it was one of their wild riots and we decided to wait and see.

Then my uncle Leon came to us and said:

"Il y'a le feu partout , ne bougez pas de la maison!"

We did not understand. Esh el hekaya di?

 

Peeping out of the balcony, taking care not to be seen for fear of maddening the crowd, we saw smoke arising from different quarters.

Ya Allah what was happening to Cairo?

As time went by, there were more and more fires and screaming of rioters.

In front of our house there was a bar serving alcohol.

The mass barged into it and building a bonfire on the road, they threw one bottle of alcohol after another. The bottles exploded with frightening noise and our skin shrunk into our bodies.

They were so near. A little more and they would come and get us!

 

In fact some time later, the rioters barged into our building looking for YEHUD, Jews.

My father and nonno were home because it was Shabbat and they said:

yalla fel setouh, come on up to the roof.

Thankfully there were the service stairs which led to the flat roof and we quickly directed ourselves up.

There was my mother, my father, my younger sister,my nonno and myelf.

Looking back to see if everyone was there, my nonno was missing.

My father  redirected his steps to the apartment and there he saw my grandfther with a huge kitchen knife in his hands!

What was his intention? Battle the mad crowd?

No! in his head,he feared that the women would be raped and like the leader of the zealots Ben Yair, in Massada, said he would slaughter us rather than leave us to the mercy of the crowds.

 

My father gently took him by the shoulders  (because my nonno was now an elderly man) and persuaded him to go up to the roof.

Once we were on that roof, just us and no one else, the other neighbours were not Jews, we watched pandemonium break out!

The view was much better here on the 7th floor than from our 5th.

We could see all of Cairo and the flames rising high up in the sky.

We were shaking and had one of those "shoushourellas" about to explode as well.

Then the furous sound receded from our building and we watched very carefully the riotors leave our building.

Was it safe to go back?

Later we learned that our faithful bawab, had told the crowd: maffish Yehud hena (there are no Jews here)

We waited a little more and then with great precaution my father went down.

He came back to tell us it was safe to go back.

We regained our apartment and remained stuck to the various "mezzuzah" at the entrance of each room. 

We thanked Rabenna for saving us and preventing these madmen to come and tear us to peices.

 

Some were not as lucky.

A few houses further on there was the English Officer's Club.

The scene in that street was horrendous.

The crowd had attacked the English in their club, thrown out all the half burnt furniture and then put fire to the men.

They threw them out of the windows!

The bodies were all blackened and smouldering.

How many men had been killed? I do not know.

It was already dangerous enough to be Jewish but this time it was worse to be English.

 

I shall forever remember that scene. I only have to close my eyes and everything that happened then unrolls itself like a film.

In general we Jews are considered intelligent, and yet we went on living there!

 

It was an ordinary Shabbat!

 

 

MA SORTIE D’EGYPTE

par Marie Mosseri

Septième et dernière Partie

 

Ce n’est que vers une heure du matin que le minibus s’arrêta devant une maison éclairée par la lanterne du porche. Le chauffeur m’aida à descendre, m’accompagna jusqu’au seuil de la maison et frappa à la porte. Je fus accueillie chaleureusement par Ruth et son mari, ainsi que par la maman qui m’avait devancée. Je ne me sentais pas éveillée, j’avais l’impression d’évoluer dans un rêve. Ils me conduisirent à la chambre qui m’était destinée. C’était une chambre très spacieuse comprenant toutes les commodités, et une salle de bains indépendante. Epuisée par ce long voyage, et encore frissonnante de cette humidité glaciale, j’avais hâte de m’emmitoufler sous la couette et dormir. Pour la première fois depuis la mort de mon mari je m’endormis sans prendre de calmant, et continuai ainsi durant toute l’année passée aux Etats- Unis.

 

Le lendemain matin, je m’éveillai avec une forte toux accompagnée de fièvre. Heureusement, Ruth et sa maman, médecins toutes les deux, étaient là pour me soigner. Je leur dis que j’étais allergique aux antibiotiques et refusai de les prendre. Mais elle me rassura : « N’ayez  crainte, cet antibiotique ne vous fera pas de mal, et vous êtes obligée de le prendre si vous voulez guérir ».

Après quelques jours de repos, je me sentis beaucoup mieux, et accompagnée de la maman, j’allai voir les enfants que je n’osai pas approcher tant que j’étais souffrante. Tandis que mon regard s’attardait sur le bébé, elle me demanda : « Pourquoi la regardez-vous ainsi ? ». Je lui répondis : « Avez-vous fait examiner ses yeux par un spécialiste ? Je pense que cette enfant ne voit pas bien». Elle acquiesça : « C’est exact ! Mais comment l’avez-vous su ? » Je rétorquai : « Ce n’est pas sorcier, j’ai eu quatre enfants, mes sœurs ont eu également  des enfants, j’ai toujours eu plusieurs bébés à la maison et je n’ai jamais vu de bébé âgé d’un mois avec un regard comme celui-ci. A cet âge l’enfant a plus de vivacité dans ses yeux et il est attiré par tout ce qui l’entoure ». Effectivement, la petite avait un retard dans le développement. Par la suite, elle rattrapa son retard et devint une adorable petite fille.

 

    Cela me fit du bien d’être loin de chez moi, loin de tout ce qui me faisait penser à mon mari. Malgré le fait que je ne pouvais pas me permettre de prendre les mêmes libertés qu’à la maison : allumer la radio ou la télévision quand je le voulais, m’asseoir sur mon fauteuil et lire un livre ; toutes ces petites habitudes qu’il me fallut oublier…Cependant, j’étais très bien traitée. Je n’étais pas mise à l’écart comme les employés de maison dans certaines familles. Je mangeais à table avec eux, prenais part aux conversations variées et intéressantes de ce jeune couple charmant et instruit.

    Ils étaient très attentionnés envers moi. De mon côté, en plus de mon travail je faisais également certaines tâches que je n’étais pas censée faire. Par exemple, lorsque nous sortions de table, je faisais la vaisselle et rangeais la cuisine, bien que cela ne fasse pas partie des fonctions d’une nurse. Mais je le faisais de bon cœur. Au début, ils avaient des scrupules, ne voulaient pas me laisser faire, mais je leur dis que cela m’était nécessaire pour me sentir à  l’aise, comme à la maison…

    L’été, nous sommes allés au bord de la mer à Atlantic City, où nous avons passé d’excellentes vacances. En hiver, des amis leur avaient prêté un chalet aux abords des pistes de ski, et là aussi nous avons passé un agréable séjour. Avec le temps, je ne me sentais plus étrangère et m’attachai à cette famille.

    Ma sœur Louna demeurait à New York. J’allais de temps en temps lui rendre visite lors des week-ends prolongés par des jours fériés et des ponts. Ruth habitait une banlieue de Philadelphie, qui se trouvait à quarante-cinq minutes de la gare centrale de Philadelphie. Et donc, à chacun de mes voyages pour New York, elle ou son mari, m’accompagnait à la gare centrale, attendait que j’achète mon billet, et que je monte dans le bus en direction de New York avant de repartir. De même pour le retour, je les appelais pour leur donner l’heure du départ de mon bus, et l’un des deux était là à mon arrivée. J’avoue qu’ils prenaient bien soin de moi.

    Par contre, ils m’interdisaient d’allumer la télévision, sous prétexte qu’ils ne voulaient pas que leurs enfants s’y habituent. Que pouvais-je donc bien faire durant toute la journée ? Je m’occupais des enfants, mais après les avoir lavés, habillés, nourris, il restait tout de même des heures creuses. Des heures où je n’avais rien d’autre à faire qu’à tourner en rond. Je n’avais même pas la possibilité de parler avec les voisins qui, dans cette banlieue étaient très éloignés les uns des autres.

    Dans ces moments-là, j’avais l’impression d’avoir vendu mon âme. Je pleurais… Ruth me surpris un jour en train de pleurer et s’écria : « Pourquoi pleures-tu Marie ? Je ne veux pas que tu pleures ! Qu’as-tu ? ». Je répondis que je n’avais rien. Mais comme elle insistait, je finis par lui en donner la raison. Elle me permit alors d’allumer la télévision.

    Mon neveu, qui habitait à Long Island, m’invita à passer un chabbat chez lui. Je lui parlai de mon emploi, mes fonctions et mes revenus. Il fut très surpris d’apprendre que mon salaire mensuel n’était que de trois cents dollars, et me dit : « Tu te fais exploiter ! Mon voisin, qui est veuf, a une nurse qui s’occupe de ses deux enfants et de l’entretien de la maison. Il la paie neuf cents dollars. De plus, à ses heures libres, lorsque le papa est à la maison, elle fait des heures de baby sitting pour cinq dollars de l’heure dans le voisinage et garde aussi mes enfants quand je vais au cinéma avec ma femme ». Toutes ces heures de baby sitting ajoutées aux neuf cents dollars lui assuraient un revenu confortable.

    J’encaissai sans broncher ces révélations qui me firent beaucoup de peine. Je repris la route le samedi soir, me demandant tout au long du trajet si je devais leur en parler ou non. J’étais là depuis trois mois, il en restait neuf pour finir mon contrat.

    C’est son mari qui vint me chercher. J’arrivai à la maison où Ruth m’accueillit, comme à son habitude, de façon chaleureuse. Mais bien sûr, elle perçut immédiatement la contrariété qui se lisait sur mon visage. Je peux contrôler mes effusions, mais je ne sais pas cacher mes sentiments. Elle me demanda : « Comment vas-tu ? Quelque chose ne va pas ? ». Je lui répondis : « A Long Island, mon neveu habite dans une jolie zone pavillonnaire. Son voisin, un homme veuf avec deux enfants, emploie une jeune femme dont les fonctions sont les mêmes que les miennes, mais avec un salaire de neuf cents dollars. J’avoue que j’ai été très offensée ».

    Le visage blême, elle dit : « Marie, n’oublie pas que nous t’avons payé le billet d’avion ». Mais je rétorquai : « Cette jeune femme vient de Turquie, et son billet lui a également été offert. D’autre part, lorsque le papa rentre vers  dix sept heures, elle fait des heures de baby sitting dans le voisinage, pour arrondir ses fins de mois… Ce que je ne peux pas faire ». Elle ajouta : « Mais chez nous, qui te considérons comme faisant partie de la famille, et non pas comme une employée, tu es aussi à l’aise que chez toi ». Je répondis : « C’est exact, et j’en apprécie les avantages. Je suis contente que vous n’ayez pas de chien, car je ne serais pas restée ; j’apprécie également que vous ne fumiez pas, car je ne supporte pas la fumée, et D… merci, vous n’avez pas de dépendance à la drogue. Vous êtes une famille propre et bien, et c’est la raison pour laquelle, depuis la première nuit passée sous votre toit, j’ai réussi à dormir paisiblement, sans le calmant auquel j’étais habituée depuis la mort de mon mari. Mais, tout de même, la marge doit être acceptable et convenir à la situation ; la différence est énorme entre les trois cents dollars que je touche et les neuf cents dollars qu’elle gagne, sans compter les extra ». Comme à chacun de mes retours, Ruth avait préparé mon repas et me servit un thé. Puis nous sommes montées nous coucher.

    J’étais soulagée de lui avoir dit ce qui me pesait, et m’endormis rapidement. J’avais l’habitude de me lever tôt le matin, et prenais sur moi de préparer la table pour le petit déjeuner. Le lendemain matin, je posai les assiettes et les tasses sur la table, quand son mari entra dans la cuisine.

    Il ne parlait pas l’hébreu. Lorsqu’il s’adressait à moi, c’était en français. Il adorait cette langue. Il était roumain et avait appris le français lors de séjours en France. Je lui dis « Bonjour ! ». Il répondit : « Bonjour Marie !  Ma femme m’a raconté votre conversation d’hier soir. Tu sais que nous t’aimons comme une mère, ne te sens-tu pas chez nous comme chez tes enfants ? ». Je répondis : « Oui, et je ne me suis jamais plainte. Mais je travaille chez vous depuis trois mois, vous avez pu constater que je suis très perspicace et que je comprends facilement tout ce que vous dites lors de vos discussions. Ruth et vous, êtes médecins, et lorsque nous sommes à table, vos conversations tournent toujours autour de vos revenus : les vôtres, ceux de vos confrères … Donc je sais que vos rémunérations vous encouragent, ou au contraire vous fâchent si elles ne sont pas à la hauteur de votre travail ». Il acquiesça. J’ajoutai « Pourquoi devrais-je venir d’un pays étranger pour effectuer ce travail, louer mon appartement à des inconnus, et me faire exploiter ? ».

    Il demanda : « Marie, que comptes-tu faire à présent ? ». Je lui dis : « Je ne compte rien faire, je ne suis pas venue en Amérique dans le but de faire une carrière de nurse. J’ai accepté ce poste pour deux raisons. La première est que je voulais m’éloigner de tout ce qui me faisait penser à la mort de mon mari, et à ce deuil qui m’avait plongée dans un état de solitude et d’affliction que je n’arrivais pas à surmonter. La seconde raison est que ma situation financière s’est avérée désastreuse. Après le décès de mon mari, j’ai été convoquée par le directeur de la banque qui me demanda comment je comptais faire face aux dépenses sans les revenus de mon mari. Je ne savais pas ! Je ne m’étais pas encore posé la question. Je lui répondis qu’en plus de ma pension, je puiserais dans le compte sur lequel mon mari  avait versé les indemnités reçues à la fin de sa carrière à la Discount Bank. Il m’informa qu’il ne restait que six mille sheqels sur ce compte, et qu’avec ma pension je ne pourrais venir à bout de toutes les dépenses. Ce coup de massue m’a réveillée et fait prendre conscience de ma situation. C’est ce qui m’a décidée à prendre ce job, car d’une part, je n’aurais pas de dépenses pendant une année, et d’autre part, la location de mon appartement me rapporterait une année de loyer. De plus je trouvais là une occupation rêvée pour moi qui étais incapable d’entreprendre quoi que ce soit depuis la mort de Vita. Le fait que j’avais connu Ruth lorsqu’elle était étudiante me conforta dans ma décision. Si je n’avais pas eu ce problème financier, je n’aurais jamais quitté ma maison. Mais ne croyez pas que je sois mécontente d’être chez vous. Je suis ravie d’être là, car comme je l’ai dit à Ruth, il n’y a pas de chien, pas de cigarette, pas de drogue. C’est pour moi l’endroit idéal que D… m’a choisi. Je n’ai aucune plainte à formuler à l’encontre de votre famille. Mais quand j’entends qu’au lieu des neuf cents dollars que ce travail mérite, je n’en reçois que trois cents, je pense que vous pouvez comprendre que je sois fâchée ».

 

    Il me dit : « Oui, je comprends ! Mais tu es comme notre mère, et nous t’aimons ». Je répondis : « Je le sais, et c’est réciproque, je vous aime aussi. Ne craignez rien, je n’ai pas l’intention de partir, je voulais juste vous informer de mes états d’âme ». Il ajouta : « Ruth et moi avons décidé de passer ton salaire à quatre cents dollars et te demandons de tenir compte du fait que tu es nourrie et logée ». Ma flamme baissa un peu, mais tout de même, j’ai continué à faire consciencieusement mon travail. Les enfants ont reçu tout ce que je leur devais ; pour la maison je préparais la table, et presque tous les jours, je nettoyais le sol de la cuisine. C’était aussi pour moi puisque j’y vivais, et que je cherchais également à remplir mes journées.

    A l’approche de la date fatidique du décès de mon mari, je leur demandai de m’accorder une ou deux semaines de vacances, afin d’assister à la célébration du premier anniversaire de sa mort. Je voulais également voir mes enfants, et ma maison. Mais ils refusèrent de me laisser partir, craignant que je ne revienne pas finir mon contrat. Je fus très vexée par ce manque de confiance. En revanche, pendant leurs congés, ils s’étaient rendus en Israël avec leurs enfants. J’étais restée chez ma sœur Louna à New York en attendant leur retour. J’étais très contrariée, mais que pouvais-je faire ? Je m’étais engagée pour un an. Dès lors, je décidai que je repartirais à la date convenue (début février), et que je ne resterai pas un jour de plus.

    Dès le mois de décembre, je commençai à ranger dans mes valises, les vêtements d’été dont je n’aurai plus besoin. Lorsqu’elle rentrait de son travail, Ruth aimait venir passer quelques instants dans ma chambre avec les enfants. Elle fut surprise de voir mes valises et questionna : « Pourquoi as-tu sorti tes valises ». Je répondis que je commençai à les préparer, mon retour étant prévu pour début février. Elle demanda : «  Marie, tu parles sérieusement ? ». Ma réponse fut : « Le plus sérieusement possible. Je dois rentrer, et retrouver mon appartement que j’ai loué pour un an ».

 

    Pour le retour, je leur demandai de me réserver une place sur un vol EL AL pour la date convenue. Je ne voulais pas voyager sur un vol charter, comme pour l’aller où le voyage s’était très mal passé, et  je proposai de payer la différence.

    Chaque fois que Ruth venait dans ma chambre avec ses enfants, elle me demandait : « Marie, es-tu sûre de ne pas vouloir changer d’avis ? Ne peux-tu pas rester ? ». Je lui disais toujours que c’était impossible. Elle ajoutait : « Marie, comment vais-je faire pour te remplacer ? » Je répondais : « Tu engageras une autre personne de la même façon que tu m’a engagée ». Rien n’aurait pu me faire changer d’avis. Lorsque je prends une décision, je la maintiens fermement.

    Ce n’est que lorsque mes bagages furent bouclés, et que j’appelai mes enfants pour les prévenir de mon retour imminent, que Ruth me remit mon billet d’avion. Elle le gardait dans l’espoir de me faire changer d’avis.

     Je retournai chez moi après un an d’absence, après avoir honoré mon contrat jusqu’à terme. Les locataires de mon appartement qui ne voulaient plus quitter le quartier auquel ils s’étaient habitués, louèrent à la hâte au rez-de-chaussée du même immeuble, un appartement plus petit que le mien ; mais ils s’en contentèrent. Ils l’occupèrent jusqu’à la fin de leur vie. Ils y sont décédés tous les deux à quelques mois d’intervalle l’année dernière.

    Lorsque je retrouvai mon appartement, il n’avait plus du tout le même aspect qu’au moment de mon départ. Il avait été occupé durant une année par une famille de fumeurs. Le père, la mère, les deux fils et même la grand-mère fumaient comme des pompiers. Tout ce qui, à l’origine, était blanc, avait jauni : les murs, les armoires de cuisine, et même le plan de travail en marbre étaient à présent jaunes. Mon balcon, semblable à un jardin l’année précédente avait l’air d’une jungle. Les plantes grimpantes étaient emmêlées les unes aux autres, et retombaient en lianes inextricables. Tout était imprégné de l’odeur de fumée de cigarettes. Il m’était impossible de vivre dans cette atmosphère.

 

    Je fis appel à un entrepreneur qualifié pour restaurer l’appartement. Il me dit : « Je ne travaille que dans des villas ». Je lui répondis : « Vous allez penser que c’est une villa et me remettre cet appartement en bon état ». Quand mon frère vint me voir pendant les travaux, il me dit : « Marie, je crois que tu es folle ». Je rétorquai : « Si je suis folle, ça me plait de l’être, car je ne peux pas vivre dans un appartement dans lequel j’étouffe ».

    A l’issue des travaux, l’appartement était métamorphosé. Les murs aux superbes couleurs, étaient lisses comme du satin. Les plantes du balcon furent arrachées et jetées. Mais pour régler la facture de cinq mille dollars que me présenta l’entrepreneur, je dépensai l’argent qu’il me restait de mes salaires : trois mille dollars. J’y ajoutais également les mille dollars que j’avais retirés de mon compte avant le départ pour les Etats-Unis et auxquels je n’avais pas touché. J’avais également ramené les mille dollars que Racheline, qui avait procuration sur mon compte, avait retirés et m’avait fait parvenir par l’intermédiaire d’une amie, et que je n’avais pas dépensés.

    J’en profitai pour procéder à une désinsectisation, et dormis deux nuits chez ma fille Caroline. Ensuite, j’ouvris la pièce que j’avais condamnée, en sortis les meubles du salon et les tapis, vidai les caisses et entrepris de tout remettre en place. Quand tout fut terminé, j’étais heureuse de me sentir chez moi, dans l’ambiance qui me convenait. Qu’il était bon de retrouver la douceur du foyer, de reprendre mes habitudes !

 

    Longtemps après mon retour, j’ai gardé des contacts avec Ruth. Ils avaient eu une troisième fille. Je leur  rendis visite lors d’un séjour passé chez ma sœur Louna à New York. J’avais acheté un parfum pour Ruth, et apporté pour les enfants des confiseries orientales qu’ils adoraient. Ruth était venue me prendre à la gare centrale de Philadelphie. Elle m’accueillit avec une joie débordante, m’installa dans une belle et confortable chambre, et me présenta sa troisième fille que je ne connaissais pas encore. Elle pensait que j’allais rester. Elle gardait l’espoir de me voir reprendre mes fonctions.

    Nous nous installâmes sur le canapé, où du linge sec était amassé attendant d’être plié. Et tout en parlant, je me mis à plier le linge machinalement, comme je l’avais fait des dizaines de fois lorsque je travaillais là. La nouvelle nurse lui dit en anglais : « Regarde comment le linge est plié ! On dirait qu’elle le repasse ! ». Ruth lui répondit : « C’est Marie ! ».

    Ruth me disait souvent : « Quand je parle à mes amies de tes qualités, de la façon dont tu t’occupes des enfants et de la maison, toutes sont jalouses et me demandent si je peux leur faire des copies de « Marie ».

    Pour conclure, je dois dire que ce travail aux Etats-Unis, m’a guérie de la dépression dans laquelle je sombrais. C’est ainsi que je pus me remettre du deuil de mon mari, réintégrer mon appartement, tourner la page, et poursuivre le chemin de ma vie. Par la suite, j’ai fait plusieurs voyages d’agrément, en Europe, et aux Etats-Unis, et à chacun de mes retours, c’était avec un plaisir intense que je rentrais chez moi, où je me sentais bien, où je retrouvais tout ce qui m’appartenait, tout ce qui me ressemblait. Chaque meuble, chaque bibelot avait son histoire, faisait partie de ma vie : « La vie de Marie Mosseri ».

 

E P I L O G U E

 

Aujourd’hui, à l’âge de quatre vingt quatre ans, plutôt que d’intégrer les groupes anonymes des maisons pour personnes âgées, auxquels elle n’arrive pas à s’identifier, Marie a choisi de rester chez elle, dans ce même appartement situé au troisième étage d’un immeuble du quartier de Kiriat Moshé. Même s’il ne lui est pas facile de monter toutes ces marches, elle préfère demeurer dans son appartement où la présence d’une aide ménagère, qui tient également lieu de « dame de compagnie », et avec laquelle elle converse en anglais, l’aide à supporter sa solitude.

Marie, qui grâce à D… a conservé toutes ses facultés intellectuelles, reste très attachée à son poste de télévision et à ses chaînes câblées qui lui permettent  de suivre les émissions des différents pays dont elle connaît la langue (l’anglais, l’arabe, le français, l’hébreu et l’italien), et n’aspire plus qu’à une chose : rester chez elle jusqu’à la fin de ses jours…. ( après cent vingt ans )!

 

F I N

 

 

Reçu le 26 février de Madame Levana ZAMIR :

 

LES EMIGRES DE 1914-1919

 

Esther Vidal, née Mosséri

 

Esther Vidal, née Mosséri, l'auteur du livre l'Etreinte du Passé, a aussi légué a ses enfants son carnet personnel de "Nostalgie et Mémoires" contenant ce chapitre sur les Émigrés venus d'Europe dans les années 1914-1919, et leur assimilation a la Communauté Juive de Helwan. La fille de l'auteur, Levana Zamir a bien voulu nous le confier.

 

Ils remplissent la petite ville de Helwan. Ils viennent de loin, de partout… de tous les pays… de toutes les nationalités… de toutes les religions. Il y en a qui sont venus de Malte, et ils sont Chrétiens, les Cassingena. Une grande famille: trois veuves vêtues de noir et cinq marmots… ils habitent l'Hôtel Panorama. De notre fenêtre je les vois: tous assis sur les marbres de l'escalier à longueur de journée, essuyant furtivement des larmes du revers de la manche, parlant une drôle de langue – un meli-mélo de français, d'arabe et d'italien.

 

Ils sont nourris par les religieuses de notre école ou les trois petites filles ont été admises. Et longtemps je suivis leur assimilation à la vie, leur nouvelle vie, leur vie à Helwan. Longtemps je fréquentais les petites filles, devenues grandes, vertueuses, rangées, acceptant leur lot sans gémir… acceptant le travail qui ennoblit les âmes… acceptant de se mêler a la société qui les a aidé a refaire leur avenir, un avenir qui sourit, oui sourit, malgré tout, à ceux que la volonté de vivre est toujours la plus forte.

 

Les Cassingena étaient les premiers émigrés que je côtoyais. Puis vinrent les Ephrayim: c'était une famille nombreuse venue d'Ukraine, quatre garçons potelés, roses, d'une forte carrure, la tête grosse et ronde et chauve… le visage ouvert, les yeux vifs et intelligents, courant l'un après l'autre comme de petites souris, ne parlant jamais. Seul le père connait quelques mots de français et peut s'expliquer avec Papa. "Mr. Ephrayim est surement comme nous Israelite" dis-je a maman. Car ce matin la il ouvrit la porte au laitier et je vis sur son front le tephilin et sur son bras droit aussi. On dit qu'il est riche, c'est pour cela qu'il a pris une maison spacieuse. On ne voit jamais sa femme, toujours occupée aux soins des bambins. Mais à kippour elle vint au Temple. Quand aux garçons, ils fréquentèrent l'école arabe, sous prétexte d'apprendre la langue du pays… Mais la vérité sortit de la bouche des enfants: "Ce sont des Chrétiens" dirent-ils, montrant du doigt l'école des Frères, "nous avons une Mezouza à notre porte, nous ne devons pas mettre nos pieds, là ou il y a la croix"… Cette remarque faite en arabe ne m'étonna point, mais me donna à réfléchir. Avec les années, le père, Mr. Ephrayim, s'avéra orfèvre, les fils grandirent et continuèrent le métier de leur père, mais jamais ils ne se mêlèrent à nous. Distants, polis, ils avaient leur propre vie et après presque dix ans ils quittèrent Helwan.

 

Presqu'en même temps qu'eux, arrivèrent les Gorban, les Blums. Des fugitifs ayant pu sauver leurs biens et purent aisément refaire leur situation. Ils s'occupèrent d'hôtellerie et leurs affaires prospérèrent. Ma petite soeur Marie, étant de l'age de Rose Gorban, fut son amie et son soutien a l'école… et fut son intime de longues années, tandis que Sophie Blum jalousait ces deux fillettes et perdait son savon à mettre la discorde entre elles. Les Gorban et les Blum étaient des Polonais de la même ville, ils parlaient le Idish, ils savaient profiter de chaque mot, de chaque geste. Ils n'eurent jamais besoin de l'aide de la communauté. Au contraire, ils aidèrent largement ceux qui étaient dans le besoin. Durant les prières du Shabat au Temple et durant les Fêtes, leurs donations dépassaient toute générosité. Mr. Gorban et sa femme estimaient beaucoup notre famille et le mari confiait souvent à mon père ses petits ennuis. Son fils unique, Elie, était l'ami et le copain de mon frère David et quand ils quittèrent Helwan vers l'année 1923, tous deux pleurèrent en se jetant dans les bras l'un de l'autre. Rose, qui considérait ma soeur Marie comme une soeur a elle, insista pour l'avoir auprès d'elle au Caire durant une longue semaine. Elles se parlaient au téléphone et leur amitié ne fut interrompue que par le départ de Rose pour l'Europe.

 

Mais Marie avait bien ou porter ses épanchements, car Marie Biberman attendait patiemment que son heure fût venue pour coller ses pas à ceux de ma sœurette. Je les revois encore toutes les deux, âgées à peine de cinq ans, chacune pour la première fois, se regardant longuement comme pour se scruter, comme pour lire ce qui était écrit sur leur front…

 

Je jouais à la marelle ce jour la après la classe, avec mes soeurettes dans l'immense cour dallée de l'Hôtel Valavanis depuis longtemps silencieux. Le beau marbre des parapets, les colonnes du plus beau style, les cinquante chambres donnant sur quatre grandes rues, les beaux salons, tout, tout était muet. Ce silence me pesait et m'étonnait à la fois. Quand je demandais à Papa pourquoi l'hôtel était-il ainsi délaissé, il me disait: à cause de la guerre… Je ne pouvais comprendre alors, que tous ces hôtels silencieux dorénavant, et alors grouillant de vie, avaient appartenus à des Autrichiens, des Grecs, des Allemands… Je jouais donc à la marelle quand le grand portail en fer forge s'ouvrit à deux battants, laissant pénétrer l'un après l'autre les membres d'une nombreuse famille portant chacun son fagot tant bien que mal. Ma pierre de jeu à la main je regardais ces nouveaux venus essoufflés, rompus, déposer leur bagage et s'asseoir dessus. Mon père qui avait ses magasins juste au sortir du portail, était venu nous chercher toutes les trois pour rentrer a la maison. Son regard tomba sur ces étrangers et leur misère le frappa dans toute son ampleur. Le chef de famille vint vers mon père et lui dit: Shalom. Bnei Amenou ? Mon père hocha la tête et après une longue causerie faite en français je le vis sortir et de suite revenir avec une pile de pains frais croustillants, de belles pièces de fromage blanc doux et une bouteille d'eau fraîche. Le Monsieur donna aux enfants à manger, et à nous aussi. Ainsi, dès la première heure nous furent frères et soeurs, une grande famille de ce grand Peuple dispersé sur le globe terrestre, mais unis dès le premier regard… Monsieur Biberman – car j'entendis mon papa l'appeler ainsi – senti qu'il était enfin arrivé à bon port, après les durs secouements d'un pays à l'autre. Car venant de France, après avoir fui la Russie, il était complètement dénudé de tout bien. Deux chambres du premier étage de l'hôtel leur furent données pour quelques mois… la communauté leur dispensa quelques meubles et trouva du travail pour le chef de famille. Nous apprîmes que le fils aîné âgé de 19 ans faisait la guerre en Palestine, enrôlé dans la Brigade juive. Sophie, âgée de 17 ans parlant Français, fut engagé dans une Banque. Les trois jeunes soeurs: Mary, Hélène et Olga, vinrent à l'école des Soeurs avec nous et nous devinrent inséparables. Leur petit frère David, ayant le même age et le même nom que mon frère, fut son copain durant de longues années. Seule la maman, une personne ronde grassouillette, avec un lourd chignon de cheveux blonds toujours prêt à se défaire, ne plaçait jamais un mot… Elle souriait en nous voyant discuter, gesticuler avec ses filles en français, car elle comprenait cette langue mais ne la parlait pas. Elle n'échangeait que quelques phrases avec Madame Gorban quand elle la rencontrait dans la rue. Je n'ai jamais su ni compris ce qu'elles se disaient. Hélène qui avait mon age, était dans la même classe que moi. C'était une bonne élève, mais un peu fière et même arrogante" avec ces filles qui se croient quelque chose et qui, en vérité, ne valent rien" disait-elle. Quand je lui demandais pourquoi elle se conduisait ainsi, elle me regardait longuement et disait: "Toi, tu es autre chose Esther, toi tu es moi… moi, mon autre moi, avec en plus un bon coeur et une petite naïveté qui t'es bien spéciale"…

 

Chère Hélène … drôle d'Hélène. Tes beaux yeux verts-bleus, ta peau laiteuse, tes cheveux blonds, drus, courts, tes gestes secs, tes paroles tranchantes, fouettant de vérité… ta petite personne, ton ombre suivant la mienne sur le chemin du retour de l'école ou du temple, ta petite personne, je n'ai jamais pu l'analyser suffisamment, car seuls ces instants brefs nous étaient accordés. La vie avare pour toi et pour moi, ne nous laissait pas de répit. Tu as poussé trop vite Hélene, et un beau jour tu ne vins plus à l'école… ni ta soeur Mary d'ailleurs. Ma maitresse m'envoya voir pourquoi. Pourquoi? Oh, j'en pleurai Hélène, et j'eu honte de le répéter a celle qui m'avait envoyée. Tu as été travailler comme vendeuse, oui vendeuse, dans un magasin de nouveautés, et Mary aussi. Ne pouvais-tu attendre de finir tes études secondaires ?  Non, car Sophie se mariait et il fallait vivre, aider le père. Tu rentrais tard, fatigue. Point de congé… point de répit… la fièvre de la capitale s'empara de vous, deux petites jeunes filles, les frêles émigrés d'hier. Vous vous leviez tot, tres tôt, et le train sifflant, crachant ses nuages noirs de fumée, vous emportait vers le Caire, vers les lumières de la ville, vers les salles de danse, les rendez-vous… Mr. Biberman ne pouvait plus lutter. Il l'avait fait durant de longues années. Ses pauvres jambes qui avaient tant parcouru de chemins, ses jambes traînaient déjà, et ses tempes ou les cheveux grisonnants s'affirmaient déjà, ses tempes gonflées par la tension artérielle battaient le chari-vari. Mais son coeur fidele et reconnaissant gardait a jamais grave en lui l'image de Maurice Mosseri, mon père. Et ton petit frère David, devenu un beau jeune adolescent, courrait derrière son copain portant le même nom en criant: Doudou, Doudou !...

 

Ils se revirent souvent, très souvent, malgré les temps. Car on ne peut oublier les belles années de l'enfance, ces années ou l'on partage tout: les joies, les pleurs, les gâteaux, les bonbons, la miche de pain arabe, chaude arrosée de miel noir ou tapissée d'une belle tranche de fromage blanc et doux, doux comme la vie… la vie sans cesse renouvelée, avec ses espoirs, ses instabilités, avec ses éternels recommencements. La vie qui noue et dénoue les liens les plus beaux, les plus chers, les plus solides, les rendant frêles, si frêles que notre mémoire tremble de les perdre un jour. Mais non, non… Les roses blanches, les petites roses thé, grimpant sur le grillage de l'hôtel Gorban, s'entêtaient à fleurir, bien bien longtemps après que les Gorban fussent parties…

 

Dans ma promenade matinale, je passais devant le portail en fer forgé, cadenassé… mais les roses thé étaient la… J'en faisait un petit bouquet, malgré les épines qui me piquaient les doigts, et toute la journée, ces fleurs posées dans l'entrée parlaient des absents.

 

Et des fois… des fois, je me surprends riant aux éclats, comme ça, seule, en revoyant un certain tableau. Un tableau émergeant des nuages des temps, des distances des ages, un tableau mouvant ou six petites filles debout, en file indienne sur le parapet de marbre de la cour dallée de l'hôtel Valavanis, se jetaient l'une après l'autre, en poussant des cris de joies, sur les immenses édredons de plumes, les édredons russes, qui enfouissaient dans leur duvet les petits corps qui se relevaient et recommençaient leur jeu… Mais Madame Biberman arrivait avec son grand balai à la main, pour secouer ses édredons. Et nous, nous six petites filles heureuses d'être ensemble, l'écho de leur joie se répercutant, s'agrippant aux murs, aux colonnes…

 

Allez vous-en souvenirs, allez-vous en, éparpillez-vous aux quatre coins du monde, comme nous nous sommes éparpillées nous toutes…

 

Les flots de soleil et de lumière entrant dans les chambres de l'hôtel réouvert par d'autres gens, rénové par d'autres mains, les flots de chaud soleil sont les mêmes, mais nous, nous ne sommes plus là…

 

 

 

 

31/12/2008

 

MA SORTIE D’EGYPTE

par Marie Mosseri

 

Sixième Partie

 

    Arrivée chez ma sœur, je trouvai ma Caroline dans un état de nerfs et d’hystérie indescriptibles, et dès qu’elle m’aperçut, elle appela dans un cri : « Maman ». Elle bondit sur moi comme si je venais la délivrer des mains de persécuteurs, et s’effondra en larmes dans mes bras. Je la consolai comme je pouvais, tentant de la calmer par des mots apaisants.

    Ma sœur me raconta en détails tout ce que ma fille Caroline avait enduré depuis son arrivée en France, soulignant que ce fut un miracle qu’elle-même ne soit pas devenue folle. Je commençai par téléphoner au frère de Richard, Lucien, qui se trouvait à Milan, et lui exposai la situation dans les moindres détails, le pressant de venir voir son frère hospitalisé.

    Ensuite, accompagnée de Caroline, je me rendis chez le médecin responsable du service dans lequel se trouvait Richard, et lui demandai des précisions sur son état. Celui-ci me dit : « Il s’agit d’un cas de schizophrénie et de  paranoïa, c’est-à-dire qu’il ne pourra plus jamais travailler avec d’autres personnes, car il soupçonnera toujours ceux qui l’entourent. Dans le meilleur des cas, il pourra travailler seul ».

    Je lui demandai également ce que nous pourrions faire pour éviter une nouvelle crise. Il m’énuméra les différentes causes susceptibles de provoquer une crise : « Un cauchemar peut en provoquer une ; un mauvais livre, un mauvais film peuvent également provoquer une crise »…

    Je lui répondis : « Pour les livres, nous pouvons toujours surveiller ses lectures, jeter les livres qui ne sont pas recommandés, les brûler même ; pour les films, on peut très bien vivre sans aller au cinéma ; mais Docteur, comment peut-on intervenir dans ses rêves et éviter les cauchemars ? ». Le médecin renchérit : « Vous avez raison, et tout le problème est là, c’est une personne très atteinte, et la solution la plus radicale, reste l’internat dans un hôpital psychiatrique ».

    Les documents furent préparés à l’intention de Caroline, car la loi stipulait que seul le conjoint (ou la conjointe) peut accepter qu’un malade soit interné, ou au contraire libéré s’il s’engage à le prendre en charge.

    Le frère de Richard arriva de Milan, et put constater l’étendue du problème. Il n’était pas possible que Caroline reste seule dans l’appartement de Neuilly et continue de porter les repas à son mari. Par ailleurs, il ne voulait pas non plus abandonner son frère dans cet hôpital. J’avoue qu’il fut compréhensif, et se comporta très gentiment. Il savait que nos moyens étaient très modestes et  me dit : « Marie, nous ne sommes pas étrangers, tu es notre cousine ; je vais te rembourser ton billet, te payer également celui de Caroline que tu dois ramener avec toi en Israël, et vous laisser un peu d’argent. Mais il faut que Caroline signe les papiers qui me permettront de faire sortir Richard de cet hôpital afin que je puisse l’emmener à Milan où il sera entouré de toute sa famille ».

    Après avoir réglé les démarches nécessaires au renoncement de ses responsabilités sur son époux, et délégué ses pouvoirs à son beau-frère, Caroline put quitter la France. Nous reprîmes le bateau où Caroline, encore très marquée par ce qu’elle avait subi, ne cessait  de s’évanouir. Je suppliai le médecin du bateau, qui avait diagnostiqué un état de faiblesse extrême, de lui donner des remontants pour pouvoir la ramener chez nous sans encombre.

   De retour chez nous, nous reprîmes notre train de vie habituel et Caroline se rétablit progressivement. Nous l’avions installée dans la chambre de sa sœur Viviane afin qu’elle ne fût pas seule. Puis elle fut engagée comme employée au ministère des affaires étrangères.

    Avec le temps, elle reprit goût à la vie, s’acheta des vêtements, prit soin d’elle. Elle était si élégante et si belle avec ses cheveux blond vénitien. En Europe, tout le monde la prenait pour une Allemande. Elle ne tarda pas à se faire courtiser. Les frères de Richard ont beaucoup œuvré pour lui faire signer un certificat de divorce auprès d’une autorité rabbinique afin qu’elle puisse refaire sa vie.

    Racheline passa une petite annonce dans la rubrique matrimoniale d’un journal, précisant que la personne décrite était sa sœur, mais que les réponses devaient être adressées à elle-même : Madame Adaya. Elle reçut un appel téléphonique d’un homme divorcé avec deux enfants, qui connaissait le mari de Racheline pour avoir travaillé avec lui au tribunal. Un rendez-vous fut fixé.

    Le plus dur fut de convaincre Caroline qui ne voulait pas en entendre parler. Racheline finit par la persuader que ce rendez-vous, qui aurait lieu chez elle, ne l’engageait pas, et qu’elle restait libre de ne pas donner suite à cette rencontre. Caroline accepta avec beaucoup de réticence.

    D’emblée, il l’informa qu’il était divorcé et avait deux garçons -l’un de onze ans, l’autre de six - considérant que cette mise au point était nécessaire pour démarrer sur de bonnes bases, et désirant qu’il n’y ait pas de malentendu. La femme qui l’accepterait devait aussi accepter ses enfants. Il ajouta qu’en ce qui le concernait, il serait ravi de la revoir pour trouver d’éventuelles affinités.

 

    De retour à la maison, Caroline me dit qu’elle n’avait ressenti aucun attrait, et ne désirait pas le revoir. Mais lorsque Racheline en fit part au prétendant, celui-ci insista pour qu’une seconde rencontre ait lieu, toujours sans aucun engagement, mais cette fois en présence des enfants qu’ils amèneraient à Haifa en train pour une belle promenade. Caroline accepta.

    Elle revint enchantée de cette journée. Elle s’amouracha, pour ainsi dire, des enfants et me dit : « Maman ! Quels amours d’enfants ! Ils sont beaux, adorables, sympathiques, nous nous sommes très bien entendu, et j’avoue que j’envisage de poursuivre nos rencontres –ne serait-ce que pour les enfants-  et d’apprendre à mieux le connaître.

    Caroline n’aspirait qu’à une chose : refaire sa vie et fonder un foyer. Cela lui était nécessaire pour l’accomplissement et l’épanouissement de sa vie de femme. Ils continuèrent à se fréquenter, se marièrent trois mois plus tard et s’installèrent dans un Kibbutz.

    Cependant, Caroline n’apprécia pas la vie du Kibbutz. Son mari était affecté aux travaux dans les poulaillers. Après la naissance de leur fille, ils décidèrent de revenir sur Jérusalem, où naquit leur fils, et où ils furent plus heureux. Caroline éleva donc ses enfants et ceux de son mari auxquels elle était très attachée. Ils eurent ainsi une vie équilibrée et ne souffrirent pas du divorce de leurs parents.

 

    En 1973, quand fut déclenchée la guerre de Kippour, mon fils Yossi avait déjà été libéré de l’armée. Il était réserviste, mais ne fut pas appelé. Lorsque la nouvelle se propagea , les unités de soldats furent appelées les unes après les autres par leur codes secrets sur les ondes radio. Apprenant ainsi qu’un grand nombre de ses amis avaient été appelés, Yossi ne pouvait rester là à attendre. Il décida de se rendre à Djoulis, sa base, où il prit un tank et suivit une unité commandée par Sharon en direction du Canal de Suez franchi par les Egyptiens qui progressaient en territoire Israélien.

 

    C’était la jeunesse Israélienne d’autrefois, animée par la passion, l’enthousiasme, la joie de vivre, et le patriotisme. Mais on leur a tout pris, tout enlevé…

 

    Je n’eus aucune nouvelle de mon fils pendant la guerre, ni même après. Les accords furent signés, et toujours pas de nouvelles de Yossi. Nous savions qu’il y avait eu beaucoup de disparus, de morts, dont les noms furent communiqués, mais nous n’avions aucune information sur le sort de notre fils. Il fut question d’échanger les prisonniers. Nous avions l’espoir qu’il en faisait peut-être partie, et qu’il reviendrait avec les autres. Nos voisins venaient tous les jours aux nouvelles, mais nous ne savions toujours rien, et son nom ne figurait pas sur la liste des prisonniers. Certes, il restait encore des soldats en mission, mais tous les bureaux de l’armée auxquels nous nous étions adressés nous assuraient qu’il n’y avait pas de Yossef Mosseri sur les listes des soldats en mission. Nous étions abattus, mortifiés…

    Je reçus un jour une carte postale d’Egypte, mais postée en Israël par les soins de Tsahal, comprenant juste deux ou trois mots : « Je vais bien,  Yossi ».

 Il se trouvait bien en Egypte avec l’unité commandée par Sharon, mais son nom ne paraissait dans aucune liste, car il s’était présenté de son propre gré, sans avoir été appelé.

    On frappa un jour à la porte. J’ouvris et me retrouvai face à un individu hirsute, aux yeux  semblables à deux flammes rouges, qui était habillé en soldat, et que je ne reconnus pas. Quand il appela : « Maman », je reconnus immédiatement la voix de mon fils et criai : « Yossi ! Où étais-tu ?... ».

Tsahal venait seulement de les ramener par avion, longtemps après l’échange des prisonniers. Mon fils, qui était grand et beau avec des cheveux d’un noir de jais ondulés et des yeux d’un bleu lagon, était méconnaissable.

    Après quelques jours de repos à la maison, il reprit un aspect convenable, et nous raconta ce qu’ils avaient enduré. Ils se trouvaient à Faïd, un village arabe aux abords du Canal de Suez. Ils ne pouvaient pas dormir, étaient sans cesse sur leurs gardes. Il fallait être vigilant aux moindres bruits occasionnés par l’eau par exemple; quand ils pensaient qu’un canard se déplaçait dans l’eau, un Arabe apparaissait et leur tirait dessus. Inversement, quand ils s’apprêtaient à cueillir un Arabe, il s’avérait que c’était un canard. Il fallait s’assurer que les cris d’animaux provenaient bien du bétail des fermes alentours. Il y avait également le bruissement des feuilles et il arrivait qu’un Arabe apparaisse  du milieu de cette végétation, soit pour tirer, soit pour se rendre, mais comment le savoir ? C’était une situation très angoissante. Trois tanks avaient été abattus devant lui, mais il devait continuer. Cette guerre offrait plusieurs similitudes avec la guerre du Vietnam, en raison de l’abondante végétation et des marais.

    Il avait passé des moments effroyables, était traumatisé, et je pense qu’il ne nous a pas tout raconté, car il n’aimait pas détailler ses récits. Il se remit petit à petit de ces évènements.

 

    Par la suite, il trouva un emploi chez Sonol, une compagnie d’essence, où certains clients avaient pour habitude de s’approvisionner en essence, et ne payaient qu’en fin de mois. Il arrivait malheureusement que quelques-uns, ayant atteint des sommes faramineuses, ne pouvaient rembourser leurs dettes.

     Yossi avait une liste de ces personnes qu’il ne devait approvisionner sous aucun prétexte. Un de ces clients se présenta un jour, et Yossi refusa de le servir, précisant qu’il avait reçu des ordres auxquels il se devait d’obéir s’il voulait conserver sa place. Le client s’emporta, et après une vive discussion, finit par sortir un revolver, le menaçant de le tuer s’il n’obtenait pas gain de cause. Paniqué, Yossi n’attendit pas que celui-ci mette ses menaces à exécution et sauta par la fenêtre, qui était plus haute qu’il ne le pensait. Il réussit à se relever et prendre la fuite pendant que l’autre continuait de proférer ses menaces.

    Yossi était très sérieux. Il se levait tous les matins à sept heures, se douchait, s’habillait (il était toujours impeccable) ; ensuite il prenait son petit déjeuner et partait au travail. Un matin, vers 10 heures, je fus surprise de le voir revenir et lui demandai : « Que se passe-t-il Yossi ? ». Il répondit : « Maman ! Il m’est arrivé une chose terrible, j’étais en train de parler quand subitement, mon pied et ma main se sont bloqués. Je ne pouvais plus les bouger, ils ne répondaient plus ». Il avait l’air paniqué. Je lui proposai donc de le conduire chez le médecin. Celui-ci ne put rien diagnostiquer, et nous dit que si cela se reproduisait, il faudrait retourner le voir pour faire des examens.

    Quelques jours plus tard, le même phénomène se produisit. Racheline demanda conseil au mari de sa belle sœur, le professeur Romanoff, qui nous dit de l’emmener sans tarder à l’Hôpital Hadassa pour commencer une série d’examens. Il eut d’autres crises, parfois plusieurs dans la même journée. Il fut hospitalisé et dut subir tous les tests, de la radio du crâne  jusqu’à la ponction lombaire. Yossi avait une petite amie, et celle-ci le soutenait, et l’encourageait passant de longues heures avec lui. Il sortit après trois semaines d’hospitalisation, mais les médecins ne disaient pas exactement ce qu’il avait. Ils lui demandèrent de prendre les médicaments qu’ils lui avaient prescrit et de revenir en cas de nouvelle crise.

    Avec le traitement, les crises cessèrent durant un long moment. Yossi finit par céder aux désirs de sa fiancée qui, comme toute jeune fille, voulait se marier, et le mariage fut célébré. Mais quelques temps après, il eut d’autres crises. Je constatai que mon fils recevait régulièrement à son domicile une personne déléguée par l’hôpital pour noter comment s’était passée la semaine, et s’assurer qu’il n’y avait pas eu d’autre crise. Ce qui m’inquiéta au plus haut point.

    Yossi et moi avons toujours parlé ouvertement et clairement sur tous les sujets, tous les propos. Je finis par lui demander ce qui se passait, et ce que les professeurs avaient diagnostiqué.

    Il m’avoua que les examens avaient révélé une sclérose en plaques. Une affection du système nerveux entraînant divers troubles, et qui se manifestait par la présence de plaques au sein de la substance blanche du système nerveux central. L’endroit où elles se forment contrôle une partie du corps, qui  ne peut plus être dirigé de ce fait. Le seul espoir était que son état demeure statique, car cette maladie ne peut pas régresser.

     Nous ne savions rien de la sclérose en plaques. On nous dit qu’elle  peut sommeiller chez une personne sans se déclarer. Il arrivait, au cours d’examens post-mortem, lorsqu’une autopsie était demandée, que les médecins légistes en découvrent des cas non déclarés. La sclérose en plaques peut se manifester à la suite d’un choc, chez un sujet génétiquement prédisposé, et c’est probablement ce qui s’est produit chez Yossi qui était revenu très perturbé et traumatisé par la guerre de Yom Kippour. C’est pourquoi il put bénéficier d’une aide de l’armée.

     Yossi était membre d’une organisation regroupant des personnes atteintes de cette maladie, qui se réunissaient tous les mois. Chacun parlait de ce qu’il avait eu durant le mois, les crises, les traitements et le reste…    Ces réunions leur étaient très bénéfiques. Cette organisation avait été fondée par un certain Fridman, atteint lui-même de sclérose en plaques, et qui était Secrétaire d’Etat  du temps où Menahem Beghin était Premier Ministre. Sa première crise se manifesta alors qu’il était âgé de 18 ans. Puis, plus rien ne se produisit durant les années où il finit ses études ; il se maria et eut des enfants. Ses enfants avaient grandi et il était Secrétaire de Menahem Beghin quand une nouvelle crise se déclara. Peut-être à cause du stress de la vie politique… C’est une question de chance, les crises peuvent être espacées parfois de plusieurs années, et dans ce cas, la personne mène une vie tout à fait normale entre chacune d’elles, la maladie n’évoluant pas.

    Yossi reçut un traitement à la cortisone, qui fut efficace au début et espaça les crises durant quelque temps. Par la suite, elles furent plus fréquentes, et l’état de mon fils se dégrada à chacune d’elles. Je compris que mon fils était très malade, et que chaque évolution de sa maladie serait sans retour. A présent, Yossi, est sur une chaise roulante, mais son optimisme demeure, il est toujours souriant, et lorsque je lui téléphone pour avoir de ses nouvelles sa réponse est invariablement : « Je vais très bien, Maman ! ».

 

En 1984, mon mari, qui était à la retraite depuis quatre ans, allait tous les samedis matin à la synagogue. Il n’était pas très religieux, mais c’était pour lui, qui avait travaillé durant de nombreuses années, une occupation, une occasion de rencontrer des gens. Il effectuait également quelques heures de travail chez un avocat. Un vendredi, il rentra et me dit : « Marie, j’ai téléphoné du bureau à mon frère David, il avait à peine la force de parler, il m’a parut très malade, il avait l’air agonisant ». Je lui répondis : « Ton frère habite à Holon, il n’est ni en Egypte ni en Europe, tu peux aller le voir ». Il acquiesça et décida de se rendre au chevet de son frère le lendemain. Il n’en eut malheureusement pas l’occasion.

     Le samedi matin, j’avais préparé la table pour le déjeuner et attendais qu’il revienne de la synagogue. Il devait être dix heures trente quand j’entendis la sonnerie, et tout en me dirigeant vers la porte, je me demandai pourquoi il n’avait pas pris ses clés, certaine que c’était lui. J’ouvris et me retrouvai face à un jeune homme qui était un parent éloigné de mon mari et priait dans la même synagogue. Il me dit : « Tante Marie, descends vite à la synagogue, car l’oncle Vita a eu un malaise, et mon frère a déjà appelé une ambulance ».

   En hâte je m’habillai et me rendis à la synagogue. Je trouvai mon mari inconscient dans l’ambulance où les infirmiers l’avaient déjà transporté et lui donnaient les premiers soins. Quand je leur dis que j’étais son épouse, ils m’informèrent qu’il s’agissait d’une attaque cardiaque, et me demandèrent des informations sur son passé médical. Je leur appris qu’il avait déjà eu deux attaques de ce genre, et que je possédais un dossier complet sur son état de santé. Ils me demandèrent d’aller chercher en vitesse ce dossier, avant de nous rendre à l’hôpital Hadassa.

    Au service des urgences, l’infirmière voulu lui prendre la tension quand soudain, sorti de sa torpeur, il se mit à crier : « Marie ! Je vais mourir ! Je vais mourir ! ». Nous essayions de le calmer pour pouvoir prendre sa tension, mais il continuait de crier : « Marie ! Je vais mourir ! ». Puis tout à coup, il devint bleu et perdit connaissance. Sans perdre de temps, il fut transporté dans le service de cardiologie, où les médecins le ranimaient à coups de chocs électriques. Je ne fus pas autorisée à entrer dans la pièce, et en profitai pour téléphoner à mes enfants qui n’étaient pas encore au courant.

    Lorsque les médecins sortirent de la salle, ils me dirent que c’était  bien une attaque cardiaque et qu’ils faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour le sortir du coma dans lequel il avait sombré. Nous étions samedi et il était environ midi. Je rentrai dans la pièce où je trouvai mon mari sans connaissance mais relié à différents appareils d’assistance respiratoire, d’électrocardiogramme et d’autres encore… Les infirmiers me demandèrent de lui parler pour vérifier s’il avait une réaction, s’il entendait… Je m’approchai de lui et l’appelai : « Vita ! Vita ! ». Il bougea un œil. Comme ils s’étonnèrent qu’il n’en bouge qu’un, je leur expliquai qu’il n’avait jamais vu de l’autre œil. Ils m’informèrent ensuite qu’il y avait un problème dans le fonctionnement des reins. Je leur répondis qu’il avait subi une ablation d’un rein en Egypte en 1947. Ils notèrent toutes les indications que je leur donnai et qui répondaient à leurs questions. Je restai à son chevet jusqu’au dimanche. Son état demeurait inchangé.

    Vers minuit, les médecins me conseillèrent de rentrer chez moi, et de leur laisser mon numéro de téléphone afin qu’il puissent me prévenir en cas de changement. Ils m’expliquèrent que son état était grave, qu’ils tenteraient peut-être une intervention pour enlever  le caillot de sang qui s’était déplacé et se trouvait à présent dans le cerveau. Je rentrai donc chez moi ainsi que mes enfants. C’est à quatre heures du matin que je reçu l’appel de l’hôpital m’informant que son état s’était aggravé et qu’il était souhaitable que je me rende à son chevet. J’accourus avec mes enfants. Il n’y avait plus rien à faire. Mon mari est décédé le lundi cinq novembre 1984 à six heures du matin. Ce fut très dur pour moi, très pénible, vraiment effrayant.

 

    Mon mari ne s’est jamais occupé de gérer les achats et les dépenses à la maison. C’est moi qui me chargeais de tout. Lui se contentait d’effectuer scrupuleusement et consciencieusement son travail, et de ramener son salaire en fin de mois. Pourtant, après son départ, je me retrouvais totalement désemparée, incapable de faire le moindre achat.

     Nous avions passé ensemble la plus grande partie de notre vie et il était toujours satisfait de ce que j’entreprenais. Lorsque le besoin nécessitait une dépense imprévue, il me disait toujours : «  Je ne peux pas ! Je n’ai pas la somme ! Et quand je n’ai pas le montant nécessaire pour acheter la chose, je n’en ai plus besoin ». C’était sa devise. Ce n’était pas de l’avarice, car s’il pouvait  l’acheter, il le faisait, mais il ne voulait pas s’endetter. Dans son travail, il brassait des sommes phénoménales, mais la vue de tous ces billets ne le tentait pas, et l’idée de s’offrir des articles de luxe ne l’effleurait même pas. Il ne voulait pas dépenser plus qu’il ne gagnait, se contentait de ce qu’il avait et en était heureux.

 

Je respectais ses principes, et ne lui ai jamais imposé de dépense qu’il ne voulait pas faire. Mais ces mots-là : « Je ne peux pas et je n’ai pas » me forcèrent à prendre en charge toute la gestion de la maison. C’était moi qui décidais, qui entreprenais, qui donnais les ordres, qui empruntais, qui achetais, qui payais. Tout reposait sur mes épaules, et lorsque je désirais faire un achat, je le payais de mes revenus.

    Je faisais à mon domicile des travaux de couture, ainsi que de la cosmétique en pratiquant des épilations sur des jeunes filles. Après le mariage de mes enfants, j’ai travaillé pendant dix-sept ans chez ATA, une chaîne de magasins qui avait une usine de textile à Kfar Ata. J’achetais ainsi tout ce dont j’avais envie. Et j’avoue que mes goûts n’ont jamais été « bon marché ». J’ai toujours aimé les belles choses. Mais du jour où il m’a quittée, j’avais peur de dépenser ne serait-ce qu’une piastre. Inconsciemment, je puisais toute mon énergie et mon audace dans sa seule présence.

    On ne peut imaginer ce qu’est la perte de cette moitié de soi-même. Cette sensation de vide, d’absence redoutés dans le proverbe arabe : « L’ombre d’un homme, mais jamais l’ombre d’un mur ! ». Que le mari soit le meilleur ou le pire, important ou insignifiant, il y a un homme qui rentre à la maison, un homme avec qui rire, parler ou même se disputer...

    Une fois passée la semaine de deuil, où la maison se transforma en véritable carnaval, après toute cette mascarade que je me devais de subir vis-à-vis de ma belle-famille, je me retrouvai seule. Chacun de mes enfants avait regagné ses pénates, rejoint conjoint et enfants, et j’eus l’impression de sombrer dans le néant… J’étais seule et ne savais que faire, j’avais peur ; peur de rester seule, peur au point de prendre une chaise et m’installer dehors sur le palier plutôt que rester dans cet appartement désert ; peur de mourir sans que personne ne s’en aperçoive. Psychose….

 

    Durant la semaine de deuil, la Directrice de la Wizo, où travaillait Racheline, était venue nous présenter ses condoléances. Elle dit à Racheline « Ta maman est jeune et intelligente ! Il ne faut pas la laisser se morfondre ! Il faut qu’elle travaille ! Nous devons lui trouver une occupation ! ». J’avais 60 ans, mais j’en paraissais 40.        Le service s’occupant du troisième âge à la Wizo reçut un jour la visite d’une personne âgée, les priant de lui trouver une personne disponible (célibataire, veuve ou divorcée) susceptible de pouvoir vivre chez sa petite fille qui se trouvait aux Etats-Unis. Celle-ci était médecin, tout comme son époux, avait deux enfants dont le deuxième venait de naître, et recherchait une nourrice à demeure qui tienne un peu le rôle d’une grand-mère. Ce qui lui permettrait de reprendre son travail tout en étant rassurée sur le sort de ses enfants.   

    Racheline me téléphona et me parla de cet emploi. Auparavant, elle m’avait proposé un poste de réceptionniste chez un chirurgien, mais j’avais refusé. Lorsque je lui demandai le lieu de travail, elle me répondit : « Les Etats-Unis ». Immédiatement, j’acceptai : « Si c’est aux Etats- Unis, c’est d’accord ! ». Je voulais partir, tout quitter, je ne pouvais plus rester dans cet appartement depuis que Vita n’y était plus ; je ne voulais plus voir les gens que je voyais quand il était là. Tout ici me faisait penser à lui. Seul un changement radical pouvait m’aider à surmonter la détresse et le chagrin que j’éprouvais.

    Racheline me transmit les coordonnées de la maman qui, elle aussi, était médecin et habitait en Israël. Je m’empressai de la contacter. Il s’avéra que je connaissais cette personne pour l’avoir rencontrée lorsque je visitais sa voisine, qui était une de mes amies. Je connaissais également sa fille Ruth, la maman des enfants que je devais garder, et discutais parfois avec elle  lorsqu’elle étudiait sur le balcon voisin.

     Elle m’expliqua que Ruth était partie aux Etats-Unis, où elle se maria et eut ses deux enfants coup sur coup. Elle m’engagea de suite, m’assura qu’elle me paierait le billet d’avion aller et retour, à condition que je reste un an. J’acceptai. J’ai toujours tenu mes engagements, même s’il m’arrivait parfois de le regretter par la suite ; j’accomplissais jusqu’au bout mes promesses. Le départ était prévu pour début février. Aussitôt, je passai une annonce pour louer mon appartement pendant la durée de mon absence.

    Mes locataires étaient un couple qui revenait d’Afrique après huit ans d’absence. Le mari était  ingénieur de construction en Côte d’Ivoire. Lorsqu’ils vinrent visiter l’appartement, son épouse dit : « Je ne bougerai pas d’ici, c’est là que je veux habiter ». Mon appartement était vraiment scintillant de propreté. Le balcon ressemblait à un jardin avec ses fleurs et ses plantes grimpantes.

    La veille de mon départ, je m’aperçus que mes locataires fumaient tous les deux. Je les priai donc de fumer où bon leur semblait, mais surtout pas dans ma chambre à coucher. Je craignais pour mon matelas dont je prenais grand soin et qui paraissait neuf. Je prenais soin de tout mon mobilier et tout était en parfait état. Le salon et les tapis étaient neufs.

    J’avais tout emballé, tout ficelé (vaisselle, bibelots, etc.) dans des cartons bien étiquetés, et entreposé le tout dans une pièce fermée à clé. J’avais travaillé durant des années dans un magasin et l’emballage n’avait pas de secret pour moi. Toute ma maison était dans des caisses, et tout ce travail fut fait en dix jours, avant mon voyage pour les Etats-Unis.

 

    Je quittai le pays, laissant derrière moi ma maison, mes enfants, mes amis et tout ce qui me faisait penser à Vita, à sa mort, au vide qui m’habitait depuis son départ.

    L’avion tournait depuis plus d’une heure au-dessus des nuages qui couvraient le ciel de New York, balayé par le violent orage qui nous empêchait d’atterrir, quand enfin il réussit à se poser. Comme convenu, je me dirigeai vers la sortie où attendaient les chauffeurs de minibus munis de pancartes à l’attention des voyageurs, et trouvai celui qui tenait le panneau me concernant : « Marie – Philadelphie ». Je montai dans le minibus, qui fit le tour des autres aéroports et ramassa d’autres passagers, avant de prendre la direction de Philadelphie.

    Il faisait nuit noire, et par ce climat orageux on ne percevait absolument rien alentour ; nous avions l’impression que le minibus se déplaçait dans le vide, le néant. Les autres passagers descendirent tous avant moi. Je me retrouvai seule avec le chauffeur et son compagnon dans ce minibus qui n’en finissait pas de rouler dans cette nuit noire et glacée ; une nuit cauchemardesque. Ce qui était étrange, c’est que, hormis des arbres peints en blanc tout au long de la route, il n’y avait aucun paysage, ce qui offrait un spectacle incroyable, inattendu. Je me demandai si cette région était habitée…Le chauffeur et son compagnon avaient l’air bien mal en point. Les deux ne cessaient de tousser à s’arracher les bronches, et je commençai à me sentir mal.

 

à suivre--- à suivre--- à suivre--- à suivre--- à suivre--- à suivre--- à suivre--- à --   

 

 

 

 

31/10/2008

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MA SORTIE D’EGYPTE

par Marie Mosseri

 

Cinquième Partie

 

Je reçus un jour une lettre de mon mari m’informant qu’un prétendant avait demandé la main de Racheline, et que celle-ci devant bientôt se fiancer, il était souhaitable que j’achète ce qui était nécessaire à une future mariée.

         Mon beau-frère me remit de l’argent et me dit : « Achète ce qu’il faut pour Racheline ». Avec cette somme j’achetai un manteau, des combinaisons, des chemises de nuits et plusieurs autres choses. Il me remit également des valises pleines de costumes et autres habits neufs qu’il avait rapporté du Caire où il tenait une boutique de vêtements pour hommes, et qu’il destinait à mon mari. Ce fut une aubaine pour Vita qui porta ces costumes durant de nombreuses années.

Ayant appris ma présence en Italie, un autre de mes beaux-frères m’invita à Livourne. Et comme la nouvelle de mon voyage en Europe se propagea jusqu’au Caire, ma sœur Alice, qui se rendait en Suisse pour soigner son fils malade, me contacta pour me donner rendez-vous à l’aéroport de Rome.

         Je quittai donc la famille de Milan, laissant mes valises à mon beau-frère qui devait se charger de leur acheminement jusqu’au port de Naples, où je reprenais le bateau quelques jours plus tard. Et munie d’un bagage à main contenant le strict nécessaire pour les dix jours restants, je me rendis à l’aéroport de Rome où je retrouvai ma sœur Alice qui vint passer quelques jours avec moi à Livourne. 

    J’ai beaucoup aimé Livourne, qui me faisait penser à Helouane, le village habité l’hiver par ma grand-mère, sauf que Livourne se trouvait au bord de la mer. Nous ne sommes pas allées nous baigner car la saison ne s’y prêtait pas, mais j’ai beaucoup apprécié ce climat méridional, la plage et cet air marin. J’en gardai un si bon souvenir que bien des années plus tard je dis à mon mari : « Quand tu seras retraité, nous aurons un pied-à-terre à Livourne, ce qui nous permettra de voyager un peu en Europe ». Nous étions italiens, avions des passeports italiens, il nous était possible d’avoir un appartement en Italie. L’homme propose, et D… dispose ; malheureusement, ce projet ne se réalisa pas. Mais je garde un merveilleux souvenir de Livourne ; cette ville  est entrée dans mon cœur, j’y ai été choyée et dorlotée par la famille de mon mari.

 

    Ma sœur Alice me remit un grand mouchoir  noué contenant des bijoux appartenant à ma tante qui n’avait pas d’enfant, et me dit : « Ces bijoux appartiennent à notre tante, qui m’a demandé de te les remettre afin que tu les emmènes en Israël, et que tu les gardes jusqu’à son Alyah ». J’ouvris le mouchoir qui contenait un grand nombre de chaînes, de médaillons et autres pendentifs et bracelets en or, ainsi qu’une magnifique paire de boucles d’oreilles en diamants, chacune composée d’un gros diamant central entouré de  sept petits diamants. Je rangeai les bijoux dans mon sac, et craignant d’égarer les boucles d’oreilles d’une valeur inestimable, préférai les porter à mes oreilles.

    Mon séjour terminé, après les au revoir et embrassades à la famille, je me mis en route pour Naples où j’arrivai en avance, sous un soleil de plomb. J’en profitai pour tourner un peu dans cette ville, habitée principalement par des personnes pauvres et âgées, qui me dévisageaient, probablement à cause des boucles d’oreilles en diamants, auxquelles je ne pensais plus.

    Je me présentai ensuite au stand pour récupérer les valises envoyées par mon beau-frère de Milan. Le préposé me réclama une somme phénoménale pour le retrait des valises. Je commençai à paniquer car je n’avais pas cette somme. Je répondis que mon beau-frère avait déjà payé à Milan. Il  ne voulut rien entendre et rétorqua qu’il ne me donnerait mes valises qu’en échange de la somme. J’étais en plein cauchemar. Je fondis en larmes sans pouvoir m’arrêter. Fixant mes boucles d’oreilles, l’employé me dit : « Pourquoi pleurez-vous ? Vous êtes riche ! ». Mais me voyant en pleurs, il eut pitié de ma détresse et accepta de baisser le montant à 10 000 Lires. Il m’appela ensuite un taxi avec lequel il discuta le prix pour m’emmener au port. Ces gens-là n’étais pas honnêtes et gonflaient les prix dès qu’ils voyaient arriver un touriste.

     J’achetai des marrons glacés et d’autres friandises pour les enfants et nous prîmes la route. Le chauffeur ne cessait de me dévisager dans le rétroviseur, posant des questions sur l’endroit où je me rendais, les yeux fixés sur mes boucles d’oreilles. J’eus droit à ses plaisanteries moqueuses quand je lui répondis que je retournais en Israël. J’avais hâte d’arriver au port. Je n’osais répondre à ses quolibets de crainte qu’il ne m’emmène ailleurs. J’avais peur, et mes suées étaient décuplées par cette chaleur imprévisible en ce mois de Novembre. Je portais un manteau.

     Arrivés au port, il contesta le prix de la course, mais là, à proximité du bateau et de tous les voyageurs, je repris mon assurance et lui dis : « C’est le prix dont nous étions convenus, je n’ai rien de plus ». Une fois à bord, je remerciai le ciel d’y être arrivée et je remerciai D… de n’avoir pas exaucé mes souhaits de ne plus retourner chez moi…

 C’est ainsi que je pus rentrer en Israël, avec toutes mes valises et les bijoux de ma tante.

 

    En arrivant là-bas, je constatai que le jeune homme désireux d’épouser Racheline était un « bon parti ». Il s’agissait du frère d’Ezra Adaya, le Procureur Général de Jérusalem. Lui-même était Directeur au Tribunal des Huissiers de Justice, et sa sœur était mariée au Professeur Romanoff de l’Hôpital Hadassa.

       La famille Adaya, d’origine syrienne, était une famille pour le moins présomptueuse. Les enfants nés en Israël avaient reçu une excellente éducation et parlaient couramment le français et l’anglais. A la synagogue, ils rencontrèrent Racheline, qui se trouvait là avec son père au moment des fêtes. Elle était si belle, ma Racheline, qu’il en restèrent tous ébahis.  Ils ne lâchèrent pas mon mari, ne cessant de lui poser des questions sur nos origines, l’assurant de leurs bonnes intentions envers notre fille.  Elle portait ce jour-là une  magnifique robe blanche en guipure qui lui donnait une allure de princesse.

J’avais acheté cette dentelle avec l’argent des premières indemnités reçues à la suite de mon accident, et je m’en étais fait une robe. Racheline et moi avions à peu près les mêmes mensurations. Elle était seulement plus grande, mais la longueur de la robe convenait à son jeune âge. Je lui avais offert cette robe qui lui allait comme un gant avant mon départ pour l’Europe.

     Dès mon arrivée, j’organisai un dîner à notre domicile afin de rencontrer le fiancé et sa famille. Aidée de ma sœur Rachel, spécialiste de la bonne cuisine, nous préparâmes un bon repas et une très belle table. Il se présenta avec  sa maman, son frère et sa sœur  accompagnés de leurs conjoints. Ils furent tous époustouflés et s’exclamèrent : « Quelle belle maison, et bien tenue ! Nous ne pensions pas que vous étiez si bien installés ! ». La maison était, il est vrai, très belle et très spacieuse mais construite dans un quartier très sale ; telle une fleur qui aurait poussé au milieu d’une décharge publique.

    A cette époque, Racheline travaillait dans une entreprise où, comme beaucoup de jeunes filles de son âge, elle était exploitée. Nous étions en partie responsables, car notre mentalité égyptienne nous dictait qu’une jeune fille devait travailler, même avec un salaire minimum, afin d’obtenir la formation et l’expérience nécessaires à toute employée. La nouvelle de son mariage avec un membre de la famille Adaya, connue comme le loup blanc, se propagea rapidement ; il ne manquait que les tambours et trompettes. Et donc son employeur qui lui versait un salaire dérisoire alors qu’il empochait une somme importante pour sa formation, prit peur et mit fin à son contrat. Il lui fit un beau cadeau et lui dit : « Je regrette, mais je n’ai plus besoin de vous, et franchement je ne tiens pas à avoir des problèmes avec votre belle-famille ».

   Ma fille aînée s’est mariée après mon retour d’Europe fin 1957, et je m’aperçus que j’étais enceinte. La prédiction de l’oncle de Milan, m’affirmant que mon mari me ferait un autre enfant se réalisa. J’avais trente-quatre ans, mais j’étais mince, et personne ne me donnait mon âge. Lorsque j’allais voir ma fille Racheline, les voisines me disaient : « Bonjour Madame Adaya, comment allez-vous ? ». Je répondais : « Je suis Madame Mosseri, la maman de Madame Adaya ». Elle étaient toutes étonnées : « Vraiment, c’est incroyable, vous vous ressemblez comme deux gouttes d’eau ». Ce phénomène se produisait déjà lorsque Racheline venait me chercher à ma sortie du travail. Mes collègues me demandaient si c’était ma sœur, et quand je répondais qu’elle était ma fille, tous étaient stupéfaits.

    Personnellement, je trouvais qu’elle était plus belle parce qu’elle était plus grande, plus élancée. Mais elle avait adopté ma façon de m’habiller et de me coiffer, ce qui nous rendait si semblables.

Et donc, au lendemain du mariage, il me fallut subir une interruption de grossesse. Je ne pouvais pas garder cet enfant pour plusieurs raisons. D’une part j’avais souffert durant mes précédentes grossesses d’hémorragies localisées entre l’enfant et le placenta ; je perdais souvent connaissance, ne voyais rien, n’entendais rien mises à part les cloches qui tintaient dans ma tête.       En particulier pour la grossesse de mon fils Yossi pendant laquelle je me sentais complètement partir, et où je  croyais que ma dernière heure avait sonné. D’autre part, je venais de marier ma fille, j’avais d’autres enfants à la maison, c’est dire que notre situation financière n’était pas des meilleures…

 

    Ce n’était pas le premier curetage que je subissais ; j’ai même failli ne pas avoir mon fils Yossi. A l’époque, je m’étais rendue chez une gynécologue qui pratiquait des avortements, et que l’on m’avait recommandée. Après m’avoir examinée, celle-ci me donna un rendez-vous pour le lendemain, précisant qu’il fallait payer cash. Je n’étais pas très rassurée, car j’avais entendu dire que certaines femmes étaient décédées à la suite d’hémorragies survenues pendant un curetage. Par ailleurs, elle ne m’avait pas non plus demandé de venir accompagnée de mon mari, ne s’inquiétant pas de la façon dont je rentrerais seule chez moi après le curetage.

    J’avais apporté, comme convenu, le montant en espèces, que mon mari s’était procuré je ne sais où ni comment, à l’époque où il travaillait au King David. Mais, en la voyant préparer les différents instruments dont elle devait se servir, cette femme ne me parut soudain plus humaine. Je la percevais comme une charcutière, l’imaginais me jetant dans un hôpital si par malheur je faisais une hémorragie pendant le curetage. Prise de panique, je me suis enfuie, pleurant à gros sanglots le long du chemin qui me ramenait chez moi. Je poursuivis donc ma grossesse jusqu’à terme et mis au monde mon petit Yossi.

Ainsi, après le mariage de ma fille, mon mari et moi, prîmes la décision d’interrompre la grossesse. Quelques mois plus tard, je consultai un gynécologue pour un problème de perte de sang. Il diagnostiqua un kyste ovarien qui pouvait se résorber sans qu’il fût nécessaire d’intervenir. Après quelques mois, le kyste n’ayant pas disparu, il décida de m’hospitaliser pour m’opérer. Je pleurais, je tremblais de peur, non pas à cause de l’intervention, mais pour mes problèmes d’allergie car je devais être anesthésiée, et ne savais comment je réagirais aux antibiotiques.

Je les suppliai : « Je vous en prie, faites-moi des tests ». Ils acquiesçaient, mais me prenaient pour une hystérique et chuchotaient entre eux. Mais ils pouvaient toujours chuchoter dans la langue qu’ils voulaient, je comprenais…

     La veille de l’opération, je dis à l’infirmière que je refusais toute intervention sans examen préalable. Elle me rassura : « Calmez-vous, je vais vous donner un comprimé contre les allergies ». Elle revint quelques minutes plus tard et me tendit une pilule. Confiante, je l’avalai et me mis au lit. Bien entendu, une réaction allergique ne tarda pas à se manifester… C’était effroyable ;  ma peau était déchiquetée et du sang apparaissait aux endroits où je passais la main. Seules les injections de calcium en  intra veineuse stoppaient ces allergies. Je m’écriai : « Que m’avez-vous donné ? Je vous ai dit que j’étais allergique à la pénicilline, l’aspirine, la streptomycine, et que tout antibiotique doit être testé avant absorption » !

    Il convoquèrent un grand spécialiste allergologue de Haifa,    m’informèrent que celui-ci arriverait tard dans la nuit et que je devrais répondre à ses questions.

   Il se présenta vers deux heures du matin, mais je fus soulagée d’être enfin en présence d’une personne susceptible de comprendre mes problèmes. Il me posa des questions sur mes allergies aux différents produits. Je l’informai que la première allergie s’était manifestée suite à la prise de pénicilline pour soigner une gangrène. La seconde avait eu lieu un peu plus tard ; j’étais soignée pour une infection rénale, et connaissant mon allergie à la pénicilline, on me prescrit des injections de streptomycine. Lorsque l’infirmier se présenta à mon domicile, je lui demandai néanmoins s’il y avait déjà eu des cas d’allergie à la streptomycine. Il me répondit : « Jamais ». Je le laissai donc m’injecter le produit.

    Il se dirigeait vers la sortie et, me levant pour le raccompagner, je tombai en arrière les yeux exorbités, la peau rouge. Affolé, il revint en vitesse à mon chevet craignant de m’avoir assassinée, et s’écria : « Je n’ai jamais vu ça ! Je n’ai jamais vu ça ! ». J’eus tout juste le temps de lui demander d’appeler mon médecin, le Dr Hirsch avant de perdre connaissance.

     A mon réveil, je trouvais l’infirmier qui n’avait pu se résoudre à partir, et le médecin qui, m’ayant fait une injection de calcium pour me ranimer, me disait : « Marie, Marie, où étais-tu ? Sais-tu que tu n’étais plus avec nous ? Tu reviens de très loin… ».

   Lorsque je finis mon récit, le spécialiste se leva, et s’adressant en anglais aux autres médecins, dit : « Elle est très allergique, vous ne pouvez lui faire absorber aucun antibiotique. La seule possibilité est de verser des solutions antibiotiques et antiseptiques sur les parois au moment de l’intervention ».

    Rétrospectivement, je considérais que c’était une chance qu’ils m’aient donné cette pilule qui déclencha l’allergie, et qu’effrayés par les effets, ils firent appel à un spécialiste.

Le lendemain, quand ils vinrent me faire la première injection, avant l’anesthésie, je pleurai et je priai. Les malades qui se trouvaient dans la même salle que moi, avec lesquels j’avais sympathisé, me rassuraient et priaient également.

    L’obstétricien qui devait m’opérer était un spécialiste réputé. Les malades venaient de tout le Moyen Orient pour être opérés par lui. Je l’entendais parler aux autres médecins en anglais, pensant que je ne comprenais pas ce qu’il disait. Sans doute s’imaginaient-ils que tous ceux venant d’Egypte étaient des paysans et ne comprenaient pas l’anglais. Ils ignoraient que nous avions là-bas une vie meilleure que la leur. Il leur dit : « Elle est très jeune, mais nous devons opérer les deux ovaires ; les kystes sont trop gros ». L’un avait la taille d’un œuf, le second celle d’un pamplemousse. C’est à ce moment-là que j’appris l’existence du second, que j’ignorais.

     J’étais très mince, et paraissais très jeune. Le chirurgien, croyant que je n’avais que dix-sept ans, fut surpris en examinant mon ventre, de constater des signes d’une grossesse passée, et me dit : « Je vois que vous avez déjà accouché ! ». Je répondis : « Oui, j’ai accouché quatre fois ». Il s’étonna : « Quatre fois ? Quel âge avez-vous ? Quand avez-vous fait vos enfants? ». Je lui répondis que j’étais née en 1923, et que j’avais seize ans lors de ma première grossesse. Tout ceci sur le ton de la plaisanterie, ponctué de rires.

Il m’informa qu’il n’avait pas d’autre alternative que d’opérer les deux ovaires. L’intervention se déroula sans problème, mais je gardai pour moi la question qui me turlupinait. Je savais que cela pouvait être un cancer, je savais que cela pouvait être la fin, mais je n’osais poser la question à des sommités.

   Le lendemain, je commençais à avoir beaucoup de fièvre. L’infirmière s’avançait dans la salle, poussant le chariot contenant les différents antibiotiques qu’elle injectait aux malades qui avaient été opérés. Lorsque mon tour arriva, elle me dit : « N’ayez pas peur, ce n’est pas un antibiotique, c’est du Pétidil, un puissant analgésique, parce que vous souffrez beaucoup ». Je répondis qu’effectivement je souffrais, mais que j’avais également beaucoup de fièvre. Elle m’apprit que c’était normal car après une intervention, l’endroit opéré s’infecte, puis guérit progressivement. C’est le processus avant rétablissement. Bien entendu, en ce qui me concernait, ce fut beaucoup plus long puisque je ne prenais pas d’antibiotique. Les malades partaient les uns après les autres, et je devais attendre la guérison complète de la plaie. Je fus rassurée sur ce point ; en revanche, restait la question qui me tracassait, et que je ravalais sans cesse : était-ce cancéreux ?

    Une dizaine de jours après l’intervention, le médecin vint me voir et me dit : « Madame Mosseri, je sais la question que vous brûliez de poser ». Je m’étonnai : « Quelle question voulais-je poser ? ». Il répondit : « Vous vouliez connaître les résultats des analyses faites sur les kystes ». J’ai toujours eu un visage très expressif, on y lisait comme dans un livre ; je ne pouvais pas cacher mes sentiments. Il dit : « Vos kystes ovariens sont des kystes qui ne peuvent  pas dégénérer en cancer ; ils contiennent des poils, des ongles et des dents ». Je pensai qu’il se moquait de moi. S’il était venu dans l’intention de me rassurer et m’ôter tout soupçon, il n’y réussit pas, au contraire, j’étais encore plus inquiète.

    Je ne dis rien, mais il lui suffit de voir mon expression pour savoir ce que je pensais. Il me dit : « Je ne me moque pas de vous, c’est vrai, il existe une sorte de kyste qui contient ce que je vous ai énuméré ». Cela ne me rassura pas pour autant, et j’attendis avec impatience le jour où je pourrais quitter l’hôpital.

    La première chose que je fis, fut de me rendre au Centre Culturel Français, pour demander le Dictionnaire Médical. J’étais curieuse, je ne me contentais pas de n’importe quelle description ou explication. Malgré le peu d’études dont j’avais bénéficié, je voulais savoir, j’aimais savoir ; j’étais très réceptive. La bibliothécaire m’apporta un livre aussi grand que la moitié d’une table, et m’aida à trouver la définition recherchée, qui rejoignait mot pour mot celle faite par le médecin, à savoir : kyste ovarien qui contient des cheveux, des ongles et des dents. En fait, ce devait être un embryon jumeau qui aurait du naître en même temps que moi. Cet embryon ne s’était pas développé, et s’était fixé sur mes organes génitaux.

 

    Ce fut un soulagement. J’étais débarrassée de cette angoisse qui me rongeait depuis mon entrée à l’hôpital et que je gardais pour moi. A qui aurais-je pu en parler ?   A mon mari ? Non ! C’était impossible, cela faisait partie des sujets tabous, on ne parlait pas de ces choses-là. A ma famille ?

A Tel Arza j’étais éloignée de tous, je n’avais ni amis ni famille, personne à qui me confier, mis à part les quelques ignorants qui m’entouraient. Une fois rassurée, j’acceptai d’aller quelques jours dans une maison de convalescence afin de me remettre complètement de l’intervention.

 

Je vécus très mal la période où nous habitions à Tel Arza. Nous avions un bel appartement, neuf et spacieux, mais construit dans un endroit très sale. Pour nous rendre dans le centre de Jérusalem, nous prenions un bus qui devait passer par Méa Chéarim, et les quartiers religieux. Ce bus était toujours envahi par des Nétouré Karta aux chapeaux et vêtements tachés de graisse, empestant le bus de leur odeur nauséabonde. Je me posais souvent cette question, à laquelle je n’ai jamais trouvé de réponse : Comment ces personnes, qui devaient sans aucun doute se laver pour le jour de Yom Kippour, pouvaient-ils être aussi sales dès le lendemain ? Je pleurais de devoir faire le trajet avec eux. Même en Egypte, où l’on trouvait des Arabes très bien, et d’autres beaucoup moins bien,  je n’avais jamais vu ça. Nous sommes restés onze ans à Tel Azra. J’étais dans un état dépressif et pleurais souvent de devoir y vivre. Peu m’importait qu’ils soient juifs, cela m’horripilait de les approcher. Ce n’était pas par snobisme, mais c’était un milieu auquel je ne pouvais m’intégrer.

    Je décidai qu’il était temps de quitter cet endroit. Tous ceux que nous connaissions avaient progressé et nous étions toujours au même point. Ma sœur Irène, par exemple, qui avait immigré bien après nous, avait aussi habité Tel Arza, puis était passée à Kiriat Moché avant d’aller à Tel Aviv. Mais nous étions encore à Tel Arza.

    Mon mari n’osait pas demander d’emprunt à son directeur. Pour l’achat de la première maison à Kfar Ata, j’avais vendu ma part d’un terrain à Haifa qui appartenait à mon père, ainsi que mes bijoux. Nous n’étions pas habitués aux emprunts, mais tout le monde avait fini par s’y résoudre. Sans crédit, nous n’avions rien. Et sans audace, impossible d’obtenir le crédit. Il m’arrivait de me mettre en colère. Dans ces cas, mon mari obtempérait immédiatement : « Oui ! Oui ! Je vais aller voir mon directeur ». Aussitôt, son visage se rembrunissait, et se renfermait. Contrairement à moi qui étais très ouverte, il n’était pas très communicatif. Lorsque plus tard je lui demandai si l’entretien s’était bien passé, il avait déjà préparé une excuse : « Aujourd’hui, je voulais me rendre dans son bureau, mais il était sorti… ».

    Ces excuses se renouvelant sans cesse, je décidai de me rendre moi-même chez le directeur. Je savais que cela n’était pas la meilleure solution, mais je n’avais pas d’autre choix. Je me rendis chez le directeur, qui n’avait pas l’air d’apprécier le procédé, et s’étonna que je fasse la demande d’emprunt à la place de mon mari. Je lui exposai notre situation, et lui dis que je me permettais de me présenter à la place de mon mari qui n’osait pas faire la demande, mais que ceci étant fait, il viendrait probablement confirmer mes dires.

C’est ainsi que nous avons pu quitter Tel Arza pour Kiriat Yovel où nous avions trouvé un appartement beaucoup plus petit, mais très agréable.

 

    La vie reprit son cours. Mes enfants grandirent. Mon cousin Richard, qui avait fait son Alyah avec nous, était un jeune homme très instruit et très cultivé. Il avait étudié l’arabe à l’université, parlait également le français, l’anglais et l’espagnol en plus de l’hébreu. Il travaillait au ministère des affaires étrangères, et fut délégué à Washington et au Mexique. A son retour, il nous fit part de son intention d’épouser Caroline. Mon mari, qui avait eu le temps d’apprécier les qualités de Richard au moment de notre alyah (il plaisantait souvent avec lui et s’en était fait un copain), le considérait comme le gendre idéal.

    En ce qui me concernait, ma réaction, fut toute autre, car j’étais contre les mariages co-sanguin. Il était mon cousin germain, son père et ma mère étaient frères. Mais Caroline étant également très éprise, je ne pus m’y opposer longtemps, et le mariage fut célébré. Par la suite, un poste à l’U.N.E.S.C.O. les contraignit à partir pour l’Europe où Caroline souffrit le martyre. Ils s’installèrent à Milan, où se trouvaient déjà les parents de Richard, ainsi que la famille de mon mari, les oncles de Caroline. Malheureusement, Richard eut un dysfonctionnement de la glande thyroïde, qui affecta son état psychique, et leur vie conjugale se dégrada rapidement. Richard décida d’éloigner Caroline de la famille, craignant que leurs relations cahoteuses ne s’ébruitent.

     Il demanda à être muté en France, où la vie de Caroline se transforma vite en calvaire. La schizophrénie et la paranoïa de Richard allèrent de mal en pis. Ils habitaient à Neuilly, et Richard, se sentait espionné, était persuadé que l’appartement était truffé de micros. Il promenait Caroline dans les métros jusqu’à des heures tardives, l’emmenant dans des endroits déserts où il espérait n’être entendu de personne ; il la mettait en garde contre des espions imaginaires, lui interdisant de parler à la maison. Caroline savait qu’il était inoffensif et ne lui ferait pas de mal, mais elle redoutait ses obsessions et finit par en avoir peur.

    Durant cette période, le même cauchemar me revenait sans cesse. Je rêvais que Caroline était malheureuse, et que Richard la traînait dans les rues par ses cheveux. Je me réveillais en sursaut, mais n’en parlais pas à mon mari, qui, d’une part adorait Richard, et d’autre part ne parlait pas de ces choses-là ; il avait un esprit plutôt terre à terre, prosaïque. Contrairement au mien qui est plus perspicace, plus raffiné.

    Une nuit, ma sœur reçut un appel de Caroline, lui disant : « J’ai peur, je veux venir chez toi, j’ai peur ». Sans hésiter ma sœur répondit : « Viens vite ! ». Il était minuit. Richard était réticent, et ne voulait pas qu’elle se rende chez sa tante, mais ne put se résoudre à la laisser prendre le métro seule à minuit. Ils arrivèrent chez ma sœur qui, inquiète de les savoir dans les rues à une heure si tardive, les guettait par la fenêtre.

    Dès son arrivée, Caroline lui dit : « Ma tante, j’ai très peur, je ne sais ce qu’il a, mais il me fait peur ». Ma sœur l’invita à rester chez elle. Richard suggéra qu’ils pourraient ensemble  passer la nuit chez ma sœur, et repartir le lendemain. Ma sœur décida qu’ils prendraient une décision après une bonne nuit de sommeil.

 

    Le lendemain, Caroline refusa de rentrer avec son mari, et s’opposa à quitter la maison de sa tante. Ma sœur proposa alors à Richard de le conduire chez un médecin. Ce qu’il accepta. Le médecin n’eut pas de mal à diagnostiquer un cas de psychose prononcé, et décida de l’hospitaliser immédiatement.

    Les tourments de Caroline ne cessèrent pas pour autant. Richard, qui n’était pas du tout religieux, se prit à ne vouloir manger que cacher, allant jusqu’à refuser le pain distribué à l’hôpital, attendant que Caroline lui rapporte du pain acheté dans une boulangerie juive, et comportant la signature d’une autorité rabbinique.

    Tous les jours, Caroline devait, dans le froid de Paris, prendre le métro et se rendre dans le quartier juif de Saint Paul, dans le Marais, pour y acheter de la viande cacher que l’on ne trouvait nulle part ailleurs. Elle rapportait la viande chez ma sœur qui la cuisinait et reprenait ensuite le métro en direction de l’hôpital qui se trouvait au diable vauvert pour porter les repas à son mari ; de plus, il fallait également lui présenter les preuves de cacherout.

     Caroline a continué à vivre, sans se plaindre, gardant en elle sa peine et ses tourments, jusqu’au jour où elle-même se mit à trembler de peur de façon incontrôlable, à pleurer de façon inexplicable. La nuit, elle ne pouvait dormir que blottie contre ma sœur.

    Je reçus un jour une lettre de celle-ci, m’informant des faits et me pressant  : « Marie, tu dois tout laisser tomber, et venir t’occuper de ta fille le plus rapidement possible ». Je n’avais, bien sûr, pas les moyens de me payer un billet aussi vite que la situation le nécessitait. Nous avons emprunté de l’argent et acheté un billet à crédit.

  

à suivre…à suivre… à suivre…à suivre… à suivre…à suivre… à suivre…à suivre…à suiv

 

 

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Reçu le 15.09.2008 de Joe NINIO – Nice :

.LES JUIFS DE BULGARIE

 

Bulgaria's Jews

 

A great many Jews know the story of how the Danes rescued 8,000 Jews from the Nazis by smuggling them to Sweden in fishing boats.Very few Jews, know the story of how all 50,000 Bulgarian Jews were saved.
Not a single Bulgarian Jew was deported to the death camps, due to the heroism of many Bulgarians of every walk of life, up to and including  the King and the Patriarch of the Bulgarian Orthodox Church.

In 1999, Abraham Foxman, the National Director of the Anti Defamation   League flew with a delegation to Sophia to meet the Bulgarian Prime Minister. He gave the Prime Minister the first Bulgarian language copy of a remarkable book, 'Beyond Hitler's Grasp,' written in 1998, by Michael Bar Oar, aprofessor at Emory University. (A Bulgarian Jew who had migrated to Israel and then to the USA).

        This book documents the rescue effort in detail. The ADL paid for and shipped 30,000 copies to Bulgaria, so that the population could partake in the joy of learning about this heroic facet of their history. This story is clearly the last great secret of the Holocaust era. The story was buried by the Bulgarian Communists, until their downfall in 1991. All records were sealed, since they didn't wish to glorify th e King, or the Church, or the non Communist parliamentarians, who at great personal risk, stood up to the Germans. And the Bulgarian Jewish Community, 45,000 of whom went toIsrael after the War, were busy building new lives, and somehow the story remained untold.
         Bulgaria is a small country and at the outset of the War they had 8 million people.They aligned themselves with the Nazi's in hopes of recapturing Macedonia from Yugoslavia and Thrace from Greece. Both  provinces were stripped from them, after W.W.I. In late 1942 the Jews of Selonica were shipped north through Bulgaria, on the way to the death  camps, in sealed box cars. The news of this inhumanity was a hot topic of   conversation. Then, at the beginning of 1943, the pro Nazi Bulgarian government was informed that all 50,000 Bulgarian Jews would be deported in March. The Jews had been made to wear yellow stars and were highly visible.
         As the date for the deportation got closer, the agitation got greater.
Forty-three ruling party members of Parliament walked out in protest.
Newspapers denounced what was about to happen. In addition, the Patriarch of the Bulgarian Orthodox Church, Archbishop Krill, threatened to lie downon the railroad tracks. Finally, King Boris III forbade the deportation. Since Bulgaria was an ally of Germany, and the Germans were stretched militarily, they had to wrestle with the problem of how much pressure they could afford to apply. They decided to pass.
        Several points are noteworthy. The Bulgarian Jews were relatively un-religious and did not stand apart from the local populace by virtue of garb, or rites.  They were relatively poor b y comparison to Jews in other countries, and they lived in integrated neighborhoods.

Additionally, the Bulgarians had many minorities, Armenians, Turks, Greeks, and Gypsies, in addition to Jews. There was no concept of racism in that culture. The bottom line here is that Bulgarians saw Bulgarian-Jews as Bulgarians, and not as Jews. And, being a small country, like Denmark, where there was a closeness of community that is often missing in larger countries. So, here was a bright spot that we can point to as example of what should have been.           The most famous of those saved was a young graduate of20the Bulgarian Military Academy. When he arrived in
Israel, he changed his name to Moshe Dayan.
What a great story to pass on to your e-mail list.

 

 

 

 

LES GRANDS MAGASINS DU CAIRE

 

Cet article est tiré du Bulletin BNEI HAYEOR, édité par Madame Levana Zamir ( Israël). Son auteur est le Professeur Uri KUPFERSCHMIDT. Je remercie ces deux personnalités de m’avoir autorisé à le publier ici.

 

Les Grands Magasins OROSDI BACK

 

 

 

EST-CE QUE LES SAOUDIENS PRENDRONT LA PLACE DES JUIFS

D'ANTAN  ?

 

Prof. Uri M. Kupferschmidt - Université de Haifa

 

En ce mois de février 2008, le bâtiment impressionnant des grands magasins Omar Effendi au coin des rues Abdel-Aziz et Rouchdi est presque vide, attendant sa restauration sous l'égide des nouveaux propriétaires Saoudiens, la société commerciale Anwal. La succursale de la rue Adli a déjà subi un lifting, et d'après l'hebdomadaire El-Ahram du 5 Février 2008, la chaîne Omar Effendi, après des années de déclin, retrouverait ses beaux jours.

Effectivement, une certaine nostalgie pour les grands magasins d'antan, se fait déjà sentir parmi l’élite résidentielle étrangère au Caire. Avant l'exode des années soixante, la plupart de ces grands magasins appartenaient à des familles Juives: Cicurel (d’Izmir), Chemla (de Tunis), Gategno, Hannaux, Adès, Benzion etc., exception faite pour les Magasins Sednaoui et Davies Bryan, qui appartenaient à des Chrétiens Syriens et des Gallois.

L'histoire de Omar Effendi, autrefois mieux connu sous le nom Ets. Orosdi-Back, commence en 1855, avec la fondation d'une  maison de vêtements prêts-à-porter à Istanbul, par Adolf Orosdi (antérieurement Adolf Schnabel, la traduction en hongrois du mot 'bec'). Avant cela, il était officier au service de Kossuth, le champion de liberté Hongrois déchu, et avait trouvé refuge dans l'Empire Ottoman. La famille Orosdi fit à deux reprises des mariages avec la famille Back commerciale, également juive et d'origine austro-hongroise. Un quartet de Léon et Philippe Orosdi avec Hermann et Joseph Back, établirent graduellement une chaîne de succursales à Bucarest, Plovdiv, Salonique, Izmir, Adana, Samsun, Alep, Beyrouth, Bagdad, Basra, Tunis, Bizerte, et pour des épisodes  brèves à Tabriz, Téhéran, et plus tard à Casablanca et Mekhnès. Depuis 1888, leur siège social était à Paris, d'ou ils dirigeaient des agences d’achat dans plusieurs villes industrielles européennes (un enjeu  que nous trouvons aussi chez les magasins Chemla) et aussi au Japon. A Paris, Hermann Back “de Surany” et Léon Orosdi, se convertirent au catholicisme et marièrent leurs filles dans la haute bourgeoisie française.

En Egypte, c'était non seulement le Caire et Alexandrie, mais aussi Port-Saïd, et des succursales furent établies pendant un certain temps à Tanta et Zaqaziq. Le directeur local Philippe Back, contribua  à la construction de la synagogue Chaar Hachamayim de la rue Adli, qui a dernièrement célèbré son centenaire. Avant de s'établir en Hongrie pour une carrière politique, il avait également patronné des excavations importantes en Egypte.

Les aspirations du Khédive Ismail de construire un “Paris sur le Nil” se reflétaient dans la visibilité resplendissante des grand magasins, construits dans le style architectural Parisien. La coupole du bâtiment Tiring (un des premiers magasins austro-hongrois) sur la Place d’Ataba, et la 'cathédrale de consommation'  Sednaoui à la Place Khazindar toute proche, sont autant de pierres précieuses posées sur la couronne Cairote à cette époque. Orosdi-Back, qui faisait surtout du commerce en gros, se développait progressivement vers le commerce en détail. En 1909, il  ouvrit son établissement au quartier du Mouski,  en y introduisant - comme dans d'autres grands magasins - la pratique des prix fixes et les stocks étalés avec accès libre. Il offrait à sa clientèle des 'Nouveautés' et des 'Articles de Paris', des produits de 'confection'  européenne pour la marche, pour les hommes, pour les enfants et les femmes, des vêtements prêts-à-porter, alors encore très chers, des chapeaux pour femmes et des tarbouches pour hommes qui deviennent des articles de premier rang. En fait, en 1899 Orosdi-Back devient la force mouvante pour la formation du Syndicat des confectionneurs de tarbouches à Strakonitz (Tcheque), qui approvisionnait la majorité du marché ottoman, l'Egypte inclus.

Orosdi-Back étaient aussi forts en bonneterie (les bas, les chaussettes, les sous-vêtements), manufactures de technique tricot avancé. Plus tard, vinrent s'ajouter les bottes, les chaussures, les cannes et les parasols (assemblés en partie dans une usine à Istanbul). De même la quincaillerie, articles de ménage, articles de voyage et ameublement, de faux bijoux modernes qui vinrent briser les conventions traditionnelles des bijoux en or, des instruments de musique européens et des gramophones. En 1908, Orodi-Back produisit les disques du fameux chanteur égyptien Yusuf al-Minyalawi. Pendant la première décennie du 20e siècle, Orosdi-Back possédait également une usine de montres  à  La  Chaud  de  Fond  en  Suisse.

         Le personnel dans les grands magasins était en général plus élevé en nombre que celui dans l'industrie naissante (quelques centaines par entreprise). Plusieurs chefs de rayon et employés supérieurs étaient des hommes, tandis que les clients étaient servis par des vendeuses (cet aspect ne gagna jamais le statut littéraire de Au Bonheur des Dames de Zola, mais il surgit occasionnellement au cinéma égyptien). Une bonne partie des employés étaient des juifs et “de bonne famille”. Les vendeuses se devaient de parler quatre à cinq langues: l’arabe, l’anglais, l’italien, parfois le grec et toujours le français.”

 

LE DECLIN

 

 

Un certain déclin se fait déjà sentir pendant les années trente. Les succursales à Tanta et à Zaqaziq sont forcées de fermer. Avec le nationalisme économique croissant, surgissent de temps en temps des boycottages de marchandises européennes, et les grands magasins authentiquement égyptiens font leur apparence.  

La Révolution nassérienne enfin évinça l’élite étrangère résidentielle, neutralisa sa propre bourgeoisie indigène, séquestra et nationalisa les grands magasins. En réduisant sévèrement l’importation de marchandises, le régime des Officiers Libres croyait jouer ainsi un rôle économique, pour le profit des grands magasins nationalisés.

Les Egyptiens - dans une démonstration de force juste avant l'accord final d’août 1958 - acquirent Orosdi-Back. Dorénavant, les magasins adoptèrent exclusivement le nom d’Omar Effendi. Ironiquement, c’était un retour à un ancien titre ottoman effendi, qui avait été aboli par la Révolution. Mais, à l'insu des égyptiens c'est aussi le nom antérieur du magasin qui avait été construit au quartier Eminönü à Istanbul aux environs de 1907, et qui existe toujours au même emplacement.   

La nationalisation conduisit les grands magasins vers une médiocrité grise, vendant des marchandises de basse qualité. Des plaintes s'élevèrent contre les prix exagérés et les grands stocks restés invendus. Mais en dépit de la nationalisation, les affaires se développèrent; Omar Effendi détient aujourd'hui 82 magasins. Les années soixante-dix, années de l’Infitah et d'une certaine libéralisation des importations,  mêlaient une fois de plus les cartes. Avec la mondialisation,  des shopping malls furent construits au Caire (récemment, un mall Carrefour à Ma`adi, copie du Carrefour français).

A partir de 1996, le gouvernement égyptien s'est embarqué dans un programme de privatisation de certaines sociétés, qui furent nationalisées dans le passé. La vente d'Omar Effendi fut la première transaction d'un long processus. Un grand débat eut lieu, non seulement sur le principe même de la privatisation, mais aussi sur le prix de 'l'ancienne diva' qu'était Orosdi-Back. Ironiquement, des critiques nationalistes trouvaient le prix trop bas (pour un bien que le gouvernement avait lui-même obtenu pour un prix également trop bas). L'acheteur saoudien, Anwal United Trading Co., acquit en 2006 la chaîne Omar Effendi, pour le prix de LE 589.5m. (a peu près NIS 390 m.). La chaîne représente de grandes marques de mode françaises et internationales de consommation luxueuse, comme Etam, OshKosh, Kookai, Jacadi et Bottega Verde. Les nouveaux propriétaires espèrent évidemment vendre ces produits de luxe en Egypte aussi, et - sans le dire explicitement "sur les bases d'un succès d'origine juive" -  de ramener Omar Effendi à sa belle notoriété d'antan.

Du même auteur:  "Who Needed Department Stores in Egypt? From Orosdi-Back to Omar Effendi", Middle Eastern Studies, vol. 43/2 (2007), pp. 175-192 ; et European Department Stores and Middle Eastern Consumers, the Orosdi-Back Saga ( Istanbul: Ottoman Bank and Archives and Research Centre 2007)

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Reçu le 16 octobre 2008 de Madame Clemy PINTO – Brésil.

COINCIDENCE  PITTORESQUE

Il y a un détail pittoresque à ajouter : en 1960, récemment arrivée au Brésil, et désireuse d´améliorer ma situation financière, je me présentai à la société INDUSTRIAS QUIMICAS DO BRASIL, et fut embauchée sur le champ pour travailler avec le Directeur de la société, Henry Back.  

Son père était um homme très âgé, Président (honoraire) de la société compte tenu son rôle ne consistait pas à grand chose. Mais il était brillant et donnait de judicieux conseils à son fils.

Quelques jours avant Noel, une petite réception a été organisée pour les employés de la direction, dans le vaste bureau de grand´papa.  Je lui ai été formellememt présentée et le dialogue suivant  a eu lieu en français  :  Je reconnais votre accent, vous êtes née en Egypte ? – Oui, à Alexandrie. – Vous connaissiez donc les grands magasins Orosdi -Back  ? – Bien sûr ...– Eh bien, Back, c´est moi.   

Comme vous voyez, il s´agissait de Herman Back.

Amitiés

Clemy

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C’est ainsi que deux personnes originaires du même Pays, l’Egypte, et de la même Ville, Alexandrie, qui ne se connaissaient ni d’Eve ni d’Adam, se rencontrèrent à plus de 10.000 kilomètres de distance, après plusieurs années, établis définitivement au Brésil, exilés par suite de circonstances malheureuses dont ils n’étaient pas responsables. Tel a été le drame de plusieurs dizaines de milliers de Juifs d’Egypte dispersés dans de nombreux Pays.

Courageusement, dignement, sans se plaindre ni ameuter personne, ils refirent leur vie là où ils furent accueillis.

Leur départ a-t-il été bénéfique pour l’Egypte ? THAT IS THE QUESTION……..

 

Pardo

 

31/08/2008

 

MA SORTIE D’EGYPTE

par Marie Mosseri

(Quatrième Partie)

 

 

 

 Il me fallait trouver une solution pour éviter ces invités indésirables. Je finis par dire à mon mari : « Vita ! Si tu m’envoies encore une de tes cousines, je te jure que je me ferai un plaisir de leur dire : "Venez ! On va manger au King David ! ".

 Il n’était pas conscient de l’embarras  dans lequel je me trouvais lorsque je voyais arriver ces personnes à l’improviste. Comme dit le proverbe : « Celui qui a la main dans l’eau ne sent pas ce que sent celui qui a la main dans le feu ». Je me chargeai de le lui faire comprendre. Il ne m’envoya plus jamais d’invité surprise. En revanche, nous eûmes la visite de son patron qui fut étonné de trouver des chambres si bien tenues et si  joliment décorées. Il félicita mon mari d’avoir une épouse qui s’occupe si bien de son domicile. Nous aimions beaucoup cet appartement, les murs étaient si épais que nous n’avions pas besoin de chauffage. Nous savions qu’il avait neigé la nuit parce que le matin, la chambre était inondée, mais nous n’avions pas froid.

    Il y avait, cependant,  plusieurs inconvénients. Les toilettes se trouvaient à l’extérieur et il fallait traverser toute la cour pour y accéder. Pour laver les enfants, j’utilisais une grande cuvette que j’installais dans leur chambre. Je faisais chauffer l’eau à l’aide d’un primus. Je savonnais les enfants puis les rinçais. Il fallait ensuite remonter cette eau pour la jeter à l’extérieur. De même pour la vaisselle : les repas terminés, il fallait tout transporter dans la cuisine qui se trouvait dans le jardin. C’était un travail considérable pour une jeune femme qui n’avait pas l’habitude de travailler, comme je vous l’ai déjà dit : la lady que j’étais s’était métamorphosée en Cendrillon…

    Ma sœur avait quatre grandes chambres, un grand corridor, une grande cuisine, une grande véranda avec des plantes, mais que pouvait-elle faire de plus pour moi ? Lorsqu’elle me voyait fatiguée, elle  m’emmenait chez elle, me préparait un café au lait avec des gâteaux, ou  me laissait prendre parfois un bain chez elle. Mais elle n’osait pas le faire souvent car il y avait son mari, sa fille et sa belle-mère. Ils penseraient que je profitais de ce qui leur appartenait…

   Je reconnais qu’ils m’ont bien aidée. J’ai eu la chance de pouvoir leur emprunter chaque semaine cinq £ pour nourrir mes enfants, sans être obligée de quémander alentour. Chaque fois que j’empruntais de l’argent à ma sœur, c’était avec la ferme intention de rembourser ma dette à la fin du mois, pour ne pas atteindre de sommes faramineuses qu’il eut été difficile de débourser. J’étais consciente, malgré toutes les difficultés que nous avions endurées, de l’avantage que j’avais sur les autres immigrants qui, eux, étaient  restés dans les tentes à Betlid, jusqu’à l’attribution du chicoune.

 Quand enfin, vint le moment d’intégrer notre appartement à Kfar Ata, mon mari trouva un emploi à l’Hôtel Dan de Haifa. Mais les patrons du King David, sachant qu’ils auraient beaucoup de mal pour le remplacer ne voulurent en aucun cas le laisser partir, lui proposant de l’aider financièrement pour trouver un logement à Jérusalem, car il lui était impossible de faire le trajet tous les jours de Kfar Ata. Après huit mois, nous fûmes dans l’obligation de nous rapprocher de la capitale, et avons trouvé un appartement à Tel Arza, dans le nord de Jérusalem.

    Mon mari travaillait donc au King David, avec son ami Albert Goldman. La clientèle, en grande partie des Américains, remerciait les employés pour la qualité du service en leur laissant des travellers chèques car il était interdit au personnel de recevoir de l’argent. Ces travellers chèques étaient libellés à leurs noms respectifs : Mosseri et Goldman.

   A Mamilah, il y avait un magasin où les Israéliens pouvaient acheter des articles en duty free, à condition de payer uniquement en travellers chèques et non pas en espèces. Plusieurs immigrants en  recevaient  de leurs familles vivant à l’étranger. J’avais prévu de me rendre dans ce magasin et de rencontrer l’épouse d’Albert Goldman, Lucie ; elle devait m’attendre à l’entrée, et nous devions partager les montants des travellers chèques entre nous. Quelle ne fut pas ma surprise de reconnaître une voisine d’Egypte ! Lorsque nous étions jeunes filles, nous habitions en face l’une de l’autre mais  nous n’étions pas très proches. Mes sœurs et moi étions très vives et tapageuses ; elle était plutôt sérieuse et nous regardait de haut. Puis je m’étais mariée, et j’avais quitté le quartier. Nous ne nous étions donc pas revues depuis longtemps…

    Je m’approchai d’elle ; elle s’enquit : « Etes-vous Madame Mosseri ? ». Je répondis : « Oui, et vous êtes sans doute Lucie Blumental ? ».

 Surprise, elle questionna : « Comment connaissez-vous mon nom de jeune fille ? ». Je lui dis : « Parce que nous étions voisines  rue Farouk » ! Elle me reconnut : « Vous êtes Marie ! » 

 C’était une femme très instruite, elle travaillait également au King David comme house keeper. Dès lors, nous devînmes très bonnes amies, et  nous le sommes restées jusqu’à ce jour. A présent elle habite Herzliya, mais nous nous voyons de temps en temps, et nous  nous téléphonons souvent.

    Ainsi donc, dans ce magasin, nous achetions, avec les travellers chèques dont les clients gratifiaient nos maris, de bons chocolats, du bon café, et tous les bons produits qui n’étaient pas sur le marché. C’était une satisfaction de rentrer chez nous avec des paniers remplis de chocolats, de pots de confitures merveilleuses, et d’un tas d’autres délices. Cela compensait le mince salaire perçu par mon mari au King David, où les appointements étaient très bas car il n’y avait pas de syndicat.

      Mon mari rencontra un jour, le patron d’une fabrique de crayons et d’ustensiles en plastique, située à Jérusalem, dans le quartier de Roméma. Il lui dit que nous avions immigré en 1949, et que j’étais à la recherche d’un emploi. A l’époque, on ne pouvait pas se présenter sur un lieu de travail pour une demande d’emploi sans passer par le bureau du travail qui monopolisait toutes les offres d’emplois, et adressait aux entreprises la personne qui correspondait le plus au profil du poste. Mais celui-ci lui dit : « Que votre femme se présente dans nos locaux, et nous nous chargerons de demander officiellement au bureau du travail, que ce soit elle qui occupe le poste vacant ».

Ce qui fit à la fois mon bonheur et mon malheur.

 Je travaillais sur une très grande machine, de la taille d’une chambre, qui était munie d’une sorte d’entonnoir par lequel était introduite la matière plastique à l’état solide. La matière fondait à la température élevée de l’appareil et se déversait dans des moules à l’intérieur de la machine. Les moules s’ouvraient plus loin, après refroidissement du contenu qui en avait pris la forme.

 Mon travail consistait à récupérer les pièces très rapidement, avant que le moule ne se referme, et couper au bas de l’ustensile le surplus de plastique qui dépassait ; et ce, très vite également, afin d’éviter l’accumulation des pièces.

 J’ai travaillé sur cette machine pendant quatre mois, durant lesquels le patron passait de temps en temps admirer la dextérité et la rapidité avec lesquelles je faisais mon travail. Un jour, la machine s’emballa sans raison apparente, et je n’eus pas le temps de retirer ma main avant que le moule ne se referme.

    Je tremble encore aujourd’hui, au souvenir de la douleur fulgurante que je ressentis avant de perdre connaissance. Une collègue hurla, donnant ainsi l’alerte pour l’arrêt des machines. Cette jeune fille  s’évanouit également lorsqu’ils sortirent ma main de la machine, au vu du bout de mes doigts broyés, dont les lambeaux de chair pendaient tels des macaronis, si je m’en tiens à la description qu’elle m’en fit par la suite. Par chance, l’hôpital Chaare Tsedek se trouvait en face de l’usine, dans une rue parallèle. Je ne repris connaissance qu’à l’hôpital, où des ouvriers m’avaient portée, à pied, empruntant un raccourci pour aller au plus vite car je perdais beaucoup de sang.

     Le professeur, chef du service de chirurgie de l’hôpital, n’avait encore jamais pratiqué de chirurgie plastique, mais voulait en faire sa spécialité. Il tenait donc à m’opérer lui-même. A mon réveil quand je vis ma main, je pleurai, je criai ; pourquoi D… a-t-Il voulu que cela m’arrive ? J’avais besoin de mes mains, je cousais les vêtements de mes enfants, je faisais la lessive, le ménage, la cuisine… Je n’avais pas de domestique. Comment allais-je faire ?

    Mon mari rassembla des donneurs de sang parmi ses collègues, car il fallait me transfuser pour me maintenir en vie. Mais dès lors, mon état de santé se dégrada. Les pièces de la machine étaient recouvertes d’une graisse qui fut à l’origine d’une grande infection, et cette infection dégénéra en gangrène. Je reçus pour la première fois des injections de pénicilline, et j’étais sous morphine car les douleurs étaient insupportables. Une nuit, je me levai, sentant de très fortes démangeaisons sur la peau du crâne et dans la gorge. J’avais l’impression que ma tête grouillait de poux, et qu’une tripotée de fourmis m’arrachait la gorge. J’essayai de gratter, allant jusqu’à déchirer ma peau pour faire disparaître cette sensation, mais rien n’y faisait, je criai. C’était une allergie à la pénicilline. Je ne pouvais pas recevoir l’antibiotique qui était le plus indiqué dans mon cas.

    Je sortis après un mois d’hospitalisation, très amaigrie, car les douleurs m’ôtaient jusqu’à l’envie de manger. J’étais mortifiée par ce que je venais d’endurer. Ma sœur s’était occupée de mes enfants durant l’hospitalisation, mais à présent je devais reprendre mes fonctions de mère de famille, mon fils n’avait que quatre ans. Je cuisinais les repas, et à tour de rôle, mes filles se chargeaient de faire la vaisselle en rentrant de l’école. L’aînée Racheline était calme et posée, elle prenait soin d’elle. Elle commençait par manger avant d’attaquer sa besogne. Caroline était plutôt du genre Yékit. En arrivant, elle déposait son sac et se dirigeait directement vers la cuisine. Je lui disais : « Chérie, tu devrais manger d’abord, je vais te chauffer ton repas ». Mais sa réponse était toujours : « Non, je fais la vaisselle avant ». Viviane, la plus jeune, était plus nonchalante et ne travaillait pas avec ardeur. Mais il fallait s’en contenter, je n’avais pas d’aide ménagère.

 

    Ma main était emboîtée dans une sorte de coffre en plâtre que je devais garder pendant dix mois. Il m’était impossible d’utiliser cette main. Je devais tout faire d’une seule main. Pour laver le linge par exemple, j’utilisais la lessive la plus performante de l’époque, et je le laissais tremper toute la nuit dans la baignoire. Au matin je frottais les vêtements comme je pouvais, de ma main valide. Le plus dur était d’étendre ce linge d’une seule main, dehors, en plein hiver, car le froid accentuait la douleur. Durant une vingtaine d’années, au moment des grands froids, le moindre effleurement provoquait une douleur intense, m’arrachant un cri.

     L’indemnité mensuelle versée pour la perte d’une main était de 60 % du salaire. Mais je ne perçus que 30 % parce que mon pouce fut épargné. Je dus subir plusieurs interventions pour donner à ma main un aspect un peu plus convenable.

    Durant cette période, je fis la connaissance d’une voisine belge, Paula Pill.  Sa famille avait été exterminée, et son mari emprisonné pendant la Choah. Elle en avait gardé un caractère très renfermé. Elle entra dans ma vie comme un ange. Elle se présenta un jour à mon domicile, ne sachant comment exprimer sa peine, pleurant de me voir accomplir les tâches ménagères malgré mon handicap. Elle fut pour moi d’un grand secours. A l’inverse de certaines personnes de ma connaissance qui se disaient religieuses, et n’observaient  pas même le commandement d’aider son prochain….

     Je devais me rendre à l’hôpital toutes les trois semaines pour changer le plâtre. Le médecin m’installait, et après avoir scié le plâtre sur les côtés, avant d’ôter le dessus, me demandait de tourner la tête, et se positionnait de façon à ce que je ne puisse voir la plaie. J’eus tout de même le temps d’apercevoir, au bout de mes doigts, une sorte de gélatine jaune au niveau des deuxièmes phalanges (les premières phalanges avaient disparu lors de l’accident). Je fus soignée pendant plusieurs mois, jusqu’à disparition complète de la gangrène. Pendant ces longs mois, je passais mes nuits à pleurer de douleur, ma main dégageant une odeur de putréfaction. Gêné par l’odeur et mes gémissements, mon mari ne pouvait dormir dans ma chambre. De plus, ma température élevée depuis plusieurs semaines ne baissait pas.

       A bout de forces, nous finîmes par nous rendre chez un médecin. C’était une femme immigrée d’Allemagne, et mon mari lui exposa le problème, insistant sur le fait que nous ne dormions pas les nuits, moi à cause des douleurs, lui à cause des gémissements. Cette femme qui tenait plus d’une hitlérienne que d’une Juive s’en prit à moi et gronda : « Comment osez-vous déranger votre mari la nuit ! Comment osez-vous importuner ce bel homme ! N’êtes-vous pas consciente de la chance que vous avez de l’avoir pour époux ? ». Mon mari, il est vrai, était un bel homme, mais ce n’était, ni le moment, ni l’endroit idéal pour le déclarer… J’étais abasourdie par cette remarque.

    Elle entreprit de m’examiner, et me racla la gorge avec la palette. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Je me levai précipitamment désirant mettre fin à cette situation grotesque, et déclarai à mon mari : « Vita, nous partons ! ». Elle m’arrêta : « Attendez ! Je vais vous prescrire un médicament ! ». Je rétorquai : « Ce n’est pas nécessaire puisque vous pensez que je ne suis pas malade, et que je pleure la nuit uniquement pour importuner mon mari ». Elle me reprocha d’être trop nerveuse et je répliquai : « Oui je suis nerveuse parce que je passe mes nuits à souffrir sans dormir, et je voulais voir un médecin qui puisse me soulager, mais vous n’êtes pas médecin, et tous les diplômes que vous pourrez me montrer ne me feront pas changer d’avis ».

Mon mari qui gardait sa distinction dans toutes les situations tenta de me raisonner : « Attends chérie, nous allons prendre l’ordonnance ». Et, jetant un œil sur la longue liste de médicaments, je lui répondis : « Si tu as l’intention d’avaler ces médicaments, tu peux les prendre, mais en ce qui me concerne, je ne prendrais aucune prescription de la main de cette personne ».

    Lorsque après dix mois, je me rendis à l’hôpital pour le retrait du plâtre, j’eus la désagréable surprise de voir ma main aussi poilue que celle d’un singe. Les infirmiers m’assurèrent que ce phénomène était dû à la chaleur, ma main étant renfermée dans le plâtre, mais que les poils disparaîtraient progressivement.

      Ensuite, on me dirigea vers le service de physiothérapie pour des séances de rééducation. Je me présentai donc dans le service, exposant mon problème et montrant ma main à la personne concernée. Elle examina ma main avec attention, et s’étonna : « Cette main a été plâtrée pendant dix mois ? ». Je confirmai : « Oui, on vient juste de me retirer le plâtre ». Je ne comprenais pas son étonnement. Elle demanda : « Mais qu’avez-vous fait avec cette main ? ». Je rétorquai : « Il me serait plus facile de vous énumérer ce que je n’ai pas fait, car cette main n’est pas restée inactive. J’ai été obligée de m’aider de ma main plâtrée pour faire la cuisine, la lessive, la couture, et toutes les tâches qui incombent une mère de famille. Je n’avais pas d’autre alternative ». Elle répondit : « Vous n’avez pas besoin de rééducation. Vous vous êtes rétablie sans notre aide ».

     Et c’est ainsi que je réussis à me servir de ma main sans aucune séance de physiothérapie. Je repris une vie normale sans autres séquelles que les allergies, et le stress occasionné principalement par les difficultés de la vie que nous menions. Il fallait sans cesse calculer et se priver pour arriver à joindre les deux bouts.

 

Un matin, ma voisine Paula me montra les haricots (les premiers de la saison) qu’elle venait d’acheter au Souk du Mahané Yéouda. Le prix étant accessible, je décidai d’en acheter également pour le repas du soir que, bien entendu, je devais préparer sans viande.

    J’avais rendez-vous avec mon mari pour aller au marché. Sur le chemin mon mari me dit : « Marie, je ne sais comment faire, je voudrais mourir, en finir de cette vie, ces privations ».

     Nous nous rendîmes au Souk Haboukharim, chez notre marchand habituel, où mon mari fut accueilli avec les salamalecs dignes d’une importante personnalité. Rares étaient les personnes qui portaient un costume, une cravate et un chapeau ; de plus mon mari avait beaucoup de chic et de prestance. Même les docteurs n’étaient pas aussi élégants. Les marchands n’accordèrent aucune importance à ma présence, mais peu m’importait… c’était le dernier de mes soucis. Je m’enquis du prix des haricots. Le montant était trois fois plus élevé que celui payé par ma voisine. Comme, je m’en étonnais auprès du marchand, lui disant que ma voisine les avait payé beaucoup moins cher ce matin même,  celui-ci me répondit : « Mais vous devriez avoir honte, votre mari est assis sur le siège de Rothschild, et vous marchandez le prix des haricots » …

      Vita venait de me dire qu’il en avait marre de cette misérable vie, et cet espèce d’imbécile illettré m’humiliait, me reprochant de discuter, à juste raison il me semble, le prix des haricots, alors que mon mari était assis sur le siège de Rothschild, le prenant pour Rothschild lui-même. J’eus l’impression de recevoir un coup de poignard dans la poitrine. Je réussis à me contenir, et ne pas laisser éclater ma colère, mais je ressentis des palpitations. Craignant un malaise cardiaque, je rentrai à la maison où je perdis connaissance. Le médecin qu’on fit venir, étonné de l’accélération de mon rythme cardiaque demanda : « Qu’avez-vous fait à cette femme ? A-t-elle été battue ? L’avez-vous contrariée ? Elle est dans un très mauvais état ». C’était une situation très pénible, un problème qui s’ajoutait aux autres. Nous n’avions pas assez d’argent pour payer ces haricots, et en avions besoin pour le repas du soir.

    En 1956, lors de la guerre du Sinaï qui opposait les Israéliens, les Français et les Anglais aux Egyptiens, et dont l’enjeu était le fameux canal, je vis rentrer mon mari en pleurs, une fin d’après-midi.    Inquiète, je demandais : « Que se passe-t-il ? ». Il répondit : « Un grand malheur est arrivé ». Ma famille, et celle de mon mari étant en Egypte, je questionnai : « Est-il arrivé quelque chose à l’un de tes frères, ou l’une de mes sœurs ? ». La seule réponse fut : « Non ! Un grand malheur ! ». Que pouvait-il arriver de pire ? Il finit par me donner la raison de son désespoir : « Ils ont fermé le King David ! Nous avons été renvoyés ! ». Soulagée, je rétorquai : « Je m’en fous ! Et c’est tant mieux ! ». Surpris, il me dit : «  Mais tu es folle » !!! Je répondis : « Je suis peut-être folle, mais j’ai le sentiment que c’est une chance pour nous que tu sois renvoyé de cet hôtel, parce que tu ne serais jamais parti de ton propre gré pour chercher un meilleur emploi ».

    Mon mari manquait d’ambition, il se contentait de ce qu’il avait, et en était satisfait. Je rajoutai : « Bien sûr tu étais très bien au King David avec ton smoking et tes repas assurés, mais as-tu pensé à ce que les enfants et moi mangions à la maison ? Je suis très contente qu’ils t’aient renvoyé ! ». Il continuait de dire que j’étais folle quand je me mis au lit.

     J’étais couchée, mais je sentais quelqu’un errer dans la pièce. Je me levai et lui demandai  ce qu’il faisait debout. Il répondit : « Tu es folle, comment peux-tu dormir, sachant que je suis sans emploi ? ». Je lui dis : « Puisque tu n’as pas l’intention de dormir, au lieu de te morfondre, écris donc une lettre de candidature pour un emploi dans une banque ». Il demanda : « Quelle banque ? ».

Comment l’aurais-je su, je n’avais pratiquement jamais travaillé ? Je lui demandai de m’en citer quelques-unes. Il m’indiqua les meilleures qui lui vinrent en tête : la Banque Discount, la Banque Leumi, la Barclay’s Bank, et une quatrième dont le nom m’échappe. Je décidai : « Tu dois écrire une lettre en quatre exemplaires que tu adresseras à chacune de ces banques ». Ce qu’il fit.

     Il fut à la fois surpris et heureux de recevoir une réponse positive des quatre banques. Au King David, mon mari était responsable des comptes clients en dollars. Cette devise était très contrôlée. Lorsqu’un touriste arrivait à l’hôtel avec des dollars, il devait déclarer le montant qu’il possédait. Ce montant était inscrit sur un registre, sur lequel était noté également le montant dépensé, et le  montant de l’argent avec lequel le client repartait. Le ministère des finances savait exactement où allait chaque dollar. C’était un contrôle très rigoureux et nécessaire pour ce pays qui démarrait avec des caisses vides. Mon mari était chargé de porter aux banques les dollars qui étaient transmis au Ministère des finances contre des livres israéliennes ; il était connu de toutes ces banques où il se rendait régulièrement avec ses registres et ses dollars. Durant les années où il a travaillé, il n’y eut jamais d’erreur. Il était très honnête, très consciencieux, et faisait son travail à la perfection. Il ne lui serait jamais venu à l’idée de subtiliser quelques dollars. Il considérait cet argent comme un outil de travail et rien de plus. Il voulait dormir l’esprit tranquille, et ignorait les conseils des personnes malintentionnées pour subtiliser quelques billets. Il n’était pas comme eux. Il était très honnête. C’est pourquoi les banques auxquelles il avait envoyé une demande d’emploi étaient intéressées par sa candidature.

    Il choisit la Banque Discount, qui à l’époque avait la réputation d’être une jeune banque dynamique. Il se présenta à la banque et fut immédiatement embauché avec un salaire de 80 £ pour débuter. Dès lors notre vie a changé, nous avons pu acheter certaines choses dont nous nous privions lorsqu’il  gagnait la moitié moins. Notre nourriture était de meilleure qualité. Les viandes  étaient rares dans le pays, mais quand il y en avait, nous pouvions nous en offrir. Nous achetions plus de légumes. Nous aimions les légumes. Nous venions d’un pays où le repas du midi était constitué d’une assiette de légumes, de riz, et de viande.

    Petit à petit, nous avons pu rembourser le crédit que nous avions chez l’épicier, et qui avait atteint 1 000 £.  Meïr, le patron de l’épicerie, un Hongrois que je n’oublierai jamais, nous prit en sympathie, et me disait toujours : « Madame Mosseri, ne vous inquiétez pas, prenez tout ce dont vous avez besoin ». Tout comme nous, il avait immigré en 1949. Il nous fallait également rembourser le crédit de la maison, et avec quatre enfants à charge, ce n’était pas simple. Mais du jour où mon mari fut engagé à la banque, nous avons commencé à voir le bout du tunnel.

 

    Ma sœur Hélène, qui se trouvait encore en Egypte quand la guerre du Sinaï commença, fut renvoyée en France, ainsi que son mari et toute la famille de celui-ci car ils étaient de nationalité française.

    Une autre de mes sœurs, Rachel, avait immigré en Israël avec son mari et ses quatre enfants, et se trouvait au camp de Tibérias. J’étais allée lui rendre visite et l’avais invitée à Jérusalem.

 

  Cependant, l’accumulation des problèmes financiers ainsi que mes ennuis de santé m’éprouvèrent psychologiquement. J’étais très malheureuse, au bord de la dépression. L’enthousiasme et la passion qui m’avaient incitée à quitter l’Egypte  pour la terre de mes ancêtres avaient disparus. Cette terre où je n’avais connu que la misère.  Je n’avais qu’une idée en tête, partir et ne plus revenir. Je décidai de faire un voyage en Europe. Bien entendu, je cachai à mon mari mon espoir de ne plus revenir. Conscient de l’état dépressif dans lequel je me trouvais, mon mari se procura la somme nécessaire pour l’achat du billet et l’argent de poche. A l’époque nous ne pouvions emporter plus de 10 $. Mais peu m’importait. Je n’avais pas besoin d’argent puisque je serais nourrie et logée chez la famille.

     La veille de mon départ, nous eûmes la surprise de voir arriver de Tibérias, ma sœur Rachel accompagnée de son mari et de ses enfants. L’appartement était très spacieux, nous pouvions les loger sans être à l’étroit. Néanmoins, je l’informai de mon départ imminent. Lorsque je l’avais invitée à nous rendre visite, mon voyage n’était pas encore prévu. Elle fut très offensée, se sentit frustrée, mais elle n’avait pas d’autre alternative que de s’installer chez nous avec son mari et ses enfants qui déjà étaient grands.

     Rien de tout cela n’était prémédité, ni mon départ, décidé par désespoir, ni l’arrivée de ma sœur, qui tombait à pic, comme envoyée par D… pour s’occuper de mes enfants dont je ne m’étais même pas inquiétée. L’aînée de mes filles, Racheline, avait dix-sept  ans, et mon fils quatre ans ; il était encore au jardin d’enfants. Aujourd’hui encore je m’étonne de mon audace : « Comment ai-je pu abandonner mes enfants ? Mon mari ? Ma maison ? ».

    J’étais poussée par le désespoir. Sur le bateau, emporté par les flots, ma seule prière fut : « Mon D…, faites que je ne retourne jamais dans ce pays ».

 

    J’arrivai à Paris, un matin de Septembre 1957, à la gare de Lyon, sans avoir averti ma sœur Hélène. Une sensation de liberté et de joie m’envahit. C’était enivrant, exaltant de me retrouver dans cette ville que je ne connaissais pas, entourée de gens que je ne connaissais pas, mais que je ne considérai pas comme étrangers. Rien ni personne ne m’a jamais été étranger. Je n’étais plus Moi, et cette euphorie agit favorablement sur ma santé mentale.

   Je donnai au chauffeur de taxi l’adresse de ma soeur : 272, rue de Charenton à Paris (à présent, elle habite rue de Paris à Charenton !). Le taxi me déposa au bas d’un vieil immeuble qui datait du temps de Napoléon, et n’avait visiblement pas été ravalé depuis de nombreuses années. La cage d’escalier était noire de suie. Des cabinets turcs se trouvaient sur des paliers séparant deux étages. Une catastrophe d’immeuble.

    Toute la famille était attablée pour le petit déjeuner quand je frappai à la porte. Ma sœur ouvrit et s’écria : « Marie ! Marie ! Marie ! ». Elle ne m’avait pas vue depuis huit ans, et n’en croyait pas ses yeux : « Comment es-tu arrivée ? Pourquoi n’as-tu pas prévenu ? ». Toute la famille se leva pour m’accueillir joyeusement.

 

Je restai un mois chez ma sœur à Paris où je fus bien reçue et passai les fêtes de Rosh Hachana et de Yom Kippour. Par chance, ma sœur Rachel qui, contrairement à moi était un fin cordon bleu, avait choyé mon mari et mes enfants leur préparant de bons petits plats. Je les avais délaissés pendant les fêtes (encore une preuve de déséquilibre de ma part), mais heureusement ils n’en ont pas souffert grâce à la présence de ma sœur et de ses enfants. Je leur écrivais régulièrement, leur contant mes différentes visites de la capitale. Leurs lettres m’assuraient que tout allait bien. J’appris bien plus tard que Racheline, contracta une forte angine qui, à la suite de complications, mit ses jours en danger. Elle s’en remit grâce à D… et aux bons soins de ma sœur.

    Puis je voulus rendre visite à mon beau-frère en Italie, où j’arrivai également à l’improviste. Après avoir roulé toute la nuit, le train me déposa au petit matin à la gare de Milan. Je n’oublierai jamais l’euphorie qui m’emporta quand, insouciante, je descendis les marches du grand escalier de la gare de Milan, seule, entourée d’inconnus, dans un pays où je n’étais attendue de personne. C’était une sorte de folie grisante et indéfinissable. Epanouie et heureuse, je renaissais dans cette Europe clémente et apaisante, loin des soucis et de la misère. A tel point que mon oncle me dit : « Marie ! Tu es si belle qu’à ton retour, ton mari te fera un bébé ! ».

    Munie de l’adresse, je me présentai, également à l’heure du petit déjeuner, chez mon beau-frère où  le même scénario que chez ma sœur se produisit.

     Je restai moins d’un mois à Milan qui était surtout une ville de commerce, où les vitrines des grands magasins exposaient les dernières collections d’une mode onéreuse. Pour moi qui avait déjà dépensé une partie des malheureux 10 $ autorisés pour quitter Israël, je ne pouvais que me contenter d’admirer les luxueux vêtements. Je visitai la ville et ses monuments historiques, en particulier la cathédrale Duomo à l’architecture impressionnante, finement sculptée, telle de la dentelle. C’était une merveille. A côté du Duomo, se trouvait le grand magasin Rinacente, une sorte de Galeries Lafayette, dont tous les étages, et les différents rayons n’avaient plus de secrets pour moi. Je les avais parcourus dans tous les sens, sans rien acheter.

 

 

 

Reçu le 14 juillet 2008 de Madame Viviane ISKANDER :

 

Ahlan wésahlan ya habaybi mein Masr Om el Donia

 

Aujourd’hui je me sens « in the mood » pour plonger dans mes souvenirs du temps passé, de cette époque bénie, durant laquelle se sont écoulées doucement, lentement délicieusement mon enfance, mon adolescence et ma prime jeunesse. Ce n’est que plus tard, quand j’ai dû quitter cette terre également bénie que j’ai compris sa valeur. C’est une nostalgie qui ne me quittera jamais et qui fait réaliser ce que l’on a eu, peut-être pour vivre plus facilement notre exil,  car  nous avons « ein mâliâna », qui veut dire que si on a eu une belle enfance sans privation, sans soucis,on peut vivre ailleurs avec plus de force et mieux endurer les difficultés.

Mon enfance, pensionnat de la Mère de Dieu, au Caire,  des années protégées dans une atmosphère, sévère il est vrai, mais ouatée tout de même, sans soucis d’aucune sorte.

A l’université américaine, une liberté de mouvement qui me surprends, habituée aux hauts murs du pensionnat.. une autre tranche de vie, encore plus belle et florissante qu’auparavant, premiers émois, première indépendance.. souvenirs indéfectibles.

A cette époque toutes communautés et toutes religions confondues, nous les chrétiens, les juifs et les musulmans, socialisaient sans arrière pensée sans discussions insidieuses, sans compromis d’aucune sorte. Liberté totale.

Les souvenirs du Mena House, avec ses thés dansants à « l’ombre des pyramides ».. Ah ! les pyramides, le désert, ne sont-ils pas les caractéristiques de l’Egypte millénaire, qui ont été témoins de nos premiers amours ?

Les night-clubs avec leurs orchestres, les cinémas ultra modernes (de l’époque..) pouvaient rivaliser avec ceux de l’Europe, que ce soit ceux du Caire ou d’Alexandrie.

Alexandrie, parlons-en !  la mer bleue aux reflets verts, Iskandérya maréya wé torabha zaafaran. Ville de mes vacances, particulièrement aimée, avec sa brise salée qui nous fouettait le visage le long de la corniche, ma « cabine » qui était celle du « Bon Dieu », lieu de réunion de tous les ami(e)s. Les bains de mer, les vagues, les périssoires avec les filles qui posaient avec un air nonchalant, pendant que les garçons ramaient à en perdre le souffle, faisant jaillir leurs muscles pour épater celles qui les épataient !!! Il y a eu tant de chansons qui vantaient la mer, je crois que nos plages au sable doré ont été les endroits les plus recherchés pour la détente, la joie de vivre, les rencontres, les parties de raquettes, les plongeons à la « Esther Williams » du haut des rochers. Et les méduses de couleur turquoise, semblables aux bonnets de bain, belles mais dangereuses, on les rencontrait quelques fois au bord de la mer, ou durant nos promenades en « cutter », ces grandes barques à voile, qui faisait notre bonheur.. on organisait des « pique-nique » avec nos provisions pour des journées entières passées dans les eaux du port, quelques fois on transgressait les ordres de prudence et on avançait en haute mer.. oh pas bien loin, juste un peu après le port !! d’autres fois on organisait ces promenades au clair de lune, et on prenait des bains de minuit sans crainte des petits poissons phosphorescents qui dansaient autour de nous.

En me remémorant ces merveilleux moments, je les vois défiler devant moi, je les revis au rythme de mes écritures, et je souris avec tendresse.

Mon premier contact avec Louxor et Assouan, s’est fait après 27 ans d’exil. Chaque détail expliqué lors de mes visites aux temples a une valeur extrême, les pharaons ont voulu survivre pour l’éternité, l’état de certains tombeaux  garde encore les couleurs premières si vives si extraordinaires. L’histoire relatée lors des visites, et diffusée par la télévision, fait que le monde y est sensible et s’intéresse de plus en plus jusqu’à devenir de « l’égyptomania » et pourquoi pas ? j’en suis fort aise.

Jamais je ne pourrais décrire l’émotion, la fierté, l’amour que j’ai ressenti lors de mes visites aux temples, merveilles de la plus grande, la plus ancienne des civilisations. J’y ai certainement laissé un grand bout de mon cœur, accroché spécialement au temple de Hatchepsout, je me sens presque descendante de cette extraordinaire pharaonne, car par son pouvoir elle a préconisé bien en avance ce que la FEMME EST et sera toujours, pourtant si en retard à être enfin reconnue dans le monde. Car l’avancement de la civilisation  ne peut être complet sans la reconnaissance de la femme dans son sens le plus large.. non ne me jugez pas en féministe.. pourquoi pas au fond !!!?  mais non, il faut voir clair, ne restons pas dans l’obscurité des préjugés.

Yalla maa el salama -  au revoir, à la prochaine, ya Ahl Masr, mes frères et sœurs

 

 

 

Reçu le 23 juillet  2008 du Docteur Lorys-Bitty-BERESSI :

 

L’ ARRESTATION DE MON PERE

Témoignage vécu

 

 

C “etait en 1948, et cela se passait au Caire .Nous habitions au 6 rue Kasr-el-Nil ,immeuble Benzion , cote gauche apres l’’entrée, au 1er etage de face.

J’’avais10 ans.Je me souviens d’’avoir assiste a un entretien chez nous ,de mon pere avec 2 ou 3 collegues de bureau ,inquiets pour lui et ou il etait question de preparer sa valise..Notre voisin de palier  Mr Isaac Alvayor avait ete arrete la veille , le patron de mon pere Mr Ovadia Salem et d’autres egalement ,nous etions sous loi martiale , quelques jours apres la declaration de l’’Etat d”Israel.

 Je revois ma mere dechirant les documents de propriete de terrains achetes au yichouv par l’’intermediaire du Keren Kayemet le Israel.

Je suppose que le lien de la ’’ Societe d’’avances commerciales’’  de Mr Salem bien connu dans la communaute juive du Caire ,avecles juifs de Palestine comme on disait a l’epoque ,sont a l’’origine de cet achat ,bien cache sous le marbre de la cuisine.

 Mon pere ne se situait pas comme sioniste dans ses relations et ne m’avait pas permis de frequenter la Maccabi.

Vers le 23 mai donc, une nuit, on frappe tres fort a la porte.Je me reveille au bruit des voix et des pas dans l’’autre partie de l’’appartement au-dela du couloir..quand soudain des militaires egyptiens font l’’irruption de la lumiere dans la grande  chambre ou je dormais avec mon petit frere  et la ‘’nona’’ venue d’’Alexandrie ..il faisait chaud ,je dormais avec juste mon maillot de corps ,je m’assieds sur mon lit et croise le regard de l’’un de ces

2 ou 3 hommes qui se detourne et commence la perquisition de la piece.

 Mon pere  a ete emmene sans etre venu m’’embrasser ,dire au revoir. Plus tard j’ai compris que c’etait son choix et qu’il m’avait prepare a cela en me laissant assister a la reunion annonciatrice.Il m’’a epargne de voir l’humiliation  subie pour  rien…parce qu’’il etait juif.

Mais cette nuit-la je ne pensais pas. J’etais sous le choc et je suis allee rejoindre ma mere effondree, et ma grand-mere qui soupirait , sans que ni l’’une ni l’’autre ne puisse me dire grand-chose .De ce manque de paroles signifiantes j’ai developpe une avidite devorante pour les mots ,pour le langage , pour toutes les langues que j’ai entendu dans mon enfance.

Papa est reste a Hackstep jusqu’en juillet 1949., et n’’a heureusement pas ete deporte plus loin a El Tor ou les conditions etaient parait-il tres dures .

 Nous avions un permis de visite au camp une semaine sur deux , pour 2 adultes et un enfant . j’’y allais avec ma mere .

 Une fois j ‘’ ai ete emmenee par   une parente Bella Beressi qui visitait son fils Armand interne comme communiste.Je ne sais pas comment  ce fut fait mais voila que mon pere est appele et sans passer par le parloir m’’emmene dans le baraquement des ‘’sionistes’’! La il me montre l’etat des lieux cad le dortoir .Mon pere me presente a quelqu’un du nom de Weizman, cousin de Haim Weizman,et encore a 2ou 3 autres internes dont j’ai oublie les noms. Nous nous asseyons un moment et papa me raconte comment il passe ses journees. J ‘etais donc avec lui ,au camp ,derriere les barbeles.Des minutes qui faconnent un destin.

Nos biens etaient sous sequestre , la radio confisquee, la plupart  des proches de la famille gardaient leurs distances  , personne ne voulait se compromettre avec’’les sionistes’’ par crainte de la police secrete. Nous n’’avions pas d’’autre vie sociale que celles de l’’ecole , et des communications autour de ce qu’’il fallait pour papa , et pour notre allocation mensuelle..Un courrier avec un bakchiche dans la botte d’un des officiers{?] de Huckstep qui allait et venait , donnait a mes parents au moins le bonheur de s’ecrire .

Solitude et exclusion , liberte  et contraintes , ont ete les racines je crois de ma vocation de psychiatre .

L’empathie pour les ‘’haverim’’,mon sionisme a moi, date aussi de ce temps-la , augmentee a la liberation  de Papa par ses commentaires sur l’experience de HuckstepHuckstep-perros comme on l ‘’appelait a cause sans doute des chiens qui hurlaient la nuit…

Que se soit cela ou sa ''sortie''definitive d''Egypte , Edouard Beressi mon pere souffrait de ce que l''on appelle aujourd''hui ''le syndrome de stress post-traumatique''. Il n''est plus la pour en temoigner lui-meme car il repose en paix ...a Jerusalem

 

Dr Lorys-Bitty-Beressi

Jerusalem 23-7-08

 

 

 

Reçu le 27 juillet 2008 de Monsieur Joe NINIO :

 

LE DEPART D’ALEXANDRIE

 

 

Il y a près de 50 ans je vécus mon premier départ d’Alexandrie. Je n’étais alors qu’un jeune adolescent de 18 ans, accoudé au bastingage du vieux paquebot « Samsun », vers fin septembre 1956, avec pour tout bagage un certificat de Bac dans la poche et quelques pulls tricotés à la hâte par ma mère.

Mes parents m’avaient donné la somme maximum autorisée de 23 Livres Egyptiennes qui représentait alors deux ou trois mois de subsistance …. aux prix alexandrins, mais c’était surtout l’intégralité de leur épargne en ces jours sombres de guerre du Canal de Suez! Après les affres d’un embarquement précipité et très bousculé, j’étais maintenant envahi par les angoisses d’un futur proche plus qu’incertain. Je ne savais rien de ce que serait mon sort d’apatride, sans documents, après notre arrivée à Marseille.

Les mêmes questions tourbillonnaient dans ma tête : « Pourquoi ? » et « Qu’adviendra-t-il maintenant de mes parents qui sont restés de force, et quel sera mon sort, moi qui part tout seul sans autre moyen qu’un billet sans retour pour Marseille? ».  A bord, impuissant devant ces évènements qui me dépassaient largement, accroché à la rampe d’acier, j’essayais avec toute la force de mes pensées de retenir ces bras qui, sur les quais, larguaient trop rapidement les amarres.  Mais bien vite, la ville d’Alexandrie s’évanouissait dans la brume du crépuscule.

         Comme beaucoup d’autres alexandrins qui ont du partir très vite, j’allais vivre pendant longtemps la douleur de ce déchirement. Il me faudra des années pour l’évaluer dans toute son ampleur. En fait, Alexandrie était le berceau où depuis des générations, mes aïeux, mes parents, mes amis et mon école avaient toujours constitué mes repères fondamentaux. Qu’allait-il nous arriver maintenant ? Des sentiments étranges m’assaillaient pour la première fois. Il y avait bien sûr l’inconscience de mon âge qui me faisait assimiler ce départ à un jeu, à une grande aventure qui allait commencer. Mais je me souviens encore de l’angoisse de ce que pouvait me réserver le futur, celle de ne rien savoir sur ce qui pouvait m’attendre à l’autre bout de la Méditerranée pour une nouvelle vie où je repartais à zéro. Et surtout l’incertitude oppressante sur le sort de mes parents que je laissais derrière moi dans une situation très difficile.

Ces heures furent le vertige de l’inconnu alors que toute notre vie dépend de quelques réponses, n’avoir rien pour s’accrocher à ce présent qui s’écoulerait dorénavant dans le sablier de mon existence. C’est cette prise de conscience qui m’a soudain fait passer à l’age adulte : en regardant les autres, je sentais que, comme eux, mon regard de gosse avait perdu quelque chose de son éclat, il avait changé en quelques heures en s’assombrissant d’angoisses.  J’étais envahi de doutes. Je ne pourrais plus jamais avoir l’approbation des autres, de mes parents, de mes amis ou de mes chers profs. Dorénavant je devrais prendre des risques dont j’aurais l’entière responsabilité. Est-ce cela devenir adulte ?

         Mon camarade de classe, le brillant Freddy, était sur le bateau avec moi. Nous nous sommes revus plusieurs fois depuis, au fil des années. Nous communiquons maintenant souvent par Internet en vieux copains. Mais je ne lui ai encore jamais dit qu’à ce tournant de ma vie il a représenté soudain ma seule continuité, mon seul espoir, car je n’avais jamais encore affronté la solitude. En effet Freddy, qui avait un passeport anglais, allait après notre arrivée à Marseille, rejoindre à Londres mon ami Bob pour poursuivre ensemble leurs études à l’Université. On devait inch’allah, se revoir là-bas !

 

C’est ce qu’en théorie je devais faire aussi, ayant eu la promesse de l’aide matérielle de mon oncle Victor qui se serait occupé de moi si je réussissais à arriver en Angleterre. C’est cet espoir, matérialisé par Freddy qui allait le vivre avec tout le succès qu’il s’est mérité dans sa vie, qui m’a soutenu pendant les quelques jours de traversée, et jusqu’à notre arrivée à Marseille. Là j’ai connu la solitude car la réalité m’a vite rattrapé.

Comme la plupart des passagers du « Samsun », j’étais parti en tant qu’apatride. Je n’avais jamais eu besoin d’avoir un passeport avant d’être expulsé. Mais, né en Egypte, donc « égyptien » aux yeux de l’Angleterre, et vu l’état de guerre entre les deux pays, je ne pouvais certainement pas obtenir le permis d’aller à Londres.

Cette solitude allait déboucher sur une nouvelle naissance, sur une longue histoire de vie, qui je l’espère va continuer encore pendant longtemps. Je savais tout le temps que je pouvais être réveillé et stimulé par cet évènement, ou au contraire, et tout aussi facilement, être plongé dans une paralysie totale.

J’ai souvent vécu les deux situations, avec la prise de conscience et l’instinct de rebondir après l’anesthésie passagère.  En fait et comme tous ceux qui sont passés par là, dorénavant, je n’avais de compte à rendre qu’à moi-même, dans le respect des enseignements et de l’éducation que j’avais reçus jusqu’ici, même si ceux-ci, avec mes 18 ans, n’avaient pas encore été complètement assimilés et auraient du porter un écriteau « Attention, Peinture fraîche »

Mais j’ai eu comme d’habitude énormément de chance, et cette chance m’a  accompagnée tout le long de mon parcours. J’ai pu découvrir des aspects de la vie et de moi-même qui m’ont permis de rebondir, de recommencer à chaque fois que je m’étais trompé de chemin, de sélectionner et de consolider toujours mon vécu pour essayer à chaque fois de structurer une meilleure relation avec moi-même et surtout avec ceux que j’aime.  Je n’y ai pas toujours réussi par le passé. Maintenant, dans ma situation actuelle mes choix sont plus clairement définis et j’ai eu encore une fois beaucoup de chance, il y a quelques années, de rencontrer ma compagne qui m’a accompagnée pour ce dernier voyage à Alexandrie.

Le parcours de cette vie a été un engagement continuel. Il a eu plusieurs fils conducteurs. Ceci pourrait faire l’objet d’un témoignage différent, car il ne concerne vraiment que le cercle restreint de ceux qui m’entourent encore aujourd’hui. Ceux qui ont tellement compté dans ma vie et qui ne sont plus là parce qu’ils sont partis trop tôt le savaient de toute manière, j’en suis sûr. Les autres le devineront à l’avenir dans ce qu’ils voudront trouver au plus profond de ce que je leur aurai témoigné avec mon affection et mon respect de tous les jours.

Pour en revenir à Alexandrie, comme tous les anciens Alexandrins,  j’en ai toujours gardé une grande tendresse, une nostalgie des saveurs, des parfums, des bruits, comme l’a si bien décrit Bob dans son livre « Mais d’où venez-vous Monsieur ? ».  J’y suis retourné quelques fois pour mes affaires, mais sans avoir jamais eu le temps de refaire un parcours et un état des lieux dans mes souvenirs. Ou plus probablement parce que bien que réceptif à tout ce qui concerne les échanges avec d’autres personnes durant le cours de la vie, je n’avais certainement pas le temps de me réveiller et m’émerveiller à la rencontre de personnes vraies qui auraient pu jalonner ce parcours à l’envers.  Maintenant j’y suis retourné en tant qu’homme, oh combien adulte !

Je savais que mon départ d’Alexandrie en 1956 avait été vécu par un adolescent inachevé. J’étais tombé alors, depuis le ventre créateur de tout ce que cette ville représentait, dans un univers totalement inconnu dont la réalité ne m’est apparue que par petits morceaux, par les bribes d’un vécu qui se poursuit encore aujourd’hui.  Mais j’ai toujours eu la chance de pouvoir poursuivre mon désir de bien faire plutôt que de me faire paralyser par la peur de l’inconnu. A l’heure de mon départ en 1956 j’avais été envahi par l’angoisse et la peur du lendemain. Heureusement, c’est le désir qui a pris le dessus et toute sa place dans ma vie.

Je suis retourné cette fois à Alexandrie, bien entouré par l’affection de ma compagne de vie, pour y retrouver des symboles, ceux qui m’ont accompagné, cachés au fond du cœur, durant toutes ces années. Pourquoi ? Je n’en connais vraiment pas la logique. C’est soit pour accéder à un équilibre de maturité relatif à mes parents, à mon père qui nous a quitté trop tôt, détruit par ces évènements de 1956 dont il n’a jamais pu se remettre, à mes amis et à mes compagnons d’enfance. Soit aussi peut-être, maintenant que je suis comblé dans ma vie d’homme, pour me réconcilier avec moi-même sur ce plan après le déchirement de la séparation d’il y a 50 ans.

 

J’étais très ému et optimiste ce matin là en arrivant à nouveau par bateau à Alexandrie. Le même port, les mêmes vieux bateaux rouillés en train de pourrir à l’ancre, les mêmes épaves le long des brises lames, laissées à fleur d’eau par les batailles de 1945. Et surtout le même abandon dans ces bâtiments qui jadis avaient abrité les grands commerces de coton et d’oignons de notre époque. Le temps se serait-il arrêté à Alexandrie ou aurait-il fait marche arrière ?

Je voulais proposer à cet évènement une relation plus respectueuse, plus intense, plus humainement responsable, en dépassant les clivages, le radicalisme et les incompréhensions qui depuis ont envahi la région, tout le Proche Orient et maintenant le monde entier. Je voulais pouvoir dire et entendre des choses qu’autrefois on retenait, on censurait. Où aurais-je pu trouver meilleure audience qu’à Alexandrie ? Surtout parce que mon ami Sandro m’avait préparé un accueil de grande qualité en la personne de Madame C. qui nous a consacré tout son temps pour que je puisse faire mes retrouvailles au Lycée et en ville.

Depuis, je ne voulais pas écrire quoi que ce soit à ce sujet car mon expérience a été très dure et elle pourrait être mal interprétée par ceux qui m’ont accueillis si généreusement. Mais tant pis, par honnêteté intellectuelle, et par respect pour ces mêmes personnes, je ne peux garder sous silence ce ressenti des mêmes angoisses : que se passera-t-il maintenant pour Alexandrie, quel sera le futur pour tous ces jeunes et moins jeunes ? Combien de temps vont-ils poursuivre dans cette voie destructrice avant de s’éveiller comme nous l’avons fait depuis que nous avons été expulsés ?

Car en réalité, au terme de ce retour en arrière, j’ai trouvé une ville complètement inconnue, maladroitement maquillée en surface, où la plupart de mes repères humanistes avaient disparus. Heureusement qu’ils sont inscrits à jamais dans le cœur de tous ceux qui l’ont connue à son époque de gloire.  Les seuls témoignages de sa splendeur d’autrefois, comme le Lycée Français, ne résistent vraiment plus à la dégradation et au pillage irresponsable que j’y ai constaté.

J’avais toujours pu faire la différence entre les personnes et leur comportement, mais là la conduite des dirigeants qui laissent faire est trop lourde à supporter. Les conditions d’espoir dans l’avenir commun de notre humanité qui justifie de faire de sérieux efforts sur soi-même pour s’intégrer au développement de notre société, plutôt qu’à se laisser submerger par celui religieux, si présent partout, et qui règle dorénavant les comportements de toute cette génération, et bien, tous ces espoirs ne sont pas là, malgré la réalisation extraordinaire qu’est cette magnifique Bibliothèque Alessandrina. On ne lit pas cet espoir dans les yeux des jeunes. On y devine par contre une espèce de résignation contre ce qui est trop puissant pour qu’on puisse y changer quelque chose tout seul. Je ne veux pas faire d’autres considérations sur la société d’Alexandrie d’aujourd’hui qui ne seraient certainement pas à leur place ici. Mais il y a des enseignements par ailleurs dans le monde où il est évident, que poursuivre sur ce chemin ne peut que mener à toujours plus d’enlisement dans une société de plus en plus gourmande et contraignante pour les esprits.

J’ai toujours eu la chance de rencontres exceptionnelles avec des personnes dont il émane une sensibilité particulière, une chaleur envoûtante et qui ont toute la simplicité et la tolérance des grands, et desquelles se dégagent les valeurs humaines de dignité essentielles qui définissent clairement leur positionnement. Ceci a été encore une fois le cas à Alexandrie avec Madame C. et son hospitalité, sa gentillesse et sa sensibilité hors du commun. Mais le contexte ambiant d’Alexandrie a été tel que cette fois-ci, je crois que j’ai définitivement quitté la ville, au bout de près de 50 ans de séparation. C’est ce départ final qui est le titre de cette lettre.

Aussi, une nouvelle fois, je me dis que nous les Alexandrins, nous avons eu bien de la chance de connaître le lait et le miel, avant de partir exilés, pour semer et récolter ailleurs, dans un monde que nous voudrions libre et tolérant comme celui de notre Alexandrie d’alors, où l’on peut aimer, engendrer et avoir chacun notre culture avec l’assurance pour nos enfants d’une vie riche et bien remplie.

Adieu Alexandrie ! Tu as été le témoin de mon premier éveil à l’amour, dans ce port que je quitte maintenant sans regrets. Tu es toujours dans mon cœur telle je t’ai connue alors, même si tu n’existes plus réellement que dans mon esprit avec tous les parfums et la multitude de sensations de mon vécu d’homme dont tu as été le premier témoin affectueux et attentif.

Adieu Alexandrie !

 

Joe Ninio

Monte Carlo le 12 janvier 2003

 

 

 

30/06/2008

 

HOMMAGE A DEUX TRES CHERS AMIS

QUI VIENNENT DE DISPARAITRE

 

         Lorsque, en novembre 1956, nous avons été expulsés d’Egypte et que nous sommes venus nous installer en France, nous avons été subitement séparés de tous nos amis sans savoir ce qu’étaient devenus les uns et les autres. Mais, très rapidement, nous avons pu localiser la plupart d’entre eux. Certains se trouvaient également  en France et d’autres, en Israël, Grande Bretagne, Brésil, Argentine, USA, Suisse, Italie, Belgique, etc. Mais nous avons recherché pendant une cinquantaine d’années nos très chers amis Odette et Isaac Simon, sans résultat. Puis, le 5 janvier 2006, j’ai reçu ce mail :

 

Bonjour monsieur Pardo,

 Mireille Galanti m'a passé votre site et je dois vous avouer que je suis bien impressionnée.  Que d'information, d'histoires qui font chaud au coeur, quelle belle poésie, que de souvenirs....c'est toute mon enfance qui défile devant mes yeux lorsque je lis certains des textes.

Je m'appelle Rosy Simon Schwartz, de la famille Simon du Caire.  Je suis née au Caire et en 1963, alors que j'étais encore petite fille, nous avons émigré à Montréal, Canada.  Je ne suis jamais retournée en Égypte mais maintenant j'ai la nostalgie!  J'aimerais retourner, ne serait-ce qu'une fois, même si je sais que je serais terriblement décue.  J'aimerais revoir le Lycée Français du Caire où j'ai commencé mes études, revoir tous ces endroits qui sont si flous dans ma mémoire, mais si réels en même temps.  J'aimerais revoir l'Égypte en tant qu'adulte et non pas à travers les yeux d'un enfant que j'étais lors de notre départ.

 Grâce à des sites comme le vôtre, on se retrouve tous petit à petit, quoique dispersés à travers le monde.  Et c'est pour cela que je vous remercie d'avoir monté votre site internet!  Vous nous permettez de partager quelques souvenirs, quelques pensées, de la poésie et quelques bonnes recettes.

Félicitations, encore, pour ce merveilleux site!

Bien sincèrement.

Rosy

 

Auquel j’ai répondu ceci :

Chère Rosy,

Je vous remercie de votre mail qui m'a bien fait plaisir. Il est toujours agréable de constater que ce que l'on fait est utile et apprécié.

Mais avant de poursuivre mon écriture, je vais vous poser une question très importante pour moi :

Ma femme et moi, nous avions au Caire des amis très chers, Isaac et Odette SIMON  qui habitaient la Rue Farouk (devenue ensuite Chareh El Guesh) qui avaient deux enfants, un garçon et une fille. Je pense que Isaac Simon travaillait dans une banque, je crois la Barclay's Bank. Seriez-vous apparentée à eux ?

 

Et je reçois par retour ce mail :

Et oui, je suis 1 des 2 enfants d'Isaac et Odette Simon de la rue Farouk!  J'ai eu des frissons en lisant votre mail...quelle coincidence.  Mes parents habitent à quelques minutes de chez moi, à Montréal.  Ils vont bien, grâce à Dieu. Mon père a travaillé pour une banque ici pendant plusieurs années et maintenant, il est à la retraite.  Je vais voir mes parents tout à l'heure et je vais leur faire la surprise en leur montrant votre mail.  Je suis certaine qu'ils seront très émus de retrouver des bons amis.  Vous voyez, ce que je vous disais dans ma correspondence précédente, votre site permet de retrouver des êtres chers, des amis, de la famille, etc. qui sont dispersées aux 4 coins du monde.

 

Chacun peut s’imaginer notre joie et notre bonheur de retrouver un couple de 

très chers amis, recherchés pendant un demi-siècle !!! Et,voici le mail qui suit:

 

Comme je vous l'ai dit hier, j'ai rencontré mes parents et je leur ai lu votre mail.  Vous auriez dû entendre les cris et "non, ce n'est pas possible!".  Ma mère a eu les larmes aux yeux et papa était très ému, il ne savait pas quoi dire au début.  C'était la plus belle scène que j'ai vu depuis longtemps!!  Maman a dit: "oh, la, la, ce sont les belles années du Caire qui sont en train de  défiler devant moi, que de souvenirs!".  Ils regrettent tous les 2 d'avoir perdu contact avec vous et votre femme.  Mon frère, Albert, qui était avec nous aussi hier, s'est bien rappelé de vous….(etc.etc.)

 

Vous vous doutez évidemment de la suite….

Mais, hélas, voici un mail que j’ai reçu ce 9 mai 2008 : après 50 années de séparation :  nos retrouvailles n’ont duré que 28 mois….

Bonjour Albert,

Je vous écrit pour vous annoncer malheureusement 2 mauvaises nouvelles.  Maman est décédée le 6 février dernier et papa lui aussi le 24 avril.  Ceci a été un terrible choc pour nous parce qu’ils n’étaient pas malades et leur mort est arrivée très subitement.  Maman est rentrée à l’hôpital le 25 décembre parce qu’elle ne pouvait pas rester debout et elle était prise d’une grande faiblesse.  Le diagnostic était une tumeur extrèmement aggressive au cerveau, qui l’a emportée en 1 mois et demi.  Papa, qui n’avait jamais été séparé de sa femme depuis 62 ans, s’est retrouvé du jour au lendemain dans une maison de retraite parce qu’il ne pouvait pas habiter ni chez mon frère ni chez moi à cause de sa paralysie et à cause des soins dont il avait besoin.  Le pauvre homme n’a pas duré plus de 2 mois sans maman et le 24 avril, au milieu de la fête de Pessach, j’étais avec lui, tout était normal et puis soudain il a eu une infarctus qui l’a emporté en 4 minutes, comme ça...soudainement et sans aucun signe.  Pour maman, mon frère et moi étions à ses côtés et pour papa, j’étais aussi là pour lui.  Nous remercions le bon Dieu qu’ils n’étaient pas seuls.Je vous envoie ci-attaché, le petit discours que mon frère a prononcé pour chacun de nos parents.  J’ai pensé vous le envoyer puisque vous étiez amis de si longue date

Rosy Simon Schwartz ;

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Nous nous joignons de tout cœur à l’Hommage qu’Albert SIMON a écrit à chacun de ses parents, nos très chers et regrettés Odette et Isaac SIMON dont nous n’oublierons jamais la  gentillesse, la bonté et l’affection.

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Le 8 février 2008.

Odette Simon, décédée le 6 février 2008

 

Odette

Nous avons eu la chance, ma sœur et moi, d’avoir eu notre mère longtemps avec nous. Ma mère, elle, n’a pas eu cette chance. Elle et ses deux sœurs ont perdu leur mère lorsqu’elles étaient encore enfants à Alexandrie, en Égypte .De son enfance à Alexandrie, au bord de la Méditerranée, elle avait gardé ce goût de la mer et un de ses plus grands plaisirs était de sentir sur son visage ce vent frais venant de la mer et d’entendre le bruit des vagues sur le sable. Et, au cours de ces dernières années, c’était aussi une des choses qui lui a le plus manqué.

Elle a épousé mon père au Caire en 1945, un mois et demi après la fin de la guerre, un 24 juin. Elle n’avait pas tout à fait 22 ans. Il en avait trente.

Il m’est arrivé de penser, il y a un an ou deux, que, contrairement à l’image de maturité des parents que je me faisais lorsque j’étais enfant, j’avais été élevé par une très jeune femme de 23 ans.

Nous avons grandi, ma sœur et moi, avec elle, mon père et mes grands parents, dans un petit appartement de quatre pièces avec 3 grands balcons et 5 fenêtres donnant sur une rue à la circulation intense, pleine de monde, d’odeurs, de bruit, de poussière et de soleil. Ma mère veillait à tout, s’occupait de tout et adorait sortir, le samedi soir, pour aller danser avec mon père et leurs amis, le plus souvent en plein air, au bord du Nil.

C’est l’image qui reste de cette période de grande simplicité et d’innocence qu’ont été les années 50. Elle est arrivée à Montréal à l’âge de 40 ans, en 1963 et a continué à s’occuper de tout à la maison. L’appartement n’était pas plus grand, avec un seul balcon et moins de fenêtres, la petite rue était calme, sans odeurs mais il y avait une belle cuisine et une belle salle de bain.

Il y a eu de nouveaux amis, il y a eu de nouvelles sorties et, toujours, pour tous ceux qui étaient autour d’elle, il y avait sa générosité et son grand cœur. On dit que les gens honnêtes ne parlent jamais d’honnêteté et je peux dire que, dans son cas, je ne l’ai jamais entendue parler de générosité. Il lui était inconcevable, je crois, d’être autrement, inconcevable pour elle qu’avoir du cœur et donner librement pouvait être autre chose que naturel.Un peu comme les poissons qui vivent dans la mer et vivent de la mer mais qui, en réalité, ne voient jamais la mer. Elle était ce qu’elle donnait et elle donnait ce qu’elle était.

Et, plus tard, beaucoup plus tard, il y a eu Michelle, sa petite fille qu’elle a tant aimée comme elle seule savait le faire, sans retenue.

Et un jour, lorsque mon père, à l’âge de 81 ans, a eu un ACV et s’est retrouvé handicapé et totalement dépendant, elle a fait la seule chose qui lui était naturelle. C’est ainsi qu’à l’âge de 73 ans, là où la plupart des gens pensent à se reposer, elle a décidé, tout naturellement, de prendre soin de lui et a persévéré pendant plus de onze ans, à travers des obstacles qui semblaient souvent insurmontables, pour leur permettre de continuer à vivre ensemble.

Voici un tout petit poème en anglais de Ernest Dowson.

 

They are not long, the weeping and the laughter,

Love and desire and hate;

I think they have no portion in us after

We pass the gate.

They are not long, the days of wine and roses:

Out of a misty dream

Our path emerges for a while, then closes

Within a dream

 

Et le sage, voyant que la vie est faite de choses qui naissent, de choses qui mûrissent et d’autres qui ne sont plus, se répétait : « La sagesse, c’est simple dans le fond, c’est laisser croître et nourrir ce qui naît, c’est savoir savourer ce qui est mûr et savoir aussi, malgré toute la peine, laisser aller ce qui n’est plus. »

Bon voyage

Albert SIMON.

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Le 28 avril 2008

Isaac Simon, décédé le 24 avril 2008.

 

 

Isaac

 

On demandait souvent à mon père où il avait appris à parler tant de langues. Né en 1915, pendant la première guerre, il a grandi en Égypte, colonie anglaise à cette époque et a fait toutes ses études en français à l’école des Frères.

Ses parents, qui étaient nés en Grèce, avaient quitté l’Europe pour fuir la guerre et s’établir au Caire. Ils parlaient naturellement le grec, que mon père a appris grâce à eux, mais surtout l’espagnol à la maison, la langue de leurs ancêtres qui avaient fui l’cœur à la fin du 15ème siècle, comme tant d’autres juifs, à cause de l’inquisition, pour s’établir dans tout le bassin de la Méditerranée.

Il jouait avec ses copains de classe en français, s’amusait avec ses nombreux cousins et cousines en grec ou en français, achetait ses choses en arabe et racontait le tout à ses parents en espagnol. Et, adulte, il a travaillé en anglais et en arabe pour une banque anglaise au Caire.

À la fin de la seconde guerre, à 30 ans, il a épousé Odette qui en avait 22, un 24 juin. Mon père disait souvent que tout le Québec célébrait, chaque année, leur anniversaire de mariage ce jour-là et, cette année, ils auraient célébré leur 63ème anniversaire de mariage. Il a quitté l’Égypte en 1963, à l’âge de 48 ans, pour s’établir à Montréal avec son épouse, ses deux enfants et ses parents.

Ceux qui ont connu mon père durant les dernières années de sa vie ont vu un homme physiquement diminué et sévèrement handicapé depuis un AVC subi en 1996 mais ils ont tous remarqué son sourire accueillant et ses grands yeux expressifs. Il se dégageait de lui une impression de grande douceur, de profonde sensibilité et de bonté.

Mais sous cette apparence existait un immense courage face à l’adversité et une détermination que peu de gens ont connus. Emprisonné et immobilisé dans un corps qui, depuis 12 ans, était devenu son plus grand fardeau, il n’a jamais imposé aux autres ses souffrances ni sa détresse de se voir si dépendant.

Jour après jour, il surmontait des difficultés incroyables pour accomplir de simples gestes quotidiens et il réussissait quand même à conserver son moral en nous faisant rire avec ses histoires. Personne n’a vraiment su d’où elles provenaient ni comment il faisait pour s’en rappeler.

Sa vie, cependant, était indissociable de celle de ma mère et son décès, il y a un peu plus de deux mois a eu un effet irréversible sur lui, beaucoup plus important qu’il n’en laissait paraître.

Lorsqu’il a été la voir à l’hôpital, une semaine avant qu’elle ne décède, il était au courant de la gravité de son cas et il nous a donné à tous une autre preuve de son courage, à un niveau que nous ne soupçonnions pas.

Lorsque j’ai roulé son fauteuil près du lit de ma mère, ma cœur et moi avons vu leurs visages s’illuminer d’un grand sourire de surprise et de joie. Mon père lui a dit, comme il en avait l’habitude «’Zzayyék ya bétt ?» (Comment vas-tu, la p’tite ?) Son lit était relevé et elle pouvait s’approcher du bord, la tête appuyée sur des coussins. Ayant de la difficulté à parler, elle a murmuré des mots, et, main dans la main, il a continué à lui parler de petites choses, lui montrant qu’il avait lui aussi les mêmes taches aux mains qu’elle ou lui demandant si elle aimait la chemise qu’il portait. La plupart du temps elle répondait par des murmures, puis elle a tendu la main pour boutonner le chandail qu’il portait, comme elle avait l’habitude  de le faire pour lui. Je sais qu’il avait dû avoir tout un choc en la voyant dans l’état où elle était mais il n’était animé que par son courage et par la joie de la revoir.

Il lui a raconté l’histoire de Goha qui, un soir, voulant voler des dattes, a grimpé jusqu’au sommet d’un dattier. En arrivant en haut, il se trouve nez à nez avec le propriétaire de la plantation qui l’attendait dans l’arbre et qui lui  demande «Qu’est-ce que tu fais ici ?» Et Goha lui tend de la monnaie et lui répond «Eddina neckla balah’» (Je veux acheter des dattes pour 2 millièmes). «Tu te rappelles des neckla ?» lui a demandé mon père. Incapable de réagir, ma mère a continué de le regarder attentivement.

Mon père s’est tourné vers moi et m’a demandé alors si je me souvenais de l’hôpital israélite  du Caire et il nous a dit qu’au dessus de la porte principale, il y avait une inscription où l’on pouvait lire ceci : « Ne me dis ni ta race, ni ta couleur, mais seulement ta douleur ».

En terminant, je voudrais lire, pour lui, un poème qu’il aimait beaucoup, Le Vase brisé de Sully Prud’homme. Il le connaissait par cœur depuis l’école et il m’en avait parlé récemment, il y a deux ou trois semaines. Peut-être voulait-il nous dire avec ce texte toute la peine qu’il éprouvait.

 

Le vase brisé

Le vase où meurt cette verveine

D’un coup d’éventail fut fêlé ;

Le coup dut l’effleurer à peine :

Aucun bruit ne l’a révélé.

 

Mais la légère meurtrissure,

Mordant le cristal chaque jour,

D’une marche invisible et sûre

En a fait lentement le tour.

 

Son eau fraîche a fui goutte à goutte,

Le suc des fleurs s’est épuisé ;

Personne encore ne s’en doute ;

N’y touchez pas, il est brisé.

 

Souvent aussi la main qu’on aime,

Effleurant le cœur, le meurtrit ;

Puis le cœur se fend de lui-même,

La fleur de son amour périt ;

 

Toujours intact aux yeux du monde,

Il sent croître et pleurer tout bas

Sa blessure fine et profonde ;

Il est brisé, n’y touchez pas.

 

Bisitos et Bon voyage.

Albert SIMON.

 

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De Madame Esther (Booguy) BENGHIAT MUSTACCHI :

 

 

SOUVENIR D’UNE JEUNE ADOLESCENTE D’EGYPTE

 

 

C’ETAIT PAR UNE BELLE JOURNEE DE PRINTEMPS, J’AVAIS RENDEZ VOUS AVEC MON PETIT AMI QUI VENAIT D’ACHETER UNE « HARLEY DAVIDSON ». (J’AVAIS 17 ANS IL EN AVAIT 24).

NOUS AVONS FAIT AVEC LE TOUR DE LA VILLE, PUIS SOMMES ALLES A NOUZHA, AU JARDIN DES PLANTES, ET LA BAS  IL ME DONNE LA MOTOCYCLETTE, S’ASSOIS DERRIERE MOI ET M’EXPLIQUE COMMENT LA CONDUIRE.

J’ETAIT TOUTE HEUREUSE ET FIERE D’AVOIR CETTE PUISSANCE DANS MA MAIN, MAIS SON SOUFFLE DANS MON DOS ME DONNE UNE DROLE DE SENSATION QUE JE N’AVAIS JAMAIS SENTI, JE SENTAIT MON CORPS FREMIR ET JE N’ARRIVAIS PAS A CONDUIRE DIRECTEMENT, CE QUI A EU POUR CONSEQUENCE DE NOUS JETER SUR LA PELOUSE QUI ENTOUREE L’ALLEE.

NOUS NOUS TORDIONS DE RIRE NOUS LES DEUX ET D’UN GESTE IMPULSIF IL M’ENLACE ET ME DONNE LE PLUS BEAU ET PREMIER BAISER QUE J’AI RECU, J’EN ETAIS TOUTE CHAVIREE,

THRILLER : SOUDAIN SORT D’UN BUISSON UN CHAWICH AUX LONGUES MOUSTACHES, NOUS DEVISAGE, ET DIS A MON COPAIN, JE T’ARRETE CAR TU AS EMBRASSE CETTE JEUNE DEMOISELLE, MAMNOUU.(INTERDIT)

NOUS ETIONS LA APEURES ET PERPLEXES, LA MAIN DANS LA MAIN, NE SACHANT QUE FAIRE.

ALORS LE CHAWICH LUI DIT « DONNE MOI DIX PIASTRES ET JE N’AI RIEN VU ».

NOUS AVONS TOUS LES 3 ECLATES D’UN BON RIRE ET LUI AVONS REMIS LES 1O PIASTRES .

BOOGUY

 

 

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MA SORTIE D’EGYPTE

par Marie Mosseri

(Troisième Partie)

 

Mon mari n’était pas téméraire, ni même courageux. C’est moi qui prenais les décisions, les initiatives. Je quittai donc le dortoir, suivie des miens et d’une autre famille égyptienne. Dans l’entrée, se trouvaient de grandes caisses contenant les biens que tous les immigrants emportaient avec eux. Je m’installai sur l’une d’elles avec mes deux grandes filles. Mon mari, épuisé, s’allongea sur les magnifiques dalles de marbre près de la grande porte-fenêtre qui était ouverte. Ma plus jeune fille s’endormit sur son bras. On ne distinguait rien, il faisait nuit noire.

    J’ouvris les yeux au lever du jour. Je commençai à apercevoir les contours de la pièce. Mes yeux se posèrent sur mon mari et ma fille endormis sur le sol. Je remarquai tout près d’eux une grosse boule de poils noirs. Je m’écriai « Vita ! Lève-toi ! » et  je  relevai ma fille en vitesse ne sachant ce qu’était cette boule noire. Nous découvrîmes un chat mort. Cela expliquait la puanteur.  Je criai.

 

Le «  kapo  » descendit pour connaître la raison de mes cris, et voyant le chat mort me dit : « Pourquoi n’êtes-vous pas restés dans le dortoir ? ». Je me disputai avec lui : « Comment osez-vous nous mettre avec des personnes atteintes de teigne, de trachome et autres maladies ? »

 Nous étions en pleine altercation quand nous entendîmes un gros « boum ». Mon mari partit s’informer sur l’origine de ce bruit, et revint nous rassurer ; ce n’était qu’une grosse caisse appartenant à un voyageur qui était tombée de la véranda. Ne voulant rester plus longtemps dans cet endroit, je décidai qu’il nous fallait retourner à Rome immédiatement. On nous indiqua le nom d’une pension à Rome : « Pension Idéale – via Nationale ».

    Nous nous rendîmes dans cette pension, accompagnés de l’autre famille égyptienne, qui comme nous, n’avait pas utilisé le dortoir. Mon mari, très douillet, ne voulant rien soulever, je me chargeai de mettre les valises dans l’ascenseur et de  les monter au cinquième étage. On nous installa, ainsi que l’autre famille, dans une chambre spacieuse avec douche. Nous pûmes y rester jusqu’au départ pour Israël organisé par l’Agence Juive. Ils nous indiquèrent un restaurant où nous pourrions prendre un repas chaud le midi. Il était possible de monter dans la chambre des aliments qui ne nécessitaient pas de cuisson, pour le matin et pour le soir.

     Arrivés au restaurant, je retrouvai la jeune maman polonaise, toujours vêtue de son manteau de fourrure et accompagnée de son bébé. Je lui demandai où ils étaient logés. Elle m’indiqua qu’ils étaient au-dessus du restaurant. Je m’informai alors du prix qui leur était demandé et  elle me répondit qu’elle l’ignorait, les frais étant réglés par l’Agence Juive. En fait, la Alyah n’était pas la même pour tout le monde. Ceux qui avaient souffert de la Shoah, étaient pris en charge par l’Agence Juive. Nous autres étions censés avoir les moyens de régler les frais. Ce qui n’était pas très juste ; la Alyah devait être la même pour tous.

     Quelques temps après, on nous fit faire nos bagages et prendre le train à la gare de Rome à destination de Bari, un port du sud de l’Italie, sur l’Adriatique. Ce train n’était pas étudié pour le transport de passagers et ne comptait que quelques bancs. La majorité des voyageurs était debout. Le train roula toute la nuit. Les enfants avaient faim et soif. Mais aucune collation n’était prévue, on nous faisait voyager comme du bétail. Bien que l’on nourrisse, le bétail !

 

    Le matin, le train s’arrêta enfin en pleine campagne, non loin d’un champ brûlé par le soleil. Deux jeunes Egyptiens d’origine italienne descendirent dans l’espoir de trouver de l’eau pour les enfants. Ils  marchèrent longtemps avant de trouver une cabane. Ils demandèrent de l’eau pour de jeunes enfants juifs se rendant en Israël. Les paysans furent surpris de voir que ces gens n’avaient pas de queue. On leur avait toujours dit que les Juifs avaient une queue !

    Quelques heures après, ils ramenèrent l’eau. Nous sommes restés toute la journée dans ce train, sans manger, sous un soleil de plomb.

 

Ce n’est qu’au crépuscule que nous avons pu embarquer. Nous  fûmes installés près des cales, dans des dortoirs où nous dormions tous ensemble, hommes, femmes, enfants. Mais cette fois, épuisés, nous nous contentâmes de ce que l’on nous proposait.

 Le voyage a duré cinq jours, durant lesquels nous ne sortions que quelques minutes sur le pont pour respirer un peu d’air, puis  nous retournions à nos couchettes. Les Polonais n’étaient pas avec nous dans le bateau. Il n’y avait que des sépharades – Egyptiens, Tripolitains…

     A proximité de Yaffo, le bateau s’arrêta en pleine mer,  et nous regagnâmes la terre ferme à bord de chaloupes. Nous arrivâmes sur des ruines, où nous fûmes fouillés comme des voleurs. Notre argent et nos bijoux furent répertoriés.

    On nous transporta en camion jusqu’à Betlid, près de Natanya. Les Arabes appelaient cet endroit Bet El Aarav, en français, «  la maison des scorpions ». A l’époque, c’était un désert. Le camp était rempli de tentes de couleur vert foncé. On nous attribua une grande tente, dans laquelle étaient disposés six lits, car un cousin s’était joint à nous. Dès notre entrée, mon mari s’assit sur le premier lit, et se mit à pleurer toutes les larmes de son corps. Il était effondré, persuadé qu’il mourrait ici même.

    Cette première nuit fut effroyable, non seulement parce que mon mari pleurait, mais aussi à cause des bruits occasionnés par les déplacements des scorpions, des serpents et des lézards sur la tente. Je ne pouvais fermer l’œil, craignant de voir ces bêtes sur mes filles.     Le lendemain matin, mon mari me dit : « Je ne resterai pas ici, emmène-moi chez ta sœur qui habite Haifa ».

     Ma sœur, que je n’avais pas revue depuis seize ans, habitait Haifa. J’avais dix ans lors de son départ. Je laissai donc mes deux  grandes filles avec mon cousin, et pris la route en direction de l’arrêt de bus, accompagnée de ma fille de cinq ans et de mon mari défaillant. Lorsque nous arrivâmes chez ma sœur, tous  nous regardèrent abasourdis, nous reprochant : « Pourquoi avez-vous quitté la tente ? Vous risquez de perdre tous vos droits ! ». Nous savions effectivement que le fait de quitter la tente signifiait que nous refusions l’aide de l’Agence Juive, et que par conséquent, il ne nous serait pas attribué de logement, ni d’autres avantages. Je répondis que je n’avais pas eu le choix, mon mari ne cessant de pleurer depuis notre arrivée…

 

    Nous avions de l’argent, mais à quoi nous servirait-il dans ce désert qu’était Betlid ? Nous n’avions que ce qui était distribué dans le camp. Le matin nous faisions la queue pour recevoir le petit déjeuner qui nous était servi dans un gobelet à la propreté douteuse et dans un plat en aluminium. Mais avant d’arriver au guichet, nous assistions aux affrontements entre Polonais et Marocains. Et nous étions un peu perdus dans ces accrochages car nous ne faisions partie d’aucun groupe. Les Marocains sortaient leurs couteaux, et menaçaient  de tuer les Polonais. Ceux-ci rétorquaient « Maroco sakin ». Le problème était que les Polonais avaient des protections et qu’ils étaient mieux servis ;  ils  passaient avant les Marocains qui eux ne se laissaient pas faire.

    Nous étions piétinés avec nos enfants, dans ces affrontements jusqu’à ce que nous arrivions au guichet. Car nous faisions tous la queue, même les enfants, parce qu’une personne ne pouvait emporter que sa ration. On nous jetait dans l’assiette un morceau de fromage fabriqué avec la poudre de lait, une cuillerée de confiture faite de pommes de terre ou de carottes avec du colorant alimentaire rouge, et deux tranches de pain. Dans le gobelet, on nous servait du thé. Les enfants, jusqu’à l’âge de cinq ans recevaient un œuf.                 Chacun s’installait dans un endroit pour avaler ce repas. Nous n’avions pas connu les camps de concentration, et n’avions donc pas l’habitude de ce genre de nourriture. Nous venions d’un pays où  celle-ci  était abondante et de bonne qualité. Il nous était donc difficile de nous contenter de ces repas. Je sermonnai mes enfants : « Racheline, Caroline, Viviane, si vous ne mangez pas, vous allez mourir ; il n’y a rien d’autre, on ne peut rien acheter ».

 

    Donc, lorsque nous sommes arrivés chez ma sœur, son mari fut un peu effrayé de nous voir, car il était riche, mais avare. Ils nous invitèrent pour le repas du midi, mais nous encouragèrent à retourner au camp. Vita me prit à part et me dit : « Je ne bougerai pas d’ici. Dis-leur que j’ai subi une sérieuse intervention, que j’ai besoin de soins, qu’il m’est impossible de vivre sous cette tente et de manger les repas qu’ils nous servent ». Je transmis donc le message à ma sœur Allegra qui fut très gênée. Elle était de celles qui dépendent du mari et obéissent sans discuter à leurs paroles -contrairement à moi, dont les gens disaient : « Les femmes d’Egypte sont très fortes et très autoritaires ». Elle dit quand même à son mari, d’un air pas très convaincu : « Qu’il reste, s’il ne peut retourner au camp ! ».

 Mon beau-frère, honteux, ne pouvait refuser car nous étions des immigrants et  il devait se montrer accueillant. Comme ils s’inquiétaient pour mes enfants, je leur dis que j’étais tranquille pour elles, le cousin avec lequel je les avais laissées étant comme un frère.

     Le soir, je repris la route avec ma fille. Un premier bus m’amena à la gare centrale de Haifa où je repris un bus Eged en direction de Betlid. J’étais vraiment très courageuse. Lorsque j’arrivai, il faisait nuit noire. On m’indiqua la direction du camp. J’avançai seule avec ma fille, dans le noir, sans voir où j’allais, accompagnée du cri des grillons, jusqu’à ce que j’aperçoive au loin la lumière d’un lampion qui indiquait l’entrée du camp. Ne sachant plus où se trouvait ma tente, les gardiens m’y menèrent. Je trouvai mon cousin et mes filles qui demandèrent leur père ; je leur dis qu’il ne voulait pas revenir. Je passai donc une seconde nuit dans cette tente à entendre les griffes des gros lézards et la marche des scorpions. Et une fois encore je ne dormis pas et surveillai qu’aucune bête ne vint piquer mes enfants…

    Le matin, il y eu de nouveau des disputes entre Marocains et Polonais, cette fois pour la queue en direction des douches communes. Il y avait également les Tripolitains toujours enveloppés de noir et toujours munis de leur pot de chambre ;  nous ne pouvions communiquer avec eux, leur langage étant très différent du nôtre.

     Dès que les rayons du soleil tapaient sur les tentes, elles  se transformaient en  véritables fournaises, à l’odeur irrespirable à cause du produit dont la toile était enduite afin de l’imperméabiliser.  Nous devions nous laver régulièrement.

     Je me retrouvai  seule avec les enfants dont il fallait que je m’occupe entièrement. Je ne les laissai pas non plus se rendre aux toilettes seules, depuis qu’un homme avait laissé tomber son portefeuille avec tout son argent dans les cabinets turcs auxquels nous n’étions pas habitués. Je ne sais si ce pauvre homme qui pleurait et criait réussit à récupérer son seul bien, mais je l’espère… Je craignais toujours qu’une de mes filles ne tombe dans le trou.

     Trois fois par jour, il nous fallait faire la queue pour recevoir nos repas ; c’était la même chose pour les douches, et nous assistions à chaque fois aux violentes altercations entre Marocains et Polonais. Nous étions entourés de gens différents de nous. Et ces Tripolitains tout droit sortis des grottes !... Je n’imaginais pas qu’il existât  des Juifs de cette espèce, et qu’un jour je vivrais en communauté dans le même camp qu’eux. Qu’étions-nous venus faire ici ?

     Le dixième jour, j’entendis les enfants crier « Papa est venu ! Papa est venu ! » et  je vis mon mari arriver en pleurs. Il était parti en pleurs, et revint en pleurs. Il m’expliqua que mon beau-frère et ma sœur lui avaient fait comprendre qu’il était resté assez longtemps chez eux, et qu’il était temps pour lui de rejoindre sa famille, lui suggérant que nous pourrions aller chez Julia, mon autre sœur qui habitait à Jérusalem, et avait un grand appartement dont certaines pièces étaient inoccupées. Lorsqu’il arriva au camp, il avait déjà programmé un départ pour Jérusalem.

 

     Le lendemain, après une mémorable nuit, nous quittions tous le camp. Nos effets personnels étaient consignés dans un dépôt et, munis de quelques bagages, nous prîmes le bus en direction de Tel Aviv.

 A la gare Centrale de Tel Aviv, nous nous plaçâmes avec les voyageurs qui attendaient le bus de Jérusalem, et fûmes bousculés de toutes parts par des hommes parlant yiddish, et réclamant leur place. Ce que nous ne comprenions pas. Jusqu’à ce qu’une personne de langue française nous explique qu’il nous fallait descendre l’escalier, passer le tunnel, aller dans l’autre rue, et nous placer à la fin de la file d’attente pour le bus de Jérusalem.

    Nous quittâmes Betlid à huit heures le matin, et ce n’est qu’à dix- sept heures que le bus nous déposa à Jérusalem.

     Ma sœur Julia louait un appartement dans le quartier de Roméma. A la place de l’actuel Binyanei Ha’uma, se trouvaient trois maisons au toit rouge dont les propriétaires étaient des Arabes. On nous indiqua le chemin pour nous y rendre. Julia ignorait notre présence en Israël. A proximité de la maison, des voix nous parvinrent d’une véranda et je reconnus immédiatement sa voix  que je n’avais pas entendue depuis l’âge de sept ans. Je me précipitai vers la véranda en criant : « Julia ! ». Surprise,  elle se retourna, n’en croyant pas ses yeux. Nous tombâmes dans les bras l’une de l’autre.

     Nous fûmes très bien accueillis chez Julia qui nous reçut à bras ouverts. Effectivement, l’appartement, très spacieux, comprenait une vaste entrée et cinq chambres immenses, dont deux étaient vides.

    Je lui présentai le cousin Richard, fils de l’oncle Vita qu’elle connaissait bien. Elle nous hébergea tous de bon cœur, heureuse de nous retrouver. Au bout de quelques jours, il fallait que je ramène toutes les caisses que nous avions laissées en dépôt au camp. La plupart des meubles et bibelots avaient été vendus en Egypte. Les seuls objets que nous avions gardés étaient la pendule, cadeau des patrons de mon mari à l’occasion de notre mariage, et ma machine à coudre. Le reste était des vêtements, les ustensiles et les différentes vaisselles en porcelaine : celle de Pâque, celle pour le lait, la viande et autres choses encore…

   Lorsque les caisses arrivèrent chez ma sœur, mon mari, m’en désignant une, me dit : « Marie, je dois te préparer, car dans cette caisse, tout doit être cassé. Il s’agit de la caisse qui est tombée de la véranda dans la villa de Monte Mario. Je n’ai pas voulu te le dire pour ne pas te contrarier ».

Nous avons donc ouvert cette caisse dans laquelle se trouvait la pendule qui était restée en bon état car nous l’avions protégée avec des couvertures de laine, ainsi que la machine à coudre dont chaque pièce était enveloppée d’une couverture. Tout le reste, en majorité des porcelaines, était fichu… ( finito la musica et pasata la festa !) Je lui étais reconnaissante de me l’avoir caché, car j’étais suffisamment contrariée ; cela m’aurait fait vraiment mal inutilement. Mais à présent, après être sortis de toutes les difficultés et avoir surmonté  tant d’obstacles, cette vaisselle cassée me paraissait bien négligeable… 

     Nous sommes restés quelques temps chez ma sœur. Son mari était un cousin à nous, mais il était insupportable. Sous prétexte que j’étais chez lui, il me considérait comme étant sa propriété, il me suivait dans tous mes déplacements, était présent et participait à tout ce que j’entreprenais. Mon mari le prenait très mal. J’envisageai alors la possibilité de nous installer chez ma sœur aînée, du côté de mon père, Fortunée, qui demeurait à Jérusalem.

     Elle habitait une villa avec sa famille, près de l’ancien Hôpital Chaare Tsedek. Le sous-sol de la villa était agrémenté de deux vastes chambres communicantes. On y accédait par une porte donnant dans le jardin. Nous y avons vécu pendant quatre ans, et c’est là que mon fil Yossi est né, avant que l’on nous octroie un chicoune par protection. Ce chicoune nous fut attribué à Kfar Ata, grâce à un ami d’Egypte de mon mari qui y demeurait, Albert  Goldman, et qui travaillait avec lui à l’Hôtel King David.

 

    Lorsque le King David fut réouvert, après la guerre, ils recherchaient de bons éléments ayant une bonne présentation et parlant plusieurs langues. Mon mari correspondait parfaitement aux critères. Il était très élégant, et parlait le français, l’italien, l’arabe, l’anglais et apprenait l’hébreu.

    Il fut engagé pour le poste de chef caissier à la Réception, avec la responsabilité des caisses clients. Il occupa ce poste durant toutes les années passées au King David. Il partait le matin à sept heures et rentrait le soir à neuf heures, et ce, tous les jours de la semaine. Il était donc nourri, habillé et passait toute la journée à l’hôtel. Il ne rentrait à la maison que pour dormir. Cependant, le salaire n’était pas conséquent, il ne gagnait que 4O£. Seuls les métiers demandant un effort physique (les ouvriers dans le bâtiment par exemple) étaient bien rémunérés, entre 120 et 140£. Mais de par sa santé précaire, suite à l’ablation de son rein, il lui était impossible d’effectuer de pénibles travaux.

Il travailla au King David jusqu’en 1956. Au moment de la guerre du Sinaï, des balles furent tirées de la Tour du Roi David en direction de l’hôtel. Une balle se logea sur le mur juste au dessus de  de sa tête.

    Par la suite, les clients évitèrent cet hôtel, qui fut fermé un certain temps.

 

    Mon mari était un homme très élégant, et très courtois ; cependant, il éprouvait des difficultés à s’adapter à un nouveau poste et n’était pas très entreprenant. Mais surtout, il n’y avait pas beaucoup de métiers qu’il eût pu pratiquer. C’est pour cette raison qu’il avait accepté ce poste très mal payé au King David. Il est vrai qu’il était toujours très chic en smoking et  nœud papillon, mais son salaire n’était pas suffisant pour nous nourrir. Lui, bien sûr prenait ses repas à l’hôtel, bien que les mets qu’on leur servait étaient loin d’être succulents. Certains clients s’en plaignaient. Il est vrai que depuis la création de l’Etat d’Israël,  il n’y avait plus de véritable personnel hôtelier dans cet hôtel. Les employés n’étaient pas qualifiés. Ils étaient embauchés sur le seul critère d’une bonne présentation.

 Une cliente française se plaignit un jour : « Qui parle le français dans cet hôtel? ». Mon mari accourut : « Oui Madame, quel est le problème ? ». Elle lui dit : « Dites-moi, que vous nous donniez à manger de la m…, je comprends, mais faites au moins l’effort de bien la présenter »…

     Même si le repas de midi n’était pas savoureux, mon mari en profitait. Mes enfants et moi ne l’avions pas. Lorsqu’il me remettait son salaire de 40 £, je commençais par rembourser l’argent emprunté à mon beau-frère pour payer nos rations car tout était rationné. Le seul aliment qui ne l’était pas, qui a toujours été très beau et très bon, et que nous pouvions acheter à volonté, était le pain. Nous avions droit à deux œufs par personne et par semaine, sauf les enfants qui n’avaient pas encore cinq ans et  qui recevaient un œuf chaque jour. C’est dire qu’il nous fallait jongler avec nos œufs pour nourrir toute la famille… Il n’y avait presque pas de fruits, très peu de légumes, des aubergines l’été et l’hiver des choux.

 

    C’était très difficile pour nous qui avions connu l’abondance. En Egypte, nous allions au marché avec 10 piastres et achetions un gros poulet, du poisson, des légumes et des fruits pour le chabbat. Ici avec 10 £ sterling qui avaient la même valeur, nous n’avions rien. Chaque semaine, nous étions informés par la presse des changements dans les quantités des rations. Mon cousin était militaire et vivait avec nous. Nous étions donc sept personnes ; et si la ration était, par exemple, de cent grammes par personne, nous pouvions acheter un poulet vivant de sept cents grammes. Il arrivait qu’en prévision des fêtes, nous achetions le poulet quelques jours avant et le nourrissions pour l’engraisser.

    Nous avions le choix entre le poisson et le poulet, mais en aucun cas n’étions autorisés à prendre les deux. Le poisson arrivait congelé de Turquie, mais il suffisait de le voir, et d’en sentir l’odeur pour nous dissuader d’en manger. Cependant, un jour rassemblant les tickets de ration de toute la famille, j’achetai un gros poisson pour le chabbat. Ma cuisine était une petite cabane en préfabriqué qui se trouvait dans le jardin. Je nettoyai le poisson, et le laissai dans l’eau salée sur la table de la cuisine. Soudain, j’entendis les enfants crier : « Maman ! Maman ! Le chat a pris le poisson ! ». Je m’élançai au pas de course à la poursuite du chat, traversant les cours voisines l’une après l’autre à la suite de ce maudit chat. Quand enfin, je finis par le rattraper, il avait dévoré une partie du poisson, mais je récupérai le reste pour le repas du chabbat.

 

    Pour le premier Kippour que nous avons passé en Israël, on nous avait attribué des rations de poulet plus importantes. Nous n’avions pas la possibilité de faire nos achats chez le commerçant de notre choix. Chaque commerçant avait une liste de noms, et nous devions nous rendre chez celui dont nous dépendions. J’étais enceinte de mon fils Yossi, le quatrième de mes enfants.

    Je me suis donc rendue chez le marchand de poulets où je trouvai une queue aussi longue que celle que nous avions faite à Tel Aviv, pour prendre le bus de Jérusalem. J’étais debout depuis des heures, il ne restait que quelques personnes avant moi, quand soudain le marchand ferma les portes de sa boutique. Il n’y avait plus de poulet. Je devais revenir le lendemain. La même scène se reproduisit trois jours de suite. Le quatrième jour après avoir attendu quelques heures, je finis par m’évanouir. Les personnes faisant la queue s’affolèrent : « Une jeune femme enceinte s’est évanouie ! Apportez-lui de l’eau ! ». Je repris connaissance et voulus rentrer chez moi. Mais tout le monde autour de moi décida de me laisser passer pour prendre mon poulet. C’est ainsi que je réussis à ramener pour ma famille, le fameux poulet de Yom Kippour.

    Ce fut une dure expérience pour moi qui venait d’un pays d’abondance, où les années de guerre et de manque en Europe étaient des années prospères en Egypte. Je n’avais plus de domestique. J’étais seule pour m’occuper des enfants, de l’entretien de la maison et des différents achats.

    En ce qui concernait les légumes, on ne trouvait chez les marchands que le légume qui était de saison. A la période du chou, on ne trouvait que des choux. Au moment des aubergines, seule une montagne d’aubergines trônait dans la boutique du marchand. Bien entendu, on nous disait que les aubergines étaient très bonnes pour la santé. On nous énumérait les différentes vitamines et vertus de ce légume, on nous indiquait les mille et une façons de le préparer afin de varier les menus. Nous avions même une recette pour donner à l’aubergine un semblant de goût de foie de poulet.

 

    En clair, nous devions nous contenter de fromage fabriqué à base de poudre, et d’aubergines en guise de foies de poulets… Nous avions aussi des rations de poudre d’œufs. Au début je ne savais comment l’utiliser. Mais je finis même par faire des gâteaux avec cette poudre d’œufs. Je n’étais pas un cordon bleu, pas même ce que l’on appelle une « femme d’intérieur » puisqu’en Egypte, ma domestique se chargeait de tout : les achats, l’entretien de la maison, la cuisine. Mais ici, je devais non seulement cuisiner, mais le faire avec des poudres. Et j’avoue que je m’en sortais bien, je préparais tout ce qu’il fallait pour le chabbat, même les bougies qui, elles, n’étaient pas rationnées. Mon cousin rentrait de l’armée. Le soir du chabbat, la maison avait un tout autre aspect, peut-être parce que la table était recouverte d’une belle nappe, ou que les menus étaient plus recherchés, ou parce que les enfants étaient bien habillés en l’honneur du chabbat ; ou tout simplement, pour toutes ces raisons à la fois.

     Le rationnement a duré environ cinq ans depuis notre arrivée en 1949. Tout était rationné, les tomates, le café, le sucre, la farine et même les langes de bébés. Il fallait toujours penser, réfléchir, tout peser, calculer pour nous en sortir avec ce rationnement.

    Mon mari ignorait tout de cela. Il était toute la journée dans ce palais « Le King David » où descendaient les plus grandes personnalités en visite en Israël, comme Winston Churchill par exemple. Il arrivait que des amis et des cousins éloignés de mon mari, venus d’Egypte, en visite à Jérusalem, sachant que mon mari travaillait au King David, aillent le voir. Ils étaient  tous très impressionnés par son élégance, son smoking, son nœud papillon. Lui, ne voulant pas être gêné dans son travail, les envoyait à la maison. Je devais faire en sorte de bien recevoir ces gens que je ne connaissais même pas, et c’était bien difficile avec un œuf par personne et par semaine !

    Contrairement aux Européens, nous avions pour coutume de recevoir à notre table tous les invités de passage. Tous me complimentaient sur les fonctions de mon mari dans cet hôtel de haut standing, au luxe tapageur, et me disaient : « Ma chère ! Ton mari est assis sur le siège de Rothschild » !

 Peu m’importait ! Je ne voyais rien de tout ça.

    Moi, j’étais dans mon deux- pièces  au sous-sol de la villa de ma sœur. On y accédait par une porte donnant dans le jardin, puis en descendant quelques marches on arrivait dans ma chambre, dans laquelle donnait celle des enfants. J’avais décoré avec amour ces deux pièces, recouvrant les dalles du sol de tapis ramenés d’Egypte, les fleurissant régulièrement avec les fleurs cueillies au jardin. Un des murs était percé d’un gros trou qui donnait dans la pièce réservée aux bains rituels, car ma sœur et son mari étaient très pratiquants. J’avais caché ce trou par un rideau assorti au tissu recouvrant les canapés. J’avais fait de cet endroit un intérieur coquet, et joli où il m’arriva toutefois quelques désagréments…

    Dès le premier hiver, il y eut beaucoup de neige, et un matin, au réveil, j’eus la surprise de trouver la pièce inondée. La neige avait fondu, s’était infiltrée par le bas de la porte, avait dévalé les marches et finit sa course sous mes beaux tapis qui s’en imprégnaient. Je devais poser mes pieds dans cette eau glacée pour me lever préparer mes enfants qui devaient se rendre à l’école.

   Nous avions le luxe d’avoir un puits dans le jardin, à l’arrière de la villa. Cependant, il fallait  contourner la villa pour atteindre le puits, y jeter le seau, le tirer quand il était plein, faire le chemin en sens inverse avec le seau rempli d’eau et descendre les marches pour arriver dans les chambres.

 Un jour, alors que j’étais enceinte -ma grossesse était déjà bien avancée- après avoir fait tout ce parcours avec mon seau, je m’étalai dans l’escalier, inondant la pièce. J’eus d’abord très peur pour mon bébé. Puis ma sœur vint s’occuper de moi, me releva, m’aida à changer de vêtements et me mit au lit. Que pouvait-elle faire de plus ? Elle aussi devait s’occuper de l’entretien de sa maison, des lessives, de la cuisine ... tout comme moi, mais avec des moyens que je n’avais pas.

      C’est à elle que j’empruntais chaque semaine cinq£ pour nourrir mes enfants. Tous les mois, lorsque je recevais les quarante £ représentant le salaire de mon mari, je devais d’abord rembourser les sommes que j’avais empruntées, payer le loyer de huit £, et comme le reste ne suffisait pas pour un mois, je devais emprunter à nouveau. Alors, recevoir les cousines de mon mari, qui m’ignoraient totalement lorsque nous étions en Egypte, me contrariait au plus haut point.

  

 

 

Fin de la troisième partie.

 

30/04/2008

HOMMAGE A UN AMI DISPARU

ROGER BOSHI

 

 

Ce poème a été écrit pour témoigner de l'amitié qui nous a uni depuis notre première rencontre au Lycée Franco Egyptien d'Héliopolis en 1945  et nos retrouvailles vingt ans après le départ de Roger d'Egypte en 1957. L'amitié n'a pas de frontière et persiste dans le temps. Roger, tu demeures vivant dans la mémoire de ta famille et de tous tes amis, toi qui fut pour les anciens du lycée le trait d'union entre le passe et le présent.  Nous te disons tous avec reconnaissance Adieu et Merci."

 

Le sourire de l'ami

(Poème écrit le 25 Janvier 2008)

 

La sonnerie, le soir le dérangea

L'impitoyable nouvelle l'attrista.

Son fidèle ami s'était éteint

Par une froide nuit d'hiver, serein.

Il s'attendait à cette cruelle réalité

Glaciale comme le temps. Il pensait

A nouveau au passé. Tous deux nés

En septembre de la même année

Dans cette ville ensoleillée, située

Pas loin du Nil, leur bien aimée

Héliopolis. Elle les avait vu grandir

Et les larmes aux yeux partir

Pour des terres étrangères. Ils allaient

Refaire leurs vies ailleurs, séparés

Ils étaient restés amis. Il ne verrait

Plus son ami, ses yeux pétillants

De vie, son sourire doux, avenant

Fait à chaux et ciment, révélant

Une enfance insouciante, heureuse

Nourrie par cette eau du Nil. Curieuse

Destinée d'enfants qui s'étaient

Retrouvés pour être à jamais séparés.

Gardien vigilant de notre amitié

Ton sourire radieux va nous manquer.

Tous les ans réunis, terrassé sans pitié

Par la cruelle, tu es pour toujours parti

Après une lutte farouche. Mon ami

Tu as résisté avec dignité, courage

Au destin et essayé de vaincre les ravages

Du temps, en vain. L'inévitable vérité

A eu raison de ta détermination, volonté.

Fidèle ami, nous te disons tous adieux

En se souvenant de ton sourire précieux.

 

Dr Elie K Mangoubi@

 

 

A MON CHER COUSIN ROGER

 

"Ce petit conte que je dédie a la mémoire de Roger Boshi- dont la mère était la cousine germaine de mon père- raconte un incident réellement arrive dans sa jeunesse. Roger que j'ai toujours considéré non seulement comme un cousin mais aussi comme un grand ami, me manque déjà beaucoup. Son sens d'humour, son amitié sincère et ses conseils ont depuis longtemps fait partie de ma vie. Ou que tu sois Roger, ta mémoire nous accompagne."

 

 

 

LA GRANDE VISITE

Un conte d’enfance

Mimi de Castro

 

Quand nous étions enfants, on nous disait toujours que Dieu était partout et qu’il voyait tout. L’expression « Dieu est Grand » ou « Si Dieu veut »que nos aînés incluaient dans toutes leurs phrases et à la racine de tout ce qu’ils entreprenaient nous accompagnait en tous moments. Nous avions tous cette image de Dieu qui marchait à nos côtés constamment et qui participait avec nous à chaque action.

Le petit Roger, enfant délicat et sensible aux belles boucles châtain et aux grands yeux rêveurs qui s’ouvraient toujours sur le monde avec surprise, digérait ces maximes avec une foi simple et solide. Ce qui fait qu’au bout d’un certain temps, il était convaincu que puisque le bon Dieu voyait tout et se trouvait partout, il se devait d’être très conscient de toutes ses actions. Souvent, il se retournait soudain afin de surprendre Dieu, pour voir s’il le suivait ou pas.

Roger se faisait un devoir d’agir comme Dieu s’attendait de lui mais aussi, il se rongeait aussitôt qu’il prenait une décision qui aurait pu Lui déplaire. Le fait est qu’au bout d’un certain temps, il s’était fait cette image de Dieu tel un homme grand, respectable aux cheveux blancs vêtu d’un costume immaculé blanc aussi et qui prenait des formes différentes afin de le suivre partout!  Quelquefois il conduisait dans sa tête des dialogues avec le Créateur pour s’assurer d’être dans Ses bonnes grâces.

 Doué musicalement, Roger jouait du piano par oreille et dans ces moments-là quand il réussissait à compléter un morceau de musique, il lui envoyait une petite pensée comme pour lui dire « Alors Tu vois, je suis bon n’est-ce pas? C’est Toi qui m’as crée mais c’est moi qui joue cette musique! » Parfois il regardait sa Nonna Allégra pour voir si elle se doutait de ce qui se passait dans sa tête. Il se rassurait bien vite car dans les yeux de sa chère grand-mère, il identifiait tout de suite l’immense amour qu’elle lui vouait. Nonna, femme de petite taille, délicate et fragile, toujours douce et tendre avec son Roger méritait cette place spéciale très proche du trône de Dieu.

Les jours de sa jeune enfance s’écoulaient partagés entre l’école et la maison avec les menus incidents qui marquaient la vie de chacun de nous.  Roger craignant de déplaire à Dieu qu’il savait partout se comportait en enfant modèle et de temps à autre risquait Sa colère juste pour voir si la foudre ne lui serait pas tombé dessus. En dépit du fait qu’il avait imaginé Dieu ressemblant a un vieil homme, Roger savait bien que le pouvoir de Dieu, Sa bonté et Sa vraie forme étaient indescriptibles.

Un jour, toutes les croyances et les craintes de Roger ont été mises à l’épreuve grâce à  un simple incident qui a commencé lorsqu’on a frappé à la porte de l’appartement où Roger vivait, à Héliopolis avec sa Nonna. Il est allé vers la porte pour ouvrir, mais comme on lui avait enseigné à dire, il a d’abord demandé qui était là « Min? ». Le silence qui a suivit ne l’a point rassuré.

Alors il a répété plus fort « Min? » en attendant la réponse, le cœur de Roger battait si fort que cela lui faisait presque mal à la poitrine.

Il a entendu un vague murmure mais il s’est enhardit et mettant l’oreille sur le battant de la porte, il a crié  « Min? » encore une fois.

Plusieurs idées lui passaient par la tête, et si c’était Dieu qui voulait le tester? Que devait-il donc faire? Il ferma les yeux un instant et la grosse voix derrière la porte lui ordonna « Eftah ! (Ouvre) ». Cette voix pourtant familière ne lui faisait pas peur. Il lui semblait la reconnaître.

Roger, paralysé par la crainte d’avoir fait une action qui aurait déplu au Seigneur, choqué par la voix qui exigeait qu’il ouvre la porte, a d’un coup décidé que si c’était  le jour de la rétribution, eh bien il fallait ouvrir tout de suite pour en finir! « Quand même », il se répétait que « si c’était Dieu, Il aurait bien pu ouvrir la porte Lui-même! » Prenant son courage à deux mains Roger a poussé le battant. A sa grande joie,  l’homme à la voix familière n’était autre que son grand-oncle Isaac impatient d’avoir eu à attendre si longtemps derrière la porte fermée.

Par la suite, Roger n’a pas entendu les reproches et les commentaires faits à ce point par l’oncle et la grand-mère. Une transformation importante venait de prendre place dans son petit cœur.  La crainte d’être puni, ou poursuivit par Dieu c’était d’un coup dissipée. Tel un baume bienfaisant, il a ressentit une grande paix descendre en lui.  Un merveilleux  silence c’était installé dans sa tête et il a comprit d’un coup que l’essence de Dieu, la vraie, ne pouvait être définie par de simples descriptions ou mots communs. A partir de ce moment-là, la décision d’ouvrir la porte, l’avait libéré de sa crainte mais lui avait aussi inculqué  un concept très important, celui du libre choix et de la responsabilité de l’individu vis à vis de ses propres actions.

 

 

Reçu de Monsieur Marcel FAKHOURY, écrivain et poète :

 

HOMMAGE A MICHEL BONNICI ET CLAUDIO LAFERLA

Deux anciens camarades du Collège St Marc

 

C’est avec émotion que, dans «  Alexandrie Info No 29», bulletin semestriel de l’AAHA, j’ai appris la mort de mes deux camarades de classe de l’école St-Gabriel, puis du Collège St-Marc, Michel Bonnici et Claudio Laferla.

Sauf erreur de ma part, Michel Bonnici habitait à Cléopâtra, dans une grande maison très coquette, avec un beau jardin fleuri. Son père avait un poste très important dans une grande société : Lebon, je crois, ou peut-être ailleurs.

J’habitais Sidi-Gaber el Mohatta, et j’allais à pied à l’école St-Gabriel en compagnie de mes voisins, Edgard et Armen Adam. Le père de Michel avait une voiture grise, et si j’ai bonne mémoire c’était une « Renault ». C’était un homme tellement simple et courtois que tous les matins, dès qu’ils nous voyaient partir à pied, il arrêtait sa voiture pour nous emmener jusqu’à l’école. C’était une vraie joie pour nous, à tel point, que nous le guettions tous les matins rien que pour le plaisir de monter dans cette voiture.

Michel était si généreux, qu’il nous invitait de temps à autre avec Edgard Adam, pour jouer avec lui et partager le goûter de l’après-midi ; un goûter tellement succulent, que je sens encore l’arôme du bon chocolat et des brioches fondre dans ma bouche. Personnellement, j’étais très admiratif devant le faste de cette maison et du jardin.

Michel suivait des cours particuliers d’anglais et de français, dispensés par M. Karilaous, notre ancien professeur d’anglais à St-Gabriel, puis professeur principal à St-Marc, en classe de 1ère année secondaire égyptienne. Nous avons perdu le contact à ce moment là, car Michel a suivi la section française et moi, la section égyptienne.

Je me souviens de l’un de ses frères, peut-être s’appelait-il André ? En 1949, pendant un cours de récréation, il nous avait montré un transistor et fait écouter de la musique. J’étais très impressionné, car c’était le premier transistor que je voyais de ma vie. Il me semble aussi que Michel, ou peut-être l’un de ses 

frères, souhaitait devenir frère des écoles chrétiennes ! L’est-il devenu ? Je ne le sais pas !

Quant à mon ami Claudio Laferla, il avait beaucoup de difficultés à prononcer en arabe le kh de Kharouf et le h de homar. Quand le professeur d’arabe lui demandait de dire kharouf, il disait harouf, et quand il lui disait de dire homar, il disait khomar. Astucieux, le professeur lui demanda alors de dire harouf, et Claudio a dit kharouf.

- Tu vois, que tu sais prononcer ces mots lui rétorqua le professeur !   

Ce fut un rire général dans la classe.

Par la suite, nous avions treize ans, je me souviens d’un soir où nous étions allé ensemble, Claudio Laferla, Yvan Lechner et moi-même, chez un autre camarade de classe qui s’appelait Georges Aghar et qui habitait à « Moustafa Bacha ». Georges était le fils d’un pharmacien ou médecin très connu. Il avait dans sa maison, une table de ping-pong. Nous nous sommes mis à jouer tous les quatre, et nous sommes restés tardivement bien que les parents avaient des invités. À vrai dire, nous n’avions aucune envie de partir ; ce n’était pas pour le plaisir de jouer au ping-pong, mais Georges avait une sœur d’une beauté exceptionnelle avec des yeux sublimes qui s’appelait Nadia. Et nous étions là rien que pour le plaisir de regarder cette fille ravissante de qui nous étions tombés amoureux tous les trois, car nous ne cessions d’en parler sur le chemin du retour.

Je suis sûr que Claudio y pensait encore car, dans le journal de l’AAHA, Alexandrie Info No 7, de Décembre 1996, page 9, il recherchait les adresses de Georges Aghar et de sa sœur Nadia, ancienne élève de Notre Dame de Sion. Il écrivait ceci à l’adresse de Sandro « … mille fois merci pour cette bouffée d’oxygène que tu nous fais respirer une fois, chaque six mois (hélas) et qui nous porte à revivre cette période, pour la plupart de nous exceptionnelle, vécue à Alexandrie, mais absolument incompréhensible pour toute personne qui n’a pas pu boire l’eau du Nil « QUI ACQUA NILI BIBIT SURSUM BIBAT »

C’est parce que c’est la veille de Noël, que j’ai tenu à rendre hommage à mes deux anciens camarades, Michel et Claude, pour leur dire que nous ne les oublions pas et que nous pensons à eux, aujourd’hui et toujours. Ils ont pris un peu d’avance sur nous, mais nous nous reverrons sûrement un jour, quelque part, sans doute du côté où vivent les anges !

 

Marcel Fakhoury      

 

 

MA SORTIE D’EGYPTE

par Marie Mosseri

 

(Deuxième Partie)

 

Après mon mariage, ma mère avait fini par apprécier mon mari et ne jurait que par lui, à tel point qu’il devait tous les matins passer lui dire bonjour avant de se rendre au travail et ce, jusqu’à son décès. Vers la fin de ses jours, elle nous convoqua et lui dit : « Vita ! J’ai un fils, mais c’est à toi que je veux confier les trois  jeunes sœurs de Marie. Je veux que les quatre filles  restent ensemble »

 Nous la rassurions, lui disant qu’elle allait guérir, mais elle dit à Vita  : « Je sais que je vais mourir, et je veux que tu me promettes que tu te chargeras de mes filles, je ne te laisserai pas partir avant que tu ne le jures ». Elle avait des frères, des sœurs, des parents, mais elle voulait que ce soit lui qui s’occupe de ses enfants. Et il le lui promit.

Elle  souffrait d’un tas de maux qui de nos jours peuvent être soignés : elle avait des problèmes cardiaques et rénaux, ainsi que du cholestérol. Elle est décédée à l’âge de cinquante ans le dix mai 1941. Je n’avais pas encore dix- huit ans, j’avais déjà ma première fille et j’étais enceinte de la seconde qui est née le premier août 1941. De surcroît, j’ai accueilli mes sœurs.

Mon père ne lui a survécu qu’un an. Il avait du diabète et il est décédé  à l’âge de soixante ans, en juillet 1942 des suites d’une gangrène. Il avait passé quelques mois à l’hôpital, et avait été amputé. A sa sortie, nous l’avons également hébergé.

 Ces années ont été profondément  marquées par tous ces bouleversements. De plus, mon mari, qui était italien, a été poursuivi pour être emprisonné, puisque Mussolini était un allié de Hitler. Mais grâce à D…, il fut décidé que les Juifs, qui étaient la cible de Hitler et de Mussolini, ne seraient pas considérés comme étant des ennemis, et seuls les Italiens chrétiens furent arrêtés.

         La vie devenait très chère, mais mon mari avait un bon salaire et notre situation financière s’améliorait de jour en jour. Nous avions une domestique à demeure qui avait mon âge. C’était une très jolie Noire dont le père était du Soudan. La seconde aide était la fille des portiers de l’immeuble et elle s’occupait plutôt des enfants.

Je n’avais que dix- huit  ans et une charge considérable, puisque j’avais deux enfants, mes trois sœurs et mon père qui était invalide. J’étais aidée par deux domestiques mais la plus grande tâche était assumée par mon mari et moi. Mon père ne s’est pas très bien entendu avec mon mari, pour les  raisons mêmes  qui avaient conduit ma mère à se séparer de ses enfants. Mon mari était dépensier, alors que mon père était plutôt économe et cela occasionnait des divergences. Mais du fait de son état, nous faisions l’effort de supporter ses remontrances.

 Je me chargeais également du bain de mon père qui, par pudeur hésitait à me laisser le laver.  Je le rassurais, lui disant que laver les malades ferait partie de mes fonctions si j’étais infirmière. Il finit  donc par accepter. Je le laissais seul, il se déshabillait et couvrait son intimité, puis j’entrais et lui savonnais la tête, le dos, les épaules, les bras, les jambes ; je le rinçais, puis le laissais se sécher seul attendant qu’il m’appelle lorsqu’il avait terminé. Mon père avait une grande admiration pour moi.

L’appartement que nous avions était composé de cinq  grandes pièces, comme l’étaient les pièces des maisons en Egypte. L’une d’entre elles était occupée par mon père et mes sœurs, qui n’étaient pas à l’étroit puisque la salle pouvait contenir tout ce dont ils avaient besoin pour leurs commodités. Une autre pour mon mari et moi, une chambre pour nos enfants, une quatrième contenant les meubles ayant appartenus à ma mère, car nous avions vendu son appartement. La cinquième était une salle de séjour.

Toutes ces choses  ne sont pas arrivées à la jeune personne que j’étais sans l’atteindre psychologiquement. J’étais dans une sorte de dépression constante après le décès de mes parents ; je voyais tout en noir, sans compter la guerre et les bombardements qui eurent lieu  lors de la bataille d’Alamein qui opposa l’armée anglaise aux Italiens et aux Allemands. Les Italiens ont également bombardé Le Caire.

         D’ailleurs, ma fille Caroline est née en plein bombardement. C’était le 1er août 1941 et je me trouvais à l’hôpital depuis une semaine car j’avais déjà perdu les eaux. Toutes les fenêtres étaient recouvertes de rideaux noirs à cause du black out. Je n’avais pas  le droit de sortir du lit. Mais, interpellée  par les cris d’une femme, je me levai et fus surprise par le médecin qui gronda : « Que faites-vous là ? Vous n’êtes pas autorisée à vous lever ! ». Je prétextai le besoin de me rendre aux toilettes.

Il me dirigea immédiatement vers la table d’accouchement. Les bombes tombaient. Et soudain, sans pression, ni contractions, ni douleur, ma fille est apparue. Le médecin n’en revenait pas. Il me tendit le petit être qui, avec ses quelques cheveux roux et ses grands yeux verts, avait plus l’air d’une poupée que d’un bébé et il me dit : « Regardez Madame, vous avez mis au monde, non pas un bébé, mais une poupée ! ».

 Nous avons donc vécu jusqu’en 1948 en Egypte où sont nées mes trois filles, et durant cette période, j’ai toujours été secondée par Fatma, notre domestique noire. Elle faisait plutôt office de gouvernante puisqu’elle s’occupait à la fois de la maison et des enfants. Nous l’avions installée dans la chambre des enfants. Elle était si bien intégrée à notre foyer  qu’elle ne rendait jamais visite à ses parents. A la période des fêtes, je lui proposais toujours d’aller voir sa maman qui était aveugle et vivait dans un village. Mais elle me répondait : « Laisse-moi tranquille, pourquoi veux-tu que j’aille chez elle ? ».

 Avant que nous ne l’embauchions, elle travaillait chez un Pacha qui employait plusieurs domestiques. Chacune avait un travail bien spécifique. L’une avait la responsabilité des poussières, l’autre devait laver les pieds de ses employeurs et d’autres encore autre chose… Tout cela  pour un salaire misérable dont elle n’a jamais vu la couleur. Parfois son propre  père passait prendre sa paie, ou bien  le Pacha lui disait qu’il n’y avait pas d’argent. Elle finit par s’enfuir de cette maison.

 La vieille domestique de mes parents la connaissait ; et sachant que j’avais besoin d’aide  puisqu’à de dix- huit  ans j’avais déjà mes deux enfants et la charge de ma famille, elle me dit : « Je vais t’envoyer Fatma qui sera comme une sœur pour toi ». Dès son arrivée, Fatma me prévint que son père allait venir  pour prendre sa paie, mais que je devrais lui dire qu’elle ne travaillait plus chez nous. C’était la condition qu’elle imposait à son embauche et  j’acceptai. Elle  menait une vie de misère en travaillant péniblement sans voir son  salaire car  son père le  lui prenait. Alors, quand il se présenta,  elle se cacha, et je dis ce qui était convenu.

 C’est ainsi que Fatma entra à notre service et elle le fut  durant neuf ans avec un salaire honorable ; elle  me déchargeait des tâches difficiles de la maisonnée. Nous habitions à Héliopolis, une banlieue du Caire à proximité de l’aéroport, et nous  subissions tous les bombardements. Mon mari se rendait au Caire tous les matins et ne rentrait que le soir. Ce fut donc un grand  soulagement d’être secondée par Fatma. Au début, elle n’était pas ravie de travailler pour nous qui étions Juifs. Elle ignorait tout des Juifs hormis le fait qu’ils ne cuisinaient pas au beurre, mais à l’huile. Je l’informai que nous ne mangions de beurre qu’accompagné de pain ou d’autres produits laitiers. Ce qui la gênait au point de vouloir nous quitter. Mais la vieille domestique de mes parents la sermonna : « Pourquoi refuses-tu de travailler pour cette gentille famille qui te payera tout ce qu’elle te doit ? Où est l’argent que tu aurais dû gagner chez ce Pacha pour toutes ces années à son service ? En as-tu vu une seule piastre ?... »

Avec le temps, nous devînmes très proches. De mes trois sœurs que j’avais recueillies, deux s’étaient mariées ; il ne restait qu’Irène, la plus jeune. Fatma avait chez nous une vie tranquille ; elle était libre d’acheter ce qu’elle voulait pour composer les menus qu’elle désirait. Bien sûr je l’avais initiée à la cacherout. Elle savait ce qui était autorisé et ce qui ne l’était pas et  elle était très consciencieuse. Un  exemple : pour la fête de Pâque, il fallait  tremper tous les ustensiles dans l’eau bouillante afin qu’il nous soit permis de les utiliser. Elle le faisait très scrupuleusement, bien que je ne fûsse  pas stricte sur ce point. Elle me disait : « Je ne prendrai pas la responsabilité, pour la Maman de ton mari, qui est une femme âgée et religieuse, de ne pas faire ce qui est nécessaire afin que tout soit strictement cacher ! ». Elle nous a tant aimés et adoptés tels que nous étions, avec nos pratiques et nos coutumes, qu’elle se sentait chez elle. Et c’était vrai, elle était chez elle. Aussi, lorsqu’un de mes enfants était malade, elle allait allumer un récipient d’huile à la synagogue, au Rav Moché. Elle était connue ; on la surnommait « la négresse juive ».

 Pour ce qui est du reste, la situation financière des Juifs en Egypte était très correcte, et allait en s’améliorant. La vie avait augmenté, mais les salaires avaient suivi. Seule demeurait notre inquiétude pour les Juifs d’Europe. Nous ignorions l’existence des camps de concentration, mais savions que Hitler faisait du mal aux Juifs et  que ceux-ci voulaient fuir sans en avoir la possibilité. En ce qui nous concernait, les Arabes ne pouvaient pas faire de mal aux Juifs ni autres étrangers grâce à la présence des Anglais. Nous nous sentions en sécurité.

J’étais très courageuse, je dirais même audacieuse. J’avais besoin de tout voir, tout savoir. Ma curiosité me menait jusque dans des quartiers arabes tels que Sayedla Zenab et Houssein, où ma présence était très remarquée puisque j’étais la seule étrangère. Les Arabes me dévisageaient comme si j’étais une extra terrestre. Je demandais à boire de l’eau. Chez les Arabes, où que vous alliez, de l’eau fraîche et propre vous était offerte dans leur plus beau verre. Ils accordaient une grande importance et prenaient plaisir à cette bonne action. Dans tous les quartiers arabes se trouve un grand pot en terre contenant de l’eau fraîche, fermé d’un couvercle en bois avec un gobelet par dessus, afin que les passants assoiffés puissent se désaltérer. Ils  mettent un point d’honneur à l’observance de la parole qui dit : «  L’eau ne doit pas couler devant un être assoiffé ». De ce fait, les locataires des appartements payaient le loyer, l’électricité, mais l’eau  était gratuite. C’est d’ailleurs ce qui nous a le plus manqué lorsque nous sommes arrivés en Israël.

 Je n’avais donc pas peur de me rendre dans les quartiers arabes sans en parler à ma famille ou à  mes amis,  qui m’en auraient, bien sûr, dissuadée. J’y étais très bien reçue. Je parle l’arabe et regrette infiniment de ne pas savoir écrire cette langue que je trouve très riche et très belle ; il ne m’a pas été donné de l’apprendre. A l’école, où l’on nous enseignait le français, nous pouvions étudier deux fois par semaine soit l’anglais, soit l’arabe. La plupart choisissaient l’anglais. Nous étions, à tort, et injustement, anti-arabe. En ce temps-là, nous avions une vie facile et agréable. Tout était bon marché. Même le pauvre, pour une demi- piastre, pouvait manger à sa faim.

Je ne suis jamais retournée en Egypte pour la raison suivante : en 1948, mon mari, après plusieurs crises de calculs rénaux, fut hospitalisé pour l’ablation d’un rein. Le professeur me demanda si nous pouvions payer l’intervention. Je l’informai que nous n’en avions pas les moyens. Il s’étonna : « Mais vous êtes de la famille Mosseri, les banquiers… ». Je rétorquai : « Les banquiers ont pris l’argent, ne nous laissant que les ennuis ! » Il rit de mes réparties et répondit : « Vous êtes une jeune femme très courageuse, et pour cette raison, je mettrai votre mari en 1ère classe. La facture sera adressée aux employeurs de votre mari  ».

Vita  travaillait pour une compagnie juive : « Albert Haïm & Compagnie ». C’étaient des Juifs espagnols, propriétaires d’un grand commerce. Ils  réglèrent les frais élevés d’intervention et d’hospitalisation. Nous fûmes donc placés dans une chambre luxueuse, comme seul l’Hôpital Israélite du Caire en comptait. C’était une classe tout à fait autre. La Famille Royale s’y faisait soigner. L’hôpital employait de grands spécialistes ayant fait leurs études en Allemagne ou en Angleterre. Après l’opération, le chirurgien me dit : « Vous avez eu de la chance, vous  êtes arrivés à temps, le rein était déchiqueté par les calculs  ».

         Mon mari avait eu plusieurs crises, mais à l’époque, nous ne faisions pas beaucoup d’analyses. Finalement, nous nous  adressâmes  à un spécialiste. Il était Copte, et  le principal urologue de l’Hôpital Israélite. C’était un homme impressionnant, tout vêtu de blanc avec des bottes blanches également. En Egypte, les Coptes, tout comme les Juifs, attachaient une grande importance aux études de leurs enfants, même s’ils n’avaient pas de grands moyens ; ils les faisaient passer avant la nourriture. Cet homme avait étudié en Allemagne et était un grand spécialiste des voies urinaires.

         Après l’opération, il me dit : « Vous ne pouvez imaginer l’état dans lequel était ce rein ! Il était impossible de le garder au risque de perdre le second. A présent, avec un rein, de bons soins et beaucoup d’attention, il vivra comme avec les deux  ». J’étais jeune, et me voyant sceptique, il ajouta : « Nous pouvons très bien vivre avec un seul rein et un seul poumon ».

Je me trouvais au chevet de mon mari lorsque eut lieu le premier bombardement israélien sur l’Egypte qui provoqua la rage des Egyptiens envers les Juifs. Je voyais les blessés arriver à l’hôpital,  emballés dans des draps. Parmi les blessés se trouvait un parent à nous, touché au ventre et dont on apercevait les intestins. C’était insoutenable. Heureusement, mon mari dans sa chambre était inconscient et ne percevait rien. S’il avait été conscient, il serait mort, non pas de l’opération, ni de sa maladie, mais de cette vision, car c’était un homme très peureux et très sensible.

Dès son réveil, je le pressai : « Vita, jure-moi que si D… te sauve, et que tu te remettes de cette opération, nous quitterons l’Egypte ». Il me regardait sans comprendre ce que je lui disais, encore très affaibli par l’intervention. Et je lui répétais sans cesse ma demande. Je sentais que ce bombardement était entré dans notre vie pour la bouleverser. Un changement était nécessaire.

 Mon père, né à Haifa, nous disait toujours : « L’Egypte n’est pas notre pays, un jour nous devrons retourner en Palestine ». Ma mère pensait tout autrement : « En Palestine, ce sont tous des ignorants, tous des va-nu-pieds ». Ce qui, en ce temps-là, n’était pas faux… Contrairement aux Egyptiens, les habitants de la Palestine étaient malheureux et vivaient dans la misère. Seuls les riches hommes d’affaires et les propriétaires de terrains pouvaient y  bien  vivre. Pour plaisanter, mon père disait souvent de la Palestine, du fait qu’il n’y avait jamais trouvé de travail : « La Palestine, c’est « falas » et « tine », en français, «  la faillite et la boue ». (Le mot Palestine, bien sûr, vient de Philistin). Tout comme en Europe les Polonais étaient méprisés, en Egypte les Palestiniens étaient considérés comme des va-nu-pieds. Il n’y a rien de nouveau, dans chaque situation, tout se reproduit…

 En ce qui me concernait, j’étais décidée à partir ; ce bombardement qui avait tout changé était le signe qu’il fallait quitter l’Egypte. Mais dans l’immédiat, je devais rentrer à la maison où se trouvaient mes enfants, ma plus jeune sœur, et la bonne Fatma qui dirigeait tout en mon absence. Il me fallait les retrouver rapidement. Je hélai un taxi qui déposait des clients au portail de l’hôpital. Lorsque je lui indiquai mon adresse, il  me dit : « Je refuse de m’y rendre. Le café qui se trouvait au bas de votre immeuble a été saccagé comme beaucoup d’autres choses ; si je circule dans cette rue, ils vont me maltraiter et mettre le feu à ma voiture… ».

J’attendais donc, en larmes, au portail de l’hôpital. Un autre taxi se présenta ; le chauffeur était un noir soudanais. Les noirs étaient   bienveillants, plus honnêtes et plus compréhensifs que les paysans égyptiens. En pleurs je lui dis : « Je suis ici depuis trois  jours avec mon mari qui a été opéré. Je dois rentrer à la maison rejoindre mes enfants… ». Il répondit : « J’accepte à la seule condition que tu  t’allonges sur le tapis à l’arrière de la voiture. J’arrêterai la voiture devant la porte de la maison pour que tu puisses t’y engouffrer rapidement sans être vue. Tu laisseras la somme correspondant à la course, sur le tapis. Il ne faut surtout pas que tu sois vue, autrement ni l’un ni l’autre n’en sortirons vivants ». J’acceptai. Arrivés à proximité de mon domicile, il s’assura qu’il s’agissait bien de la bonne porte, et tandis que j’acquiesçai, il me dit de laisser l’argent sur le tapis et de sortir rapidement. Il ne réclama pas plus que ce qui lui était dû. C’est ainsi que je pus rentrer chez moi et retrouver mes enfants. Fatma les avait gardés à la maison où elle s’était occupée de tout. Rassurée sur le sort des enfants, il me fallait retourner à l’hôpital au chevet de mon mari qui était encore très faible. Son état nécessitait une présence constante. Et durant toutes les heures passées auprès de lui, je ne cessais de lui répéter : « Jure que si tu sors en bonne santé de cette opération, nous quitterons l’Egypte ». Il acquiesçait faiblement.

Durant les mois qui suivirent, je continuais de le seriner afin qu’il fléchisse. Mon mari était de ceux qui n’imaginaient pas pouvoir vivre hors d’Egypte. De ceux qui disaient : « Les Juifs qui quittent l’Egypte sont comme les poissons qui sortent de l’eau : ils meurent ». Ils incarnaient l’Egypte, étaient plus égyptiens que les Egyptiens. Il me fallut beaucoup de temps pour le convaincre.

 Je me chargeai de vendre tout ce qui pouvait être vendu. Lorsque mon mari disait à son entourage que nous allions en Israël, on lui répondait : « Mais tu es fou. Peut-être ta femme ne se plait-elle pas dans le quartier populaire que vous habitez. Louez un appartement à la rue Solumen Pacha, ou la rue Kasr el Nil. Achète-lui tout ce qui lui fera plaisir… ». Il s’empressait de me le proposer, mais je restais inflexible, je ne voulais plus en entendre parler.

 Par la suite, ma belle famille me reprocha de leur avoir « enlevé leur fils ». Certains ont même osé dire que ma belle-mère était morte de chagrin de ne plus voir son fils…Mais il n’était plus question de rester après avoir vu tous ces morts et ces blessés à l’hôpital.

 

                                                                                                                     Quelques jours avant notre départ, nous sommes  allés faire une dernière promenade au barrage avec Fatma. Cet endroit paradisiaque se trouvait dans un village en dehors du Caire, et l’on s’y rendait  en bateau. Il était composé d’immenses jardins arabes magnifiques où nous faisions des promenades à dos d’âne. Sur place, nous avons trouvé un hôtel où nous pouvions nous restaurer et nous reposer. Nous y avons pris des photos avec Fatma afin d’immortaliser ces derniers souvenirs d’Egypte ; ils  nous suivraient jusqu’à destination de notre voyage sans retour.

 

    Nous ne savions rien de ce qui nous attendait. Tout notre entourage nous dissuadait : « Qu’allez-vous faire là-bas ? Les gens meurent de faim ». Mais rien n’y faisait, j’étais décidée à partir. Etait-ce par sionisme ? Etait-ce par peur ? Car en effet j’avais peur.    

J’avais le type juif, c’était indéniable, et j’ai souvent été agressée dans le tramway, et protégée, je le reconnais, par d’autres musulmans. Nous avons même failli être noyés mon beau-frère et moi : pendant la convalescence de mon mari, nous nous étions rendus à la plage d’Alexandrie, et nous avons été tirés dans l’eau, par des frères musulmans jusqu’à n’avoir plus pied.

Des bombes ont été placées dans des cinémas appartenant à des Juifs. Une parente de mon mari y est décédée, et sa sœur, gravement blessée. Nous avions tous peur. Et cette peur a effacé à jamais mon amour pour l’Egypte.

 

    Dès la fin de l’année 1948, l’Agence Juive organisait déjà en secret l’Alyah des Juifs. C’est ainsi que nous avons quitté l’Egypte, le quatorze juin 1949, avec des passeports italiens, mon mari étant italien, et bien sûr via l’Italie.  

    Nous sommes restés un mois en Italie, où nous avons été pris en charge par l’Agence Juive pour les différents examens de santé, et  nous avons été placés dans des camps. Là,  nous étions entourés de Tripolitains à la physionomie effroyable. Les femmes étaient toutes vêtues de noir à la façon des bédouins qui vivent dans des grottes. Elles étaient munies d’un ustensile, qui ressemblait à un pot de chambre et dont elles ne se séparaient jamais. Elles l’utilisaient pour recevoir la nourriture distribuée dans le camp. Mais je les soupçonnais de l’utiliser également pour d’autres choses…

 Nous retrouver avec des « primitifs » était très dur pour nous, qui avions quitté un endroit où nous étions choyés et dorlotés dans de confortables maisons. Nous étions loin de la belle vie, des sorties, des séjours de deux  mois en bord de mer l’été, à Ras El Bar ou Alexandrie.

 

    Ras El Bar est une presqu’île de sable qui est submergée l’hiver, et apparaît l’été au croisement de l’affluent du Nil, la Damiette, et forme un bras séparant le Nil de la Méditerranée que nous pouvions contempler de chaque côté de la presqu’île.

Le Nil était splendide jusqu’à fin août, et nous faisions de belles promenades sur des barques. Nous logions dans de confortables huttes de paille avec toutes les commodités. Dans un endroit nommé La Guerba, nous arrivions avec nos ustensiles, notre linge de maison et nos domestiques. Le matin nous allions nous baigner avec les enfants dans les eaux  propres du Nil, purifiées par la mer. A notre retour, les domestiques avaient préparé le repas. Ainsi s’écoulaient nos deux mois d’été. On y trouvait aussi un hôtel cacher. Cet endroit était surtout fréquenté par des Juifs ou de riches Musulmans. Au début du mois de septembre, nous attrapions au bord de la mer, de délicieuses cailles à l’aide de grands filets.

    Au moment des crues, le Nil changeait d’aspect et devenait dangereux. Il prenait la couleur de la rouille et se chargeait de morceaux de bois et de déchets qu’il entraînait sur son passage et qui forment le limon des terres d’Egypte bordant le fleuve. Sans le Nil qui la fait vivre, l’Egypte ne serait qu’un désert.

J’ai longtemps regretté et pleuré ces merveilleux moments passés à Ras El Bar.

 

    Nous étions donc arrivés d’Alexandrie par bateau à Naples, où l’on nous fit prendre un train sans nous donner d’explications. Nous étions traités comme du bétail. Après plusieurs heures de voyage, nous arrivâmes à la gare de Rome, où des trains en provenance de Pologne et d’autres pays d’Europe Centrale amenaient  les immigrants qui passaient par l’Italie.

    J’étais heureuse de voir ces Juifs venus d’ailleurs, et les entendre parler le yiddish. Je reconnaissais cette langue pour l’avoir entendue à l’école. Certaines de mes camarades le  parlaient mais je ne le comprenais pas. Mon attention fut attirée par une jeune femme blonde en manteau de fourrure, à la tête ronde telle une poupée russe, portant un bébé, copie miniature de la maman. C’était  un spectacle attendrissant. Je m’approchai de la jeune maman et lui demandai de quel pays elle émigrait. Elle me répondit qu’elle venait de Pologne. Elle fut surprise d’apprendre que nous étions d’Egypte. Nous ne parlions pas la même langue, mais arrivions plus ou moins à nous comprendre.

     Nous attendions les camions qui devaient nous mener aux camps. Notre train étant entré en gare bien avant celui de Pologne, le camion était censé nous prendre en premier. Mais déjà à l’époque, le mot « protection » avait son sens. Le camion arriva, mais on nous dit qu’il devait d’abord prendre les personnes arrivant de Pologne. Nous acceptâmes de bon cœur. Le camion fut de retour après  trois quarts d’heure. Nous pensions que notre voyage serait aussi rapide que pour les Polonais. Mais nous avons roulé durant des heures, sans savoir où nous allions, par monts et par vaux. Nous étions inquiets, il faisait nuit noire, nous sentions les odeurs d’herbe de la campagne. Le camion nous déposa enfin dans un endroit nommé Monte Mario. On nous fit descendre devant une villa construite, paraît-il, à la demande du Duce pour sa maîtresse. L’imposante villa était plongée dans l’obscurité ; on apercevait l’entrée magistrale, le grand escalier, le hall, le marbre ; tout avait dû être remarquable, mais à présent, il y régnait une odeur pestilentielle.

 

Les familles furent appelées et placées dans des salles qui servaient de dortoirs. Nous avions l’impression d’être des prisonniers, dirigés par un kapo. On nous fit entrer dans une salle comprenant je ne sais combien de lits, et tous ces lits étaient superposés sur trois  niveaux. C’étaient des lits de trois étages.

    On nous attribua cinq lits ; pour nos trois enfants, mon mari et moi. Les matelas bleu marine, étaient recouverts de taches indéfinissables.  Je m’écriai : « Vita ! Ni moi, ni mes enfants ne dormirons sur ces matelas !  ». Il me dit : « Et que comptes-tu faire ? » Ma fille tombait de sommeil, je devais la traîner, mais il n’était pas question de dormir sur ces matelas. Mon mari non plus n’y dormirait pas. Lui qui était tant dorloté à la maison depuis son intervention un an auparavant ! Fatma  lui préparait des repas spéciaux sans sel - lorsque nous mangions du poulet, lui avait des coquelets -. Elle faisait tout son possible pour que rien ne lui manque, elle était aux petits soins afin de lui faire plaisir. Devait-il à présent dormir sur ces matelas crasseux ?

Je ne savais que faire. Ces matelas répugnants, cette odeur de putréfaction, ces grosses mouches, et la tête des gens qui dormaient…Ils avaient rassemblé là les gens atteints de toutes les misères du monde : la teigne, le trachome ; des borgnes et bien d’autres… Nous n’étions vraiment pas à notre place avec nos beaux vêtements - car nous nous étions tous pomponnés pour l’occasion. N’avions-nous pas fait un voyage en bateau ? A destination de l’Italie? De l’Europe?

 

  

Fin de la deuxième partie.

 

29/02/2008

RAPPELLES-TOI DE TE SOUVENIR

de Sam MEZRAHI

 

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Ce texte a déjà été publié dans ce Site le 14 octobre 2005. Je le copie ici,  pour inaugurer ces  TEMOIGNAGES & SOUVENIRS,   pour le plaisir de mes Lecteurs car c’est un article plein d’émotion et de nostalgie qui ravive les beaux souvenirs de chacun de nous dans cette Egypte que nous avons tant aimé.

Merci Monsieur Sam MEZRAHI

 

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          Cétait il y a plus de 50 ans et je me souviens Pourtant, longtemps je me suis constamment efforcé de ne pas me souvenir.. Ne pas regarder en arrière, aller de lavant, me reconstruire après lexodeOublier un passé qui mavait tourné le dos. Sinventer un avenir, tenter de trouver de nouvelles racines, en effaçant les anciennes pour ne pas flancher. Surtout ne pas trébucher et rouvrir des blessures sentimentales dont on ne sait jamais le degré de cicatrisation.

          Me voici au seuil de mes soixante ans et je me sens le courage de mabandonner à la douce nostalgie du temps de mon enfance. Je pensais mes souvenirs estompés mais ils me reviennent en sarabande, par bribes, avec leurs senteurs avec leurs sons, les bruits et les odeurs dans le désordre comme un flash-back dont la mise au point floue se fait par degrés plus précise

          Cest dabord les quelques années qui ont immédiatement précédé notre expulsion dEgypte en décembre 1956, à la suite de la guerre du canal de Suez, qui me reviennent. Javais 7 ou 8 ans, et je revois lEgypte pays de ma naissance et de ma prime enfance.  Avec le ciel au Caire, le ciel davant la construction du grand barrage dAssouan, dune incroyable pureté qui prenait toutes les nuances de bleus depuis laurore jusquau crépuscule. Les nuages très rares, la pluie presque inconnue et les nuits étoilées.

          Je regardais parfois avec ma sœur et les copains de mon âge, depuis le parking à voitures du Héliopolis Sporting Club, au loin,  lécran muet du  Palace,  le cinéma de plein air  qui projetait des films américains en technicolor où nous allions parfois en famille manger du Sémit et gaibna avec un Pepsi pendant lentracte. (petit pain rond au sésame  accompagné dun morceau de fromage dans un papier huileux) Et je me rappelle du Héliopolis Sporting club qui me paraissait immense avec ses jardins pleins de fleurs de toutes sortes, bien entretenus comme les Anglais savaient les faire dans leurs colonies quand ils disposaient dune armée de jardiniers rémunérés en monnaie locale .Car la livre égyptienne ne partageait avec la livre anglaise que le nom.

          Cest là que jai appris à nager dans sa piscine de plus de 30 mètres, ses plongeoirs élevés, et les tables et parasols disposés tout autour où nous nous faisions servir les après-midi des collations délicieuses, les bains nous ayant ouvert lappétit Et les terrains de tennis, tous en terre battue avec des ramasseurs de balles à disposition, enfants de nos âges qui navaient jamais connu lécole mais courraient pieds nus pour nous servir, sans quà lépoque je puisse comprendre ce que cette injustice avait de choquant.

          Jai souvenance des brises légères qui emportaient des parfums de jasmin, de bougainvilliers  et de roses dans lair attiédi des soirées estivales de Ras el Bar, village de maisons en torchis, de huttes et de cabanes situé dans le delta du Nil ou nous passions les vacances dété entre la mer Méditerranée et le fleuve.

          Et les Locomadis  délicieuses friandises grecques que les vendeurs à la sauvette distribuaient le long des plages aux cris de ‘’Kiiiriac Konkanti Pistachi !! Avec des glaces italiennes élastiques et les limonades (gazouzas) ou Spathis. Il me revient aussi les litanies chantantes des  vendeurs ambulants à Héliopolis que nous hélions depuis notre balcon de la rue des Pyramides. Souvenirs gustatifs surtout, mais cest dans ces ages là que se forme le goût et les dégoûts.

          Le vendeur de jus de réglisse, sa bonbonne en verre munie de son petit robinet accrochée sur sa poitrine avec une lanière de cuir, se servait de deux timbales comme de castagnettes pour se faire entendre au loin avec son cri  ( héérr è sousss). La canne à sucre ( assab) fraîche liée en fagots dans une petite charrette, le vendeur qui avec son couteau enlevait lécorce dure pour nous donner le cœur tendre de la tige que nous mâchonnions ravis sur le balcon, le jus de canne dégoulinant sur le menton.

          Et les portions dAmar el Din (pâte dabricot séchée) dont nous faisions des cornets dans lesquels nous glissions un glaçon pour ensuite en sucer la pointe.

Souvent nous dégustions le Caca chinois (bâtons de réglisse jaune) acheté dans un étalage de fortune au bas de la maison, assis au balcon en regardant  le soleil couchant qui se fixait un instant sur la pointe des Pyramides au loin, du coté de Guizèh dans le poudroiement des sables du désertou était-ce le soleil levant je ne sais plus.

          Je me souviens des vendeurs de figues de barbarie ( tin choki) et leurs charrettes à bras qui mettaient à rafraîchir leur marchandise hérissée de piquants sur des pains de glace et nous les épluchaient à mains nues pour quelques millièmes de piastre. Je revois les fruits de mon enfance, cultivés, je devrais dire élevés,  sans autres engrais que le limon fertile du Nil, irrigués de façon ancestrale par son eau qui prenaient tout leur temps pour mûrir réchauffés par le soleil brillant dEgypte. Leur goût incomparable que je nai jamais retrouvé bien que jaie depuis, sillonné toutes les latitudes

 

          Les melons dIsmaïlia jaunes, gros et oblongs à la pulpe blanche et douce, quon servait préparés en tranches dans leur peau si fine quils étaient difficilement exportés même dans les régions limitrophes.  Jai encore en bouche après plus de 50 ans la saveur des dates noires fraîches, les Balahs Amehate dont la peau fine se retirait sur un simple pincement des doigts, Je me souviens  des Palmiers dattiers altiers qui ponctuaient le passage du tram sous nos fenêtres et que nous apercevions depuis notre balcon avec encore des dattes rouges, les Zargloul, plus sèches que les noires ou marrons mais pas moins délicieuses.

          Les fameuses mangues Alphonse douces sans âpreté, à la pulpe orangée sans filaments quon mangeait coupées en deux à la petite cuillère, dont je nai plus rencontré léquivalent ni en Afrique ni en Asie ni aux Indes. Les grenades quon écossait rouges avec leur pédoncule blanc et nous préparait dans un bol deau de fleur doranger, les figues de toutes espèces, oblongues ou rondes, vertes, marrons ou brunes, les Batikh, pastèques énormes rouges et juteuses dont on faisait frire et salait les pépins pour les offrir en apéritif

          Les goyaves, fruit négligé de ce coté ci de la Méditerranée, les bananes sucrées, les oranges petites mais très juteuses, et ce fruit oublié que nous appelions les oranges amères, qui servait à faire des confitures comme la marmelade anglaise. Il y avait aussi les mandarines aux larges tranches, Youstafandi, les raisins de toutes les couleurs noirs, rouges, verts parfois sans pépins (enab banati) et les  abricots (maichemaiche) que je remangerais, faile maichemaiche cest à dire aux calendes grecques   

          Je repense à la saveur des légumes, des tomates odorantes et fermes, les courgettes quon cuisinait souvent farcies de riz et de viande hachée, relevés doignions et de tomates, le fameux Mahchi Kossa,  les aubergines, les cornes grecques (Bamia) que je cite pour mémoire mais que je nai jamais apprécié,  les laitues aux longues feuilles craquantes et blanches avec leurs cœurs si délicieux, de la taille dune grosse carotte, et les petits concombres acidulés.

Pour tuer le temps à lheure des bavardages de fin daprès-midi, dans les cafés bruyants, on grignotait les pépins de pastèque noirs, ou blancs de tournesol et de courge , le lébb, quon recrachait élégamment par terre, les pistaches grillées (fostok) , les olives noires et vertes ( zétoun) accompagnées de fromage blanc salé, les cacahouètes à la fine pellicule, (foul soudani) , les termès jaune et fades quon servait dans de leau pour en attendrir la peau et enfin toutes sortes de légumes marinés de la tradition, les mekhaléls, que les adultes picoraient avec leur Zebib (Arak) ou leur bière Stella, le tarbouche de guingois et la chicha au bord des lèvres, jouant au tric-trac (backgammon) ou aux dominos.

          Les rues étaient encombrées et sales, mais pleines de vie et dactivité, rythmées par les klaxons incessants des voitures américaines ou anglaises qui répondaient aux vociférations et insultes des âniers et charretiers dun autre age, Aimchi Ya Ibn el Charmouta ! Et les dîners avec le pain Chami blanc et léger quon prenait pour saucer sans façons, dans le plat central, la Tahina (sauce blanche de sésame à lhuile), le Hommos au pois-chiche. ou le Babaghanouch aux aubergines. Je me souviens aussi  de ces aubergines lentement poilées à lhuile (bétingan merraade), la molloghéya soupe verte servie avec du riz blanc et du poulet cuit si délicieuse malgré son aspect répugnant pour les non-initiés.

          Il y avait aussi le Foul médamès plat national égyptien, les grosses fèves marrons baignant dans leur jus avec de lhuile dolive, du jus de citron, du cumin et des œufs durs, agrémenté doignon blanc et, le secret pour lui donner sa consistance et sa couleur, une poignée de lentilles jetées pendant la cuisson. Ces mêmes lentilles jaunes dont on faisait aussi une soupe délicieuse le AAttze

          Les Falafels (Taméya) larges et plates quon trouve aujourdhui partout, pâles succédanées, de New York à Londres en passant par Amsterdam ou Paris, les Kobébas arrosées de Tahina, avec des tomates coupées en petits dés quon fourrait dans le pain Chami ou le pain Baladi et les Koftas à loignions et au persil ou les Béléhates souvent en sauce accompagnées de pommes de terres poilées (batata séfrito).

          Pour les desserts nous avions le choix, les Sambousecks , les Ménénas fourrées aux dates, les Konafas aux pistaches ou à la crème de lait fraîche, (eichta) les baklawas farcies de fruits secs ou les Atayefs arrosées de sucre liquide, surtout pas de miel, les Asabigh bé Loz , pâte feuilletée fourrée aux amandes, enfin plus simple mais notre régal, la Halawa ou la confiture de roses avec de la eichta  Car le lait en ce temps là était frais, ni traité ni pasteurisé, vendu par des laitiers qui faisaient leur tournée en carriole tirée par un âne. Avec une louche ils puisaient au Rotoli ( mesure) et remplissaient nos seaux Safihs spéciaux en étains aux couvercles vissés. Mais ce lait délicieux donnait à profusion une lourde crème onctueuse et douce qui servait pour les desserts.

          Les jours de fête nous allions chez Groppi au Caire, puis  à Héliopolis où il venait dinstaller une succursale, manger des glaces ou des gâteaux occidentaux, éclairs au chocolat ou millefeuilles, quand ce nétait carrément la virée, chez Mansoura installé lui aussi à Héliopolis. On me dit que Mansoura est à présent installé à Brooklyn ou il fait le bonheur de la diaspora égyptienne et les délices des américains 

          A Ras El Bar cétait les Fétiras du Fatayeri, sorte de pizzas sucrées quon se délectait de manger avec les mains. Les ballades sur le Nil à bord de la felouque de mon oncle Léon, avec son marin, le‘’barquier’’ comme on disait, traduction libre de larabe Marakbi,  qui me prêtait la barre franche de bois rugueuse de temps en temps ou me demandait de faire contre poids, assis en rappel à lextérieur du pont sur une large planche arrimée solidement au bastingage. Ya Bakhtaik ! quelle chance tu as !

 

          Et ma fierté lors de ma première traversée du Nil aller-retour à la nage en largeur à 7 ans et les ballades à cheval ou en dromadaire, parfois à dos de chameau ou simplement en croupe sur les ânes toujours présents et bons à tout faire.

          En ce temps là, en Egypte les réfrigérateurs étaient plus que rares, dailleurs leurs moteurs importés étaient souvent en panne avec les à-coups imprévisibles de la distribution électrique locale, mais il y avait les glacières que les marchands ambulants alimentaient en pains de glaces, quils montaient dans les étages sur leurs larges épaules pour quelques piastres. Evidement on ne connaissait pas les congélateurs, toutes les marchandises alimentaires étaient du jour, achetées sur les marchés permanents de plein air ou chez les vendeurs ambulants.

          Il y avait aussi des mouches quon balayait nonchalamment avec les chasse- mouches de crins de cheval ou les tue-mouche en forme de tapettes qui écrasaient mouches, moustiques ou fourmis sur les tables servies sans que personne ny trouve à redire. Lair chaud des appartements ne connaissait pas lair conditionné, les ventilateurs fixés au plafond le brassaient dans un doux murmure mais les persiennes restaient closes pendant la belle saison jusqu'à la tombée du jour pour tenter de combattre la chaleur soporifique des étés Egyptiens. Pourtant les constructions dalors savaient encore prendre en compte le climat et ménager des courants dair.

          Leau  que nous buvions venait des Gargoulettes ( Olla, cruche en grès) disposées dans les coins et qui en suintant lui maintenaient une fraîcheur étonnante

          Les spectacles de marionnettes (Aragoze) se donnaient sous nos fenêtres pour quelques piécettes lancées depuis les étages, ou bien délivrées dans de petits paniers accrochés avec des ficelles quon déroulaient depuis les balcons,  Il y avait aussi des programmes alternés comme le montreur de singe, ou les chanteurs et danseurs de rues, avec leurs pipeaux et leurs tambourins (Tarabokkas), leurs turbans et leurs cannes agités autour de la danse du ventre de danseuses dénudées et gracieuses.

          A cette époque outre le français ou langlais selon le choix parental du modèle éducatif, nous parlions tous larabe car nous étions élevés par nos nourrices égyptiennes ( nos Daadas) qui ne sexprimaient que dans cette langue. Le bus de lécole venait nous chercher le matin à 6h45 pour nous emmener au Lycée Franco-égyptien près de laérodrome dAl Maza car on travaille tôt en Egypte pour éviter la chaleur de laprès midi ; mais cest une chaleur sèche  qui, bien que supérieure à celles que jai pu rencontrer en Afrique de lOuest ou en Asie, nest pas aussi éprouvante car dénuée de cette humidité qui vous colle à la peau.

 

          Et nous revenions vers 13h30 déjeuner légèrement pour nous préparer à la sacro-sainte sieste dune heure ou une heure et demie,  suivie par les devoirs à faire et ensuite, yalla bina, les jeux, les rires avec ma sœur, toujours maternelle à mon égard bien quâgée de seulement deux ans de plus que moi, les parents, les cousins Marcos, les voisins, les amis

          Pas de télévision bien sûr, ni même de radios intempestives, le téléphone était un luxe, simplement de temps en temps, le chant apaisant des muezzins appelant à la prière et rythmant nos journées cinq fois par jour.

          Et je revois Alexandrie, lélégance majestueuse de sa Corniche, sillonnée de calèches découvertes, ( arabiya Khantour)  les plages populaires de Sidi Bichr et de Mandara ou celle plus élitiste de Agami  beaucoup moins fréquentée car plus éloignée, plus dangereuse avec ses courants qui picotaient les pieds des baigneurs et son sable éclatant de blancheur dune texture si légère. On pénétrait sans appréhender le froid pour se baigner  dans les eaux de la Méditerranée qui sont chaudes sous ces latitudes, et nous passions des heures à jouer sur les plages sous le regard bienveillant des parents et amis qui nous surveillaient du coin de l’œil.

          Jai de vagues souvenirs de la Cité des Tentes, aux pieds des Pyramides, où les riches Egyptiens invitaient leurs amis pour un pique-nique à la bédouine, assis sur des tapis disposés à profusion face aux monuments millénaires, pour des discussions où les mouvements de mains avaient autant dimportance que la voix, Il était aussi de bon ton de prendre le thé ( Chaiye) à langlaise ou le Café turc (Ahoua) quon commandait moyennement sucré (Mazbout) au Mena House, lhôtel de luxe sur la route de Guizèh, face aux sables du désert.

          Et je me souviens quand arrivait le Kamsin (Cinquante) le vent chaud du désert qui tous les ans soufflait quelques cinquante jours entre mai et juin et recouvrait la ville comme un brouillard dune fine pellicule de sable, il fallait calfeutrer fenêtres et portes pour tenter, généralement sans succès, dendiguer le sable quil transportait et qui sinfiltrait partout.

          Les Egyptiens vivaient alors en bonne intelligence avec les autres communautés, les coptes, descendants de lépoque pharaonique qui étaient chrétiens, les Grecs orthodoxes, les Arméniens, les Turcs descendants de lempire ottoman qui avait longtemps été la puissance tutélaire du pays, les Syriens, musulmans ou catholiques, comme du reste les Libanais, les Soudanais (Barbari) souvent employés aux taches subalternes et quelques français et anglais fixés là pour maintenir une présence après sêtre disputés le protectorat de lEgypte du temps de Mohamed Ali et sêtre activés pour soutenir Montgomery contre Rommel pendant la seconde guerre mondiale. Les juifs avaient leur quartier spécifique, La Harte El Yehoud, dans le quartier des affaires du Mouski proche également du profond Bazar du Khankhalil, mais ils se mêlaient, sans se distinguer, à tous les autres.

          Les différences étaient acceptées, et loin de provoquer des affrontements, permettaient un enrichissement, chacun se servant chez lautre de ce quil y avait de remarquable dans sa pratique religieuse, sa culture ou ses traditions.  Je me souviens de mes parents, me disant pour marquer une fatalité, Rabaina Kébir

          En ce temps là lEgypte était le phare culturel du monde arabo-musulman , ses films , comédies musicales, romances ou drames étaient diffusés partout dans le monde ou lon parle arabe , et les acteurs jouissaient dune popularité qui dépassait et de loin les frontières. Faten Hamama, Naguib el Rihani sorte de Raimu et Ismayil Yassin sosie de Fernandel ,Choukoukou, et la sublime Samia Gamal comédienne mais surtout danseuse du ventre inégalée.

          Ses chanteurs et chanteuses, Om Kalsoum , Farid el Atrach Habdelwohab, ou le jeune Abdel Halim Haffez étaient écoutés dans le monde entier et je suis resté, encore aujourdhui, très sensible au charme de ces films populaires et de ces mélodies sentimentales.

          Les fêtes religieuses des uns et des autres étaient respectées par tous, Ramadan, Kippour, Noël et notre préférée Cham el Nissim, la fête du printemps pleine, de fleurs et de bruits puisque les enfants étaient exceptionnellement autorisés à se répandre dans les rues en faisant claquer des pétards.

          Il y avait peu de femmes voilées dans les villes, la religion pourtant omniprésente était bonne enfant, et la verve des Egyptiens, qui sont véritablement les méridionaux du monde arabe, pouvait se donner libre cours avec humour et légèreté.

          Je garde aussi vivace le souvenir de la Citadelle ou les Mameluks avaient été exterminés par surprise un siècle plus tôt, qui était un lieu de visite obligatoire pour les écoles, où on nous montrait lempreinte encore gravée sur la pierre dun cheval avec lequel son cavalier sétait précipité du haut des remparts pour tenter déchapper au piège.

          Et nous aussi nous fûmes pris par surprise. La piteuse campagne du canal de Suez en 1956 a mis fin brutalement à cette douceur de vivre, les gouvernements français de Guy Mollet et anglais dAnthony Eden nont pas mesuré les effets collatéraux de cette guerre avortée. Le président américain Eisenhower,  sur injonction des Soviétiques a finalement imposé de rebrousser chemin alors que les troupes franco-anglaises avaient pénétré dans le pays et se trouvaient à une centaine de kilomètres de la capitale.

          Dans la foulée, Alatoul, Nasser a expulsé la plupart des non musulmans qui vivaient là depuis des générations, en spoliant leurs biens, sans préavis, sans compensation et sans états dâme.

 

          Le temps a passé sur ces évènements, avec le recul on peut considérer que les changements étaient inscrits, inéluctables, et même sils ont été trop brutaux, nous eûmes, pour la plupart, de la chance dans notre malheur, la chance den réchapper sans avoir subi les atrocités qui sont devenues communes aujourdhui.

          Je garde ma tendresse au peuple égyptien , qui sest montré en la circonstance fidèle à lui même, jamais sanguinaire et généralement ennemi de la violence quand il ny est pas poussé par de faux prophètes.

          Cela ne mempêche pas de me souvenir de mes premières larmes dans lavion des réfugiés de la Suissair qui emportait ma famille vers Genève, quand lhôtesse de lair ma donné mon premier verre deau de lexode, une eau minérale pétillante, au goût inconnu et désagréable pour lenfant de dix ans que jétais, jai alors pensé en larmes ‘’ tout va changer, même boire de leau sera une épreuve’’

          Bientôt jaurai soixante ans, finalement dans le voyage de la vie, je fus un passager émerveillé, navigant involontaire, ni maître du vent ni maître des voiles, sans connaître le but, la destination ni le port, en route pour la route, le voyage pour le voyage.

          La guerre du canal de Suez en 56 a marqué le début du voyage, javais 10 ans. Je navais jusqualors connu que lEgypte et son Histoire, le sommet des Pyramides était lhorizon que je contemplais de ma fenêtre dHéliopolis, et ma vie sécoulait au rythme des eaux du Nil qui coulent paresseuses au Caire pour aller épouser la Méditerranée que le grand fleuve prends entre ses deux bras à Damiette et Rosette.

 

                                                              Sam MEZRAHI

 

 

TEMOIGNAGE

Lucy & Avraham Calamaro

 

          Je suis née au Caire le 21 avril 1944. J’habitais à Bab El Louk, un quartier au Centre de la Ville. J’ai fait mes études à la Mission Laïque Française de Bab El Louk + 1 année à l’Université Americaine en psychologie.

          Mon nom de famille étant jeune fille était Lucie BELBEL et mon père était un des plus grands commerçants en Egypte.

          J’ai eu une enfance heureuse jusque l’âge de 7-8 ans mais, malheureusement, dès le départ d’Egypte du Roi Farouk les choses ont complètement changé. Je me rappelle le jour du départ du Roi car j’étais à Alexandrie en ce temps. Nous nous sommes rendus au port où toute une foule de curieux attendait pour voir comment le Roi d’Egypte a été expulsé de son pays.

          Ce fut très royal et très distingué. Il est arrivé avec sa femme Nariman et son seul fils. Ils ont fait entendre la Marche Egyptienne  «  beladi beladi laki hhobbi oué fouadi ». Puis on a entendu les coups de canons. J’ai eu les larmes aux yeux. Pour moi c’était la fin d’une période magnifique pour les Juifs et le début d’une autre période très différente

          Je n’aurais jamais pensé que les choses allaient tourner comme cela. Mohamed Naguib a pris la charge. Je me rappelle qu’il est venu rendre visite au Temple Ismaïleya pour nous présenter ses hommages et les Juifs ont respiré profondément. Mais, malheureusement,cela n’a pas duré longtemps car Naguib n’était pas assez fort, comme l’ont dit les Egyptiens et un jour et sans avertissement, il y a eu des manifestations . Les Egyptiens ont brûlé le Caire et ils ont cassé les vitrines des magasins. Ils ont volé tout ce qu’il y avait dedans et les Juifs ont crevé de peur.

          Nous nous sommes enfermés à la maison durant une semaine sans mettre le nez dehors. Je me rappelle ce jour car le magasin de BONDI, un Juif qui vendait des armes pour la chasse n’était pas loin de chez nous et les bombardements qui sortaient de son magasin arrivaient à nos oreilles malgré les fenêtres fermées.

          Et puis voilà Gamal Abdel Nasser au pouvoir. Dictateur infini qui hait les Juifs, les Coptes, les Chrétiens et tous ceux qui sont riches et éduqués. On a bien senti cette haine jusqu’au jour de notre départ. Elle me rappelle que chaque fois qu’Israël faisait quelque chose contre les Arabes eh ! bien on a senti cela. Les Mokhabarates venaient tard le soir taper à notre porte avec leurs pieds et leurs mains et rentraient dans notre maison en nous demandant de ne pas bouger. Ils renversaient tout ce qu’ils voyaient. Ils déchiraient les édredons disant que nous cachons des armes et, en général, ils prenaient avec eux mon oncle âgé en ce temps de 20 ans, pour quelques jours. Des jours horribles où on ne savait pas où

il se trouvait. Mais grâce à Dieu on pouvait tout acheter avec l’argent et aussi l’endroit où se trouvait mon oncle. Mon père donnait alors beaucoup d’argent pour qu’on le libère et ce pauvre jeune homme revenait à la maison après qu’il ait reçu des coups, des gifles été humilié.

          Cela ne finissait jamais. Les visites des Mokhabarates chez nous étaient permanentes car mon oncle était membre du Groupe Maccabi Basket Ball.

          Voilà arrivé la guerre d’Israël/France/Angleterre en 1956. Les Mokhabarates  reviennent chez nous pour prendre mon oncle mais cette fois-ci c’était différent. Après deux ou trois jours les Mokhabarates nous envoient un pyjama à mon oncle tout plein de sang. On a pensé qu’ils l’ont tué. Ma grand-mère, sa maman, est entré en deuil et a porté une robe noire pendant trois semaines, jusqu’à l n’est pas mort.

          Mon oncle et ma grand-mère avaient la nationalité française, mon père et ma mère avaient la nationalité italienne. Après à peu près un mois de la guerre de 1956, Gamal Abdel Nasser a décidé de renvoyer tous les Juifs Français et Anglais hors d’Egypte. Il leur a donné 24 heures, pas plus. Ils ont été obligés de laisser leur maison, leurs biens et tout ce qu’ils avaient au gouvernement Egyptien. Ils ont même signé qu’ils n’ont rien à récupérer en Egypte.

          Donc, dans ce cas, mon oncle aussi devait partir et sa maman aussi , une femme de 70 ans qui n’a jamais quitté son pays l’Egypte, pour se rendre n’importe où. Ni nos prières au gouvernement,  ni l’argent de mon père n’ont pu changer cet ordre. Et voilà, en 24 heures, ma grand’mère a quitté toute seule en avion pour retrouver son fils à Paris qui était parti avant elle. Sans un sou, sans rien, seulement une valuise d’habits.

          Ma famille continue à vivre au Caire car mon père gagnait bien malgré tout cela jusqu’au jour où on a tapé à notre porte pour nous aviser que nous avons été séquestré comme tous les riches en Egypte. Quand je dis tous, c’est aussi les Musulmans, les Chrétiens et les Coptes. Ils ont demandé à mon père de leur remettre les clefs des trois voitures qui se trouvaient au garage. Ils ont mis également la main sur l’ argent qui se trouvait à la banque et sur les deux grands magasins qu’il avait et sur toute la marchandise qui se trouvait à l’intérieur.

          Malgré tout cela, papa n’a jamais pensé à quitter. Il gagnait bien sa vie et il pouvait faire des affaires « sous la table ». Mon grand frère et moi étions déjà grands et pour nous, ce pays était la cage d’or où nos parents nous ont enfermés.

Mon grand frère terminait, en ce temps là l’Université du Caire ( ingénieur) et moi j’étais à l’Université Americaine. Les choses devenaient de plus en plus compliqués et les professeurs ainsi que les étudiants ne m’ont pas laisser place pour respirer.

          Les insultes contre les Juifs, la propagande intolérable ne m’ont laissé qu’un choix : quiotter l’Université. J’avais déjà 19 ans et, en ce temps, rester à la maison n’était pas dans mon agenda.Donc, il fallait que je fasse quelque chose, chercher du travail…Aucune Société ne pouvait se permettre de le faire car j’étais Juive.

          Alors que faire ? J’ai essayé avec mon passeport italien de trouver quelque chose ( dans mon passeport il n’y a pas écrit de religion) et voilà, je trouve du travail dans une société Allemande qui produisait des ponts pour l’Armée Egyptienne. Aucune jeune fille et aucun jeune homme Juifs ne travaillait en ce temps en Egypte. J’étais la seule à pouvoir travailler dans une Société connue par le Gouvernement Egyptien.

          Eh bien ! vous vous demandez quoi j’ai travaillé pour les Allemands et encore qui construisaient des ponts pour l’Armée ? Eh bien ! jusque que je suis arrivé à Paris en 1966, rien à propos de la Shoa car la censure Egyptienne confisquait toutes choses qui touchait à ce sujet. Donc, que pouvais-je faire ? J’ai travaillé un an comme secrétaire et finalement, après de longs efforts, mon frère et moi avons réussi à convaincre papa qu’il est temps de quitter l’Egypte.

          Le jour de notre départ, quatre soldats sont arrivés chez nous à la maison. Ils nous ont mis à 6 heures du matin à la porte et ils ont pris la clef de l’appartement et voilà finalement nous avons quitté ce pays qui, pour moi, était la cage dorée où j’y été enfermé pendant à peu près 20 ans.

 

F I N

 

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MA SORTIE D’EGYPTE

par Marie Mosseri 

 

(première partie)

 

Marie Mosseri,  85 ans aujourd'hui,  me fait parvenir par sa petite cousine, Mimi Maseda, le récit émouvant de sa vie, de sa famille, parents et grands parents, ainsi que sa sortie d'Egypte. Vous pourrez prendre connaissance de son récit ici même, où il sera porté en plusieurs parties.

 

PREMIERE PARTIE :

   

 Mon nom est Marie Mosseri. Je suis née en Egypte. Mon père est né à Haifa en Palestine où il vécut jusqu’à l’âge de seize ans environ. Ses parents, originaires d’Oran dans le Maghreb, avaient une certaine tradition concernant leurs fils : dès qu’un garçon atteignait l’âge de la bar mitsvah, ils le laissaient travailler pour subvenir à ses besoins. Ainsi, tout en  vivant sous leur toit, il n’était plus entièrement à leur charge.

A cette époque, tout  était très difficile et il dut  pratiquer toutes sortes de  métiers, comme celui de peintre par exemple. Mais les revenus étant insuffisants, il lui a fallu partir plusieurs fois à l’étranger, en France et en Belgique, où il demeura quelques années, apprit le français et s’employa, là aussi, à divers travaux manuels dans des foires et des expositions.

A chacun de ses séjours en Palestine, ses parents lui reprochaient d’être loin d’eux et le sommaient de revenir. Jusqu’au jour où il fut en âge de se marier. Or, à Haifa,  ils étaient voisins de la famille Akrich, originaire du même village qu’eux. Ils avaient une fille qu’il épousa  et bientôt naquit une petite Fortunée. Ensuite, leurs revenus n’étant pas suffisants, il décida de voyager à nouveau ; ce qu’il fit, laissant au foyer sa femme enceinte et sa petite fille.

En cette fin du 19ème siècle, la situation était très difficile  et il était vraiment impossible de trouver du travail en Palestine. Trois fois durant son mariage il se rendit à l’étranger pour travailler, laissant sa femme enceinte ; et, à chacun de ses retours, il trouvait une fille de plus à la maison. A la troisième naissance, les parents de sa femme lui dirent : « Tu ne peux plus continuer ainsi. Si tu n’arrives pas à trouver du travail ici, tu n’as qu’à te rendre en Egypte où tu auras plus de chance ; prends ta femme et tes filles et va t’installer là-bas. » A l’époque, se rendre en Egypte, c’était comme aller en Amérique aujourd’hui…

 C’est ainsi que, vers 1910, il partit pour l’Egypte. Là, il s’associa au cousin de son épouse et ils louèrent un immeuble de trois étages pour en faire un hôtel qu’ils appelèrent « Hôtel Palestine ». Les clients étaient en partie des Arabes d’Arabie Saoudite. L’hôtel comportait un restaurant cacher et recevait également des envoyés Juifs de Palestine.

         Tout alla pour le mieux pendant quelques années. Durant cette période, son épouse mit au monde deux autres filles; ils avaient donc cinq filles. Pour la sixième naissance elle désirait vivement un garçon. Fût-ce la grande déception, ou le fait que les accouchées n’étaient pas aussi bien suivies à ce temps-là que de nos jours, le fait est que, malheureusement, ni elle ni le bébé ne survécurent à l’accouchement.

         Mon père s’est donc retrouvé  avec ses filles et cet hôtel dont il fallait qu’il s’occupe seul, puisque son épouse, qui était aussi son bras droit et le secondait dans toutes ses tâches, n’était plus. Il lui fallut donc trouver une autre femme. C’est ainsi que des personnes de son entourage lui présentèrent une jeune femme, veuve également, qui allait devenir ma mère.

Née d’une famille originaire d’Espagne installée en Egypte depuis plusieurs générations, elle  avait été mariée à Vita Hefets,  né lui aussi  en Egypte. Il lui avait donné trois enfants et était mort emporté par la grippe espagnole quatre mois avant la naissance du dernier. Ma mère était veuve avec ses trois petits : Rachel, Isaac et le bébé Louna.

A la suite du décès de son époux, les parents de ma mère ne la laissèrent pas isolée  un seul  instant. Son mari lui avait laissé un très bel appartement et financièrement, elle vivait dans de bonnes conditions. Le quartier où elle demeurait, était un quartier huppé nommé « Habdin », habité par de riches Egyptiens, à proximité du palais du roi. Ses frères ne voulaient pas laisser seule une jeune femme juive dans un endroit habité principalement par des Egyptiens. Donc, chaque nuit, un des frères dormait chez elle, à tour de rôle.

          Lorsque les parents de ma mère lui proposèrent de  rencontrer mon père, elle accepta et les présentations eurent lieu. Mon père est arrivé avec un membre de la famille de sa première femme, lequel était à l’origine de la rencontre. Ils se sont plu, mais ma mère a posé des conditions, car elle avait un train de vie auquel elle tenait. Au moment du mariage, mon père avait quatre filles. L’aînée, Fortunée, avait dix- neuf ans et était mariée ; la seconde, Julia avait dix- sept ans ; ensuite venait  Alégra quinze ans, et enfin Rachel qui n’avait que cinq ans. Une   autre petite,  l’avant-dernière, était morte du croup, maladie infectieuse qui provoque l’étouffement.

Mon père avait un mode de vie rudimentaire mais correct c’est-à-dire que la nourriture était suffisante mais simple, les vêtements, ordinaires et le mobilier, courant. Il ne tolérait pas le superflu. Puis,  ma mère est  arrivée avec tous ses meubles et a emménagé dans un des appartements de l’hôtel, et la vie en commun a commencé. Habituée à une vie plus aisée, notamment pour la nourriture et l’habillement, elle ne désirait porter  aucun changement à son train de vie puisqu’elle en avait les moyens : elle voulait que ses enfants aient le meilleur.

         Mais cela était difficile car mon père ne pouvait  se le permettre pour ses propres enfants. La situation à la maison n’était  pas simple car on ne pouvait pas élever des enfants de manières différentes dans un même appartement. Ma mère a donc décidé de placer les enfants de son premier mari chez les frères de celui-ci, et ce fut une dure séparation pour elle. Cela l'a rendue très triste, et peut-être parce qu’elle sentait que sa vie était pour ainsi dire brisée par le départ de ses enfants, elle fut une marâtre très sévère pour  les filles de mon père.

         C’est à ce moment-là que je suis née.  Marie Dahan, fille de Caroline Menahem et de Makhlouf Dahan,  l’aînée des quatre enfants que mes parents ont eus  en commun. A ma naissance,  mon père fut très déçu et en colère car il avait déjà quatre filles et désirait un garçon par-dessus tout. Il fonda tous ses espoirs sur la croyance  de l’époque qui voulait que ce soit la femme qui détermine le sexe de l’enfant : en épousant ma mère qui avait déjà eu un garçon de son premier mariage, il était persuadé qu’il réussirait à avoir un fils. Le sort voulut que dans la semaine de ma naissance, il gagna 200£ égyptiennes à la loterie. C’était une somme importante car la livre égyptienne équivalait à la livre sterling de l’époque. Ce qui lui fit dire : « Qu’importe si je n’ai pas eu de garçon, ma fille m’a porté chance »…

         Après ma naissance, mes parents ont eu trois autres filles : Alice, Hélène et Irène toutes aussi belles ; et à chaque naissance la déception de mon père allait grandissant. Mais voyant leur beauté, il disait : « Avoir une jolie fille n’est qu’un demi scandale ». Car à l’époque, c’était un scandale d’avoir des filles.

 Mes parents étaient très différents : ma mère, plutôt conventionnelle était très à cheval sur les principes…Mon père, très original, était un pionnier, un peu bohême, mais c’était un homme remarquable à l’esprit d’avant-garde. Autodidacte, il n’avait pas fréquenté l’école mais avait étudié dans une classe nommée « Keteb » dirigée par un rabbin jusqu’à l’âge de treize ans. Très intelligent et très ouvert, il acheta des livres et apprit seul à lire et à écrire l’arabe, et lut aussi le Coran.

         A l’hôtel qu’il dirigeait, outre les Juifs de Palestine de passage en Egypte, il arrivait que des Musulmans de là-bas viennent louer des chambres, heureux de trouver une personne parlant l’arabe palestinien qui diffère quelque peu de l’arabe égyptien. Et mon père discutait des  pages de Coran avec des Cheikhs ébahis de voir un Juif connaître leur Livre  aussi bien qu’eux, si ce n’est mieux. Il n’allait jamais voir un médecin.

          Je me souviens d’un jour où, pour soigner un panaris qu’il avait à l’orteil, il écrasa un oignon, le chauffa sur un fer à griller, et lorsque celui-ci fut bien chaud, l’appliqua sur la plaie purulente. Nous imaginions la douleur qu’il ressentit, puisqu’il s’est presque évanoui. Ma mère criait : « Tu es fou, tu es en train de te faire du mal ! ». Lui, il rétorquait : « Mais, Caroline, c’est un médicament formidable ! ». Nous ne savions pas que l’ail ou l’oignon pouvaient remplacer un antibiotique  mais c’était vrai ! Le lendemain, la plaie s’était ouverte, tout le pus en était sorti, et ce fut pour nous une révélation.

 Nous avons donc grandi dans cette maison avec nos sœurs paternelles qui ont été très affectueuses à notre égard : elles s’occupaient de nous, nous racontaient des histoires, nous aidaient à faire nos devoirs.  Nous avons étudié dans une école catholique française tenue par des religieuses, l’Ecole Du Bon Pasteur. Les filles de mon père étaient allées à l’Alliance, qui était éloignée de notre domicile. C’était une très bonne école, et mes sœurs ont réussi professionnellement grâce à l’enseignement qu’elles y ont reçu. Mais l’Alliance était fréquentée par des personnes d’un niveau social inférieur au nôtre et ma mère préféra nous inscrire à l’école catholique dont la cour de récréation pouvait être vue des fenêtres de notre maison. De plus, le niveau  y était excellent.

Je suis satisfaite et heureuse d’avoir pu étudier dans cette école qui, dès mon jeune âge, m’a ouvert l’esprit sur le monde. Je n’ai pas fait de grandes études et  le seul diplôme que j’aie obtenu est le Certificat d’Etudes Primaires. Je n’ai pas cherché à poursuivre mes études et on ne m’a pas non plus encouragée à le faire car de mon temps, et dans le milieu dans lequel je vivais, il était normal qu’une jeune fille s’arrête là… Les religieuses m’ont proposé d’enseigner dans les petites classes. Elles m’aimaient beaucoup et me préféraient à d’autres élèves, elles cherchaient donc à me retenir auprès d’elles. Mais mon père s’y est opposé.

J’avais 14 ans à la fin de ma scolarité.  J’aidais ma mère à l’entretien de la maison et  je surveillais les domestiques … Je pouvais recevoir des amies, mais en aucun cas je n’étais autorisée à me rendre chez elles… L’éducation que j’ai reçue peut paraître trop stricte, mais en fait, j’étais beaucoup plus émancipée moralement que je ne le paraissais.

 A cette période,  à proximité de la maison, il y avait une grande surface, une sorte de Monoprix, dans lequel travaillait le jeune homme qui devait par la suite devenir mon mari. A quatorze  ans, les filles étaient déjà très développées, et nos rendez-vous qui se limitaient à des rencontres «  au travers de la fenêtre »  se poursuivirent jusqu’à mon seizième anniversaire.

Nous nous sommes rencontrés un jour, non loin de la maison, et nous avons été surpris par un de mes oncles… ce qui déclencha un véritable cataclysme. En rentrant chez lui, mon oncle trouva ma mère et ses soeurs en train de jouer aux cartes, ce qu’elles faisaient régulièrement l’après-midi.  Il lui dit : « Tu joues aux cartes, alors que ta fille se trouve en ce moment au rond-point d’ Ataba avec un homme plus âgé qu’elle ! ».

         Ma mère, qui nous a élevées de façon très stricte et très sévère surtout en ce qui concerne les sorties et les garçons, se dépêcha de rentrer à la maison, et empoignant le rouleau à pâtisserie, entreprit de me corriger. Heureusement, tous les après-midi, notre domestique, un jeune Noir, attendait l’arrivée de ma mère au bas de l’escalier, car il ne se permettait pas d’entrer en son absence. Ce jour-là il est donc entré à sa suite, et l’a vue se diriger vers moi armée du rouleau à pâtisserie.

          Ce fut terrible ; les coups pleuvaient et je ne pouvais pas résister ; je n’avais pas la force de me relever pour les esquiver car j’étais presque évanouie. Alors le domestique s’interposa. Mon père travaillait à l’hôtel et y passait la nuit. Le matin, lorsqu’il est rentré, il eut peur en me voyant et s’écria : « Marie a l’air très malade, qu’a-t-elle ? ». Ma mère lui dit que je n’étais pas malade et lui conta toute l’histoire. Il lui dit : « Mais tu aurais pu la tuer ! » Elle lui répondit : « Je l’aurais fait volontiers. » Il rétorqua : « Comment peux-tu dire une chose pareille ! Tu n’as pas le droit de la tuer ! Regarde dans quel état elle est !... ».

     Après son départ il me dit : « Enfin, Marie, comment as-tu pu faire cela ? Ne connais-tu donc pas ta mère ? Et qui est cet homme que tu vois ? ». Je répondis : « C’est un jeune homme très bien, très gentil, très poli, et nous nous aimons ». Mon père  demanda : « Si vous vous aimez, pourquoi ne vient-il pas demander ta main ?... »

         La première fille de ma mère, venue nous rendre visite, et me voyant dans cet état fit également des remarques à  Maman, lui demandant ce qui justifiait une telle punition. Ma mère lui dit : « Elle est sortie en mon absence, sans mon autorisation, et s’est affichée avec un jeune homme au rond-point d’ Ataba. » Puis elle lui décrivit le portrait fait par mon oncle. Ma sœur, qui était au courant de nos rencontres, lui répondit : « Je connais ce jeune homme, c’est un gentil garçon, il n’a pu lui faire aucun mal. Mais si tu dois la tuer pour l’avoir rencontré, je vais aller voir ce jeune homme et lui dire de ne plus l’approcher ».

Ma sœur est donc allée lui parler ; elle a pu ainsi constater qu’il avait de bonnes intentions ; qu’il était conscient de la différence d’âge, et  que j’étais encore trop jeune pour le mariage. Elle  décida d’organiser, avec l’aide de ma tante, une rencontre afin que ma mère puisse le voir et  juger par elle-même. C’est ainsi qu’il se présenta à notre domicile encadré de ses deux frères aînés, qui eux aussi avaient une excellente présentation. En les voyant, ma mère, qui m’avait assurée qu’elle ne voulait pas les recevoir et les mettrait dehors, resta muette d’admiration. Ma tante lui demanda : « Caroline, que penses-tu de ce jeune homme ? » Gênée, Maman  répondit : « C’est ton mari qui m’en avait fait un portrait déplaisant… »

          C’est de cette façon que ma mère a connu mon futur mari ; elle  a accepté, non  que nous continuions à nous rencontrer, mais d’attendre et de se renseigner, car je n’avais pas encore l’âge légal de me marier ; car en Egypte, la loi stipulait qu’un mariage ne pouvait être célébré que si la jeune fille avait plus de seize ans. Mon oncle proposa également de se renseigner davantage sur le jeune homme avant tout engagement.

Bien entendu, il n’y eut que de bons renseignements, et mes parents acceptèrent de célébrer des fiançailles, et d’attendre six  mois, l’âge requis pour le mariage. Nous nous sommes mariés en juin 1939, j’avais seize ans et Vita mon mari, vingt- six ans. Puis la guerre éclata. Nous étions conscients de la tension qui régnait en Europe. Nous n’étions pas concernés, mais nous craignions pour les Juifs de là-bas. Nous entendions parler de l’antisémitisme et des pogroms en Allemagne, et que Hitler voulait « débarrasser » l’Europe des Juifs. Nous savions qu’une menace planait sur le peuple et cette menace  pesa sur nous durant toute la guerre.

 

Fin de la première partie.

 

 

 

 

 

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