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Les cahiers de MIMI

 

 

Chères Lectrices, chers Lecteurs,

J’ai le plaisir de vous présenter cette nouvelle Rubrique. Elle s’intitule LES CAHIERS DE MIMI. Il s’agit de Madame Mimi de CASTRO de Toronto. Vous y trouverez TOUS LES MOIS, de nombreux souvenirs de cette Amie,  dont plusieurs se rapportent à l’Egypte. Ses Nouvelles, Poèmes et Contes sont pleins de fraîcheur, d’émotion, de bonheur qui, je l’espère, vous raviront.

LE Rédacteur.

 

 

 

 

 

MIMI (Camille de CASTRO) née ZEITOUNI

 

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Née au Caire, j’ai fait mes études au Lycée Français puis à l’American Collège de cette Ville. Par suite de la guerre de Suez fin 1956, ma famille a été obligée de quitter en janvier 1957  pour s’installer en Israël où je réside durant neuf années : continuation des études, enseignement des langues et mariage avec un coreligionnaire d’Alexandrie. En 1965, départ pour le Canada jusqu’en 1969 puis transfert en Suisse et Milan pour le travail de mon mari de 1969 à 1975. Cette période a été fertile pour ma carrière dans les arts et m’a permis de peindre et d’exposer dans de nombreuses galeries.

Depuis ce temps nous habitons Toronto où j’ai terminé des études en art, théâtre et éducation aux universités de York et de Toronto. J’ai enseigné dans les écoles publiques pendant plus de vingt cinq ans et j’ai finalement pris ma retraite en juin 2005.

Je passe mon temps à écrire, peindre et faire des bijoux.  J’adore la lecture et je visite la bibliothèque publique pendant des heures. Je prends le temps d’écouter les oiseaux et de sentir le parfum des fleurs.

 

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Septembre 2014

LES FIANCES DU BOSPHORE

 

Mai 2014

LE DESTIN DE KHALED

 

Septembre 2013

FOR LEE : 2ND ANNIVERSARY

 

Mai 2013

LE CHÂTIMENT DE LA DESTINÉE

 

Janvier 2013

L’EMPEREUR ET L’EVENTAIL ENCHANTÉ

 

Septembre 2012

DOUNIA  L’ENCHANTERESSE

 

Mai 2012

A LA MÉMOIRE DE LEE ZEITOUNI

 

Janvier 2012

BELLE DAME DE LA GALILEE

 

Octobre 2011

SUR LA DUNE

SUR LA PLAGE DE BOCA CHICA

 

Juin 2011

3 POEMES

 

Janvier 2011

ANWAR LE VENDEUR DE PANIERS

 

Aout 2010

LA STATUE DE RAMSES II

 

15 Avril 2010

A SONG TO LIFE

 

Décembre 2009

QUAND LE DESTIN FRAPPE

 

Octobre 2009

SAVIEZ-VOUS QUE – SECONDE PARTIE

 

Aout 2009

SAVIEZ-VOUS QUE – PREMIERE PARTIE

 

Juin 2009

BEARERS OF A DIMMING TORCH

 

Avril 2009

LA STATUE DE RAMSES II

 

LE 31/02/2009

UN AMOUR DE QUATRE SAISONS – TROISIEME PARTIE

 

LE 31/12/2008

UN AMOUR DE QUATRE SAISONS – SECONDE PARTIE

 

LE 31/10/2008

UN AMOUR DE QUATRE SAISONS – PREMIERE PARTIE

 

LE 31/08/2008

LA CANNE A SUCRE

 

LE 30/06/2008

MA TANTE LUTFI

 

LE 30/04/2008

ETERNELLEMENT A TOI – Suite et fin

 

LE 29/02/2008

ETERNELLEMENT A TOI – Première partie

 

LE 31/12/2007

SALEH CHAMS EL DIN – Suite et fin

 

LE 31/10/2007

SALEH CHAMS EL DIN - Première Partie

 

LE 31/08/2007

I REMEMBER THE NILE

PREMIERE NUIT D’ETE

UN PAYSAGE MILLENAIRE

 

LE 30/06/2007

BEIT SHE’ARIM

A VOL D’OISEAU, SEPHORIS

 

LE 30/04/2007

LA CUISINE DE MA MERE

A LA MEMOIRE D ’UN PROF

 

LE 31/03/2007

Les dimanches

Panique à ras el bar

 

LE 28/02/2007

EN SOUVENIR DE LOLA (suite et fin)

 

LE 31/01/2007

LES YEUX BLEUS DE MON PERE

EN SOUVENIR DE LOLA

 

LE 31/12/2006

L’enfant

Le bawab

 

LE 25/11/2006

NOTRE  JARDIN

AL  KAHIRA

LEAVING EGYPT

LES  PYRAMIDES DE GIZA

 

LE 28/10/2006

29 OCTOBRE 1956

LES  PEUPLIERS

MA  DADA  ET  SES  SUPERSITIONS

LA CONQUETE

 

LE 28/09/2006

LES JOURS DE GRAND MENAGE

L‘ECHO DU PASSE

EN VILLEGIATURE

PREMIERE NUIT D’ETE

 

LE 25/08/2006

LES PARFUMS DE MON ENFANCE

QUE FAIRE ?  QUE DIRE ?

Eternelle Egypte : Je te porte en moi...

COUCHER DE SOLEIL

 

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Septembre 2014

 

LES FIANCES DU BOSPHORE

 

Elle:

Tout ce qui nous est permis en public, hélas

C’est le regard, et encore... Tu me fais face

Et c’est à peine si tu me regardes

Tous les autres, tu sais... nous gardent!

 

Ils me veulent du bien et sauvent les apparences.

Assise dans mon coin, c’est à toi que je pense.

Quand nos regards parfois se croisent,

Je remarque qu’en silence ta mère me toise.

 

Sur ton noble visage, on ne devine rien.

Tu comprends que nos gestes mal ou bien

Sont critiqués, analysés et tu restes de glace

Mouvant à peine ton corps sur place.

 

Sous mon châle, je sens le soleil me transpercer.

Et sur le pont je me laisse doucement bercer.

Dans la chaleur torride de ce jour d’été

Je vois notre avenir tracé, plein de félicité.

 

Le bateau glisse sur le fleuve et le vent se lève.

Je ferme les yeux et c’est de toi que je rêve.

Je te lance un regard, tu m’évites encore,

Je dois me soumettre, c’est bien mon sort!

 

(suite)

 

Sur les rives nous passons par les palais,

Les belles maisons historiques des pachas, mais

Je vois surtout les harems, horrible séparation,

Et dans mon coeur je me force à l’acceptation.

 

Ma mère m’a dit que je devais être fière,

Ta famille a une grande maison de pierre.

Le coeur battant, j’ai souri en lui disant

Que tu avais un visage bien plaisant!

 

Un vent léger sur le pont chasse la chaleur.

Les conversations reprennent avec la fraîcheur.

Le bateau s’approche du quai bruyant,

Tu t’es levé et tu parles à ton frère en riant.

 

Nous voilà arrivés et à ma grande surprise

Tu t’es tourné brusquement vers moi dans la brise.

Toi, tu m’as regardé longuement dans les yeux.

Dans cet éclair j’ai remercié le Dieu dans les cieux!

 

Lui:

Ma bien-aimée, merci pour chaque instant de bonheur,

Chaque parole d’amour et de tendresse

Qu’en secret tu m’as accordé, et du fond du coeur

Je tremble en pensant à la douceur de tes caresses.

 

Mon étoile, merci pour chaque regard tendre,

Chacune de tes chansons pleines de gentillesses

Qu’à chaque jour de notre vie je vais te rendre,

Je t’en fais ici comme tu vois une promesse.

 

Les fiancés du Bosphore (suite)

 

Mon âme, merci pour chaque doux baiser,

Chaque splendide sourire clair et radieux,

Ton rassurant rire timide et spontané

Qui comble mes désirs et tous mes voeux.

 

Mon coeur, j’attends quand, enfin seuls tous deux

Je te prendrais dans mes bras pour toujours.

Tu penses que je t’ignore plutôt un peu

Mais j’obéis aux conventions, tout court!

 

Ma lune, tu es en effet mon épouse, ma reine.

Tu possèdes  sur cette terre ce que je désire;

Toi qui a su si bien voir toutes mes peines

Et entre tes mains je sais qu’elles vont guérir

 

 

 

 

Mai 2014

LE DESTIN DE KHALED

UN CONTE DE MIMI DE CASTRO

1

Om Sharif

 

Assise comme à son habitude au coin de la rue, la vieille Om Sharif assemble, combine, tourne et retourne dans ses mains des coquillages  qu’elle lance en l’air avant de les disposer sur la chaussée poussiéreuse. Elle penche son visage ridé, tanné par le soleil brûlant, attentive à la position de chacun sur le pavé. Similaire à une statue de marbre le visage de la vieille ne montre aucune expression, et reste enfermée dans son silence tandis que ses mains actives et gracieuses caressent les coquillages là où ils sont tombés.

Om Sharif n’est pas seulement un phénomène de quartier;  l’on vient de tout le pays pour la consulter. Même le palais du Sultan Nour el din et les nobles de la cour n’hésitent pas à venir la voir car elle, elle ne se déplace pas. Ses prédictions  et son pouvoir bénéfique ne sont jamais mis en doute. Une cabane de bois branlante lui sert d’abri la nuit et contient ses quelques possessions. Elle aurait pu devenir riche, habiter un palais et vivre dans le luxe et le confort, mais Om Sharif n’accepte que ce qui lui suffit pour manger au jour le jour. Couverte de ses haillons et vivant dans la poussière exposée à tous les vents on ignore sa provenance et ses ancêtres.

Personne ne savait où elle était née et quel âge elle avait;  alors  nombreux  mythes circulaient à son sujet, mais elle ne parlait jamais et l’on croyait qu’elle était surhumaine. Le grand-père et père du Sultan Nour el Din régnant l’avaient consultée dans leurs moments sérieux et graves au sujet de la politique du pays. A la naissance de la plus jeune fille du Sultan, la princesse Badr, le médecin de la cour s’était rendu auprès d’elle pour la supplier de venir en aide à la famille royale. Un djinn cruel et impitoyable avait lancé un terrible sort à l’innocente enfant qui la condamnait à grandir laide et déformée.

On dit qu’Om Sharif consultée  explique qu’au bon moment elle allait contrecarrer ce mauvais sort sans jamais dévoiler la manière qu’elle aurait employé. Ayant tranquillisé la famille, avec le temps, comme toujours, les gens oublient et l’on ne parle plus de cette situation durant des années jusqu’au jour où la jeune princesse est en âge de se marier. Aucun  prince ou riche chevalier ne se présente pour demander sa main et bien que le Sultan  aime sa fille et aurait voulu la garder à ses côtés il commence à s’inquiéter.  La jeune Badr avait déjà atteint ses dix-huit printemps et il semblait qu’elle ne connaîtrait jamais l’amour.

Au palais, le Sultan,  ses fils, ses femmes et toute la cour s’alarment mais ayant pleine confiance en Om Sharif et en sa prédiction on n’en discute pas.  La vieille encourage la famille de la princesse à se comporter avec elle comme avec une enfant normale. La jeune Badr grandit dans le harem où aucun homme à part son père et ses frères ne pénètre, donc le peuple ne l’avait jamais vue. Le jour de l’anniversaire de la princesse arrive et de grandes célébrations se préparent mais une pointe de tristesse quand même se glisse dans tous les événements.

 

2

Prince Khaled Ibn el Shafik

 

         Le royaume de Majd el A’alam voisin de Donyiet el Kamar, se trouve pour la première fois de son histoire, conquis et occupé par une tribu de Bédouins qui capture le roi Shafik et le garde en otage. De cette façon ils espèrent forcer le fils  héritier Khaled, de s’exiler et d’abandonner le pouvoir.

Le Sultan  Nour el Din souverain de Donyiet el Kamar est un puissant  Sultan dont l’armée invincible  était l’alliée de l’infortuné roi Shafik. Accablé et inquiet au sujet de son père Khaled Ibn Shafik entreprend de se rendre auprès du Sultan afin de l’informer de la situation  désespérée de son pays et solliciter son aide.

 Le jeune prince est non-seulement obsédé par le malheur qui le frappe mais il commence à perdre le sommeil et passe des nuits blanches hanté par des visions qui ne lui laissent aucun répit. A peine arrivé à Donyiet el Kamar,  le prince Khaled entend parler de la prophétesse Om Sharif et de ses  dons extraordinaires. En attendant son audience avec le Sultan il décide d’aller consulter la devineresse. Entouré de ses gardes et de ses conseillers, il se laisse conduire auprès d’Om Sharif. En observant la misère dans laquelle  cette femme vivait, il se demande si vraiment elle serait capable de le conseiller.

D’une  voix lugubre et enrouée Om Sharif exige que seul le prince s’approche d’elle et renvoie toute la suite de Khaled pour ne rester qu’en tête à tête avec le jeune homme. Après une première hésitation, il obéit sans discussion et accepte un simple escabeau de bois pour s’installer en face d’elle. Dans le silence le plus absolu, le prince contrôle son impatience et attend le cœur battant la prédiction d’Om Sharif.

Sans se presser la veille manipule ses coquillages, les jette et les ramasse tour à tour, les caresse, les place dans plusieurs différentes positions et finalement s’adresse au jeune prince. Son visage à la peau sèche et brunie, semble un masque de cuir mais ses yeux noirs brillants comme de l’onyx ont un regard vague. Ce qui veut dire qu’elle est dans des transes et le jeune homme retient son souffle, suspendu aux lèvres fines de la vieille.

« Prince Khaled tu es au bord d’un précipice. » Souffle la vieille femme sans regarder le jeune homme qui s’attend au pire. Elle continue.

« Tu dois suivre ton destin et il n’y a pas deux chemins. Tu te trouves dans ce pays pour une raison très importante. Adresse ta demande à notre Sultan, tu ne seras pas déçu, il va t’octroyer ce que tu demandes. Mais il y a une condition qui risque d’être difficile pour toi mais pas du point de vue financier, car je sais que tu es très riche. »

Le prince laisse son souffle exploser de sa poitrine et se dépêche de lui poser les questions qui lui tiennent à cœur. « Et mon père, Om Sharif, mon père va-t-il survivre jusqu’à ce que j’arrive pour sauver mon pays des griffes de ces nomades? »

-      Ton père n’attend que ton retour. Tu seras victorieux si tu poursuis ton destin comme il est dessiné. Soupire la vieille

-      Comment ça? Je ne connais pas mon destin. Et toi que peux-tu me dire à ce sujet? S’exclame le jeune prince.

Dans le silence qui suit cette question, la veille recommence à manipuler ses coquillages. Le temps passe et Khaled dont le visage rouge démontre l’émotion qui le gagne, respire avec peine rongé par l’impatience.

« Mon prince, ton destin te mène ici à la recherche de la victoire contre tes ennemis. Le Sultan va te proposer un marché : ses soldats contre sa fille Badr en mariage et surtout ne prête aucune attention aux balivernes que l’on raconte à son sujet. »

Om Sharif se tait et regarde le prince dont les yeux d’ambre claire s’assombrissent.

« Sa fille? On dit qu’elle est bossue, laide et muette, n’est-ce pas? Pas un seul prince n’a osé demander sa main et elle a plus de vingt cinq ans déjà. »

Om Sharif ne répond rien et il continue comme pour lui-même « Trop vieille pour avoir un enfant! Trop de balivernes? »

Om Sharif s’adresse au prince d’une voix calme et comme dans un souffle.

-      Veux-tu sauver ton royaume?

-      Oui, comme tu sais à tout prix… soupire le jeune homme.

-      Bon, alors tu iras chez le Sultan et accepteras toutes ses conditions. S’il te demande pourquoi tu veux épouser sa fille que tout le monde trouve odieuse, tu lui feras une liste de ses qualités et cela va le convaincre.

-      Et ces qualités? Comment les connaitrais-je si je ne l’ai jamais rencontrée?

-      Tu sauras quoi dire…elle t’attend…

Et après ces mots prophétiques elle se renferme dans son mutisme habituel à la conclusion d’une prophétie.

Ils restent tous les deux silencieux un moment et le prince se lève prend congé de la vieille qui le bénit avant qu’il ne disparaisse entouré de tous ses gens en route vers le palais du Sultan.

 

3

Chez le Sultan

         Aussitôt que le jeune prince demande audience au Sultan il est reçu avec tous les honneurs dus à son rang. Khaled fait une excellente impression sur tout le monde à la cour et de plus gagne la sympathie des conseillers et de la famille du Sultan. Durant l’audience privée avec le Sultan  le prince lui fait part de ses besoins immédiats afin de libérer son père et son royaume des mains des bédouins.

Le Sultan n’hésite pas à proposer son aide mais à condition que le prince promette d’épouser la princesse Badr au cas où celle-là  le trouverait à son goût. Le prince Khaled accepte la condition mais s’étonne de savoir que la décision resterait dans les mains de la jeune fille. Le Sultan lui parle gentiment.

« Ma fille m’est très précieuse et si je pensais qu’il n’était pas nécessaire pour elle de fonder une famille je l’aurais gardée auprès de moi. J’ai beaucoup entendu parler de toi et j’ai connu ton père dans son jeune âge. C’est un homme saint et sage et je voudrais lui venir en aide. Je t’aurais choisi comme époux pour Badr, mais comme je désire avant tout son bonheur, je lui laisse le choix. » Il s’arrête un moment avant de continuer.

« Notre accord ne vaudra rien si ma fille refuse de te suivre Khaled. Je sais, tu vas me dire que c’est sa seule chance de se marier mais je pense qu’elle doit être convaincue  que tu es l’homme pour elle et que tu ne l’épouses pas seulement parce que tu as besoin de mon armée. »

Surpris par l’attitude du Sultan, le jeune Khaled ne peut que se plier à cette exigence. Il demande donc de voir la jeune femme afin de plaider sa cause.

 

                                                        4

Dans le jardin du Sultan

 

 Le lendemain dans le jardin privé du Sultan où la Sultane mère et les femmes du harem se réunissent autour de la princesse Badr, le jeune prince est le seul invité.

A l’arrivée du prince les femmes se voilent mais il peut entendre les rires et les gloussements qui fusent de tous les côtés. Surpris, il hésite mais le Sultan lui demande de s’avancer et le fait assoir sur un banc de marbre. Autour de lui des parfums délicats de fleurs se dégagent et remplissent l’air presque au point de l’étouffer.

Les femmes comme des papillons de toutes les couleurs voltigent et l’entourent de leur babillage et leur bonne humeur. Khaled ne voit rien qui puisse lui indiquer où se trouve la princesse et il a beau la chercher dans toutes les directions il ne peut rien déceler. Comprenant que son avenir dépendait de son comportement dans ces étranges circonstances, le prince s’arme de patience. De plus, il reprend confiance en se souvenant de ce qu’Om Sharif lui avait révélé.

Le Sultan donne l’ordre à ses serviteurs d’apporter des fruits et des boissons rafraîchissantes et des musiciens s’installent dans le jardin à distance du banc où ils étaient assis. Khaled se détend et regarde le Sultan qui l’observe avec grand espoir, son visage empreint de bonté. Il s’adresse au jeune homme avec douceur.

 « Mon fils, elle est là parmi nous mais apparaitra seulement quand elle sera prête. C’est comme cela que commence l’examen auquel tu t’es soumis. »

« Honorable Sultan, avant tout je dois te dire que je te respecte comme un père et un maître. Je voudrais apprendre à tes pieds la sagesse qui te distingue de tous les gouvernants de notre région. »

Le prince s’arrête, il se lève et regarde autour de lui, enchanté par le spectacle des femmes portant des voiles chatoyants et dansant pieds nus sur le gazon. Il sent l’amitié et l’approbation du Sultan rayonner chaque fois qu’il le regarde.

Le prince Khaled se sent transporté dans un univers de rêves, et dans l’enchantement du moment continu à se confier au Sultan, qui heureux et satisfait de ce prétendant sent le bonheur de sa fille à portée de main. Le jeune prince continue à exprimer sa pensée.

«  Cher Sultan, mon vrai destin est ici dans ton pays. Om Sharif me l’a confirmé, et je ne doute pas de l’honneur que me ferait la princesse en acceptant de devenir ma femme. C’est étrange mais je me suis senti attiré par la princesse Badr. Je ne la connais pas mais je crois que c’est d’elle  dont je rêve toutes les nuits. Cet ange que je vois, cette fée est pure, intelligente, pleine de vie et d’enthousiasme. Autour d’elle il y a une auréole de beauté, de charme et d’amour. Et cet amour qu’elle a pour les animaux, pour les enfants et les humains me séduit. Elle a l’allure gracieuse, légère et  enchanteresse d’un papillon rare et précieux. Ses pieds ne touchent pas la terre; elle flotte captivante et m’ensorcèle… »

Le prince Khaled s’arrête soudain, il tremble d’émoi, troublé jusqu’au plus profond de lui-même par les confidences qu’il vient de révéler. Le Sultan également bouleversé et agité, le prend par le bras et fébrilement s’adresse à lui.

« Prince Khaled je désire te présenter ma fille la princesse Badr. »

 

 

 

                                                         5

La princesse Badr

Il y a dix-huit ans de cela, lors d’un raid sur les tribus rebelles qui assiégeaient la capitale,  le Sultan Nour el Din captura  une prisonnière; une femme de laquelle  il tombe amoureux. Il l’épouse sans se douter qu’elle était destinée à l’abominable prince Ibn Idris. Cet homme ignoble et vil voulant se venger de ce qu’il juge un énorme déshonneur,  enjoint un sorcier à sa solde de jeter un épouvantable  sortilège sur la famille du Sultan. A la naissance de la princesse Badr ce néfaste sorcier maudit l’enfant en la souhaitant hideuse, muette et sans espoir de trouver un mari.

La peine des parents est incommensurable et la mère de Badr meurt de chagrin en laissant la pauvre enfant âgée de quelques mois aux soins de son père. La jeune Badr trouve des moyens de communiquer avec le monde autour d’elle et elle se fait aimer de tous ceux s’approchent d’elle en dépit d’un horrible physique.

Renfermée dans un corps difforme dont chaque geste cause une grande souffrance, la princesse Badr vit depuis sa naissance un vrai cauchemar. La famille  l’entoure d’amour, d’attention et de soins visant à lui amoindrir la peine et les douleurs journalières  qui par bonheur ne l’aigrissent pas.

Cela ne fut donc pas étonnant que le Sultan appelle au secours Om Sharif qui avait des pouvoirs infinis. C’est elle enfin qui conseille au Sultan et à la famille de continuer une vie normale et d’entourer la princesse de tout ce qui bon, beau et plaisant. C’est ce qui fut fait jusqu’à l’arrivée de Khaled, prince héritier du royaume Magd el A’lam.

Le Sultan informe sa fille qu’un prince nouvellement venu dans le pays demandera sa main en mariage et la jeune princesse doutant des intentions  du prétendant décide de lui imposer une épreuve avant d’accepter.

La promesse du Sultan de n’exécuter que ses désirs tranquillise la jeune princesse qui craint plus que tout de se marier à un homme qui ne la comprendrait pas ou qui l’accepterait seulement par intérêt. L’énorme fortune de son père était connue dans le monde entier et même si aucun des jeunes princes avoisinant ne s’était déclaré le fait que Sharif soit là lui semblait bien un début.

Badr savait que le jeune prince qui voulait l’épouser avait grand besoin de l’alliance de son père et c’est pour cela qu’elle ne se sentait pas encore sûre de ses sentiments désintéressés. Quand son père amène le jeune prince pour la rencontrer, voilée et cachée dans la foule des femmes du Harem, la jeune fille l’observe de loin.

Au moment où le Sultan invite Khaled à rencontrer la jeune Badr, un messager arrive couvert de poussière et tout essoufflé  demandant une audience immédiate avec le prince. Le jeune homme prend congé de son noble hôte et questionne le messager.

-Seigneur, ton père notre roi adoré vient d’être relâché par les bédouins mis en fuite par l’armée puissante de l’un de nos alliés… 

-      Dieu soit loué c’est une excellente nouvelle. Je vais me préparer tout de suite au retour mais je dois avant tout terminer une négociation de mariage! 

Le prince Khaled avec l’esprit tranquille au sujet de la sécurité de son père et de son pays retourne chez le Sultan qui le reçoit avec une légère hésitation et s’adresse à lui gentiment.

-      Tu veux quand même rencontrer ma fille? Ton père et ton pays sont sains et saufs, il n’est plus nécessaire de chercher à me plaire.

-      Plus que jamais majesté. J’aime ta fille et je ne pourrais plus vivre sans elle, s’exclame le prince. Oui, je suis rassuré pour mon pays mais je suis absolument résolu à épouser la princesse Badr si elle m’accepte.

Le Sultan reste sans paroles et fait appeler sa fille afin de savoir si elle acceptait ce prétendant. La princesse accompagnée de ses dames demande à recevoir le prince dans son salon. Avant de se dévoiler elle le regarde se pencher à ses pieds, beau, comme un soleil et ses yeux aimants lancent des flammes d’amour qui la touchent tout de suite au plus profond d’elle. La jeune fille est bouleversée et tout d’un coup perd son assurance ayant peur que le prince n’ait un recul d’horreur en la voyant.

        

Dominant son hésitation, le cœur battant,  la princesse enlève son voile et se présente devant le jeune homme, telle qu’elle était en attendant sa réaction. Autour d’eux les femmes du Harem, le Sultan et sa mère n’osent souffler mot.

         Le prince se relève et s’éloigne légèrement pour bien la voir. Il voit une créature avec un corps répugnant sous la soie et l’or de ses vêtements, mais il ne ressent aucun dégoût. C’est alors que Badr  pose sur lui ses grands yeux couleur de miel plein de compassion, de chaleur et d’espoir. Khaled ébloui et comme frappé par la foudre, se jette aux pieds de la princesse et ignore toute la laideur repoussante qui était apparue devant lui.

La voix douce et mélodieuse de la princesse lui parvient comme dans un de ses rêves qui l’avait hanté toutes les nuits.

-      Jeune prince, pourquoi es-tu là? Ton royaume est assuré ton sacrifice n’est plus nécessaire. Retourne dans ton pays où attend ton père.

-      Mais ne vois-tu pas ma princesse que je suis ton esclave et je ne voudrais jamais aucune autre femme que toi. La beauté que me révèlent tes yeux m’est déjà apparue dans une vision. Je sais que tu es mon destin et je ne partirai pas d’ici sans toi.

Khaled se tourne vers le Sultan  à qui il fait une révérence et jure d’une voix assurée qu’il protègera et chérira Badr pour toujours.  Les larmes aux yeux le Sultan s’approche de sa fille et lui demande ce qu’elle pense.

-      Ma fille, la parole est à toi. Est-ce que tu acceptes Khaled Ibn il Shafik  pour époux?

-      Oui mon père soupire la jeune fille.

Au moment où le Sultan prend la main de sa fille et la place dans celle de Khaled, une douce musique se fait entendre et un voile transparent semble descendre des nuages et couvre la jeune fille. Affolé Khaled s’écrit « Badr! »

Mais il est tout de suite rassuré et en même temps tous les présents retiennent leur souffle quand Badr est transformée. Elle se tient bien droite sans un défaut, resplendissante de santé et de beauté.

Khaled lui prend la main et s’écrit « C’est toi qui me hantait. Tu es la princesse de mes rêves! »

La joie est indescriptible et le Sultan déclare une fête nationale pour les noces de sa fille.

-      Khaled mon fils, j’ai le bonheur de te recevoir dans notre famille qui s’unit à la tienne. J’ai tant prié pour ce moment! L’armée qui a libéré ton pays est la mienne.

-      Mais comment as-tu su que Badr m’aurait accepté Majesté! S’exclame le prince.

-      Qu’elle accepte ou pas, je n’aurais jamais laissé ton père sans aide, nous sommes des alliés n’est-ce pas?

-      Oui, merci grand Sultan. Ta sagesse n’a pas de limite!

Et c’est ainsi que le prince Khaled et son épouse Badr ont régné ensemble sur le royaume de Magd El A’alam. Ils ont vécu heureux et ont eu beaucoup d’enfants, des filles et des garçons.

 

 

 

 

Septembre 2013

 

A la memoire de Lee Zeitouni en l'occasion du deuxieme anniversaire de sa disparition.

En ce moment les criminels responsables de l'accident ont ete arretes et attendent la date de leur proces.

 

(Mimi de Castro – Toronto – September 2013)

For Lee : 2nd anniversary

 

On this second anniversary, just like yesterday she lives in our memory and our heart. The absence is certainly heavy to bear especially for Mother, Father, siblings and fiancé.

Lee touched so many people with her charm, her love of animals and appreciation of beauty that we will miss her tremendously as long as we live.

After the tears, the shocking hurt appears

After the sadness of the loss, the anger prevails

After the hate, the frustration and longing persist

Resignation and acceptance unfortunately have to subsist.

 

Lee will not come back but she will be remembered

As she was: beautiful, sincere, loving and talented

Her friends and family sustain memories of her,

Create links, forge bonds and with love celebrate her.

 

Lee is never far from the people she loved so much

Her image glows and her voice resound to crush

Our unhappiness because if she could she would say

Live and enjoy the bounties of nature while you may.

 

 

 

 

Mai 2013

 

LE CHÂTIMENT DE LA DESTINÉE

Mimi de Castro

 

Il avait passé la nuit à la gare endormi sur un banc de bois jusqu’à ce que les annonces pour le train en partance pour son village le réveillent. Engourdi encore de sommeil et les membres endoloris de la pose inconfortable dans laquelle il avait sombré la veille, Awad ouvre les yeux et se souvient de la raison pour laquelle il se trouvait là.

En quittant son village pour le Caire,  persuadé qu’il ferait fortune, Awad avait des plans grandioses et ambitieux. Avec de l’argent en poche, son petit pécule péniblement accumulé au courant des dernières cinq années, il n’avait aucun doute de réussir. Au village tout le monde l’avait encouragé et sa mère croyait en lui malgré les doutes que son père avait énumérés maintes fois. De plus, Awad espérait plaire à Fatma fille du maire du village, la plus belle fille et la plus riche.

Mais tout avait œuvré contre lui depuis le premier moment où il était arrivé, une grande partie de l’argent durement gagné s'était évaporé comme de l’eau au soleil, et son manque d’expérience n’aidant pas il s’était fait volé le reste.  Désespéré il avait tout essayé! Il avait vainement cherché du travail finalement avait constaté qu’un retour au village était obligatoire, n'ayant aucun autre moyen de survivre dans la grande ville.

La misère, la crasse et le désespoir des pauvres du Caire, les rendaient agressifs et prêts à tout pour trouver de quoi mettre sous la dent. Awad avait été malmené, cambriolé et agressé avec audace même en plein jour. Finalement, n’ayant que le prix d’un billet de retour, il s’était rendu à la gare où il avait profité de quelques heures de sommeil sur un banc.

A son réveil, il trouve un homme assis à côté de lui, grassouillet, bien habillé occupé à dévorer un œuf dur qu’il trempe de temps à autre dans du sel poivré. L’odeur de l’œuf écœure Awad tout en lui rappelant qu’il n’avait rien mangé depuis la veille. L’homme s’interrompt un moment et jette un coup d’œil vers lui, il avale la dernière bouchée avant de  s’adresser à lui.

_ Ha! Sabah el kheir!  Te voilà réveillé mon brave. J’ai pensé que tu devais être bien mal pris si tu as pu dormir ici. J’ai eu tort?

_ Non, soupire Awad en observant l’inconnu dont les yeux curieux l’épiaient. Son visage joufflu, son grand nez épaté et sa moustache qui tremblait avec chacun de ses mots ne respiraient que gentillesse et bonhomie.

_ Ahmad allah we barakatou, je remercie Allah et ses bontés, j’ai des moyens et je t’invite à partager mon modeste petit déjeuner.

Et c’est ainsi que les deux hommes font plus ample connaissance en mangeant et en bavardant. Abd el Moubarak car c’était son nom, raconte à Awad qu’il venait de rentrer d’un voyage d’affaire à Port Saïd et qu’il était disposé à l’engager car il voulait ouvrir une succursale pour son commerce au Caire.

Awad remercie le ciel d’avoir mis sur son chemin cet homme généreux et si bien disposé à son égard. Il espère que finalement le destin  va lui sourira  et qu'il atteindra enfin le but de son voyage au Caire. Plein d’espérance, Awad suit Abdel Moubarak qui habite un hôtel de grand luxe en pleine ville. Ce dernier loue une chambrette pour Awad sur le toit de l’un des immeubles attenants et en quelques mots lui explique en quoi consistera son travail.

Abdel Moubarak est un homme d’action et très vite il installe Awad dans le nouveau bureau où les affaires commencent tout de suite à fleurir. Tout ce que cet homme touche se transforme en or, il n’a pas besoin de s’efforcer et Awad observe avec un pincement au cœur comment les clients accourent et l’argent s’empile dans l’énorme coffre-fort du bureau. Au lieu d’être heureux pour son patron, Awad, le cœur rempli d’envie, commence à le haïr.

Le manque de modestie d’Abdel Moubarak attise l’antipathie qu’Awad ressent envers lui. Il n’est pas modeste et ne manque pas de s’enorgueillir à chaque succès en se flattant d’une façon exécrable et excessive qui irrite encore plus le jeune homme. Abdel Moubarak n’a pas la sagesse d’encourager son employé mais le pis c’est qu’il ne cesse pas de lui rappeler les circonstances dans lesquelles il l’avait trouvé à la gare du Caire. Il racontait à qui voulait l’entendre que sans lui, Awad serait retourné bredouille dans son village.

Moubarak s’exprimait de façon à faire passer ses remarques en blagues mais Awad ne pouvait plus supporter cet humour et ces plaisanteries. Cela faisait plus d’un an qu’il travaillait pour l’organisation de Moubarak sans que sa situation de modeste employé ne change ou ne s’améliore. Il avait timidement demandé une promotion mais son patron avait refusé en prétendant qu’il aurait pour lui, plus tard une mission importante.

Les jours passent et Awad devient de plus en plus acariâtre et grincheux,  l’envie le taraude et  sa jalousie atteint un tel paroxysme qu’il en perd le sommeil. Il voit Moubarak dépenser de l’argent à pleines mains et se payer toutes sortes de caprices sans penser une seule fois à faire participer son employé à ses largesses. Abdel Moubarak ne faisait pas confiance aux banques et gardait tout son avoir dans un grand coffre–fort noir dont lui seul possédait la combinaison.

Durant ses moments d’angoisse, Awad imaginait les richesses accumulées dans ce coffre et rêvait un jour de pouvoir mettre main basse sur une partie de cet argent. « Si seulement je connaissais la combinaison je pourrais profiter un peu. Moubarak n’a aucune idée de ce qu’il possède. Il me l’avait dit maintes fois. » Voler son bienfaiteur pour s’enrichir lui-même devient son obsession. Ignorant tout de la tempête qui sévit au cœur de son employé Abdel Moubarak décide de lui confier une mission.

Il annonce à son employé qu’en signe de confiance en ses habiletés il allait l’envoyer s’occuper d’une affaire importante à Alexandrie. Il s’agissait de rencontrer le capitaine d’un bateau étranger qui transporte une grande quantité  d’uniformes pour l’armée. La livraison devait se faire sous son inspection et une grande somme d’argent devait lui être remise en mains propres.

_ Le seul problème cher ami, c’est que cette transaction n’est pas vraiment légale, mais je n’ai personne dans mon emploi qui pourrait remplir cette mission aussi bien que toi, explique Moubarak en fixant le jeune homme avec insistance.

_ Je t’assure tous frais payés et en plus un bonus à ton retour. C’est une affaire comme tu peux comprendre extrêmement  confidentielle. Pas un mot à quiconque, qu’est-ce que tu en penses?

Awad choqué tout d’abord par la proposition de son patron, réfléchit un moment et puis cède.

_ Bon, « taht amrak », je suis sous tes ordres, comme tu voudras. Donne-moi les détails de cette affaire et je serai content de te rendre service.

Pour Awad, cette occasion se présente comme une aubaine, il entrevoit une ouverture qui lui permettrait peut-être de se soustraire à l’emprise de son patron et de gagner un peu d’argent. Transformé par l’envie et la jalousie, il avait perdu tout sens d’honneur et de droiture qui avaient été auparavant les valeurs guidant sa vie.

Le jour de son départ pour Alexandrie, Awad rencontre son patron dans son bureau privé, il n’y a personne à cette heure-ci dans la bâtisse et Abdel Moubarak lui fait les dernières recommandations. Il lui remet un paquet avec toutes les instructions qu’il devra suivre quand il rencontrera le représentant de la compagnie qui exporte les uniformes.  Dans la pénombre, le coffre-fort trône énorme et silencieux, Awad convoite le trésor qui sommeille dans le coffre. Un feu s’allume dans ses entrailles et le désir de s’emparer de la fortune d’Abdel Moubarak lui donne le vertige et fait bourdonner ses oreilles.

Finalement, Abdel Moubarak ouvre le coffre en activant la combinaison. Awad tente de voir ce que son patron y cache mais il ne peut rien voir car la carrure de Moubarak lui bouche la vue. D’un coup une vague de rage l’envahit et en se tournant vers le bureau il trouve un presse-papiers qu’il saisit et sans réfléchir l’abat sur le crâne de son patron. Ce dernier s’écroule d’un trait sans souffler mot.

Immobile en face du coffre ouvert, sidéré par son action inattendue, l’esprit vacant, le souffle coupé et la bouche béante, Awad s’approche de ce qu’il avait si longtemps convoité.  Devant lui s’étalent des piles de billets de banque en quantité; il n’avait jamais rien vu de pareil. Il voit des boîtes remplies de bijoux qui scintillent tout au fond  du coffre, des pierres précieuses et des pièces d’or entassées dans des sacs. « C’est le trésor d’Ali Baba dans la caverne des voleurs! » pense-t-il.

Awad prend conscience du corps de son patron gisant à ses pieds et il est pris d’une violente nausée qui le catapulte vers les  toilettes. Là, il vomit abondement, et aussitôt apaisé il retourne vers la scène hallucinante qu’il venait de quitter. Devant le coffre ouvert, Awad hésite longuement sachant qu’il ne pourrait pas s’emparer de tout ce qu’il contenait. Sa valise qu’il avait posée près de la porte suffirait à contenir une bonne quantité de liasses car il ne pensait pas se servir des joyaux. L’argent comptant serait beaucoup plus pratique, et sans plus attendre, il ouvre la valise et y fourre tout ce qu’il peut. Il lorgne le reste avec regret mais soupire et se résigne.

            Soudain, pris d’un violent frémissement qui lui fait claquer des dents, il ne peut contrôler le tremblement de ses mains et son visage  agité par une série de tics  est  défiguré. Le jeune homme tente de se ressaisir et de se calmer afin de pouvoir agir sagement et faire un plan de conduite. Son cœur bat si vite qu’il éprouve de la difficulté à respirer, une sueur froide mouille sa chemise qui se colle à son dos tandis que de son front elle lui coule dans les yeux. Avec son mouchoir, il s’éponge le visage à plusieurs reprises et avec un effort surhumain réprime sa panique.

Ayant repris ses esprits, Awad commence à réfléchir : il est riche, n’a plus de patron qui le domine et peut finalement chercher à faire sa fortune. Mais il raisonne que rester au Caire présente un danger imminent. Il faut se débarrasser du corps, et pense que le coffre-fort offre une cachette idéale. Il saisit le corps inanimé d’Abdel Moubarak et avec quelques efforts réussit à le tasser à l’intérieur du coffre-fort. Un énorme dégoût le prend pour cet homme qui s’était montré si généreux envers lui et qui ne méritait pas cette fin. Mais Awad endurci et dominé par sa cupidité ne comprend pas l’ampleur du geste qu’il vient de perpétrer.

Il claque la porte du coffre-fort qui se referme en silence avec un déclic à peine perceptible; ramasse tous les papiers, et documents qui lui sont nécessaires pour ce voyage à Alexandrie et décide de prendre la route malgré tout. Sa mission étant secrète il est certain qu’elle n’éveillera pas de soupçons puisque personne n’est au courant de sa destination. Il avait été annoncé qu’il partait pour Port Saïd où siégeait la branche principale de l’affaire Abdel Moubarak. Quant à la disparition de Moubarak, il était sûr qu’elle ne serait pas découverte de sitôt. Personne n’avait la combinaison du coffre à part son patron.

Sa cupidité l’aveugle et au lieu de s’enfuir avec l’argent qu’il avait déjà, en main, il décide d’entreprendre la mission pour Alexandrie avec le but d’empocher la somme qui devait être remise à son patron. De cette façon, il deviendra millionnaire en quelques heures avec si peu d’efforts! Il décide de se faire passer aux représentants de l’importateur en tant que Abdel Moubarak puisque ces hommes ne le connaissaient pas. Awad prend les derniers pas qui à cause de sa convoitise et son avidité, le mènent tout droit vers un abîme béant duquel il est impossible de s’en sortir.

Le voyage en train dans le confort de la première classe lui avait permis de dormir d’un sommeil agité mais nécessaire. En arrivant à Alexandrie, un taxi le conduit rapidement à l’hôtel où Abdel Moubarak avait fait une réservation. Dans le luxe qu’il n’avait jamais connu, Awad se sent vivre une merveilleuse aventure qui de temps à autre comme dans un cauchemar est interrompue par les visions horribles des événements qui ont précédés son voyage.

L’après-midi même de son arrivée, à la réception de son hôtel un homme l’approche. Il porte l’uniforme de la marine marchande avec les épaulettes de capitaine; son air respectable lui donne une allure élégante mais son visage tailladé par une cicatrice sur la joue droite de l’œil au menton lui donne un air lugubre. Il se présente comme capitaine Morgan du « Magnetic », cargo qui transporte la marchandise de laquelle il doit prendre possession.

Les deux hommes s’assoient au café et discutent des derniers détails de la livraison et payement. Le capitaine insiste à ce qu’il vienne au port signer les papiers et terminer les démarches. L’heure de leur rencontre fixée à minuit le fait réfléchir un instant mais l’inconnu le rassure car c’est seulement à cette heure que la marchandise sera débarquée et le bateau se mettra tout de suite en route car chaque instant au port coûte des sommes.

Awad ne remarque pas qu’un autre homme les avait observés durant leur conversation et a suivi le capitaine à sa sortie de l’hôtel. Il se retire dans sa chambre pour attendre le moment de se rendre au port. Awad ne se lasse pas d’admirer les liasses de billets de banque rangées dans sa valise, cachées dans le placard. Il imagine la multitude de choses qu’il pourra se permettre. Finalement il prend une douche et sort dans la nuit humide et noire pour se rendre au lieu du rendez-vous.

Il trouve tout de suite un taxi sans se douter que la voiture l’attendait déjà et sans mot dire le chauffeur démarre en trombe. Surpris, Awad tente de lui parler mais,  la vitesse avec laquelle ils roulent ne permet pas une parole. Il est ballotté sur le siège arrière et c’est à ce moment qu’il comprend que quelque chose cloche. A l’entrée du port, il y a un contrôle de la police et Awad s’élance pour ouvrir la portière du taxi et s’échapper, mais la porte est coincée, impossible de la faire bouger.

            Finalement, le taxi s’arrête et le capitaine Morgan apparaît soudain, il ouvre la portière et empoigne Awad par le col comme s’il ne pesait qu’une plume. Ce dernier, époustouflé par ce geste veut protester et demander des explications, mais le capitaine avec un rire narquois, le jette à terre violemment et lui enfonce un couteau dans l’estomac. Dans la pensée enfiévrée du malheureux la vérité se fait jour, son patron désabusé par ses plaintes et son attitude défaitiste avait compris qu’il n’avait aucun avantage à le garder dans son organisation.

Awad avait réussi à se faire haïr et même craindre, mais son patron ne pouvait certainement pas imaginer jusqu’où la haine du jeune homme l’aurait mené. La mission promise n’était qu’un guet-apens, le plan scélérat tout organisé d’avance. Mais la destinée a voulu qu’Abdel Moubarak ne profite pas non plus de son acte criminel.  

            Le lendemain, dans les journaux d’Alexandrie, on annonce que le corps d’un nommé Abdel Moubarak, riche homme d’affaires de Port Saïd avait été trouvé au port, victime d’un coup de couteau. Sa chambre d’hôtel avait été cambriolée et le coupable recherché est sans doute un de ses employés Awad Hanafi disparu lui aussi depuis la veille.

L’enquête se poursuivra afin de résoudre ce qui parait être un vrai mystère. Eventuellement, le corps dans le coffre-fort sera découvert et l’histoire de Awad et Abdel Moukarak finalement sera connue de tous.

 

 

Janvier 2013

 

L’EMPEREUR ET L’EVENTAIL ENCHANTÉ

un conte de la chine ancienne

Mimi de Castro

 

 

Ceux qui comme moi aiment les mythes, les légendes et les événements mystérieux et inexplicables seront intéressés par cette version de l’histoire de l’éventail enchanté. Je vous la raconte comme elle m’a été révélée, sans changements ni  artifices. C’est à vous d’y croire ou de contester et si vous avez une autre version, s’il vous plait de m’en informer.

A Bianliang, une région au nord de l’ancienne Chine, vivait Sun Yun, un juge, honnête et loyal, au temps de l’infâme  Empereur Qin Shi Huangdi. Pourquoi dis-je infâme? On sait bien que durant son règne, il unifie la Chine, réforme les poids et mesures ainsi que la monnaie, établie l’écriture et fait construire d’énormes réseaux routiers et l’armée puissante protège le pays.   En dépit de cette période de prospérité,  stabilité et de paix  Qin Shi Huangdi a été haï pendant des générations car il s’est avéré cruel, un terrible tyran, sanguinaire et implacable.

Shi Huangdi pensait qu’il méritait la vie éternelle et craignant la mort, il est persuadé qu’il existe un élixir qui peut  lui procurer cette éternité. Des années durant, il dépêche  des messagers aux quatre coins du  monde, cherchant en vain la recette de cet élixir. Mais le hasard a voulu que dans un rêve, l’image de Sun Yun administrateur d’une des régions du nord lui apparait et il est convaincu que cet homme possède le secret qu’il convoitait.

Une délégation est aussitôt envoyée afin de ramener l’homme qui saurait préparer cet élixir. Quand les messagers arrivent au palais de Sun Yun et le somment de se rendre immédiatement à la cour avec eux, le sage homme est abasourdi et ne comprend pas pourquoi l’Empereur fait appel à lui. Il craint le déplaisir du souverain et sait à quel point il est capable de se venger de quelqu’un qui ne s’exécute pas.

Dans une audience extraordinaire Sun Yun est informé de ce que l’Empereur désire  puisqu’il exige de lui la recette de l’élixir de longue vie. Consterné par les attentes  de Qin Shi Huangdi, Sun Yun ne croit pas ses oreilles. Il a beau expliquer à l’Empereur qu’il ne possède  aucun secret caché même pas une minime portion de magie. Mais c’est peine perdue et plus l’un nie plus l’autre est persuadé qu’il ment.

Craignant de perdre sa tête et inquiet de l’insistance du souverain, Sun Yun demande finalement un délai au courant duquel il pourrait trouver une solution et aider l’Empereur. La demande est accordée et Shi Huangdi octroie à Sun Yun la période d’un mois au courant duquel s’il ne propose pas une solution, il risque sa vie.

Sun Yun se retire dans une villa mise à sa disposition non loin du palais royal. Il est désespéré  car il ne voit aucune issue à l’impasse présente. Tourmenté par la demande de son roi il perd le sommeil et la tranquillité. Il consulte des montagnes de documents et rencontre maints médecins versés dans la magie et la divination. Le tout sans résultat.

Finalement lorsqu’il pense que tout est perdu, un vieux magicien inconnu de la cour vient demander audience. Sun Yun sentant qu’il n’avait rien à perdre, lui accorde un entretien. Le vieillard Maître Xiang Wan, explique qu’il est issu d’une famille de magiciens de pères en fils et qu’ayant appris l’impasse dans laquelle se trouve Sun Yun décide de l’aider.

_ Mais Maître Xiang Wan, vous savez qu’il n’existe pas d’élixir d’immortalité…

Sun Yun s’adresse au vieux magicien en soupirant.

_ Mon fils, quand l’Empereur demande une chose, elle doit exister, n’est-ce pas? J’ai bien étudié la difficulté que nous traversons en ce moment et j’ai une solution. Il faut faire ce que je vais te dire exactement et tu seras tiré d’embarras.

Sun Yun prend espoir et s’enferme avec Xiang Wan afin de mettre sur pied le plan nécessaire d’avoir la vie sauve et plaire au souverain. L’Empereur est impatient et reçoit les deux hommes en les menaçant de terribles tortures si l’élixir n’est pas prêt.

_ Auguste Empereur, explique Sun Yun en lui remettant une boîte de laque noire, dans ce coffret tu trouveras la réponse à ta recherche.

Courbés, le front à terre, les deux hommes aux pieds du trône tremblent en attendant la réaction de Qin Shi Huangdi. Le souverain fait ouvrir la boîte par son chambellan et reste surpris quand il voit six petites pilules rouges brillantes comme des perles sur l’écrin de soie noire.

_ C’est quoi ça? Vous vous moquez de moi? Hurle le roi.

_ Non, Fils des Dieux, non, souffle Sun Yun, c’est l’élixir…Chacune de ces pilules va te donner six ans de vie…

_ Et après? Demande Qin Shi Huangdi en empoignant les pilules et les soupesant dans sa main avant de les remettre dans le coffret.

_ Après je pourrais toujours en fabriquer d’autre Majesté, murmure Xiang Wan. En se courbant encore plus. Il suffit simplement de me procurer le cinabre nécessaire.

_ Alors vous prétendez me faire avaler ces pilules? Comment puis-je être sure que ce n’est pas un poison? Faites appeler mon astrologue immédiatement, il faut que je le consulte. Allez! Je vous donnerai une audience après.

Les deux hommes redoutant les sautes d’humeur de l’Empereur et tremblant comme des feuilles se retirent de sa formidable présence.  Sun Yun surtout, appréhende les prochains événements.  Maître Xiang Wan le rassure quand même en lui rappelant qu’ils avaient encore une astuce pour convaincre l’Empereur.

Convoqués auprès du souverain et de Wu Fang son astrologue,  Maître Xiang Wan explique l’usage des pilules et leur bienfait. Il ignore le regard inquisiteur  et suspect que lui lance Wu Fang et il se porte volontaire à en avaler une afin de les convaincre que ce n’est pas un poison. L’astrologue demande une preuve de ce que le magicien propose et  d’un grand geste dramatique Maître Xiang Wan tire de la poche de son manteau un éventail qu’il ouvre et présente à l’Empereur.

Le souverain prend délicatement l’éventail car il est déjà séduit par la finesse et la beauté de l’objet.

_ Ce rare  éventail est fait de fils de toile d’araignée, d’ailes de papillons, tissé d’or et d’argent et saupoudré de poudre de diamants. Il possède un pouvoir inconnu mais très sure.  Le magicien s’arrête un moment pendant que l’Empereur et l’astrologue admirent l’éventail. Grande Majesté Puissante, en regardant l’éventail pense à ce que tu veux plus que tout au monde et tu verras apparaitre comme dans un miroir ce à quoi tu penses.

Comme un enfant à qui on donne un nouveau jouet Qin Shi Huangdi sautille de joie et ne tarde pas à s’exclamer en voyant l’image qui soudain se présente devant lui sur la surface de l’éventail. En effet ce qu’il voit le réjouit immensément, il s’agit d’une image de lui-même vivant éternellement.

Maître Xiang Wan sourit et lui suggère de demander à l’éventail combien d’années son règne et sa dynastie dureraient. Voilà que le souverain ravi découvre sous ses yeux avides  un document qui compte dix-mille années encore de règne. Satisfait, l’Empereur décrète que sous le control de  son astrologue il commencerait immédiatement la nouvelle cure. Sun Yun et Xiang Wan ont la vie sauve.

C’est ainsi que Qin Shi Huangdi commence le traitement qu’il présume  lui apportera l’immortalité. Il ingère goulûment ces pilules rouges qui en fin de compte n’ont pas allongé sa vie. Aujourd’hui, on pense  plutôt que c’est le poison qui l’a tué quelques années plus tard. Il s’agissait de sulfure de mercure qu’il a absorbé dans sa poursuite de la vie éternelle.

Vous allez comme Sun Yun certainement questionner l’affaire de l’éventail dans tout cela. Eh bien, Maître Xiang Wan savait que l’éventail aurait servi de miroir aux convoitises de l’Empereur et tout ce qu’il aurait vu aurait été ses propres désirs et pas la vérité. Xiang Wan n’avait donc pas eu tort. Soyez certains que ce n’est pas la dernière intervention de l’éventail enchanté. Mais cela est pour une autre fois si vous voulez bien!

Et c’est ainsi que se termine ma version des faits, qu’en pensez-vous?

 

 

 

Septembre 2012

 

DOUNIA  L’ENCHANTERESSE

Un conte fantastique de

Mimi de Castro

Elle avait couru sur la grève en criant sa colère et son désespoir. Elle avait hurlé dans le vent le nom de son traitre amant et ses sanglots pouvaient être entendus à des kilomètres de la ville. De gros nuages noirs, menaçants ont pendant des jours entiers déversés des pluies torrentielles sur la plage et le village tels les pleurs qui ravageaient le jeune visage de Dounia.

 

La mer aux vagues violentes et bruyantes  cognait les rochers avec une telle force que des morceaux de rocs s'envolaient pour s'écraser sur le sable du bord. La nature entière réagissait au malheur de Dounia  et reflétait ainsi  la profondeur et la férocité de ses sentiments.

 

En cet instant fatidique,  Dounia s’est transformée d’une jeune fille douce et aimante en une vision de vengeance et d’amertume, une vraie sirène de malheur. L’homme qu’elle aimait, un marin à la tête pleine d’aventures, lui avait promis un amour éternel mais n’a pas tenu sa promesse. Il n’est jamais retourné au village et tout l’amour contenu dans le cœur de Dounia s’est transformé en une haine envahissante, bouillonnante et explosive.

 

Depuis ce jour, Dounia, enfermée dans sa masure au bord de l’eau, ne cesse de hurler des insultes et des malédictions adressées aux hommes et en particulier contre les marins. Les villageois conscients de ce qui était arrivé ressentaient une grande tristesse pour le malheur de Dounia mais comme ses lamentations continuaient à retentir avec force, ils ont commencé à la craindre.

 

Toutes sortes d’histoires fantastiques commencent à circuler au sujet de Dounia qui au bord de la mer ne cesse ses constantes récriminations. La superstition des villageois prenant le dessus, ils décident que les malheurs qui affligent leur village proviennent des malédictions de Dounia.

 

C’est ainsi que quelques temps après sa crise de fureur, dans le silence de la nuit, la voix de Dounia s’élève dans un  chant. Elle chante pendant des heures et au petit jour un bateau s’écrase sur la falaise qui surplombe le village. Il n’y a jamais eu de survivants.

 

Les années passent et la peur des villageois grandit. Dans leur simple esprit la croyance que Dounia porte malheur s’ancre profondément et un modèle s’établit. Chaque fois que Dounia chante, sa voix ensorcelante cause une magie qui rend les habitants léthargiques, mais dans les vingt quatre heures qui suivent, un bateau vient s’écraser sur les rochers.

 

Les habitants sont tellement persuadés de ce pouvoir que possède Dounia que le village commence à se vider. Les pêcheurs qui constituent la majorité de la population cherchent un village où ils seraient plus en sécurité loin de ce qu’ils perçoivent comme étant les sortilèges de Dounia.

 

Sharif, comme le décrit son nom est un garçon honnête et franc, à la fois courageux et curieux. Ses parents venus d’un village de l’autre côté de la mer d’une région où les hommes ne sont pas superstitieux, ne croit pas à la légende qui s’est tissée autour du malheur de Dounia. Il décide un jour de voir par lui-même ce qui cause cette énorme et paralysante peur de laquelle sont saisis les habitants de son village d’adoption.

 

Sharif ne dit rien à ses parents et ses amis quand il se dirige vers la plage de bonne heure un matin de printemps. L’air est frais et une légère brise souffle venant de l’est. De loin il voit l’immense étendue de la mer calme et luisante reflétant un ciel sans nuages. Au bord de l’eau l’imposante falaise s’étend avec ses rochers noirs menaçants et dangereux. Mais le sable blanc de la grève fin et satiné sous les pieds rend le reste de la plage invitante.

 

La cabane de bois dans laquelle vit Dounia se trouve appuyée contre une série de dunes, entourée de quelques roseaux qui ondulent sous la caresse du vent. Le jeune homme descend vers la cabane et à quelques pas de là appelle Dounia d’une voix forte et claire.

 

Tout d’abord il n’y a pas de réponse et après deux autres essais, Dounia demande « Qui es-tu toi qui t’avises à venir me déranger? »

 

Sharif, courageux et curieux, attiré par la voix jeune et cristalline qui l’interpelle, réplique « Ouvre-moi Dounia. Sors et dis-moi pourquoi tu insistes à causer tant de malheurs dans ce village? »

 

A travers la porte fermée vient la voix amusée de Dounia.

_ Tu penses que je suis responsable de tous les malheurs de ce village d’idiots? Qui es-tu? Quel est ton nom et que fais-tu ici?

_ Je ne sais pas si tu es responsable, mais les villageois le pensent. Dounia, inutile de te dire que chaque fois que tu chantes un bateau s’écrase sur les rochers!

Après un court délai, la voix reprend à nouveau.

_ Qui es-tu?

_ Je m’appelle Sharif…

Un hurlement interrompt le jeune homme et il s’éloigne un peu de la porte de la cabane.

_ C’était son nom….ahahah! Le hurlement se transforme en sanglots à fendre le cœur.

 

Sharif reste silencieux et impuissant devant cette grande tristesse. Il s’adresse à elle lorsqu’il lui semble qu’elle se calme un peu.

 

_ Ecoute Dounia, ce n’est pas parce qu’un homme t’a trahie que tu dois causer la mort de tous les autres hommes! C’est injuste, ta vengeance a été trop loin! Il faut que tu arrêtes les sorts et les malédictions…

_ Mais pourquoi est-ce ma faute? Je ne suis pas responsable de ces malheurs causés par la peur. Sharif… ne cherche pas plus loin…tout ce qui se passe ici c’est dans l’imagination des gens.

_ Comment dans l’imagination? Les marins sont bel et bien morts… proteste Sharif.

 

Il entend un long soupir venant de derrière la porte fermée, et la voix de Dounia lui parvient.

_ Sharif tu veux sauver le village d’une folle superstition?

Je crois que tu es l’homme que Dieu a envoyé pour me sauver de cette souffrance que l’on nomme la vie. Oui, tu m’entends bien, je hais la vie et je veux être libérée. C’est possible seulement si quelqu’un de courageux tel que toi, assume la responsabilité de briser mon envoûtement.

 

Elle se tait pendant que Sharif pense à tout ce qu’elle vient de lui déclarer. Il n’est pas sûr de ce qu’il faut faire mais il sent que tout dépend de lui.

_ Dounia, apparais je t’en prie et dis-moi comment je peux te libérer. Je n’ai peur de rien…

_ Sharif dis-moi comment tu m’imagines?

_ Ta voix me donne une indication, tu es belle comme le jour et jeune comme je le suis mais je sais que tu es beaucoup plus vieille. Malgré tout je crois que tu as gardé ta beauté …. Réplique Sharif en hésitant.

 

Tout d’un coup la chanson de Dounia s’élève venant de la vieille masure et séduit Sharif qui s’éloigne légèrement de la cabane pour mieux écouter cette merveilleuse mélodie. La porte de la cabane s’ouvre en grinçant et une lumière éblouie le jeune homme qui tombe à genoux devant cette apparition. Dounia est debout devant lui vêtue de voiles couleurs pastel avec ses cheveux noirs flottant derrière elle et une auréole tel un arc-en ciel la couronne de lumière.

 

Elle se dirige vers la mer en glissant sur le sable et sa chanson continue à créer autour d’elle une atmosphère magique. Ému jusqu’au plus profond de lui, Sharif ne peut plus détourner ses yeux de Dounia même quand elle termine sa chanson. Il est complètement possédé, envouté par le pouvoir de cette beauté. Il sent son cœur battre violemment dans sa poitrine et sa gorge est serrée. Dounia s’adresse à lui avec une pointe de regret dans la voix.

_ Sharif, ce que tu vois devant toi c’est ce que tu m’imagines être…

Tu comprendras dans quelques instants. Maintenant, je suis certaine que tu  pourras me libérer de cette vie. Le cœur plein d’espérance Dounia se tait.

 

_ Que veux-tu dire? Mon imagination? S’écrit le jeune homme en se levant.

_ Oui, je suis flattée de savoir que tu me vois ainsi, aussi belle qu’une créature du ciel. Sharif réveille-toi et réveille les gens du village. Tout ce qui se passe est dans l’imagination des habitants… Le naufrage des bateaux est dû au manque de phare pour aviser les marins, pas mon chant! Notre imagination est en même temps une malédiction et une bénédiction, ajoute Dounia en suppliant le jeune homme.

 

Elle s’approche de la mer et flotte sur les petites vagues du bord et la mousse blanche lui caresse les pieds. Sharif est fasciné par cette image si délicate et fragile. Il se reprend en pensant, c’est tout une invention, une hallucination… Que faire? Il doit changer cette image qu’il a de Dounia. Il sait qu’elle souffre et il peut la sauver…

 

Sharif secoue sa tête et ferme les yeux. Il entend la voix de Dounia qui l’encourage. « C’est ça Sharif, mon sauveur! » Le jeune homme se force à conjurer des images qui effaceraient les merveilleuses visions flottant devant lui. Mais Sharif n’ayant jamais eu peur de sa vie, ne connaissait ni cauchemars ni superstitions.  Il s’efforce  de créer des images horripilantes sans résultats.

 

Dounia continue à encourager le jeune homme jusqu’au moment où finalement Sharif réussit à conjurer l’image d’une vieille ridée au rictus amer et cynique. En un clin d’œil, l’apparition  magique, symbole de beauté et de grâce s’effondre comme une figure de cire présentée aux flammes d’un feu dévorant destructif. La peau du visage se ratatine, les cheveux hérissés gris, sales et rares se dressent sur un crâne rose. Le corps aux formes parfaites se déforme et une bosse apparait sur le dos de l’apparition horrible et dégoutante qui petit à petit se rétrécit devant les yeux incrédule de Sharif jusqu’à s’effacer complètement. Mais le ciel est gris, le soleil a disparu et le silence total s’est fait.

 

La voix de Dounia lui rappelle avec un écho qu’il doit continuer à démolir son image pour  que cette action la libère complètement du joug de la vie qu’elle ne désire plus. Faisant un effort surhumain, Sharif se force à bannir l’image de la beauté et de la perfection féminine qui était son idéal.

 

Les voiles qui couvraient le merveilleux corps de Dounia sont désormais abandonnés sur le sable. Toute l’atmosphère magique suggérée par la chanson de cette femme est complètement détruite et la cabane où elle vivait tombe en ruines pièce par pièce. Soudain le vent se lève et balaie le sable et la surface des flots. Le ciel s’éclaircit d’un coup et les oiseaux retournent à voltiger et à chanter.

 

Sharif entend un grondement qui s’approche de la plage mais ce sont des voix menaçantes; non, plutôt des chants qui s’élèvent dans l’air purifié. Il sait que ce sont les villageois qui accourent vers la mer ayant entendu le chant de Dounia, ils s’attendent à ce qu’un navire s’approche de la côte pour s’écraser comme par le passé.

 

Sharif s’écrit en l’air « Adieu Dounia, soit libre finalement de connaitre la paix de l’âme et de l’esprit! » Il court vers la foule qui s’approche et lève les bras afin de faire le silence.

_ Mes amis! Villageois de Baraka! A genoux! A genoux maintenant. Remerciez Allah votre créateur pour le miracle qui vient de se manifester. Quand la foule en silence l’écoute, Sharif leur raconte ce qui s’était passé ce matin là.

_ Le malheur et la mort ne vous affligeront plus mes amis. Dounia libérée de son mauvais sort est allée rendre des comptes au Miséricordieux, Clément et Seul Dieu.   

 

Les prières qui s’élèvent vers le ciel accompagnent Dounia qui a finalement trouvé le repos. Une nouvelle vie s’offre enfin aux villageois de Baraka sous la direction de Sharif qui accepte de devenir leur chef.

 

Et c’est ainsi que commence le long règne heureux et prospère de Sharif el Kadi, chef de Baraka.

 

 

Le phare de Baraka, visible de partout a été érigé en mémoire de Dounia et depuis, préserve la vie  d’innombrables marins perdus dans l’étendue de la mer immense.

 

 

Mai 2012

 

A LA MÉMOIRE DE LEE ZEITOUNI

(Cette introduction  et  les six poèmes qui suivent sont de Madame Mimi de Castro)

Le 16 septembre 2011, alors qu’elle se rendait au travail, la vie de Lee Zeitouni fut brusquement interrompue. Percutée par une voiture que conduisaient deux touristes français elle est tuée sur le champ. Ces hommes sans conscience prennent la fuite et ne s’arrêtent même pas pour constater le résultat de leur action. Ils s'embarquent sur le premier avion à destination de Paris où le bras de la justice Israélienne ne peut les atteindre.

Lee  n’avait que 25 ans, sa vie venait de commencer, elle faisait des plans d’avenir avec son compagnon, avait reçu une bourse d’étude à Tel-Aviv comme prof de gymnastique. C’est grâce à son amour pour Ro’i son fiancé qu’elle décide de rester en Israël.

Pleine de vie et d’enthousiasme, belle comme le jour, radieuse, aimante et pleine de compassion, Lee était entourée d’amis qui l’adoraient. Chère à sa famille elle partageait son temps entre eux et son travail à Tel-Aviv. La plus jeune de la famille, elle s’intéressait à la vie de sa sœur et de ses frères qui lui confiaient leurs soucis et préoccupations.

Lee avait un cœur d’or qui s’ouvrait avec amour pour les animaux qu’elle accueillait sans hésitation. Partageant cette compassion avec Kate, sa mère, elle ramenait à la maison des chats et des chiens abandonnés qui trouvaient un abri jusqu'à ce qu’ils puissent affronter la vie sans assistance.

Il n’y avait personne qui résistait à son charme, et son doux sourire. Indépendante, elle voulait prendre dans sa vie les décisions importantes sans l’influence des autres. Elle donnait de son temps et de son attention à qui en avait besoin. Studieuse, elle prenait au sérieux ses études et ses responsabilités. Après son service militaire qu’elle termine avec honneur, elle passe une année scolaire à Phoenix, aux États-Unis, chez Linda, notre cousine afin de suivre des cours à l’université.

Lee adorait la danse et elle était douée pour tout exercice physique. Sa grâce et son élégance étaient innées. Elle s’habillait d’une façon simple mais en même temps exotique, ayant hérité de son père Itzik, le sens des couleurs et des formes qu’il exprime dans sa peinture.

Lee avait tout pour réussir, la vie pleine de promesses lui souriait. Mais le destin que l’on ne peut combattre avait d’autres plans pour Lee. Et la voici abattue sans raison, prise en pleine jeunesse à tout jamais. Le cœur et la raison ne peuvent expliquer cette perte et la douleur nous poursuivra pour toujours. 

 

ELLE A VU LE JOUR

 

Au pied des montagnes de Beit Shean à Nevé-Our

C’est en avril que notre Lee a vu le jour.

Dans cette vallée  aride et sévère où en dépit de tout

Les courageux habitants de la nature arrivent à bout

Et bravement cultivent dans leurs riches vergers,

Fruits de toutes les sortes, et légumes variés.

Nourrie par le vent du désert, Lee, fleur exotique

A respiré le parfum des vastes espaces désertiques.

Elle a vécu avec sa famille et ses amis des jours

Insouciants,  grandissant entourée d’amour.

Le clair de lune a illuminé ses premiers pas de danse,

Ses cris de joie, ses amitiés et de l’amour les transes.

D’ici elle est partit avec l’intention de conquérir ce monde

D’y travailler, étudier, apprendre et rejoindre la ronde.

Hélas interrompue et de courte durée fut son aventure,

Sa vie, ses études, ses expériences et tout le futur!

Lee, si belle, élégante, gracieuse, amusante et inoubliable

Tu as glissé dans nos vies, telle une vraie princesse de fable.

 

 

THE LEE WE KNEW

Lee had never had patience for the usual daily chores.

Petty, mechanical, and repetitive occupations

She couldn’t bear, and found them monumental bores.

A waste of precious time, keeping her away from real actions.

She longed to be active or creative every hour of the day,

Sometimes teaching or dancing to her favourite music.

Her passion to perform and be the best in every way,

Inspired her hard work and even to study mathematic.

For Lee, making decisions had to be without influence

Mistress of her own opinions she deemed it necessary

To act alone based on her thoughts and competence.

Keeping her own counsel one could see her tarry.

However, once she decided on a course of action

She moved keeping in mind objectives and plans.

Lee had opinions, for which she usually found expression,

But no matter what she said, she still had many fans!

 

 

ELLE EST PARTOUT

 

Belle comme une princesse de rêve brillant de tous ses feux

Unique personnalité, élégante et fière, attirant tous les yeux.

Son âme pure et innocente dans son visage se reflétait,

Lee, fille adorée, sœur, tante, cousine et douce amie, loyale était.

 

Nous avons tous d’elle une image différente et précieuse

Car nous tous elle a émus tantôt enjouée tantôt sérieuse

Nous étions par sa grâce et gentillesse enchantés,

Elle si amusante, tendre, et gracieuse nous a touchés.

 

Dans mon rêve je l’ai vu apparaitre parée de tous ses atours

Et dans l’air s’élever encadrée de lumière tout autour

Le regard doux qui illuminait son beau visage paisible

Semblait dire  « je suis là même si je ne suis pas visible ».

 

Parce qu’il est clair que Lee fait partie du ciel et de la terre

De la vie, de la mort, de la nature et même de l’atmosphère.

Ses yeux bleus se sont fondus dans le ciel et les nuages,

Ses cheveux tressés dans le blé, les champs et pâturages.

 

Dans chaque air de musique que tu entends elle danse

Chaque souffle de vent dans les arbres complète la cadence.

Dans la fraiche brise qui se soulève du mystérieux océan

Se reflète sa soif d’aventure, et de liberté bien évidents.

 

O Lee qu’il fait bon de penser à toi, à ton sourire

Ta joie de vivre, ton amour du sport, ton fou rire.

Nous devons apprécier les choses de la vie

Que tu nous as laissé et qui n’ont pas de prix.

 

 

 

 OUR  LEE

WITH LOVE FROM MIMI DE CASTRO

 

Lee appeared in our world like a shooting star

And for the brief moment that lasted her life,

Her radiance beaming from close and far

Illuminated the earth and freed it from strife

 

Like the infinite bleu of the sky above,

Her eyes promised a better day for all,

And her compassion crowned with love,

Saved many creatures from downfall

 

Similar to an exotic and rare flower

Blooming brightly in the fresh breeze,

Her beauty, to all eyes a magical power

Charmed every one and conquered with ease.

 

Like the dawn, her image never far from our mind,

Will remind us how deeply meditative she could be.

Born with elegance and grace so rare to find

In our memory she will simply remain: our Lee.

 

POUR LEE

LA CONNAITRE C’EST L’AIMER

 

La connaitre c’est l’aimer:

Parce que dans ses yeux bleus

Brille la précieuse lumière du ciel

Et la couleur dorée du miel

 

La connaitre c’est l’aimer :

Parce que son brillant sourire

Distribue tendresse et douceur

Réchauffant à nous tous les cœurs

 

La connaitre c’est l’aimer :

Parce que son rire cristallin

Résonne entrainant et joyeux

Et le monde resplendit heureux

 

La connaitre c’est l’aimer :

Parce que son humour espiègle

Suscite enthousiasme et bonheur

A chaque jour et chaque heure

 

La connaitre c’est l’aimer :

Parce qu’une partie d’elle secrète

Et privée exige mystère et solitude

Énigme renfermée avec certitude

La connaitre c’est l’aimer :

Parce qu’indépendante

Assoiffée de liberté elle aspire

Aux grands espaces pour partir.

 

La connaitre c’est l’aimer :

Parce que sa compassion

A changé la vie de tant de créatures

Sauvé des vies et aidé la nature.

 

 

LEE RESCUER OF ANIMALS

IN ALL TRUTH, LET IT BE KNOWN THAT OUR BELOVED LEE

 

In love with any defenseless and abandoned creature

Could not resist saving them, and it is this feature

That made her Queen of the animals all around

Cats and dogs knew her and to her were bound.

She rescued so many from here and there

As the word spread that she couldn’t bear

To see any one suffer appearing on her way

And in her tender heart there was always a spot

For what could fly, crawl, walk or trot.

Came the day when she and Ro’i wanted to adopt a pet;

One, they would keep together love and protect.

But in the animal shelter Lee’s sensitive heart cried

With tears “I want to adopt them all”, she replied.

Adoringly Ro’i stared wishing to please his Darling

Yet the idea of all these animals was far from calming.

He found the way to promise her a pet collection:

In the future, as he assured her of his affection.

REMEMBER:

Lee with the tender heart, twinkle in her eye

Her sense of humour, her love of life and try

For her sake to think of each happy, joyful instant

Treasuring her as she was: beautiful, funny and vibrant.

 

 

Janvier 2012

 

BELLE DAME DE LA GALILÉE

 (Inspiré par un portrait de femme. Mosaïque retrouvée dans les ruine d’une maison romaine a Séphoris)

 

Salut belle dame, étoile de la Galilée!

Toi dont on ignore le nom et la destiné,

Tes yeux doux et bruns brillent lumineux,

Dans un visage ovale aux traits majestueux.

 

Salut belle dame, étoile de la Galilée!

Toi dont l’existence fut longtemps oubliée

Tu règnes maîtresse dans cette maison

Car ta beauté radieuse fait perdre la raison.

 

Salut belle dame, étoile de la Galilée!

Toi dont le charme reste inégalé

Tu fais rêver tous ceux qui te voient.

Reine unique, parfaite, qui fut ton roi

Mimi de CASTRO

 

 

 

Octobre 2011

 

SUR LA DUNE

Mimi de Castro

 

Assis sur la dune nous avons vu le disque radieux du soleil plonger,

Et l’océan immense d’orangé et rose pour l’accueillir se teinter.

 

Très vite le crépuscule nous enveloppe de ses lueurs bleutées

Pendant que les étoiles une à une apparaissent dans le ciel velouté.

 

Une brise se lève et nous caresse, imprégnée de délicat jasmin,

Subtil parfum pénétrant d’une fleur aux pétales de doux satin.

 

La fraîcheur de la nuit nous rapproche dans une étreinte sans paroles

Et je sens ta chaleur rassurante donner à mon âme tout son envol.

 

Assis, sur la dune, seuls, dans l’immense nuit mystérieuse et enchantée

Nos coeurs à l’unisson se reconnaissent dans une douce flambée.

 

-o-o-o-o-o-o-

 

 

SUR LA PLAGE DE BOCA CHICA

Mimi de Castro

 

Sous le baiser du violent soleil de midi, la baie,

A peine ridée scintille délicatement argentée.

Au loin on aperçoit la blanche écume ourler

La crête du brise-lame qui comme un écrin l’entoure.

 

En plissant légèrement les yeux je vois les flots mouvants

Trembler comme sous une pluie de minuscules diamants.

Le ciel limpide bleu, sans nuages, se confond aisément

Sur la ligne de l’horizon avec l’immensité de l’océan.

 

Le léger remous de l’eau sur le sable, d’un simple touché

Répétitif déplace de petits coquillages blancs luisants.

Affalés sur la plage les corps des baigneurs immobiles

Semblent de brunes statues sortant du sable fin et corallin.

 

Les cocotiers aux feuilles ouvertes comme des mains gracieuses

Ne dansent plus et n’offrent qu’une ombre parcimonieuse.

A peine sommes-nous conscients du bourdonnement des insectes,

Que voltigent soudain sur nos têtes alourdies de chaleur

De minuscules oiseaux noirs à la queue en flèche.

Sous l’ombre de notre parasol nos regards se croisent

Avec complicité paisiblement heureux pour le moment.

 

 

 

 

Juin 2011

 

Voici trois jolis poèmes de Mimi de CASTRO, reçus dernièrement :

 

 

PREMIÈRE NUIT D'ÉTÉ

 

 

Dans l'ombre du crépuscule,

Sous la caresse légère d'une brise,

Le jeune frêne sous ma fenêtre

Frémit en murmurant sa chanson.

Courbant sa tête de feuilles couronnée,

Il semble avoir tant de choses à confier.

 

La nuit tombe, douce et odorante.

Première nuit d'été finalement;

Encore claire et luisant de mille étoiles

Parsemant la voûte du firmament.

Le ciel riche, velouté est balayé

Par une traînée de panache blanc.

 

Les dernières lueurs du soleil couchant

Inondent l'horizon d’une pâle teinte rosée

Embrasant à peine sous son touché

Quelques toits, avant de s'éteindre.

Une douce fraîcheur baigne mon front,

Et dans les ténèbres envahissantes….

Je ferme mes yeux désormais inutiles.

 

 

 

LES PEUPLIERS

 

Ala queue leu-leu, se pressant l'un contre l'autre

Unearmée de peupliers se balance

Aurythme cadencé de la brise.

 

Tantôtà gauche, tantôt à droite,

Cebalancement gracieux produit

Dansle silence un doux chuchotement.

 

Lespeupliers tremblent et frémissent

Achaque souffle d'air. Leurs longs bras maigres

Remuentsans arrêt en se touchant.

 

Serrantles rangs comme de fidèles soldats

Lespeupliers se courbent et se redressent

Atous vents, sous tous les cieux.

 

Toujoursprésents, ils garnissent l'horizon

Deleur fière allure. Élégants et unis

Ilsse découpent avec précision, surtout,

Aucrépuscule, quand le ciel, dans sa splendeur

Prendsfeu sous les derniers rayons du soleil couchant.

 

 

 

 

LE SOLEIL

 

Sous la caresse brutale

D'un soleil tropical,

La terre craque et se fend

A tout bout de champs.

 

C'est un souffle brûlant

Balayant,rasant,

Le sable rouge du désert,

Déplaçant dans cet air

 

Desgrains de poussière mouvants

Emportéspar le vent.

Ici,le silence règne,

Rien ne baigne,

 

Tout est sec, dur.

Pas d'ombre sous les murs,

Car ce soleil de plomb

Pèse tout au long,

 

Du jour et de la nuit.

Dans ce triste pays

Où l’on ignore la fraîcheur,

La douce saveur,

D'un fil d'eau pure et claire

Murmurant dans une clairière.

 

Janvier 2011

 

ANWAR LE VENDEUR DE PANIERS

(Un conte de Mimi de Castro)

 

 Anwar, le vendeur de panier a l’habitude de se rendre à son échoppe non loin de sa modeste cabane d’un pas allègre et léger. Tous les habitants du quartier le connaissent et n’hésitent pas à le saluer gaiement.  C’est surtout les enfants qui l’adorent et il a toujours quelques sucreries à distribuer ou une chanson amusante à leur enseigner. Mais Anwar a un secret qui lui serre le cœur. Son plus ardent désir c’est de trouver une femme avec qui il ferait sa vie et surtout formerait une famille avec des garçons qui porteraient son nom.

 

Après avoir consulté pendant plusieurs mois Fatma la marieuse du quartier, Anwar arrive à la conclusion qu'aucune femme ne répondait à son désir. Il s’était imaginé une belle femme tendre et intelligente qui l'épaulerait dans son commerce et qui lui donnerait de nombreux enfants. Il en rêvait jour et nuit, il y pensait durant le travail et souvent son attention errait même quand on lui parlait. Avec les jours qui passent, il commence à perdre l’espoir en dépit de son habituel optimisme et bonne humeur.

 

         La cabane d’Anwar se trouve en bordure du vieux cimetière abandonné où il aime souvent se promener afin de se recueillir de se débarrasser des  pensées qui le tracassent. Le marbre blanc, rose et gris des tombes et les mausolées créent une ambiance paisible et sereine, loin du bruit et des querelles des gens du quartier. Il chérit une tombe en particulier, celle d’un saint Hadj Abou el Ahlam, mort il y a une centaine d’années, et dont la sépulture est entourée de  plusieurs stèles contenant des citations du Coran.

 

         Ce soir, Anwar est particulièrement pensif et il s’assoit à son poste favori pour admirer le coucher du soleil qui teinte tous les marbres d’or. Il se met à lire les citations comme à l’accoutumé et à y réfléchir pour exercer son esprit. On lui avait dit une fois que si un homme se concentre à lire des maximes ou des pensées religieuses, il améliore ses chances d’aller au paradis et d’éloigner de lui le mal.

 

Il ne peut pourtant pas mettre de l’ordre dans ses pensées qui tourbillonnent sans cesse dans sa tête et qui l’inondent d’images de celle qu’il désire ardemment. Il appuie sa tête sur une stèle derrière lui et lève ses yeux vers le ciel qui lentement s’obscurcit. C’est alors que comme dans un nuage diaphane lui apparait un djinn grimaçant qui s’adresse à lui d’une voix grêle.

_ Anwar, pauvre mortel. Ne crains rien. Je ne t’apporte que de bonnes nouvelles. Dieu dans son immense Miséricorde veut t’octroyer un privilège miraculeux. Es-tu prêt?

_ Moi? Quoi? balbutie Anwar épouvanté et surpris en même temps.

_ Oui, toi Anwar. Tu auras tout ce que ton cœur désir et plus encore, mais à la première faute que tu commettras, tout disparaitra et tu perdras ce que tu auras obtenu.

_ Comment? Es-tu en mesure de combler mes vœux? s’écrit le jeune homme en se levant brusquement.

_ Le Seigneur connait tes pensées les plus secrètes. Veux-tu prendre ce risque de tout avoir et de tout perdre?

_ Mais qu’est-ce qu’il me sera défendu de faire?  Comment vais-je savoir si mes actes sont acceptables? s’agite Anwar.

_ Tu le sauras et il sera peut-être trop tard…ricane le djinn.

 

Dans un souffle chaud comme le khamsin du désert, le djinn disparaît aussi vite qu’il était apparu. Anwar interloqué, reste bouche-bée pendant que lentement tout autour de lui s’érigent les hauts murs de marbre d’un palais comme dans les mille et une nuit rempli d’objets d’art et de merveilles. Des jardins en fleurs entourent la demeure digne d’un roi et des fontaines aux doux murmures qui se mêlent au gazouillis et au chant des oiseaux rares qui font leurs nids dans les arbres. Un parfum capiteux et enivrant enveloppe Anwar et le grise, quand surgit devant lui la femme la plus belle au monde. C’est elle, celle qu’il avait imaginée, là devant lui, la princesse de ses rêves,  souriante, vêtue de voiles tissés dans la soie et avec des fils d’or.

 

Anwar ne peut croire à son bonheur et admire les riches habits taillés dans de merveilleuses étoffes qui le couvrent des pieds à la tête. Noura, la jeune princesse s’approche de lui et agit naturellement comme si elle avait toujours été son épouse adorée et il remercie le Dieu Tout Puissant qui l’a comblé.

 

Les premiers jours passent dans le plus grand bonheur possible pour Anwar qui remercie Dieu sans cesse de lui avoir donné tant de félicité. Il ne supporte à aucun prix d’être séparé de sa femme et fait de tout pour la couvrir de bijoux et de merveilles. Petit à petit, une transformation se fait en Anwar qui ne prie plus Dieu chaque jour comme il le faisait au début. Par malheur, sa personnalité commence à changer et il exige de plus en plus de richesses et de pouvoir. Anwar devient très puissant et contrôle les commerçants et les politiciens du pays. Pourtant, cela ne lui suffit pas, malgré les conseils de sa femme et même en dépit de ses supplications, Anwar prend des décisions cruelles et sans pitié. Il impose des taxes et exige des payements de dettes avec intérêt, ce qui n’est pas acceptable selon la religion. De plus, il écrase ceux qui ne peuvent pas payer leurs dettes et ils sont réduits à un cruel esclavage.

 

Les changements, lentement marquent aussi  le physique d'Anwar. Il enlaidit de jour en jour et son regard devient cruel et sadique. Son visage se creuse de rides autour des yeux et de la bouche. Il perd sa bonne humeur et se plaint continuellement car rien ne le satisfait. Il n’y a plus personne qui veut s’associer à lui et ses ennemis augmentent de jour en jour. Anwar est tellement certain de son pouvoir qu’il ne comprend pas sa métamorphose et qu’il  dépasse les limites annoncées par le djinn. Il refuse de prêter attention aux conseils de la princesse Noura qui s’inquiète en vain, parce qu’Anwar a perdu toute mesure d’humanité.

 

Un beau jour, Anwar ouvre les yeux, pour constater que toutes ses richesses s’étaient  évanouies sans laisser de traces. Il est réduit à nouveau à la misère dans sa petite cabane, malheureux et solitaire, la princesse ayant disparue du jour au lendemain. Anwar, se lamente, et trop tard comprend qu’il avait commis la pire des fautes en étant cupide, avide et égoïste. Il demande pardon à Dieu et se prosterne en lamentations, mais aucun signe de pardon ne vient de la part du Créateur pour apaiser sa souffrance. La perte de sa compagne est quand même le plus grand et le plus cruel malheur qui le frappe. Il erre comme une âme en peine, sans repos, sans sommeil et tremblant de douleur.

 

Dans le quartier on l’appelle Anwar El Magnoun, le fou parce qu’il passe ses jours et ses nuits à chercher Noura. Il demande aux passants des nouvelles de sa femme et tous les habitants du voisinage le plaignent mais ne peuvent rien pour lui. A moitié mort de faim, couvert de haillons et désespéré Anwar vit dans le cimetière ayant perdu sa cabane et tout ce qu’il possédait. Sa situation devient intenable et il gémit sans cesse en allant de maison en maison insistant à voir sa femme. On le chasse de partout  à cause de son incohérence et de ses propos souvent violents.

 

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Le jour se lève, c’est une aube d’hiver et une pluie fine et froide enveloppe le cimetière. Il pleut rarement ici mais quelques fois en hiver, le ciel a pitié et la pluie abreuve  la terre sèche et aride. Les pierres tombales brillent sous la pluie et une brume grise empêche de voir clairement. Sette Hafida, la veuve du Hadj Omar, vient chaque vendredi se recueillir sur sa tombe. Elle marche avec peine sur ses jambes douloureuses à cause de l’arthrite qui la fait souffrir. Sette Hafida s’appuie lourdement sur une des stèles non loin de la tombe de Hadj Abou el Ahlam. Elle regarde à terre, surprise d’y trouver Anwar le vendeur des paniers d’osier. Pour un moment elle croit au pire car l’homme ne bouge pas et semble mort.

 

_ Anwar, Anwar lève-toi, il fait jour déjà et si tu as passé la nuit ici tu seras certainement malade.

La voix chevrotante de la vieille n’est pas assez forte pour réveiller l’homme et elle se penche vers lui pour lui tirer la manche. Anwar ouvre un œil malgré la peur qui le tiraille et constate qu’il est couché sur une tombe au cimetière et qu’il est trempé jusqu’aux os. Il sursaute et fait face à Sette Hafida  qui lui sourit et l’encourage à rentrer chez lui. Il reste muet car il ne pense pas avoir de maison. 

 

_ Allons vendeur de panier, tu es toujours rêveur, c’est parce que tu ne t’es pas encore marié! Va chez toi jeune homme. Moi, je reste quelques instants auprès de mon cher disparu et ensuite ma petite-fille vient me chercher.

_ Sette Hafida, tu me connais n’est-ce pas? Est-ce que je suis encore le vendeur de panier qui possède une échoppe au Midan Antar? demande Anwar en tremblant.

_ Mais qu’est-ce que tu dis jeune homme? Tu ne sais pas qui tu es?

Oh! Ces jeunes jouent des jeux incompréhensibles. La vieille se traîne vers la tombe de son mari et s’assoie sur une des pierres tombales renversées pour reprendre son souffle. Ce cimetière tombe en ruine et il n’y a personne qui s’en occupe, je risque chaque fois de tomber…

 

         Elle regarde Anwar, qui debout en face d’elle semble rêver encore mal réveillé. Sette Hafida pointe son index crochu vers le jeune homme en l’agitant et lui reproche.

         _ Tu vois toi, tu aurais dû être déjà marié. Une femme pourra t’aider dans ton échoppe, tu gagnerais plus d’argent et tu pourrais faire réparer ce cimetière.

         _ Crois-moi Sette Hafida que je le ferais de grand cœur si seulement j’avais  de l’argent…

         _ Vous les jeunes vous promettez toujours mais vous oubliez vite,

bougonne la vieille dame en se levant. Elle s’appuie sur le bras d’Anwar en marchant lourdement. Le jeune homme commence à comprendre que ce qu’il venait de vivre n’était qu’un rêve. Il est certainement heureux de la tournure qu’ont pris les événements mais il éprouve une douleur lancinante en se rendant compte qu’il était encore célibataire.

 

         Sette Hafida lui tapote la main en lui faisant remarquer qu’il rêvassait encore et qu’il ne l’écoutait point.

         _ Merci jeune homme de m’avoir accompagnée. J’achète toujours tous mes paniers de chez toi. Voilà enfin la petite qui vient me chercher, ce n’est pas trop tôt fillette.

Elle montre du doigt le grillage qui forme le portail du cimetière où la silhouette d’une femme attend immobile. Son visage est voilé et Anwar demande à la vieille si c’est sa petite-fille et pourquoi elle porte un voile si opaque.

_ Ya Sette Hafida, est-elle si laide la petite qu’elle cache ainsi son visage? Comment peut-t-elle voir en marchant?

_ Oh! Celle-là avec ses idées « modernes ». Elle ne veut pas s'exposer  de peur qu’un homme la demande en mariage. Elle a rendu folle Fatma la marieuse. Elle prétend elle, choisir son futur époux. Elle a des idées fixes cette tourterelle. Où est la tradition qui de mes jours formait la base de la société?

 

Arrivés au portail à la sortie du cimetière, Anwar et la vieille s’arrêtent, il s’apprête à prendre congé d’elle sans même regarder la jeune fille. Cette dernière s’adresse à lui.

_ Merci d’avoir aidé ma grand-mère. Qui es-tu?

Elle ajoute d’une voix douce et Anwar se retourne vers elle étonné.

_ Je suis le vendeur des paniers d’osier. Tout le monde me connait. Mais toi comment t’appelles-tu? Je ne pense pas t’avoir déjà vue…

_ Tu t’appelles Anwar? Sa demande est à peine perceptible. 

Curieux, le jeune homme ne répond pas mais il la questionne.

_ Pourquoi portes-tu ce voile? Que caches-tu jeune fille? Es-tu défigurée?

_ Non, je cache mon visage car je ne veux pas qu’un homme outre que mon élu m’oblige à l’épouser. Je reconnaîtrai mon époux…

_ Toutes ces balivernes fillette j’en ai marre de les entendre… s’exclame Sette Hafida. Allez ramenez-moi à la maison je suis fatiguée ma fille! Viens avec nous Anwar je vais te faire une tasse thé.

 

Sans protester, Anwar, pris d’un désir incontrôlable de voir le visage de la jeune fille, les suit en silence. Sette Hafida habite une maisonnette que son mari, Hadj Omar, professeur de Coran à l’université du Caire lui avait laissée. C’était un homme d’une grande renommée qui avait écrit plusieurs livres et composé des poésies que tout le monde connaissait.

 

La servante qui ouvre la porte s’étonne de voir un homme entrer dans la maison avec sa maîtresse. La vieille gesticule avec force et demande à se faire servir le thé dans le jardin. Elle invite avec insistance le jeune Anwar à entrer avec elle pendant que la jeune fille disparaît dans une des chambres de la maison. Anwar ressent le vide soudain causé par son absence et ne comprend toujours pas les émotions qui l’émeuvent de cette étrange manière.

 

Sette Hafida et Anwar s’installent au jardin pendant que la servante s’affaire avec le plateau de thé suivit de confitures, de verres d’eau bien fraîche et de petits gâteaux qu’Anwar aime beaucoup mais qu’il ne peut se  permettre  que pendant les fêtes du Ramadan.

Sette Hafida le regarde de ses petits yeux plissés et pleins de vie. Elle le toise d’un air pensif et finalement se prononce.

_ Tu es un homme intelligent même si tu es aussi un peu naïf Anwar. Je crois que tu sais que dans la vie rien n’est laissé au hasard. Le Tout-Puissant possède un plan que nous ne connaissons pas et chaque personne que l’on rencontre joue un rôle dans notre vie. Ce n’est vraiment pas par accident que je suis venue au cimetière aujourd’hui.

 

Fasciné par les propos qu’elle lui tient, Anwar se sent envahit d’un sentiment extraordinaire qu’il n’arrive pas à définir. Il ne peut contenir ses battements de cœur et il respire avec peine tout en l’écoutant. Il ne peut s’expliquer cette émotion.

_ Je t’ai vu hier allé au cimetière comme à ton habitude. J’ai remarqué que tu t’es assis sur la tombe du saint de notre quartier Hadj Abou el Ahlam. As-tu jamais pensé à son nom? El Ahlam - les rêves, oui les rêves. On dit que de temps à autre il provoque des rêves prémonitoires à ceux qui viennent l’implorer. C’est là où tu t’es endormi hier soir n’est-ce pas?

_ Oui, je pense. Mais je ne m’en suis pas rendu compte. En fait, ce n’est que lorsque tu m’as réveillé que j’ai compris que j’avais rêvé. Sais-tu de quoi j’ai rêvé?

_ Ecoute je ne suis quand même pas clairvoyante, mais je me doute. Il y a une morale cachée dans chaque rêve.

_ Tu as raison, c’est ça. Grâce à ce rêve j’ai compris qu’il ne fallait pas envier son prochain et qu’il fallait se suffire de ce que le Seigneur nous a donné. La richesse accumulée par la tricherie et le profit n’apporte pas le bonheur. Mais ce que j’ai vraiment appris c’est surtout que rien ne vaut l’amour et la compagnie d’une personne aimée.

_ Tu es un bon élève Anwar. Tu fais preuve d'une grande sagesse.

_ Sette Hafida ce dont j’ai toujours rêvé c’est d’une jeune fille toute faite pour moi. Je la cherche depuis longtemps. Je l’ai vu dans ces visions cette nuit et je connais même son nom.

Anwar soupire et des larmes perlent sur ses cils noirs. Émue, la vieille lui sourit tendrement.

_ Je te crois mon fils. Je pense que cette jeune fille elle aussi connait ton nom puisque ce genre de rêve se fait à deux.

 

Elle ne lui laisse pas le temps de  s’exclamer ou de poser des questions. Elle le regarde comme si elle était sur le point d’ajouter quelque chose quand à ce moment sa petite-fille arrive, le visage toujours couvert. Anwar se lève brusquement de sa chaise et s’avance vers elle. Elle ne recule pas et le laisse tirer le voile épais qui cache ses traits. Elle apparait dans toute sa splendide beauté, rayonnante et sans crainte.

 

Ils restent tous les deux figés à se regarder sans qu’une parole ne soit échangée. Ils se reconnaissent et Anwar surmonte sa surprise et s’écrit « Noura! ». Après tant d’années leur attente a été récompensée. La vieille dame heureuse les pousse l’un dans les bras de l’autre et ajoute en murmurant.

_ C’était clair comme le jour. Anwar et Noura sont deux mots issus de la racine « nour » lumière. C’était donc écrit, leur destin était de se retrouver. Moi, j’ai simplement aidé un peu leur « Kisma », le destin.

 

 

 

Aout 2010

 

LA STATUE DE RAMSÈS II

 

Ramsès II était l’un des monarques les plus puissants de l’ancienne Egypte, roi de la 19ieme dynastie, il fut non seulement un vaillant guerrier, mais aussi un excellent stratège, infatigable constructeur et brillant politicien. Ramsès II régna environ soixante sept ans sur l’Egypte et fit construire d’énormes temples et monuments qui existent encore aujourd’hui. Une de ses effigies, énorme statue de granite, construite il y a plus de 3 200 ans et pesant plus de 83 tonnes fut transportée de la Haute Egypte à la gare centrale au Caire.

Tous les jours, pour me rendre à l’école, je passais par la gare et je voyais cet immense colosse, debout rigide, avec son regard perdu dans le vide. Pourtant cela ne me semblait nullement le regard d’un rêveur, mais bien d’un conquérant. C’est comme s’il surveillait ses territoires conquis avec un air de propriétaire incontesté. Je crois aussi que la position de la statue avec un pied en avant lui donnait cet air résolu d’un homme décidé et intrépide qui avance vers l’avenir.

Le fait est que l’on ne peut s’empêcher de penser à la fragilité de l’homme, puisqu’ une chose concrète, tel un objet de pierre ait pu survivre au-delà de toutes les conquêtes des hommes les plus puissants.  Et maintenant, la pollution risque de détruire ce que les siècles passés n’ont pu achever : la détérioration de la pierre et la destruction d’une grande œuvre d’art!

Une fois la décision prise par les autorités égyptiennes, la statue de Ramsès II, pharaon tout puissant, conquérant et victorieux doit être déplacée.  C’est avec respectueuse pompe et admiration que les habitants du Caire ont pu suivre pas à pas le cortège qui accompagna le transfert de la statue de la gare du Caire au musée des pyramides. Comme il se doit, Ramsès II eut son moment de gloire pour rejoindre un sanctuaire où il sera à l’abri des méfaits de nos temps modernes!

Le peuple égyptien a toujours été respectueux de son glorieux passé et des monuments qui le symbolisent malgré le fait que cela contrastait avec leurs croyances religieuses. Ils n’ont jamais cherché à s’identifier avec les anciens non plus, mais conscients de l’importance de leur propre histoire, leurs auteurs, scientifiques, historiens et gouvernants se sont donnés bien du mal afin de protéger leur héritage.

Dans sa nouvelle demeure, le grand pharaon, roi d’un empire, constructeur d’Abou Simbel, le guerrier royal qui mena à la victoire de Kadesh les armées de son pays, Ramsès II tiendra sa cour dans un musée au niveau de sa gloire incontestée.

 

 

 

15 Avril 2010

A Song To Life

 

Sing a song of joy, a song to life,

In spite of pain, sadness or strife.

We're here one day, gone tomorrow

And our share of tears and sorrow.

Yet, to grieve for long is not wise,

The sun itself again must rise!

 

Sing a song of joy, a song to life,

In spite of pain, sadness or strife.

For every friend and lover's sake,

For a child's smile, river and lake,

For every being that suffers and cries,

For those left when a beloved dies.

 

Sing a song of joy, a song to life,

In spite of pain, sadness or strife.

Hold the hand of the lost soul

Whose spirit awaits this call,

Show him the narrow way,

Lead him if he goes astray.

 

Sing a song of joy, a song to life,

In spite of pain, sadness, or strife.

This song to life should soon,

Like a gusty wind, a tai-foon

Sweep the whole universe.

The song will break the giant wall

Erected by ignorance and fear, and the call

Of violence, should be heard no more,

Because the song will rule for evermore!

 

 

 

 

 

 

Décembre 2009

 

QUAND LE DESTIN FRAPPE

 

Cela fait des années que Fares Wassef et deux de ses amis Adel Hakim el Masri et Mahrous Ahmad Wakil  se rencontrent chaque mois afin de se raconter des événements et des faits divers. Ces trois amis d'enfance éprouvent un vif plaisir à étudier les cas qui les passionnent, échanger leurs expériences respectives et ainsi approfondir leurs connaissances de la nature humaine

 

_ « Cherchez la femme! » s’exclame Fares, cette expression française dit tout! Oui, mes amis, les femmes font notre malheur et notre bonheur. Le récit que je vais vous faire aujourd’hui, remonte à quelques années. Cette histoire n’a jamais fait la "une" des journaux et elle est venue à ma connaissance à travers mon père.

Fares Wakil est à la tête de la police secrète du Caire et ses confidences se réfèrent le plus souvent à des crimes perpétrés dans le passé. Il a accès à toutes sortes de filières et c’est son passe- temps favori de revoir les cas les plus difficiles et d’essayer de trouver des solutions.

Adel Hakim el Masri est un avocat qui a fait son chemin dans la haute société égyptienne en dépit de ses modestes origines. Il s’occupe surtout d’héritages, de mariages et de séparations.

Mahrous Ahmad Wakil est un industriel immensément riche et puissant avec des connections politiques au plus haut degré.

Ce mois-ci, c’est le tour de Fares de narrer son récit.

 

_ Comme je disais donc mes amis, il s’agit d’un cas vécu par mon père. Je tiens de lui tous les détails importants.  

Il s’arrête un moment avant de continuer et Adel profite pour poser une question.

_ Est-ce que nous connaissons les personnes concernées?

_ C’est possible mais j’ai changé les noms par discrétion. J’ai choisi  Amina pour la jeune femme, comme vous savez cela veut dire « croyante » et pour le jeune homme c’est Habib « l’aimé ». Vous allez donc juger si ces noms les décrivent bien. J’aimerais attirer votre attention sur le fait que cette histoire réunit trois aspects très importants dans notre culture. Notre fatalisme ou la prédestination, la loyauté envers la famille qui passe avant tout, et finalement le sens de culpabilité qui impose le châtiment.

 

« Bon, pour commencer, il s’agit de Mahmoud Abboud, un riche propriétaire terrien qui arrivé à l’âge de cinquante ans tombe amoureux d’une jeune et jolie secrétaire. Une histoire toute banale n’est-ce pas? Il la courtise et la poursuit sans trêve mais la jeune fille Amina, se dérobe et résiste à ses attentions. Il apprend qu’elle a une vieille mère et un frère infirme qui voudrait s’inscrire à l’université. Amina travaille afin de pouvoir payer les frais d’hôpitaux et les études de son frère Omar. Elle était employée par mon père dans son bureau d’avocat et tout le monde l’aimait. C’était une jeune fille sérieuse et appliquée avec un exemplaire sens de responsabilité vis-à-vis de sa famille. »

 

Fares continue son histoire d’une voix calme et posée.

 

«  Mon père tente de raisonner avec Mahmoud mais ce dernier ayant complètement perdu la tête propose le mariage à Amina. Elle refuse en lui disant que bien qu’elle soit flattée par son attention et sa proposition, elle ne peut accepter puisqu’elle a déjà  un fiancé. Mon père horrifié rappelle à son ami qu’il ne peut pas prendre une deuxième épouse bien que cela soit permis par l’Islam. La raison était bien simple, le père de Souheir Hanem la femme de Mahmoud, homme prévoyant et très riche, lui avait fait signer un contrat avant le mariage. Ce contrat stipulait que si Mahmoud prenait une seconde femme, l’énorme fortune qu’il mettait à sa disposition serait confisquée. Donc, la situation semblait très grave et mon père s’évertuait à l’expliquer à Mahmoud.

Au bout d’un certain temps, Mahmoud décide que pour convaincre Amina il doit lui prouver son amour. La meilleure façon c’est de faire opérer Omar et de payer tous les soins. Il se rend chez la mère d’Amina, Nazli Hanem à l’insu de la jeune fille et plaide sa cause. Lorsque la pauvre femme voit que Mahmoud paye tous les soins de son fils, elle ne peut résister et jure de faire accepter la relation à sa fille.

 

_ C’est classique mon cher! S’exclame Mahrous. La jeune fille est sacrifiée aux dépens de son frère. Mais alors il ne l’épouse pas!

_ Tu as raison Mahrous, réplique Fares. Mahmoud ne peut pas l’épouser mais il refuse de la perdre et la seule façon d’avoir la jeune fille c’est de faire pression sur elle  par le biais de sa mère et de son frère. Je continue le récit.

 

«  Mahmoud achète un appartement à la mère d’Amina, Nazli Hanem et l’installe avec Omar qui se remet des opérations chirurgicales subites. Il met à leur disposition des fonds modestes mais suffisants. Finalement le coup de grâce c’est lorsqu’il acquiert une belle villa à Alexandrie comme résidence pour Amina ».

 

 

_ Merveilleux! Interrompt Adel, la voilà ligotée comme un poulet que l’on va cuire. Amina donc accepte l’offre de Mahmoud?

_ Tout à fait mon cher. Sourit Fares en continuant son récit.

 

«  Amina donc capitule et entreprend les démarches afin de se transférer à Alex. Mon père la voit pour la dernière fois avant son départ et se rend compte que la jeune fille est loin d’être heureuse de la situation. Mais au moins sa mère et son frère sont en sécurité  et c’est la raison pour laquelle elle accepte le compromis.

Quelques jours plus tard, lorsque Mahmoud va lui rendre visite dans sa nouvelle villa au bord de la mer, il a un infarctus et c’est alors qu’Amina fait appel à mon père d’urgence et au médecin de Mahmoud. La tragédie secoue toute la famille et la pauvre Amina ne peut cesser de pleurer. Elle répète sans cesse « Je suis responsable. C’est ma faute. » Mais bien sûr qu’à ce moment, mon père ne peut penser qu’à une raison pour laquelle elle fait cette déclaration: son sens de responsabilité. Mahmoud pour ainsi dire était mort dans ses bras. Alors mon père s’est évertué à calmer Amina et à la consoler. 

Le décès étant constaté, la veuve et les enfants reprennent leurs vies interrompues. Amina ne retourne pas au Caire mais reste dans sa villa toute seule habillée de noir jusqu’à son dernier jour.

 

Fares s’arrête pensif et ses amis continuent à le regarder comme pour lui indiquer que l’histoire ne peut s’interrompre là. En effet, Mahrous est le premier à questionner.

_ Je ne comprends pas plusieurs points ici. En premier lieu pourquoi Amina ne cesse pas de pleurer et porte le deuil d’un homme qu’elle n’a jamais aimé? En second lieu, il me semble que tu avais mentionné au tout début que la jeune fille était fiancée. Était-ce vrai?

_ Cher Mahrous, quelle perspicacité !

 Voilà enfin la suite de l’histoire telle que mon père me l'a racontée

 

« Amina avait rencontré un jeune homme qui lui avait plu mais pendant plusieurs mois, ils n’avaient échangé que quelques paroles insignifiantes jusqu’au jour où enfin l’occasion s’était présentée et les deux jeunes gens avec émoi s’étaient avoué leur amour. Peu de temps après, Mahmoud et sa proposition avaient fait éclater la bulle de bonheur dans laquelle Amina vivait et espérait. Après avoir résisté à l’assaut de Mahmoud elle avait dû se rendre à l’évidence que devenir sa maîtresse restait la seule solution. Elle rompt avec son ami sans lui donner de raison et elle disparaît de sa vie. Le jeune homme, Habib, ne se rend pas pour si peut et se met en frais pour la retrouver. Finalement, un soir, il surgit à Alexandrie et frappe à la porte de la villa. Amina est choquée de le voir et après les premiers moments de surprise, elle supplie Habib de s’en aller avant l’arrivée de son amant.

Habib est furieux et lui demande de partir avec lui en lui promettant le mariage, mais elle refuse de l’écouter. Sur ces entrefaites, Mahmoud qui ce jour-là décide de retourner à Alex plus tôt, fait irruption dans la maison. Amina prise de panique éteint la lumière et force Habib à se cacher derrière un rideau. Mahmoud se doute de quelque chose et s’emporte contre Amina en rallumant la lumière. C’est à ce moment qu’Habib sort de sa cachette et que les deux hommes se font face. Mahmoud hurle en se ruant vers Habib qui recule horrifié. Amina n’entend qu’un mot : « Papa » et simultanément « Mon fils ». Habib fait un pas vers son père qui recule porte la main à sa poitrine et s’écroule sans mot dire à ses pieds.

Fiévreusement, Habib essaye de raviver Mahmoud mais ne réussit pas. Amina en pleurs lui reproche de ne pas lui avoir dévoilé son identité. Habib explique que la raison était qu’il ne voulait pas qu’une fille l’aime seulement pour son argent. A son tour, il lui rappelle qu’elle avait un arrangement scandaleux avec Mahmoud. Affligée par les accusations de Habib, Amina est obligée de lui énumérer ses raisons et les pressions de sa famille.

La première à se reprendre c’est la jeune femme qui supplie Habib de quitter la villa afin qu’elle puisse faire appel au médecin. Elle lui demande de partir en sautant par la fenêtre du salon afin d’éviter le « bawab » (concierge) qui n’était pas à son poste lorsque Habib était arrivé. Habib se rend à l’évidence qu’il n’aurait pas pu expliquer sa présence dans la villa et s’en va.

Ensuite, Amina fait appel à mon père, l’avocat de Mahmoud  et son employeur lorsqu’elle travaillait, elle sent qu’il est son allié. Le  médecin qui traite Mahmoud quand il se trouve à Alexandrie est également avisé et arrive aussitôt.

 

Fares, se lève pour se dégourdir les jambes et signale à ses amis de faire de même. Ils se rendent tous les trois sur le balcon de son appartement où une brise agréable les rafraichit. La domestique de Fares les rejoint avec un plateau de boissons froides et des petites friandises sont offertes.

_ « A’a gibane », c’est incroyable cette histoire! S’exclame Adel en mâchonnant sa « baklava ».  La jeune fille est victime dans tout cela et c’est à voir maintenant si le jeune Habib va aller de l’avant et l’épouser.

_ Oui, c’est vrai en fait continue Mahrous.  La pauvre fille est « mazlouma », victime de la famille et maintenant qu’elle a perdu son honneur devant Habib, cela doit certainement changer leur relation. J’imagine le choc des deux hommes, le père et le fils. C’est une situation terrible et je n’aurai pas voulu être à leur place. « Yestorna Ya rab » Qu’Allah nous protège!

_ Tout à fait mon ami, tout à fait. C’est choquant. Fares réplique tout en allumant un cigare. Bon, je ne vais pas vous laisser comme ceci en haleine. Je continue mon récit et vous allez juger si la fin pouvait être différente ou si le destin décide de tout.

 

« Quelques mois après la mort de Mahmoud, mon père décide de rendre visite à Amina. Il se rend à la villa et la trouve toujours triste, seule et vêtue de noir. Il lui demande si elle avait eu des nouvelles de Habib. La jeune femme le regarde de ses grands yeux noirs et lui demande si lui en tant qu’homme aurait accepté d'épouser une femme comme elle. Mon père lui demande de s’expliquer et Amina lui raconte l’histoire suivante.

«  Cher maître, je ne vous ai pas dit toute la vérité sur les événements de cette nuit fatale. Je suis bien punie maintenant et je dois purger ma peine comme si j’avais été arrêtée par la police. C’est ma punition sur cette terre. Ne m’interrompez pas. Il faut que je vous parle jusqu’au bout. Je ne savais pas que Habib était le fils de Mahmoud. Ça je le jure, et lui ne connaissait pas l’identité de Mahmoud. Mais après avoir accepté de vivre avec Mahmoud, je ne pouvais pas me résoudre à perdre Habib. Je lui téléphonais souvent et il me suppliait d’abandonner celui qu’il surnommait « cet homme » et de l’épouser à lui.

Les jours passaient et mon désespoir de vivre avec Mahmoud augmentait. Non pas qu’il ait été cruel ou méchant, mais c’était de vivre sans amour et de penser sans cesse à Habib. Je ne pouvais me résigner à passer ma vie enfermée dans cette villa qui me semblait être un tombeau. Je désirais tellement voir Habib que je n'ai  pas pu résister.  Je lui ai un jour donné mon adresse.

Quand il est venu me retrouver, j’ai compris que je n’aurais pu vivre sans lui et que lui non plus n’aurait accepté de me quitter. Dans le feu de nos discussions et de nos promesses d’amour éternel, je ne sais pas comment, il me dit qu’il allait tuer cet homme. Si c’était le seul obstacle à notre amour, il aurait le courage de le faire. Je ne sais pas ce qui m’a fait dire que j’étais d’accord parce que tout de  suite après je le regrettais et je voulais lui faire jurer de ne rien faire. C’est à ce moment que Mahmoud est arrivé. Je ne l’attendais pas et j’ai perdu la tête, j’ai caché Habib derrière un rideau et lorsque Mahmoud a fait irruption dans le salon, il a tout de suite compris que quelque chose n’allait pas. Habib est sorti brusquement de derrière le rideau et s’est rué vers lui. Mahmoud lui donnait le dos. Subitement, il se retourne et voit Habib avec son bras levé comme pour le frapper. Les deux hommes s’arrêtent d’un coup, sidérés, et Mahmoud s’écrit « Habib, mon fils! » et l’autre « Mon père! ».

Mahmoud s’écroule à terre d’un coup en portant une main vers sa poitrine tandis qu’Habib s’élance vers lui. Il tente de le raviver mais rien n’y fait. C’est à ce moment que je comprends la tragédie qui s’est jouée ce jour-là. Je l’ai vu dans les yeux de Habib qui comptait plus que tout pour moi. Son regard de chien battu  qui regardait son pauvre père à terre s’est transformé en un instant en éclat de haine. Nous avons transporté Mahmoud sur le sofa et j’ai appelé le médecin. Habib ne me regardait plus, il évitait aussi de me parler ou de me toucher.

Je lui ai proposé de partir avant que le médecin n’arrive afin d’éviter les questions et les mensonges. Il a accepté sans protester et sans  reprendre le discours sur notre relation. Depuis, je n’ai plus rien entendu de lui et je le comprends. Nous avons comploté de tuer son père et il est mort exactement comme si nous lui avions porté le coup fatal de nos propres mains.

Voilà, je paie pour mon crime en ce moment, je me sens responsable, si je n’avais pas appelé Habib, il ne serait pas venu me voir et nous n’aurions pas tué son père. C’est mon destin, c’était écrit que je devais payer pour guérir mon frère et vouloir mon bonheur à l’exclusion de celui de Mahmoud est un péché. »

 

Fares reste silencieux et avec lui ses camarades chacun perdu dans ses propres pensées. Avec un soupir Mahrous s’adresse aux autres.

_ Je vois bien les trois aspects desquels tu nous as parlé avant de commencer ton récit mon cher Fares et tu as raison. Cette histoire se serait terminée d’une autre manière si nous n’étions pas si fatalistes, n’est-ce pas?

_ Peut-être, réplique Adel. Je pense que ce fatalisme existe surtout chez les pauvres gens qui ne voient pas d’issues à leurs problèmes. Alors il est plus simple de tout accepter et de se résigner pour ne pas prendre de décisions ou pour ne pas agir.

_ C’est vrai d’une certaine manière, ajoute Fares. Dans le cas de notre Amina si Habib avait d’une façon ou d’une autre mentionné que son amour pouvait survivre à la tragédie, je pense qu’une autre fin aurait pu être possible. Sont-ils vraiment des criminels? Ont-ils tué Mahmoud? Méritent-ils d’être punis?

_ La réponse à ces questions réside en nous-mêmes chacun de nous suivant sa conscience. Conclut Mahrous.

 

 

 

Octobre 2009

SAVIEZ-VOUS QUE…

Quelques détails intéressants sur l’Egypte ancienne

Récoltés par Mimi de Castro

 

DEUXIEME ET DERNIERE  PARTIE

 

L'EGYPTE EN GUERRE

 

Le monde ancien était plein de peuples qui se déplaçaient, cherchant à occuper ou à conquérir de nouveaux territoires. Les Egyptiens devaient donc les repousser, mais eux-mêmes parfois étaient les conquérants.

         Un des devoirs du pharaon était de défendre les frontières du pays et d'assurer la sécurité du peuple. Au début, il n'y avait pas (une) d’armée nationale, mais en cas de besoin les gouverneurs des provinces recrutaient des soldats pour répondre aux besoins.

         Plus tard, au Moyen Empire, les pharaons formèrent une armée bien entraînée et équipée pour contrôler les routes commerciales. C'est ainsi qu'ils entrèrent en contact avec plusieurs peuples et occupèrent la Nubie.

          L'Egypte fut conquise par les Hyksos et occupée pendant 100 ans. Grâce à l'introduction du char d'assaut, les armées égyptiennes réussirent à chasser ce peuple et à s'avancer jusqu'a la Syrie et la Palestine, Israël d'aujourd'hui.

             L'empire était énorme, le peuple de Nubie adopta complètement le genre de vie des Egyptiens et ces derniers ont pu alors tirer grand profit des mines d'or de ce pays.

         Les peuples de l'empire devaient envoyer régulièrement des dons qui enrichissaient l'Egypte encore plus. Pour garder les peuples soumis, les Egyptiens prenaient chez eux les enfants des princes locaux en otage. Ils les traitaient très bien et les éduquaient pour les rendre fidèles à l'Egypte.

   Les Hittites étaient des peuplades nomades qui voulaient chasser les Egyptiens de Syrie, mais les pharaons Seti  1er et Ramsès II, réussirent à arrêter leur avance.

    Le dernier grand  pharaon guerrier, Ramsès III, sauva l'Egypte, mais ceux qui furent ses successeurs ne purent pas garder l'empire.

         On ne peut pas vraiment dire que la civilisation égyptienne fut marquée par l'esprit de la guerre comme le furent tant d'autres peuples de l'Orient.

 

SCRIBES ET SAVANTS

 

Le meilleur métier en Egypte était celui de scribe: il apportait la puissance et la sécurité.   En général, pour devenir scribe, il fallait pouvoir se payer les études. C'était un long apprentissage qui commençait à l'âge de quatre ans pour s'achever à seize ans.

         Comme tout en Egypte était écrit, noté et documenté, le travail du scribe était extrêmement important. Il y avait des écoles de scribes  attachées aux  palais et aux temples. Les gens riches pouvaient engager un maître pour instruire leurs enfants et ceux de leurs amis.

         Après avoir appris(t) à écrire, certains jeunes allaient dans d'autres écoles pour faire des études plus importantes. Un bon scribe pouvait atteindre de hauts emplois, et même devenir un ministre de pharaon.   Il y avait l'étude de l'astronomie pour apprendre à naviguer dans la bonne direction et établir le calendrier. Les Egyptiens étaient capables d'opérer les calculs les plus compliqués. En géométrie, ils pouvaient tracer un angle droit et calculer des surfaces et volumes, bien avant d’autres peuples.

         Les médecins utilisaient des prières et des formules magiques mais ils avaient une bonne connaissance du fonctionnement du corps humain. Certains d’entre eux étaient des spécialistes et soignaient seulement une partie du corps ou un type de maladie.  Les médecins Egyptiens étaient reconnus dans tout le monde antique. Ils avaient une excellente réputation pour être des hommes  de science d'une grande (habilité) habileté.

 

COMMERCE ET VOYAGES

 

Nation très civilisée, l'Egypte n'était pas isolée. Grâce à sa grande richesse, elle commerçait activement avec d'autres pays.  L'Egypte, avec son sol fertile avait un surplus de nourriture destiné à l'exportation. Du désert, les Egyptiens retiraient des blocs de pierre pour la construction. Ils trouvaient aussi des pierres semi-précieuses pour la joaillerie, ainsi que du cuivre et de l'or pour les outils, les armes et les objets de luxe. Ils produisaient aussi des cordages et des rouleaux de papyrus.

         La seule chose que l'Egypte n'avait pas et qui leur était nécessaire, était le bois. C'est pour cela qu'ils importaient du Liban des grands cèdres, qu'on transportait par mer. De cette même région provenaient la résine, l'huile, l'argent, les esclaves et beaucoup plus tard les chevaux.

         La Nubie était très importante et fournissait à l'Egypte des esclaves, du cuivre, du bétail, des pierres pour la construction et des améthystes. D'autres produits du Sud, passaient par la Nubie: c'était l'ébène, l'ivoire, l'encens, les plumes d'autruche, les peaux d'animaux et les animaux vivants.

          Durant le Nouvel Empire, la Nubie fournit le produit le plus précieux, l'or, extrait des mines que les Egyptiens avaient ouvertes. De tous les peuples conquis par l'Egypte, les Nubiens étaient les seuls qui avaient abandonné leurs lois et religion pour adopter complètement la façon de vivre des Egyptiens.

         Les gens riches voyageaient sur l'eau. Les Egyptiens construisaient des bateaux de toutes sortes. Ils circulaient sur le Nil, sur la mer Méditerranée et la mer Rouge.

         Pour les voyages par voie de terre, les riches utilisaient des chaises à porteurs, posées sur les épaules de leurs serviteurs. Au Nouvel Empire, on employait des chars, mais tous les gens ordinaires marchaient. Il n'y avait pas de(s) véhicules à roues, on ne voulait pas sacrifier des terres fertiles pour construire des routes. Les charges légères étaient portées à dos d'homme, ou à dos d'âne dans des paniers. De lourdes charges, telles que les pierres pour la construction, étaient transportées aussi loin que possible par voie d'eau, puis posées sur des traîneaux qu'on tirait.

         Le chameau ne fut introduit en Egypte que vers la fin du Nouvel Empire, sous les dernières dynasties.

 

LES DIEUX

 

Les Egyptiens adoraient des dieux nombreux et variés ayant parfois une forme bizarre. Voilà quelques détails au sujet des dieux principaux.

Osiris, dieu des morts et maître de l'au‑delà, était aussi considéré comme le dieu du Nil et de la végétation renaissante. D'après les légendes égyptiennes, il aurait été autrefois le roi d'Egypte, avec sa soeur Isis comme épouse et reine. Mais Seth, le jeune frère d'Osiris jaloux de sa bonté et de sa sagesse, amena Osiris à se coucher dans un coffre qu'il ferma et lança dans le Nil. Après bien des aventures la fidèle Isis retrouva le coffre. Mais Seth, coupa le corps de son frère en morceaux et les jeta dans le fleuve. Isis repartit à la recherche des morceaux et reconstitua le corps en lui donnant la vie par magie. C'est comme cela qu'Osiris devient dieu de l'au‑delà.

Horus, le fils d'Osiris et d'Isis tue son oncle Seth et devient roi d'Egypte.  Les pharaons se considéraient comme les descendants d'Horus, dieu solaire. Isis, divinité très populaire avait des rôles bienfaisants, protégeant spécialement la famille et les enfants.

AMON, puissant dieu de Thèbes était identifié avec le dieu solaire Rê ou Râ. Il porte sur la tête le disque solaire. La barque sacrée d'Amon était transportée en procession au cours de fêtes religieuses. Elle symbolisait la course du soleil.

THOT, le dieu de la sagesse et de l'écriture, était généralement représenté avec une tête d'ibis. Les Egyptiens pensaient qu'au jugement des morts il présidait à la pesée du coeur du défunt et qu'il inscrivait le résultat.

APIS, le taureau sacré des Egyptiens, était un des nombreux animaux qu'ils adoraient.

ANUBIS, le dieu chacal, présidait à toutes les cérémonies qui faisaient passer le mort à l'au‑delà. Les Egyptiens avaient remarqué la présence des chacals près des tombeaux.

TAWERET, la déesse de la naissance, était souvent représentée sous la forme d'une femelle d'hippopotame enceinte. Elle était  considérée comme une déesse bienfaisante qui veillait sur la santé des mères et des enfants.

                                   

AMON‑RE, grand dieu officiel du Nouvel Empire. Il était le dieu de Thèbes et quand cette ville était puissante, il devint associé avec Rê

ATON, dieu unique, représenté par le disque solaire, avait été imposé par Akhenaton sans succès. Il  resta  dieu d'une religion secrète.

HATHOR, c'était elle la déesse mère de l'amour et du bonheur, de la danse et de la musique. Elle était souvent représentée sous la forme d'une vache.

 

LA MORT ET SES RITES

 

         Chaque Egyptien croyait qu'il jouirait d'une vie éternelle après la mort. Les tombeaux étaient remplis de meubles, de nourriture, de vêtements et de toutes sortes d'autres choses qui devaient assurer au défunt une existence aussi confortable que sa vie sur terre. On lui donnait également toutes sortes d'instructions nécessaires pour qu'il arrive en toute sécurité à l'autre monde.  Les Egyptiens aimaient la vie et la gaieté, mais ils croyaient qu'ils pouvaient emporter tout cela avec eux après la mort.

         Comme on ne pouvait pas placer dans un tombeau assez de biens pour une vie éternelle, les Egyptiens mettaient dans le tombeau des figurines et des peintures représentant la vie quotidienne. Ils croyaient qu'avec des  prières spéciales on pouvait donner la vie à toutes ces scènes afin d'assurer au mort un bonheur éternel.       

          Les Egyptiens pensaient qu'il était très important de conserver le corps du défunt en bon état pour que son âme revienne afin d'assurer sa survie. Ils ont donc développé  une méthode bien compliquée pour traiter les corps des riches Egyptiens. Les embaumeurs travaillaient sur le corps pendant 70 jours. Au bout de ce temps, la momie du défunt était placée dans un sarcophage et les cérémonies des funérailles se déroulaient pendant plusieurs jours.

         Au début de l'Ancien Empire, on croyait que le pharaon défunt rejoignait le dieu solaire Ré (Ra)  et traversait chaque jour le ciel dans sa barque sacrée. A la fin de l'Ancien Empire, on commençait à croire que le pharaon défunt s'unissait à Osiris, le dieu des morts. Ainsi les Egyptiens de tout rang se tournèrent vers Osiris comme vers leur espoir de vie éternelle.

         Dans un papyrus, LE LIVRE DES MORTS, les Egyptiens, décrivent en détails les événements qui ('ils pensaient) d’après eux, suivaient la mort. Le défunt devait d'abord traverser un fleuve avant d'entrer dans le royaume d'Osiris.  Là, des obstacles et des embûches l'attendaient, mais il pouvait les déjouer grâce aux conseils du Livre des morts, transcrit sur du papyrus et déposé dans le tombeau. Ce livre indiquait la route à suivre, les formules magiques à réciter et les réponses nécessaires à toutes les questions qu'on lui poserait.

         Parvenu dans la salle du jugement, le défunt était reçu par Horus, fils  d'Osiris. Il devait répondre aux questions des 42 juges du tribunal.    Enfin, c'était le tour de la cérémonie de la pesée du coeur. Le dieu chacal Anubis, gardien des morts, comparait le poids du coeur au poids d'une plume, symbole de vérité. Le coeur d'une personne qui a commis(t) beaucoup de fautes et de péchés était plus lourd que la plume. Alors son propriétaire était puni ou dévoré par un monstre, tandis que la personne dont le coeur était léger était récompensée par une vie éternelle de bonheur dans l'au‑delà.

 

LES TEMPLES

 

Un temple devait être une demeure digne d'un dieu, construite en pierre pour durer, avec un luxe que l'on reniait aux simples mortels. Les prêtres y consacraient leur vie à la satisfaction des besoins du dieu.                              

          Le temple était considéré comme la demeure des dieux; on le divisait en trois parties distinctes: d'abord il y avait une cour ouverte dans laquelle le peuple pouvait entrer, puis une salle bordée de colonnes où les prêtres pouvaient entrer. Enfin, le sanctuaire était l'appartement privé des dieux. On trouvait aussi des salles dans lesquelles on entreposait les divers objets qui servaient aux prêtres pour les cérémonies religieuses.

 

LE RITUEL QUOTIDIEN

 

         Un service religieux n'était pas seulement pour adorer le dieu ou prier au pied  de sa statue. Les Egyptiens croyaient que les dieux avaient besoin, tout comme les hommes, de nourriture, de vêtements et d'un abri. Les prêtres offraient à la statue de l'eau pure, de l'encens, des vêtements et bijoux, et de la nourriture; le dieu pouvait ainsi se laver, se parfumer, s'habiller et se nourrir.

         Les Egyptiens, riches ou pauvres visitaient souvent les temples. Ils portaient aussi des amulettes en guise de protection et installaient dans leurs maisons des petits sanctuaires pour honorer les dieux.

         Les Egyptiens croyaient que les dieux pouvaient venir sur terre ou faire entrer leur esprit dans le corps de n'importe quel être humain ou objet, rocher, statue ou animal. C'est ainsi que si un dieu résidait sur la terre on pouvait faire appel à lui par l'intermédiaire de l'objet ou de l'être vivant dans lequel il se trouvait. On gardait des animaux sacrés qui appartenaient à un dieu spécifique dans des sanctuaires.      

         A certaines époques de l'année, les prêtres récitaient des prières pour que l'esprit du dieu entre dans le corps de l'animal. Les prêtres posaient des questions importantes aux animaux qui répondaient en hochant la tête ou en mangeant ou en donnant des signes que les prêtres interprétaient.   On appelait cela un oracle. 

 

LE NIL ET SES DONS

 

        La prospérité, la puissance et la civilisation de l'Egypte dépendaient du Nil. C'est lui qui rendait le désert fertile. Les Egyptiens n'ont jamais oublié cette dette. Le Nil est le fleuve le plus long du monde. Il atteint 6 700 km. Il conduit, à travers un désert et jusqu'à la Méditerranée, des eaux provenant des régions tropicales et humides de l'Afrique.

        Ce fleuve est formé de deux branches principales, le Nil Blanc et le Nil Bleu qui se rejoignent à l'emplacement de la ville de Khartoum, au Soudan. Le fleuve coule parfois le long de falaises, et en six endroits, son lit est encombré de rochers. Ce sont les cataractes, ou des rapides qui empêchent ou gênent la navigation.

        Ensuite, le fleuve s'écoule dans une plaine plate, et sa vallée forme les terres fertiles de l'Egypte. Cette zone n'a généralement que quelques kilomètres de largeur. L'espace cultivable y est si précieux que les villes et villages sont construits en bordure du désert.  Au‑delà du Caire, le fleuve se divise en plusieurs bras avant de se jeter dans la Méditerranée. Il forme ainsi une zone marécageuse triangulaire, appelée le Delta.

        Chaque année, à la fin de l'été, des pluies torrentielles tombent sur le plateau Ethiopien et envoient d'énormes quantités d'eau dans le Nil Bleu. Cette eau arrivée en Egypte recouvre les champs tout le long de la vallée du Nil et dépose une boue fertilisante. (Ce n'est que récemment que des barrages nouvellement construis ont régularisé ce flot d'eau.)

 

LA CRUE DU NIL

 

        Comme il ne pleut presque pas en Egypte, les agriculteurs d'autrefois essayaient de retenir l'eau de l'inondation. Ils construisaient des canaux, des digues et des bassins pour contenir l'eau et la diriger vers leurs champs.

         Les flots du fleuve commençaient à monter lentement au mois de juin, ensuite, le niveau augmentait rapidement en atteignant son maximum à la fin du mois de septembre. En baissant, les eaux se retiraient, laissant une boue noire très fertile qui enrichissait le sol et permettait deux récoltes. Tout de suite après, une période de forte chaleur séchait le lit du Nil et rien ne poussait plus.

 

BIBLIOGRAPHIE :

1. J'étais un enfant à Thébes, Roselyne Edde (Fides) 1981

2. Panorama des Civilisations, Anne Millard/Francois Carlier

   Editions Ecole Active, 1979

3. Pyramides et Pharaons, Viviane Koenig, Nathan 1983

4. Voyage en Egypte, Joan Knight, Rouge et or ‑

 

BIBLIOGRAPHY :

 

1. The Mummy, E.A. Wallis Budge ‑ Collier 1972

2. The Art of Egypt, I. Woldering ‑ Greystone Press 1963

3. The Book of the Dead

4. TutAnkhAmem, E.A. Wallis Budge ‑ Bell

5. A Journey to Egypt, Pop Up Book, Unicef

6. The Egyptian Cinderella, Shirley Climo ‑ Harper/Collins1989

7. Tutankhamen, Christine Desroches‑Noblecourt ‑ Penguin 1965

 

 

Aout 2009

 

SAVIEZ-VOUS QUE…

Quelques détails intéressants sur l’Egypte ancienne

Récoltés par Mimi de Castro

 

PREMIERE  PARTIE

 

QUELQUES FAITS IMPORTANTS

 

       La vie des anciens Egyptiens dépendait de trois éléments importants. Ces trois éléments étaient le pharaon, le Nil et la vie après la mort.

      En réalité, le Nil tenait la première place dans la vie des anciens Egyptiens car sans ce fleuve, l'Egypte n'existerait pas. Grâce à ses inondations annuelles, le Nil assurait à l'Egypte des récoltes riches et régulières. C'est ainsi que l'Egypte ne change presque pas au cours des siècles et que sa civilisation se maintient pendant 3 000 ans.

        Pour les Egyptiens plus que tout autre peuple, la tradition avait sans doute une très grande importance. Toutes les idées, l'art et la religion étaient basés sur le modèle du passé.   Pendant tous les siècles qu'a duré la civilisation égyptienne, la langue, la religion, l'art et la vie quotidienne des Egyptiens ne se modifient presque pas. Ainsi ils connaissent une remarquable stabilité.  La longue histoire d'Egypte se divise en trois périodes de grandeur nationale:l'Ancien Empire, le Moyen Empire et le Nouvel Empire.

        Ces époques étaient séparées par deux périodes intermédiaires au cours desquelles l'Egypte était faible, divisée ou sous domination étrangère. Tout au long de cette histoire, les pharaons sont groupés en dynasties, ou suites  de souverains d'une même famille. Il y a des dynasties qui ont duré des siècles et d'autres quelques années à peine.

Durant ces 3 000 ans, la civilisation créée par les anciens Egyptiens se développe et on pense que plus d’un milliard d’habitants peuplait ce pays. Grâce aux sables du désert, d’innombrables monuments furent préservés presque intacts. Les anciens Egyptiens avaient minutieusement pris note de tous les événements importants et journaliers de leur histoire. C’est pour cela, qu’aujourd’hui, avec le recul des millénaires, nous pouvons imaginer et décrire en détails la vie de ces hommes.

 

LES ANCIENS EGYPTIENS ÉTAIENT VRAIMENT SURPRENANTS.

 

Cette culture produisit de remarquables astronomes, des ingénieurs des mathématiciens et des médecins. Ils avaient une organisation capable de gérer les impôts et prélever des taxes ainsi qu’un système juridique avancé consistant de tribunaux et d’une force de police bien entraînée.

Les femmes jouissaient de plus de droits légaux que celles qui vivent aujourd’hui dans certains pays. Elles se paraient de beaux vêtements et utilisaient une variété de produits de beauté et cosmétiques. Les femmes pouvaient acheter des propriétés qu’elles géraient avec succès.

Tout Ankh Amon et Ramsès le Grand n’étaient que deux des 170 (ou plus) pharaons connus. Pépi II eu une longue vie et le plus long règne de l’histoire. Il fut le maître de l’Egypte durant plus de 90 ans et vécu jusqu’à l’âge de 97 ans.

L’année de 365 jours et notre calendrier nous viennent  des anciens Egyptiens. Ils étaient les premiers à diviser le jour en 24 heures et à utiliser des horloges.

 

CE QUE NOUS SAVONS AU SUJET DES ANCIENS EGYPTIENS.

 

Voici quelques détails curieux au sujet des anciens Egyptiens que j’ai glané un peu de partout. Certains remontent aux histoires que l’on entendait en Egypte et au folklore, mais d’autres sont des faits faciles à retrouver dans une encyclopédie ou autres livres décrivant les mœurs des anciens.

         On a beaucoup parlé de « la malédiction du pharaon » après la découverte du tombeau de Tout ankh Amon, qui fut faite par Howard Carter en 1922. On a même voulu prouver que la mort de Lord Carnarvon, financier de cette entreprise et advenue cinq mois plus tard, était le résultat direct de son intérêt dans la découverte. Au Caire, on raconta que lors de la mort de ce dernier toutes les lumières de la ville s’éteignirent. Une foule d’événements mystérieux suivirent l’ouverture de la tombe, mais au fond rien ne prouve que cela soit vrai. « La malédiction de la momie », fut le sujet de plusieurs films d’horreur n’ayant aucun rapport avec les momies égyptiennes.

         En parlant de momies, il paraît que lorsque certaines momies furent transportées de Thèbes au Musée du Caire, un impôt fut payé à la ville. Mais comme il n’existait pas un tarif particulier pour désigner des momies, il a fallut que huit des plus grands pharaons d’Egypte soient décrits  « poissons séchés » pour être classés comme marchandise taxable!

         Les pillards de tombeaux égyptiens étaient très habiles à découvrir les tombes et les exploiter bien avant l’arrivée des égyptologues. Certains pharaons avaient déjà prévus de fausses portes ou des monuments murés difficiles à pénétrer. Malgré ceci, beaucoup de trésors disparurent encore au temps des pharaons et plus tard sous les Mamlouks. C’est ce qui explique le fait que certaines tombes furent découvertes sans inscriptions. Ces dernières contenaient plusieurs importantes momies identifiables qui probablement furent déplacés pour éviter le pillage.

         A la fin du XIXe  siècle on découvrit 2 caches dans le désert à Thèbes, qui contenaient une quarantaine de momies royales, inclues celles de Seti I et de Ramsès II. Dans l’antiquité même, on découvrit que les plus grands pillards de tombeaux étaient principalement ceux qui avaient été embauchés pour leur protection.

         L’égyptologique britannique, Howard Carter chercha pendant cinq ans l’emplacement de la sépulture de Tout Ankh Amon, ensuite il passa huit ans à vider les décombres et presque dix ans à cataloguer les 5 000 objets qui s’y trouvaient. On dit que le jour où le tombeau fut ouvert, le canari de Carter fut dévoré par un cobra!

 

         Malgré l’étonnante quantité de trésors amassés dans la tombe de Tout Ankh Amon, Carter conclut qu’environ 60% des bijoux, furent dérobés par des pillards. Carter trouva 150 amulettes et pièces de bijoux placés sur le corps du pharaon ou autour de lui.

 

 

LES PLUS CÉLÈBRES REINES DE L’ANCIENNE EGYPTE

 

         C’est en 1925 que la tombe de la reine Hètéphères fut découverte dans le désert à côté des pyramides de Giza. Cette reine, était la mère de Khufu, le constructeur de la grande pyramide. Dans cette tombe, on trouva de superbes exemplaires de bijoux et meubles datant de la période de l’Ancien Empire car elle n’avait pas été pillée. C’est la seule tombe de l’ancien royaume qui fut découverte intacte.

         La reine Hatshepsout, régna comme pharaon en tant que régente pour son beau-fils et neveu Thoutmosis III. Mais même quand il fut en mesure de prendre les rênes du royaume, elle ne lui céda pas la place. Pour se venger, à sa mort, Thoutmosis effaça son nom de tous les monuments et fit briser toutes ses effigies.

         Il y a à peu près 3,400 ans, la reine Hatshepsout envoya une expédition au pays de Pount (la Somalie) avec le but de rapporter des arbres de myrrhe, des plantes rares, ainsi que des animaux exotiques. On pourrait donc la classifier comme première horticultrice et zoologue de l’histoire du monde.

         Bien qu’Hatshepsout fût une femme, on la représenta toujours tel un homme sur les monuments et statues commémorant son règne. Son portrait était toujours celui d’un pharaon portant la barbe de cérémonie et le costume complet d’un roi.

         Tout le monde connaît le merveilleux buste de la reine Néfertiti, qui symbolise l’ultime beauté féminine égyptienne. Femme d’Akhnaton le roi hérétique, tel qu’il fut surnommé à un certain point de l’histoire, elle gouverna à ses côtés au début de son règne. Certain égyptologues pensent qu’elle régna seule après la mort du roi. L’effigie de cette reine apparaît deux fois plus que celle de son mari.

         La femme principale de Ramsès II, Néfertari avait beaucoup de pouvoir et elle influença le règne de son mari. Cette dernière semble avoir eu énormément de prestige durant sa génération. Le tombeau de Néfertari, fut le mieux peint et décoré de toutes les sépultures découvertes.

         L’histoire nous décrit le règne de plusieurs femmes qui participèrent activement à des projets de construction et de développement. On cite Neith-ikret qu’on décrit dans la littérature égyptienne de la période de la façon suivante « la plus courageuse et plus belle femme de son temps ». Sobek neferu, elle, régna seule, indépendante avec tous les titres et attributs de noblesse vers la fin de la douzième dynastie. Elle compléta les projets commencés par son père Amenemhat III.

         Il y eu sept reines du nom de Cléopâtre, mais ce fut seulement la dernière qui vraiment gouverna l’Egypte. C’est celle qu’on connaît le mieux. Elle séduit Jules César et eut un fils de lui. Plus tard elle épousa Marc Antoine, qui fut le père de ses trois autres enfants. A la suite de la défaite de la bataille d’Actium Cléopâtre et Marc Antoine mirent fin à leur vie.

 

LES ETERNELLES PYRAMIDES

 

         Les pyramides de Guiza demeurent un symbole de la puissance de

l'Egypte Ancienne. Les trois pyramides de Guiza sont les plus célèbres et comptent parmi les sept merveilles du monde. Pourtant, il y a plus de trente pyramides royales un peu partout le long du Nil et même sur le territoire de ce qui est le Soudan aujourd'hui. Ces monuments spectaculaires sont des tombeaux. Chaque pyramide contenait le corps et les biens d'un personnage important, afin de les garder en sécurité.

         Les Egyptiens pensaient que de cette façon on pouvait assurer un heureux passage de l'âme dans l'autre monde et  maintenir son bonheur pour l'éternité. A quelques variations près, les pyramides avaient toutes en commun le fait d'avoir été construites sur la rive gauche du Nil, dans le désert.

          Les cérémonies d'embaumement étaient exécutées dans le temple de la vallée, placé au bord de la zone des cultures. Le sarcophage contenant la momie était transporté jusqu'au temple funéraire au pied de la pyramide.

         L'entrée de la pyramide se trouvait généralement au nord, mais elle était bien cachée. A l'intérieur il y avait plusieurs couloirs et salles en plus de la chambre funéraire; celle‑ci pouvait se situer au coeur de la pyramide, au niveau du sol, ou bien plus bas. Non loin de la pyramide royale, il y avait parfois une ou plusieurs pyramides plus petites, destinées à la reine ou d'autres épouses préférées.

         Les pyramides de l'Ancien Empire étaient construites avec d'énormes blocs de pierre. On les coupait dans des carrières puis on les transportait sur le Nil dans des bateaux. Ensuite on tirait ces pierres sur des  traîneaux jusqu'à la pyramide. Durant le Moyen Empire, les pharaons firent construire des pyramides de briques crues avec un revêtement de pierre, mais celles‑ci furent bien moins conservées.

         Pour les pharaons du Nouvel Empire on creusa des tombeaux dans les falaises d'une profonde vallée, toujours sur la rive gauche du Nil, du côté du soleil couchant. C'est la vallée des rois. Elle est dominée par une masse rocheuse en forme de pyramide, en Haute Egypte, non loin de la capitale de l'Egypte ancienne, Thèbes.

         Construites à Giza, les trois grandes pyramides servirent de sépulture au pharaon Khufu et son fils Khafre, ainsi qu’au pharaon Menkaure. Ces pyramides furent couvertes de calcaire blanc et luisaient dans la lumière. Avec les ans cette couche de calcaire tomba et l’on peut encore trouver des restants aux pieds des pyramides.

         Ces pyramides sont gardées par le Sphinx, massive statue d’un lion de pierre avec la tête d’un homme. On pense que c’est peut-être le portrait de Khufu. Le Sphinx dirige son regard vers l’est, ou le soleil levant. Pendant plus de 4,500 ans il resta couvert de sable. On associe le Sphinx au pharaon Thoutmosis IV qui s’endormit au pied de la statue avant d’être roi. Il rêva du dieu soleil qui lui annonça dans son sommeil que s’il acceptait de dégager le Sphinx du sable, il serait couronné roi. En fait, c’est ce qui advint plus tard.

         Bien que la grande pyramide fût érigée dans l’antiquité, elle est bien plus haute que maintes constructions modernes. A l’origine elle mesurait 147 mètres, mais aujourd’hui réduite à 137 mètres. Pour construire la grande pyramide, les anciens utilisèrent 2 300 000 blocs de pierre massifs, pesant chacun 2 tonnes et demi. C’est une des sept merveilles du monde, la seule encore en existence aujourd’hui.

         La pyramide de Saqqarah, construite en 2650AC et dont les côtés sont à gradins, pré date de 100 ans celles de Guiza. C’est l’œuvre de Imhotep l’architecte du roi Djoser. Ces monuments gigantesques sont des miracles d’organisation mathématique, de planification, de précision et de labeur manuel.

 

 

LES  ARTISANS

 

 

Les artisans égyptiens ont produit toutes sortes d'objets remarquables, qu'on peut encore admirer de nos jours dans les musées. Mais nous savons peu de choses d'eux en tant qu'individus.

          Il existait en Egypte une classe moyenne peu nombreuse mais importante. Il s'agit surtout d'artistes et artisans qui vendaient leurs produits au marché local. Il y en avait de ceux qui travaillaient dans les ateliers des riches marchands ou qui faisaient partie d'un temple, ou encore qui produisaient pour un dignitaire et son domaine.

         Sur la rive gauche du Nil, près de la ville de Thèbes, on a trouvé les restes  d'un village où vivaient les artisans occupés à la décoration des tombeaux de la Vallée des rois. Il s'agit d'une communauté de soixante artisans et de leur famille. Parmi eux, il y avait ceux qui taillaient le rocher, et ceux qui emportaient les débris dans des paniers. Ils avaient droit à une pause à midi pour manger. La semaine de travail était de neuf jours, avec un congé le dixième. Pendant les fêtes religieuses on arrêtait le travail.

         Un scribe veillait à ce que l'ouvrage soit fait comme par le plan de l'architecte. Il gardait aussi un journal détaillé de tout ce qui se passait. Plus tard le scribe envoyait un rapport complet au vizir. Après avoir creusé la tombe, les artisans s'occupaient de la décoration intérieure.

         On payait les artisans en nature : on leur donnait des produits comme le blé pour le pain, orge pour la bière, légumes, graisse, huile, poisson, tissu, bois à brûler, et parfois des cadeaux spéciaux envoyés par le pharaon, vin, sel, natron (utilisé comme savon) et viande.

 

PEINTRES ET SCULPTEURS

 

Les artistes égyptiens ne pouvaient jamais suivre un style artistique individuel car des règles bien strictes déterminaient leur art. Sur les murs des tombeaux et des temples les artistes représentaient les cérémonies religieuses et les événements historiques aussi bien que la vie de tous les jours.

         Toutes les scènes représentées n'avaient pas un but décoratif mais plutôt c'était pour servir le défunt dans sa survie. C'est pour cela que les peintres et sculpteurs devaient suivre des règles bien établies.

         Déjà, depuis l'Ancien Empire, les sculpteurs égyptiens produisaient d'imposantes et magnifiques statues en pierre, cuivre, bronze et bois. Bien que ces artistes soient capables de reproduire des portraits fidèles, la tradition voulait qu'on représente les sujets d'aspect jeune et agréable pour renaître pareil dans l'autre vie.

 

CONSTRUCTIONS

 

Malgré la simplicité de leurs outils, les habiles et tenaces constructeurs Egyptiens réalisèrent certains des plus beaux monuments de l'antiquité.

    Les constructions qui ont survécu à la civilisation égyptienne, ont été faites pour durer éternellement car un dieu ou un pharaon avait besoin d'une demeure éternelle. Par contre les vivants, même les riches ou les pharaons n'avaient que des maisons en briques  crues.

    Les anciens Egyptiens apprirent à faire des briques en mélangeant la boue du Nil avec de la paille hachée. Ensuite ils mettaient ce mélange dans des moules qu'ils laissaient sécher au soleil. Ce type de briques était bien adapté au climat sec de l'Egypte et y est encore utilisé dans les régions rurales.  La pierre était utilisée seulement pour la construction des temples et des tombeaux.

 

 

FIN DE LA PREMIERE PARTIE

 

À suivre---à suivre--- à suivre--- à suivre--- à suivre--- à sui

 

 

 

Juin 2009

 

 

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Bearers of a dimming torch

Jack Shenker

  • Last Updated: April 18. 2009 8:30AM UAE / April 18. 2009 4:30AM GMT

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At 53, Youssef Gaon is the youngest Jew in Alexandria. Its Eliahou Hanabi synagogue is deserted, as most Jews live in nursing homes. Jason Larkin for The National

Sweating in the mid-morning heat, Abdul Salaam gently brushes the dirt off a grave to reveal a faded Star of David. Mr Salaam, a committed Muslim, has lived as a resident guard within the high walls of this Alexandrian Jewish cemetery for 41 years, just as his father did for five decades.

The cracked headstones and marble tombs around him bear witness to people who first made this Egyptian city their home more than 2,300 years ago, and in their heyday numbered almost 80,000. Last summer, the final remnants of that vibrant community gathered here to bury their leader. So few of them were left that the Kaddish, a Jewish funeral blessing, could not be recited. The significance of that was obvious to all who attended; this once-cosmopolitan corner of the Arab world will soon entomb its final Jewish resident, and Mr Salaam will be left alone with the graves.

 

The El Shatby cemetery in Alexandria bears witness to an Egyptian Jewish community that once numbered almost 80,000. Jason Larkin for The National

The death of Max Salama, 92, an Egyptian Jew who once served as King Farouk’s personal dentist, leaves 18 surviving Jews in what was once one of the religion’s greatest cultural capitals. The majority of those remaining are in their 70s or 80s and reside in old people’s homes, no longer interacting with the city they have always called home. At the tender age of 53, the new leader, Youssef Gaon, is now the youngest Jew in Alexandria by a considerable margin, and he is childless.

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The overgrown El Shatby cemetery in Alexandria bears witness to a Egyptian Jewish community that once numbered almost 80,000. Earlier this year the community buried its leader here, leaving just 18 surviving Jews in the city. (Photo by Jason Larkin for The National)

“What can I say?” he shrugs, as he gives a tour of a beautifully decorated but deserted synagogue in the old city centre.

Jews have been an integral part of Alexandria’s history ever since the port city was founded by Alexander the Great in 332BC. Their numbers have ebbed and flowed over the years but reached a zenith in the early 1900s, when Jews from across Europe and North Africa flocked there to escape persecution.

“It was an immigrant community drawn from all corners of the world, especially the remnants of the old Ottoman Empire,” said Yves Fedida, an Egyptian Jew now living in France, whose grandparents emigrated to Egypt from Palestine at the turn of the century in search of work.

These were the rekindled glory days of Alexandria, an urbane melting pot of nationalities where poets, scientists and intellectuals mingled freely on the Corniche.

Egyptian Jews lay at the heart of the city’s revival, with individuals such as the anti-colonial Egyptian nationalist Yaqub Sana and the prominent psychologist Jacques Hassoun becoming household names in the region. But after revolutionary fervour swept Gamal Abdel Nasser to power in 1952, the ancient city’s worldly reputation began to fade and subsequent hostilities with the newly founded state of Israel gradually eroded Alexandria’s Jewish population.

Mr Fedida’s parents were forced out in the first wave of expulsions, prompted by the outbreak of the Suez conflict. As Israeli tanks advanced on the Suez Canal, his father, previously the financial director of the national Egyptian Petroleum Company, was given 10 days to leave the country.

“He had to take us away and start again in England with just 20 Egyptian pounds in his pocket,” remembers Mr Fedida, who now works for the Nebi Daniel Association, a French group that brings together Egyptian Jews from around the world.

The exodus of Alexandria’s Jews continued following wars with Israel in 1967 and 1973, and many of those who clung to their homeland were imprisoned by the Egyptian state, suspected of being Zionist spies. Today, the remaining Jews at the magnificent Italianate synagogue of Eliahou Hanabi are vastly outnumbered by policemen and officials from the Egyptian ministry of the interior, who pay for the site’s security.

“We are in very good hands,” said Mr Gaon, anxious not to upset the fragile working relationship the surviving community has established with the Egyptian government. “Even after we have gone I know they will look after this place.”

But as the final echoes of Alexandria’s Jewish ancestry die out, a new battle is raging over their heritage. At stake is the set of religious and civil registers maintained by Egyptian Jewry under the Ottoman Empire, which devolved such record-keeping to its non-Muslim communities.

Mr Gaon and his elderly compatriots are the final custodians of these logbooks, which run to 60,000 pages detailing all the births, deaths and weddings of the community stretching back to the 1830s.

These documents are of vital importance to descendants of Alexandrian Jews such as Mr Fedida, as the Jewish faith requires individuals to prove their maternal Jewish bloodline in order to get married. The problem is that issuing such certification from Alexandria is increasingly burdensome for the small number of Jewish pensioners left and the process is often hampered by local bureaucracy. The Nebi Daniel Association is lobbying the Egyptian government to allow copies of the archives to be placed in a European institution where they could be more easily accessed, but so far their efforts have met with failure.

The reluctance of the current Egyptian regime to enable easy access to the documents springs from fears that the offspring of Alexandria’s Jews will use them to make financial compensation claims against the government for Jewish property confiscated under Nasser’s nationalisation programmes.

The issue is a sensitive one; last year an unspecified amount was paid by the state to the Jewish family who originally owned The Cecil, a luxury Alexandrian hotel immortalised in Lawrence Durrell’s novels The Alexandria Quartet and seized by the government in 1957. Earlier this summer, a planned Cairo conference of Jews hailing from Egypt was cancelled after local media questioned the intentions behind the event.

According to Mr Fedida, however, fears of compensation demands are misguided.

“We are absolutely not interested in financial claims,” he said. “Our generation are the children of those who really suffered from expulsion and imprisonment. Although our parents tried to reconstruct their lives elsewhere, we saw their grief and we need to do them justice by giving them back the identity that led to them being uprooted in the first place.”

Regardless of the outcome of this tussle over the logbooks, the human element of this once grand community will soon be extinguished and there will be no more burials at Abdul Salaam’s overgrown cemetery.

For Mr Fedida though, who was born in Alexandria, optimism prevails that Jews might one day make a return to the city.

“You never know; we lost it once before when the Byzantines kicked us out in 400AD,” he said. “I think it’s a wonderful city, and I long for it on a daily basis. But deep down I know I’m longing for a world that no longer exists.”

* The National

 

 

Avril 2009

 

LA STATUE DE RAMSES II

(Mimi de Castro)

 

Ramsès II était l’un des monarques les plus puissants de l’ancienne Egypte, roi de la 19ieme dynastie, il fut non seulement un vaillant guerrier, mais aussi un excellent stratège, infatigable constructeur et brillant politicien. Ramsès II régna environ soixante sept ans sur l’Egypte et fit construire d’énormes temples et monuments qui existent encore aujourd’hui. Une de ses effigies, énorme statue de granite, construite il y a plus de 3 200 ans et pesant plus de 83 tonnes fut transportée de la Haute Egypte à la gare centrale au Caire.

Tous les jours, pour me rendre à l’école, je passais par la gare et je voyais cet immense colosse, debout rigide, avec son regard perdu dans le vide. Pourtant cela ne me semblait nullement le regard d’un rêveur, mais bien d’un conquérant. C’est comme s’il surveillait ses territoires conquis avec un air de propriétaire incontesté. Je crois aussi que la position de la statue avec un pied en avant lui donnait cet air résolu d’un homme décidé et intrépide qui avance vers l’avenir.

Le fait est que l’on ne peut s’empêcher de penser à la fragilité de l’homme, puisqu’ une chose concrète, tel un objet de pierre ait pu survivre au-delà de toutes les conquêtes des hommes les plus puissants.  Et maintenant, la pollution risque de détruire ce que les siècles passés n’ont pu achever : la détérioration de la pierre et la destruction d’une grande œuvre d’art!

Une fois la décision prise par les autorités égyptiennes, la statue de Ramsès II, pharaon tout puissant, conquérant et victorieux doit être déplacée.  C’est avec respectueuse pompe et admiration que les habitants du Caire ont pu suivre pas à pas le cortège qui accompagna le transfert de la statue de la gare du Caire au musée des pyramides. Comme il se doit, Ramsès II eut son moment de gloire pour rejoindre un sanctuaire où il sera à l’abri des méfaits de nos temps modernes!

Le peuple égyptien a toujours été respectueux de son glorieux passé et des monuments qui le symbolisent malgré le fait que cela contrastait avec leurs croyances religieuses. Ils n’ont jamais cherché à s’identifier avec les anciens non plus, mais conscients de l’importance de leur propre histoire, leurs auteurs, scientifiques, historiens et gouvernants se sont donnés bien du mal afin de protéger leur héritage.

Dans sa nouvelle demeure, le grand pharaon, roi d’un empire, constructeur d’Abou Simbel, le guerrier royal qui mena à la victoire de Kadesh les armées de son pays, Ramsès II tiendra sa cour dans un musée au niveau de sa gloire incontestée.

 

 

LE 28/02/2009

 

UN AMOUR DE QUATRE SAISONS

TROISIEME ET DERNIERE  PARTIE

 

Je suis tout à fait d’accord sauf que personne ne répond à mon annonce. Alors je décide de mener l’enquête moi-même en interrogeant le plus de personnes possible. Après plusieurs heures de questions posées délicatement à toutes les femmes, de tous les âges, je me rends compte à nouveau que c’est peine perdue. C’est alors que Léonie a l’idée géniale de proposer de parler aux hommes! Je ne sais pas comment elle réussit à me convaincre que la lettre peut bien appartenir à un homme qui la garde en souvenir de sa femme ou sa fiancée.

 

Je reprends mes recherches auprès des pensionnaires masculins. Mes entrevues se résument à nouveau comme inutiles et infructueuses ayant parlé à la plupart des hommes, lorsque je croise Rosa qui pousse le fauteuil roulant de M. Sidès pour le placer au soleil sur la terrasse. Je remarque à nouveau que cet homme plutôt taciturne a un regard lointain et triste. Bien qu’il soit dans un fauteuil, il a l’air pourtant en bonne santé, solide et plein de charme avec une belle chevelure grise et une carrure de sportif. Quand je demande à Rosa si je peux m’entretenir avec lui, elle me conseille de choisir un meilleur jour.

 

Le laissant au soleil, elle m’entraîne avec elle au salon et me renseigne à son sujet. Apparemment, M. Sidès avait été gravement blessé dans un accident d’automobile et avait perdu la mémoire pendant longtemps après ce trauma. Il souffre de dépression chronique et refuse de voir le psychologue qui est persuadé de pouvoir l’aider à surmonter ses problèmes. Il ne parle presque pas et ne communique avec aucun des pensionnaires de la maison. Rosa ne comprend pas pourquoi, mais de temps à autre, il aime s’entretenir avec elle en italien, langue qu’il parle très couramment. Malgré la confiance qu’il semble avoir en elle, Rosa me dit qu’il ne parle pas de sa vie privée et qu’elle n’en a pas la moindre idée.

 

Rosa me laisse à mes pensées et je profite pour observer cet homme de loin. M. Sidès fixait le vide et son regard semblait lointain, mystérieux  comme celui d’un penseur plutôt que d’un homme qui aurait perdu sa raison. Soudain, il lève la tête brusquement comme si mon regard lui pèse. Je reste clouée sur place et nous échangeons un long regard.  M. Sidès ne détourne pas ses yeux clairs et expressifs. Malgré le battement fou de mon cœur je détecte chez lui une pointe de curiosité qui m’enchante et m’encourage. Je m’avance vers lui en souriant.

 

Avec une émotion contenue, je soutiens son regard qui semble m’étudier en silence. Arrivée devant lui, je m’arrête. Je respire à peine tellement je crains de lui faire peur. Mais il me dévisage avec intérêt, ses grandes mains calmement croisées sur ses genoux.  Je note un léger tremblement de ses lèvres comme s’il veut me dire quelque chose. Sans même y penser, je pose ma main sur son épaule et je me penche vers lui en murmurant « Comment allez-vous aujourd’hui M. Sidès? »

 

A ma grande surprise, il sourit découvrant de belles dents blanches un peu irrégulières; ce sourire extraordinaire qui illumine son visage semble inonder l’air autour de lui d’un rayon de soleil et de chaleur diffusée. Je me sens tout de suite sentie conquise par cet inconnu au charme si puissant. Je m’installe sur le banc de pierre en face de lui et je prends la main qu’il me tend. « Est-ce que je vous connais Mademoiselle? » dit-il d’une voix un peu rauque comme celle de quelqu’un qui n’a pas parlé depuis longtemps.

 

Sa main est chaude dans la mienne mais nullement passive ou molle et après avoir serré ma main il la  lâche comme à regret. Tout d’un coup sans réfléchir j’ouvre  mon sac et je retire  la lettre que je lui mets sous les yeux en silence. Surpris, M. Sidès prend le feuillet en me regardant avec un air attristé qui m’étonne. « J’ai besoin de lunettes mon enfant, mes yeux ne sont plus ce qu’ils étaient. » Je souris en disant « Je vais vous la lire. Ça va? » M. Sidès hoche la tête en souriant et le cœur battant comme un fou je commence à lire.

 

Je suis tout de suite obligé de m’arrêter car la main de M. Sidès agrippe fortement mon poignet et il  happe la lettre de ma main. Ses yeux devenus presque noirs lancent des éclairs furieux et en haletant il crie  « Mais qu’avez-vous fait? Qui vous a donné cette lettre? Qui êtes-vous? » Il laisse échapper un sanglot et sur son visage grimaçant de grosses larmes coulent.

 

Bouleversée, je m’agenouille à ses pieds et je m’empare à nouveau de ses mains. Il me résiste mais en persévérant j’insiste «  Écoutez-moi s’il vous plaît M. Sidès, je veux seulement vous aider. Nous avons trouvé cette lettre. Si vous l’avez perdue je vous la restitue. Est-ce votre lettre? ».   Avec difficulté, petit à petit, M. Sidès se calme mais refuse de lâcher la lettre. Un poids oppresse mon cœur et j’ai de la peine à respirer car je crains de causer à M. Sidès un traumatisme qui compliquerait sa vie encore plus. Mais je me sens si proche du but que je ne recule pas. Finalement, avec un visible effort, M. Michel chuchote « C’est ma vie ratée …mon malheur… » Il tremble et d’un air suppliant il répète « Qui êtes-vous? Qui êtes-vous? »

 

         J’entends le pas de Rosa sur les dalles de la terrasse et sa voix qui m’interpelle avec urgence : « Nadine, que se passe-t-il? ». Elle arrive très vite à mes côtés et je sens sa colère soudaine et son inquiétude. En me levant je tente de la rassurer mais les sanglots de M. Sidès l’alarment et elle me pousse brusquement pour le rentrer dans la maison. Craignant plus de complications, elle m’ordonne de partir. Je me mets toute de suite à la recherche de Léonie en pensant qu’elle est quelque part dans la bâtisse et en effet je la trouve au bureau du directeur. En me voyant arriver, elle comprend que quelque chose de sérieux s’est passée. Elle me suit dans la salle de séjour sans parler. Assise en face de moi, je l’observe en silence tout en me demandant comment aborder le sujet.

 

         Le cœur serré, la sueur perlant à mon front, je ne parle pas et elle continue à me regarder. Se doutant que j’ai une réponse au mystère de la lettre  elle attend donc avec résignation et grande émotion que je lui en fasse part. En retenant mon souffle, je murmure  « Léonie, je pense savoir qui est l’auteur de la lettre en question. Je viens de le découvrir il  y a quelques minutes. » Sans broncher, elle me laisse continuer la gorge serrée « C’est M. Sidès, le connais-tu? » D’une voix étouffée elle réplique « Non, je n’ai jamais eu l’occasion de le rencontrer. C’est ce monsieur qui est récemment arrivé n’est-ce pas?  Décris-le moi s’il te plait. »

 

         Léonie m’écoute  sans faire de commentaires ou poser de questions. Dans ses yeux au regard pénétrant je vois des taches d’ambre voltiger. Seules ses mains, de temps à autre, lissent machinalement sa jupe de laine noire. Je lui raconte tout ce que je sais au sujet de M. Sidès et ensuite je lui répète ma conversation avec lui. Je parle lentement ayant la gorge serrée et en proie à une émotion que je ne peux expliquer. Je ne devine pas ce qu’elle ressent, elle ne me livre rien de ses sentiments. Soudain il me semble parler avec  une parfaite étrangère, son visage tel un livre fermé est inscrutable.

         _Il me semble tout d’abord très important de déterminer l’identité de cette personne, Nadine, et ensuite je voudrais le rencontrer. C’est possible que dans son état si précaire de santé je devrais attendre la permission de son médecin.

_Tu as certainement raison Léonie. Je ne devrais pas déjà crier victoire quand je ne suis sûre de rien.

_Je te remercie pour tout ce que tu as fait quand même ma chère Nadine. Je dois être patiente, après toutes ces années quelle différence quelques heures encore pourraient changer!

 

Le lendemain, quand Dr. Kenneth, le directeur de la maison de retraite me convoque dans son bureau; il m’informe sèchement  que c’est au sujet de M. Sidès. Je demande donc d’avoir Léonie présente en lui disant que nous allions lui expliquer tout cela plus tard. Il n’a pas  d’objections et il s’enquit auprès de nous au sujet de ce qui c’est passé  la veille avec M. Sidès. Il nous rassure sur son état de santé et nous informe avec étonnement et une pointe de curiosité que ce monsieur tient à me voir. Jamais à sa connaissance M. Sidès n’a exprimé le désir de voir ou de communiquer avec quelqu’un. Le psychologue traitant a vu en ceci un grand pas en avant, un certain progrès et a donné sa permission de le rencontrer. La réunion est fixée pour l’après-midi de ce jour.

 

Léonie me semble très agitée. Le calme de la veille disparaît et je détecte une certaine inquiétude dans sa manière de parler et de me regarder. Je suis moi-même très émue et impatiente de revoir M. Sidès mais j’ai également une certaine crainte. A l’heure convenue, nous nous retrouvons dans la salle de séjour. Le soleil entre par la fenêtre grande ouverte et nous sommes assis autour d’une table ronde, Léonie, Dr. Ralph le psychologue, Dr. Kenneth le directeur et moi-même.  Léonie, est incapable de rester assise et l’atmosphère dans la salle reste assez tendue. Au moment où M. Sidès conduit par Rosa fait son entrée, Léonie se retire au fond de la salle derrière un énorme pot de fleurs. Je l’observe du coin de l’œil et je remarque que M. Sidès me dévisage droit dans les yeux et n’accorde aucune attention aux autres présents dans la salle.

 

Je me lève et je m’avance vers lui en souriant. Son regard sérieux semble être chargé de questions. Son fauteuil poussé par Rosa  arrive à proximité de la table et du groupe de personnes assises, il s’adresse directement à moi de sa voix grave et rauque « Qui êtes-vous Mademoiselle et comment est-ce que cette lettre est-elle tombée entre vos mains? » Je ne réponds pas tout de suite et je jette un coup d’œil rapide vers le point où se cache Léonie. A cette distance je ne distingue pas trop bien son visage mais je conclus rapidement qu’elle ne reconnaît pas M. Sidès. Malgré moi je ressens comme un poids lourd s’installer dans mon estomac mais tout de même je réponds à la question de M. Sidès avec le sincère désir de résoudre ce mystère.

 

_Monsieur Michel, vous ne me connaissez pas mais ma grand’mère est aussi pensionnaire dans cette maison. Je suis journaliste et pour un article, j’ai conduit des entrevues avec plusieurs personnes dans la maison. Il y a quelques jours, une lettre m’a été remise car elle avait été trouvée dans un corridor de la maison. Avec l’aide de Léonie,  la femme qui fait de la thérapie avec les animaux que vous voyez régulièrement dans la maison, nous avons parlé avec les résidents afin de repérer la personne à qui appartient la lettre. Vous M. Sidès vous étiez la seule personne à qui nous n’avions pas parlé et lorsque je vous ai vu sur la terrasse j’ai pensé vous questionner à ce sujet.

_C’est ma lettre en effet. Mais je suis plutôt curieux à votre sujet Mademoiselle. Est-ce que vous me connaissez? Vous savez, j’ai souffert d’amnésie pendant longtemps et je ne me souviens pas très bien de certaines personnes et évènements  du passé.

 M. Sidès me regardait avec bonté et intérêt en attendant ma réponse. Je pressens qu’il se retient de poser trop de questions et ses mains tremblent légèrement sur les bras de son fauteuil. Les autres autour de la table restent silencieux et M. Sidès les ignore totalement.

 

C’est à ce moment que je vois Léonie s’approcher lentement de là où nous sommes tous réunis. Quand M. Sidès observe que je lève les yeux pour la regarder, il se tourne à son tour. Leurs regards se croisent et de sa belle voix émue, Léonie lui demande « Est-ce que vous me connaissez? »

_Non, je ne pense pas me souvenir, répond-t-il. Mais il est possible que j’aie tort. Qui êtes-vous Madame?

_Je m’appelle Léonie Sasson…

 

A peine ces mots s’échappent de sa bouche que M. Sidès, agrippant les bras de son fauteuil, pâlit, ses lèvres tremblent, il semble respirer avec peine et ses yeux gris se remplissent soudain de larmes. Dr. Ralph s’approche de lui mais M. Sidès le pousse avec force l’éloignant de lui. Sa voix rauque, tremblante mais assez forte retentie « Léonie Sasson…c’est donc vous? Approchez que je vous voie de plus près. Asseyez-vous ici. » Son geste impératif indique une chaise en face de lui. Le visage rouge, les jambes flageolantes et les yeux visiblement humides, Léonie fait ce qu’il demande. Face à face, ils se regardent pendant un long moment.

 

_Léonie… vous souvenez-vous de Max Cardoso? Sa voix est coupée par l’émotion qui le traverse. La lettre…elle vous était adressée…Il s’interrompt et Léonie lui tend la main qu’il saisit dans la sienne. Ne pouvant plus retenir ses larmes, il la regarde en silence. Léonie aussi, penchée vers lui offre un visage inondé de larmes.

_Où est-il? Que s’est-il passé? Je l’ai attendu…j’ai espéré…j’ai cherché

Partout…comment le connaissais-vous? C’est vous le Michel de la lettre? On entendait l’angoisse dans la voix de Léonie et son visage bouleversé, défait par les larmes et l’émotion me serrait le cœur.

         _Ma chère enfant, je vais tout vous raconter, quel malheur…J’en suis encore tout remué. Max était mon ami, mon frère…

 

Le docteur Ralph retourne à sa place aux côtés du docteur Kenneth sans intervenir, rassuré. Quant à moi, fascinée par la tournure des événements, je suis figée sur place en attendant le reste des révélations que M. Sidès se prépare à nous livrer.

         Calmement, lentement, M. Sidès sort la lettre de sa poche, la lisse de ses grandes mains sur ses genoux et la tend à Léonie.

         _Cette lettre vous est adressée et vous appartient Léonie. Max l’a écrite tout de suite après son accident. Bien que prévu, le décès de Lexie sa femme l’avait démoralisé mais il était conscient du fait que vous l’attendiez. Il a décidé de venir vous retrouver mais en route il a eu un terrible accident et ce n’est que quelques mois plus tard qu’il a été capable de vous écrire. Il m’a demandé de me charger de la lettre afin de vous la remettre pour que vous puissiez venir le rejoindre. M. Sidès s’arrête pour reprendre son souffle. Léonie, fixe la lettre comme un animal qui guette sa proie en attendant  patiemment que M. Sidès continue. Pour ma part, j’ai le pressentiment qu’une tragédie se prépare.  Je regarde M. Sidès et Léonie avec un pincement au cœur.

_Je vous ai cherchée pendant des semaines. Je suis allé à l’adresse que m’avait donnée Max, l’immeuble avait été démoli. J’ai été au club vous chercher plusieurs fois mais en vain. Je savais que plusieurs familles étaient déjà parties. L’état de Max étant grave, je ne savais plus comment lui dire que vous n’étiez plus là.  Max se morfondait et glissait de plus en plus dans la déprime sans que je ne puisse rien faire pour lui. C’était mon meilleur ami, nous nous connaissions depuis notre plus jeune enfance. Où étiez-vous? Pourquoi ne pas l’avoir attendu?

         Avec un sanglot dans la voix, Léonie lui répond qu’elle a fait de tout pour le retrouver et elle l’a attendu elle aussi mais que finalement elle avait été contrainte de suivre ses parents au Canada.          

 

_Max a résisté plusieurs  mois avant de succomber à sa dépression et bien que physiquement guéri, il ne s’est jamais  remis…

         _Que lui est-il arrivé M. Sidès…je sens que vous allez me donner une mauvaise nouvelle mais je dois savoir. Laissant tomber la lettre de ses mains; Léonie enfouit son visage en larmes dans ses mains et je vois de loin son dos secoué de sanglots déchirants et muets. M. Sidès lui  caresse les cheveux d’un air triste  et d’une voix terne, presque comme dans un souffle il réplique « Je dois vous dire les choses telles qu’elles sont Léonie. Max s’est donné la mort en conduisant sa voiture un soir en plein dans un arbre. Il vous aimait plus que la vie et sans vous, rien n’avait de sens. Je regrette d’avoir eu à vous le dire. J’ai perdu mon ami à qui je pense tous les jours de ma vie… »

        

La voix de M. Sidès s’éteint dans un souffle comme une plainte et aucun de nous n’ose briser le silence qui suit. Le docteur Ralph s’approche de M. Sidès et lentement pousse son fauteuil hors de la salle. Le directeur donne à Léonie une légère tape réconfortante sur l’épaule avant de sortir de la salle. Ne sachant comment consoler mon amie et à court de mots je reste ce jour-là à ses côtés jusqu’à ce qu’elle me laisse l’étreindre en silence pendant qu’elle pleure son amour de quatre saisons.

 

         On dit que le temps console, qu’il apporte l’oubli et je ne sais quelles autres platitudes. Maintenant, avec le recul de quelques années et bien qu’on n’en parle plus, le cœur de Léonie ne peut oublier. A mon grand bonheur, mon père et elle ont trouvé un moyen de se consoler chacun de son malheur et peut-être avec le temps, ils se marieront mais pour le moment, ils sont tous les deux très proches de moi. Roger et moi avons eu une belle et robuste petite fille Nicole qui a la chance d’avoir comme parrain et marraine mon père et Léonie.

         M. Sidès glisse lentement dans le silence qui l’enveloppe depuis les révélations faites à Léonie. La maladie d’Alzheimer finalement le réclame et bien que nous ayons passé avec lui plusieurs heures chaque fin de semaine, il ne nous a plus jamais reconnus. Il nous a quand même semblé calme et résigné, renfermé dans son monde intérieur.

 

         Ma chère Nonna finalement a fermé les yeux, heureuse et tranquille par un beau matin de printemps après avoir vu Nicole naître. Elle avait déjà quatre-vingt deux ans. Réunis autour de son chevet, nous avons tous pleuré sa disparition mais j’ai rappelé aux autres qu’elle disait souvent « La mort n’est qu’une porte vers un autre monde et nous devons tous y passer. »

 

         Dans son oraison aux funérailles de ma Nonna, Léonie a dit « Nous ne sommes que de passage dans cette vie et chacun de nous se charge d’une responsabilité qu’il remplit ou pas. Nonna a donné de la joie et de l’espoir à la vie de Nadine. Elle a vécu toutes les saisons qui lui furent octroyées et a diffusé autour d’elle beaucoup de sagesse, d’attention et d’espoir pour sa famille et ses amis. Maintenant, c’est à notre tour de prendre la relève et de continuer ce qu’elle nous a enseigné. Nos saisons à nous ne sont pas encore terminées et je souhaite qu’elles soient longues et heureuses pour nous tous ici et pleines de son souvenir. »

 

F I N

 

 

 

 

LE 31/12/2008

 

UN AMOUR DE QUATRE SAISONS

DEUXIEME  PARTIE

 

 

Tout au long du récit, Léonie s’arrête de temps à autre en souriant les yeux dans le vague. Je sens qu’elle revit intensément cette histoire d’amour qui l’a marquée si profondément. La communication et l’échange entre elle et Max sont faciles sans artifice ni longs silences. Max lui parle de sa femme souffrant d’un cancer lequel lentement, mais inexorablement la conduit vers la mort. Il parle sans amertume de ce malheur qui le taraude et du courage de sa femme.

Pendant un an, Max et Léonie se  rencontrent au club en se promenant et en discutant de tout et de rien. Jamais durant cette période Max n’invite Léonie à sortir avec lui ou à le rejoindre ailleurs. Leurs rencontres à toutes les saisons se déroulent au club. Ils se parlent avec franchise et aucun sujet n’est tabou. Malgré les difficultés de Max qui se mesure tous les jours à la cruelle maladie de sa femme, la bonne humeur est toujours présente. Léonie ressent une joie intense durant ces rencontres et bien qu’elle soit tout de suite tombée amoureuse de lui, elle ne nourrit aucun espoir de conquête. Max lui, complètement dévoué à sa femme Lexie, ne peut se détacher de ce monde restreint et confiné qu’il a crée autour d’elle.

Les sorties de Max au club restent les seuls moments de sa vie qui lui permettent de voir la réalité et le monde qui l’entoure. Là, il peut ressentir des émotions différentes que celles qu’il s’impose au sein du cercle confinant autour de Lexie. Comme une soupape de soulagement, ses conversations et rencontres avec Léonie procurent à Max l’occasion de respirer un air plus vivifiant et lui servent de diversion. De plus en plus, cette bouffée de fraîcheur que lui apportent leurs rencontres augmente son désir d’échanger des idées, des connaissances ou simplement se laisser aller avec une personne qui n’exige rien de lui. Dès le début, en dépit de son jeune âge, Léonie comprend les besoins de celui qu’elle appelle « mon copain Max ». Ses amis ne voient pas d’un bon œil cette amitié avec un homme plus âgé et ne cessent de lui présenter des jeunes gens en voie de lui trouver un mari. Toujours en riant, Léonie se dérobe à toutes leurs manœuvres.

Tout au long de ce récit, j’écoute avec attention et je devine la profonde émotion qu’elle éprouve. Je comprends instinctivement qu’elle n’a raconté à personne ces incidents pourtant si importants dans sa vie. Léonie m’explique alors qu’elle  considère  sa relation avec Max en quatre parties « comme les saisons » dit-elle. La première tranche de quelques semaines est telle que le printemps. Ils se rencontrent tous les jours pour une demie heure ou trois quart d’heure pour faire plus ample connaissance.

Ensuite, ce qu’elle définit comme l’été, c’est la période où ils se rendent  compte enfin que leurs rencontres prennent une grande importance soit pour l’un que pour l’autre. Ils ressentent tous les deux une telle impatience à se revoir et à communiquer que petit à petit, ils passent de plus en plus de temps ensemble. Ils se voient tous les jours, et sans hésiter, les problèmes qui ont trait directement à leur existence deviennent d’importance primordiale.

Avec un langage très simple et avec compassion, Léonie me raconte comment Max soigne sa femme et s’occupe de ses moindres besoins. Il l’avait épousée par amour et leur union avait été pleine d’entente et de bonheur jusqu’au jour où elle découvre sa maladie. Il  lui parle de ce calvaire journalier que Lexie vit avec courage sachant que la fin ne pouvait plus être très loin. Durant ces mois, au cours desquels Max et Léonie ne peuvent plus se passer l’un de l’autre, leur amour grandissant les emplit de craintes ; un sentiment de culpabilité  les tourmente. Tout en écoutant Léonie, je n’ose arrêter le flot de ses paroles mais n’empêche que ça et là je dépiste des lacunes  à son récit que je décide de tirer au clair plus tard.

C’est alors que l’hiver arrive avec la nouvelle qui la glace bien qu’elle s’y attende. Max lui annonce que probablement Lexie ne survivrait pas la semaine. Ils comprennent avec peine que les jours qui suivent seront très durs pour eux car Max ne pourra certainement pas venir la retrouver. Les larmes aux yeux, ils conviennent donc de se séparer mais qu’elle viendrait au club au bout de quelques jours pour prendre de ses nouvelles. Ils se quittent sans même échanger un baiser, tout simplement une poignée de main et une forte étreinte. En tremblant, Léonie m’avoue qu’elle avait regretté ce jour et cette décision, car confiants tous les deux de se revoir, ils sont restés sans aucun moyen de communication entre eux par la suite.

Un long silence s’écoule avant qu’elle ne reprenne la conversation pour me dire, que les jours passent et que la situation politique en Egypte se complique. L’état d’Israël est établi et la guerre de Faloujah, en Palestine de laquelle les Egyptiens retournent complètement vaincus, cause des inquiétudes à la population Juive. Les Nationalistes Egyptiens poussent pour la retraite des Anglais et la chute de la monarchie. Les parents de Léonie ayant fait la demande pour le visa Canadien se préparent à quitter l’Egypte. Ressentant la panique qui commence à l’envahir, Léonie essaye en vain de se remettre en rapport avec Max.

Au club, Ramzi ne réussit pas à le retracer et Max n’y met plus jamais les pieds. Tout d’abord, Léonie est convaincue qu’un accident terrible lui est arrivé ou qu’un empêchement grave le contraint à s’absenter. Plus tard elle se dit qu’il a dû regretter leur relation et qu’il ne veut plus la revoir. Pâle et presque en chuchotant, elle me raconte qu’elle rôde tout autour du quartier où elle pense qu’il habite. Elle trouve une maison et certaine, qu’elle lui avait appartenue elle s’en approche pour découvrir qu’on l’a mise en vente. Mais les nouveaux propriétaires qu’elle questionne ne savent rien.

Léonie se tait un moment avant de reprendre le récit et me décrit alors la crise politique et le départ final avec ses parents de ce pays où elle avait passé sa vie. Déprimée, le cœur brisé, la jeune femme ne peut se confier à personne. Les tabous de la société dans laquelle elle grandit la retiennent et elle n’ose point faire trop de démarches afin de savoir ce qui est arrivé à Max. Léonie se couvre le visage de ses deux mains et je sens sa détresse qui m’envahit comme une vague énorme de laquelle j’ai une peine à m’extirper. Je mets une main sur son épaule sans rien dire et au bout de quelques secondes, elle se reprend en disant que maintes fois elle se répète que tout cela n’est qu’un cauchemar et il lui tarde de s’en réveiller!

En dépit de toute la peine éprouvée, à ma surprise, j’entends  Léonie me dire simplement « Il va me retrouver. Je le sais, je n’ai jamais perdu l’espoir! » Je  regarde longuement ce visage paisible, éclairé par cette inébranlable foi qui me touche profondément. Mille questions voltigent dans mon esprit, mais suite à cette conversation, Léonie, refuse de rouvrir le sujet et je reste sur mes conjectures. Je ne veux pas la torturer avec mes questions et mon analyse de la situation mais je désire ardemment trouver d’un moyen de l’aider à retracer les pas de cet homme. En somme, Léonie ne voulant plus communiquer à ce sujet, « l’affaire est close » comme elle me le répète, je cesse de lui poser des questions en attendant un moment plus propice.

Quoiqu’il en soit, le quatre-vingt dixième anniversaire de ma Nonna approche et je décide d’organiser une petite fête pour elle à la résidence. Mon père, retournant d’une tournée de conférence, arrive à Toronto plus tôt que prévu. A ma grande joie, il est enchanté par mon idée et se porte volontaire pour faire plusieurs des commissions et courses nécessaires. Marc, mon père est toujours un grand mystère pour moi. Je l’adore et je ne passe jamais  assez de temps avec lui, car après la mort de ma mère et pendant de nombreuses années, il reste inapprochable et si je n’avais pas eu ma grand’mère je ne sais pas ce qu’il serait advenu de moi!

Ce matin-là, j’arrive avec mon père à la maison de retraite pour visiter Nonna. Elle le reçoit avec grande joie et émotion, et ensemble nous passons une belle journée en famille. J’espère voir Léonie mais elle ne vient que beaucoup plus tard le soir après notre départ. Quand je lui téléphone, Léonie promet d’être de la partie pour fêter avec Nonna le jour de son anniversaire. Nous décorons la salle des fêtes et je fais intervenir un pianiste, ami de mon mari pour nous préparer un petit concert. Mon père qui cuisine à merveille se met en frais pour faire une délicieuse lasagne et une tarte aux pommes.

Tout est prêt pour ce samedi et pleins d’enthousiasme mon  père, mon mari Roger et moi nous nous rendons à la maison de bonne heure afin de tout organiser. Léonie m’annonce qu’elle apporte le petit chaton que Nonna aime tant comme cadeau, ce qui me touche énormément. A l’heure voulue, une des gardes-malades fait descendre Nonna dans la salle des fêtes où nous l’attendons avec plusieurs des pensionnaires et le personnel de la maison. On l’installe dans son fauteuil et les larmes aux yeux, elle nous regarde avec émotion. Tout le monde entoure Nonna et mon père fait un petit discours émouvant avant de l’embrasser et de boire à sa santé.

Le pianiste nous demande de nous installer pour le concert et quand l’audience se calme, il prend sa place devant le piano. Léonie n’est pas encore arrivée et je guette la porte constamment. Il ne faut pas qu’elle manque le  concert puisqu’elle aime tant la musique classique. Mon père souriant et heureux, me regarde avec fierté et se penche vers moi pour dire,  à ma grande surprise « Maman aurait été si fière de voir quelle belle femme tu es devenue Nadine! ». Je me sens rougir violemment et les larmes aux yeux je le regarde sans pouvoir répondre. Il me serre dans ses bras et chuchote « Cela fait quelque temps déjà que je rêve d’elle. Après toutes ces années, je peux finalement parler librement d’elle sans pleurer. » Quand il me laisse aller, il continue « Je ne m’explique pas le fait que je me sente comme libéré d’un grand poids. J’ai rêvé d’elle. Elle veut mon bonheur. Tu ne vas pas croire Nadine mais elle m’a dit que tu allais avoir une fille, oui  toi! Tu seras maman bientôt et je serai grand-père! »

         Ahurie, je regarde mon père, lui qui ne m’a jamais parlé de la sorte, lui qui ne peut pas s’exprimer librement, qui ne parle qu’à demi mots me tient de pareils propos! Mon père qui évite tout sujet quand il s’agit de sentiments, finalement me parle de ma mère avec tant de simplicité que j’ai de la peine à croire mes oreilles. Je n’aurais jamais pensé qu’il aurait cru à un rêve, ou une apparition et qu’il l’aurait mentionné. En plus, à ma plus grande stupéfaction, il est au courant d’une nouvelle que je garde comme surprise. Il n’y a que Roger qui le sait. Nous avons décidé de faire cadeau à Nonna cette merveilleuse découverte que nous attendions depuis à peine deux mois.

Tremblante d’émotion et de joie, je prends ma place entre mon père et Roger pour écouter le pianiste. Derrière moi, une des gardes-malades installe M. Sidès qui ne sort de sa chambre que pour les jours de concert. C’est un homme de taille moyenne aux épais cheveux blancs et aux yeux gris doux et tristes. Il ne parle à personne et l’on dispose de très peu de détails à son sujet. Sans famille pour lui rendre visite, et nouvellement arrivé  dans la maison, j’ai entendu dire qu’il avait été longtemps amnésique avant de retrouver sa mémoire. Quoiqu’il en soit, il reste un personnage mystérieux qui éveille ma curiosité et à qui un jour j’espère pouvoir parler.

La musique résonne autour de moi et accompagne si bien mes pensées que je me laisse aller les yeux fermés jusqu’à ce que les applaudissements me surprennent. Heureuse, je regarde Roger sans parler et il comprend à quel point je suis émue. Mon père penché vers Nonna lui parle doucement et elle lève un visage ravi et illuminé qui reflète sa grande joie. Je ne peux m’empêcher de penser que je suis vraiment chanceuse d’avoir autour de moi ces personnes si chères qui m’entourent d’affection sans condition. L’absence de Léonie me pèse pourtant parce que je désire de tout coeur la présenter à mon père et mon mari. On sert déjà du gâteau lorsque finalement elle arrive avec un petit panier qui, je devine, cache un chaton pour Nonna.

Les convives accueillent Léonie dès son entrée avec des cris de joie et des regards admirateurs. Élégante et souriante, elle pose son panier sur les genoux de Nonna qui s’exclame avec des yeux brillants et des joues toutes rouges. Le chaton se blottit bien vite dans ses bras et émue elle se retourne vers moi pour me le montrer. Ravie, je fais les présentations et finalement Roger et mon père font connaissance avec Léonie, ma grande amie! Le regard admiratif de mon père ne m’échappe pas et je nourris cet espoir secret de voir un jour ces deux s’aimer.

En regardant autour de moi, je me rends bien vite compte que l’heure est tardive pour les pensionnaires et qu’il est temps de laisser Nonna se reposer d’une soirée si excitante pour elle. Les invités en petits groupes se préparent chacun à remonter dans leur chambre. Je remarque que Rosa l’infirmière italienne qui chante si bien pousse le fauteuil roulant de M. Sidès et qu’ils poursuivent une conversation animée en italien. Finalement j’aide Nonna à rentrer chez elle. 

Mon père, Roger et moi attendons que Léonie vienne nous rejoindre et avec quelque insistance, mon père propose  d’aller prendre un pot dans un pub à côté. Je remarque les regards admiratifs qu’il lance à Léonie et il s’empresse autour d’elle avec un charme que je ne lui connais pas! Elle finit par accepter et le cœur battant, je les suis pour nous installer autour d’une table dans un coin tranquille. Je regarde mon père et mon amie avec émotion. Ils semblent être faits l’un pour l’autre.  Léonie se comporte comme à son habitude avec grâce et enthousiasme, mais je crois voir une pointe d’intérêt s’allumer dans ses yeux chaque fois que mon père s’adresse à elle.

Quoiqu’il en soit, ce soir-là, Roger et moi annonçons que nous attendons un bébé pour le mois d’avril et le visage rayonnant de fierté de mon père me fait chaud au cœur. En l’honneur de cet événement, nous décidons tous de célébrer en nous réunissant autour d’un dîner chez nous. Léonie accepte à condition de préparer un plat pour contribuer au repas. Cette nuit est gravée à jamais dans ma mémoire comme une des plus importantes de ma vie. Je retrouve mon père et je baigne avec joie dans sa sollicitude et son affection comme s’il voulait effacer d’un coup toutes les années de solitude et de souffrance par lesquelles nous avions tous les deux passés.

Quelques jours plus tard, Rosa une des infirmières à la maison de retraite, me demande de la suivre dans la salle d’attente. Elle me tend une feuille de papier jaunie, pliée qui semble être fragile et très ancienne.

« J’ai pensé que tu saurais qui a écrit cette lettre Nadine, puisque tu connais tous les pensionnaires de la maison. » En souriant elle me laisse lire cette extraordinaire missive qui immédiatement me fascine en me forçant de devenir un fin limier le nez sur une piste intéressante. Cette lettre, sans date, me semble quand même avoir été écrite depuis plusieurs années et gardée avec soin dans la poche de la personne qui l’a reçue. Au bout de la lettre sans signature, la page est déchirée comme arrachée.

Ma curiosité en éveil, je lis rapidement le texte écrit à la main. Quelques mots semblent effacés par le temps mais l’écriture élégante, régulière aux lettres bien formées est facilement lisible.

 

« Mon Amour,

Quand tu recevras cette lettre, je serai bientôt en route vers toi. Je m’envolerai avec de nouvelles ailes malgré la tristesse qui m’accable. La personne qui te donnera ceci est digne de confiance. C’est mon ami Michel et il te fournira tous les détails nécessaires pour que nous puissions nous revoir.

Excuse le retard mis à te rejoindre mais tu connais bien mes circonstances et je suis sûr que tu me pardonneras. Il y a juste un mois j’ai eu un terrible accident de voiture. Je me remets petit à petit et c’est pour cette raison que j’ai demandé à Michel de venir te voir pour tout t’expliquer.

Ma bien-aimée, je te jure que je n’ai rien oublié. Ce n’est qu’un obstacle sur notre route que nous pourrons certainement facilement surmonter. Je pense à toi tous les jours et j’attends avec impatience de te revoir.

Michel te donnera mon adresse et si tu le veux bien il pourrait même te conduire pour que tu viennes me voir car je ne suis pas en mesure de voyager en ce moment.

A très bientôt mon amour, je compte les jours et les heures et je rêve de te serrer dans mes bras.

A toi pour toujours,

 

 

Je reste longtemps assise avec la lettre ouverte devant moi. Touchée par ce témoignage d’amour, je passe en revue mentalement les différents pensionnaires de la maison. Il y a plusieurs femmes à qui cette lettre aurait pu être adressée. Sans nom pour identifier le porteur ou l’auteur de cette missive j’imagine qu’il sera bien difficile de déterminer qui en est le propriétaire. Le soir même je questionne Rosa qui me confirme avoir trouver le feuillet sur le plancher du couloir du premier étage. Elle n’en sait rien de plus me dit-elle avec son sourire sympa. Elle ajoute qu’avec mon habileté de journaliste je devrais bien trouver un moyen de résoudre ce mystère.

Je plie alors la lettre et je la mets dans mon sac afin de réfléchir à un plan pour retrouver la personne à qui elle a été écrite. Dans la maison de retraite, il arrivait souvent que des personnes oublient ou perdent des objets qu’elles n’utilisent pas journellement. Souvent, les pensionnaires qui ont des albums de photos ou des boîtes de chaussures pleines de souvenirs de leur passé les partagent avec leurs amis dans la salle de séjour. Il est fort possible que quelqu’un ait laissé échappé cette lettre.

Je me suis mise à la tache tout de suite en regardant la liste des pensionnaires de la maison de retraite afin de trouver quelques indices. Après quelques heures de recherches infructueuses, je me rends à l’évidence que c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Finalement, je décidé de mettre une annonce sur le tableau à la salle à manger demandant à la personne qui aurait perdu une lettre personnelle de venir la chercher au bureau.

En voyant Léonie, samedi matin, j’ai la brillante idée de la lui montrer. En la regardant lire, je remarque tout de suite qu’elle rougit et qu’elle est très émue. Elle s’assoit dans un des fauteuils du salon et me regarde fixement de ses grands yeux d’ambre pleins de larmes.

- Qui t’a  donné cette lettre Nadine? Il y a quelque chose … » elle tremblait et avait de la peine à parler.

- Reconnais-tu cette lettre? Sais-tu de qui il s’agit? Qui est la femme? Serait-ce toi par hasard? Je ne pouvais m’empêcher de la questionner, mais elle ne répondait pas, elle hochait la tête d’un air perdu.

- Nadine, ce n’est pas ma lettre mais elle aurait pu facilement m’être  adressée…Il n’y a personne qui l’a réclamée? Elle respirait avec difficulté. Je me fais peut-être des idées… Nadine, il faut retrouver la personne qui a reçu ou peut-être même écrit cette lettre!

 

 

à suivre---à suivre---FIN DE LA DEUXIEME ---à suivre---à suivre

 

 

 

LE 31/10/2008

UN AMOUR DE QUATRE SAISONS

 

Un conte moderne de Mimi de Castro en trois  Parties

 

PREMIERE PARTIE

 

 

Lorsque Maurice Hanein retrouve son ami Sayyed Mohsein, il est agité d’une émotion difficile à contrôler et retient avec peine son agitation.

- Cher ami, je dois te dire que c’est la fin de notre communauté en Egypte. J’ai vécu toute ma vie ici au Caire et j’ai toujours pensé que j’étais Egyptien. L’histoire de ma famille comme tu le sais si bien remonte à des siècles dans ce pays mais la nationalisation du Canal de Suez par Nasser …

- Maurice,   écoute. C’est normal non ? Le canal appartient aux Egyptiens, et l’attaque des anglais, français et Israéliens est totalement injustifiée…

-Sayyed, nous n’allons pas commencer à discuter de cette guerre…Tout ce que je sais c’est que depuis la révolution, le départ des Anglais et la chute du roi Farouk la situation n’a fait que se détériorer. Finalement voilà le résultat…

Maurice écrase sa cigarette à peine commencée dans un lourd cendrier de cristal taillé. Son agitation et son inquiétude sont évidentes. Son interlocuteur,  Sayyed l’observe en silence; ses lourdes paupières cachent son regard pénétrant.

- Tu ne penses pas que tu exagères un peu cette histoire? Sa voix se fait conciliante. Vous les juifs, vous avez tendance à voir le mal  partout! Nous sommes des amis d’enfance toi et moi et sans être de la même religion, nous nous considérons comme des frères. Je ne pense pas que tu es mon ennemi…

- Arrête Sayyed, tu sais très bien que je ne parle pas de toi ou de nos amis. La situation politique une fois de plus devient précaire et l’affaire Suez ne l’a pas améliorée. Ce n’est pas seulement un problème juif. Une foule  d’autres nationalités se trouve dans l’obligation de quitter puisqu’ils se sentent méprisés et non désirés. Quant à la communauté juive, comme tu le sais, une grande partie a déjà quitté le pays ou bien en est expulsée. La voix de Maurice tremble un peu et il regarde Sayyed avec insistance en continuant. Ce matin même les mokhabarates (la police secrète) ont mis les scellés à mon magasin et je ne peux plus accéder à mon compte en banque…

- Voyons ce n’est que temporaire, nous t’en sortirons de là, interrompt Sayyed en se penchant vers son ami. Nous avons des connections…

Maurice fait un geste excédé et se lève brusquement. C’est un homme grand de taille, mince et nerveux. Il passe une main dans ses cheveux prématurément gris et ses yeux bruns lancent des éclairs. Il s’arrête devant Sayyed et s’écrit avec colère « Mais tu n’as rien compris Sayyed! Il ne s’agit pas de moi seul. C’est la fin, nous les juifs et tous les étrangers, nous allons quitter l’Egypte, Nasser a gagné! »

Sayyed se lève et tente de calmer son ami qui est en proie à une violente émotion. Maurice est un homme de tempérament plutôt placide et Sayyed se rend finalement compte que son ami désespéré par la situation est dépassé par les événements. Maurice n’est pas le seul à se demander ce que l’avenir lui réserve. Des milliers de juifs habitant l’Egypte depuis des générations se sont trouvés du jour au lendemain soit expulsés par les autorités, soit quittant le pays de leur propre gré. Pour la communauté juive,   l’affaire de Suez présente une situation devenue intolérable. Pour la plupart de ces familles, spoliées de leurs biens, sans ressources et sans travail, il est impossible de rester dans ce pays qui par le passé s’était pourtant enorgueilli de leur présence.

Sayyed se souvient qu’en effet, pendant plusieurs siècles, les Juifs d’Egypte ont toujours été bien traités et bien accueillis en Egypte lorsqu’ils étaient expulsés d’ailleurs. Du temps des Ottomans, le gouvernement les encourageait à s’installer principalement au Caire et beaucoup d’entre eux conseillers des Khédives, commerçants et économistes, journalistes et médecins se sont enrichis et ont contribué  au rapide progrès de cette société. Instruments essentiels à l’économie et au développement du pays, les Juifs occupent dès lors, une place d’honneur dans la société dirigeante, côte à côte avec les Coptes et les Musulmans.

Interpellés par les dirigeants Ottomans,  l’arrivée des Anglais en Egypte donne plus de pouvoir à ces derniers afin de gouverner.  L’ambition des khédives d’imiter l’Europe en tout, permet aux étrangers vivant en Egypte de s’allier aux anglais pour apporter les changements nécessaires afin de faciliter l’entrée de l’Egypte dans les temps modernes.

- Toi-même et les tiens mon ami, continue Maurice plus calmement, vous craignez ce pouvoir que recherchent les jeunes Nationalistes Egyptiens, qui pour refouler le joug des Turcs et des Anglais voient d’un mauvais œil la coopération des Anglais avec la communauté Européenne en Egypte. Ils oeuvrent à éliminer l’influence des Juifs et des autres multinationaux qu’ils jugent dangereuse.

- Nous sommes au seuil d’une ère nouvelle mon ami, répond Sayyed conciliant. L’expulsion des Anglais et la chute de la royauté ont certainement causé des ennuis pour certains d’entre nous. De plus la montée de l’intégrisme n’est pas une solution pour l’indépendance du pays, Mais au fond, que veux-tu, cela nourrit l’esprit des pauvres jusqu’à ce qu’une démocratie s’établisse en Egypte, une démocratie qui puisse les prendre à charge… soupire Sayyed.

- Mais tu rêves en couleur mon frère. Ecoute, ce n’est pas le moment de discuter, je suis simplement venu te dire que je compte quitter au plus vite le pays. Ma femme a de la famille en Amérique et …Maurice s’arrête brusquement en voyant Sayyed se lever d’un bond et s’élancer vers lui. Les deux hommes se regardent longuement avec une émotion à peine voilée et Sayyed saisit son ami par les épaules et d’une voix tremblante murmure « Est-ce vraiment inévitable, « ya akhi »? ». Maurice éclate en sanglots sans retenue et hoche la tête avec tristesse. Ils restent là, rêveurs, pensant avec nostalgie à  toute une vie d’amitié brusquement  interrompue.

- Je te ferai savoir « ya akhi », se reprend Maurice en s’épongeant le visage et ses yeux rougis. Mes plans ne sont pas très définis en ce moment j’ai trop de choses à régler. Viens donc dîner à la maison vendredi et on en reparlera.  Il se redresse et maîtrise la panique soudaine qui semble se saisir de lui.

- Bon, mon cher, je suis désolé et je ne sais plus comment je pourrais te dissuader de prendre hâtivement une décision si importante. Si jamais tu as besoin de mes relations au ministère ou de recommandations…. je suis à ton service. Ce qui est à moi et à toi mon ami, tu le sais. Sayyed lui serre la main avec force et tente par son regard plein de sollicitude de lui communiquer les sentiments profonds qu’il éprouve et la détresse qui l’envahit à l’idée de cette séparation.

Peu de temps plus tard, avec regrets, Sayyed et ses amis se rendent à l’évidence que les réformes de Nasser et leur espoir de voir l’Égypte faire partie du monde moderne occidental échouent. La réforme agraire ne donne pas de résultats et le « fellah » reste aussi pauvre qu’avant de posséder un lopin de terre. Le coton égyptien vendu à l’avance aux Russes ne rapporte pas les gains espérés. Le contact entre Sayyed et Maurice est brusquement rompu  lorsque les Juifs commencent à quitter le pays en masse.

La plus grande partie de cette population déplacée trouve refuge en Israël, mais le reste s’éparpille en Amérique du nord et du sud ainsi qu’en Europe pour se refaire une nouvelle vie avec toutes les difficultés que cela implique. Il faut tout oublier du passé pour recommencer de zéro.  Pour la plupart, même s’ils ne doivent pas apprendre une nouvelle langue, ils sont obligés de s’adapter à de nouvelles conditions de vie très différentes de celles qu’ils ont vécues jusqu’alors.

Maurice Hanein, sa famille et ses vieux parents, quittent l’Egypte sans papiers officiels et se trouvent aidés par l’organisation Juive internationale afin d’immigrer aux États-unis. C’est ainsi que pour eux et pour les Juifs d’Egypte commence le deuxième Exode de ce pays. Maurice Hanein comme d’innombrables juifs dispersés de par le monde refait sa vie et s’intègre dans la société du pays qui l’héberge. Jamais les Juifs d’Égypte n’exigent de réparations ou d’indemnités pour les pertes endurées à la suite de leur expulsion de ce pays. Jamais une plainte ne leur sort de la bouche contre le pays qui les a spoliés. Cette communauté qui réussit à s’intégrer dans la culture de plusieurs pays du monde, se souvient de l’Egypte avec amour et partage les beaux souvenirs de leur enfance.

Mes parents arrivent au Canada à la suite de tous ces évènements bouleversants qui changent le cours de leur vie. Ils choisissent le Canada car étant d’éducation française, ils préfèrent un pays où cette langue est parlée plutôt qu’un milieu totalement anglophone. Je suis née à Montréal et n’ayant entendu parler de la vie en Egypte que par ouie dire, je décide un jour d’écrire un article sur les ressortissants de ce pays. Ayant perdu ma mère toute jeune, ma grand’mère, que j’appelle Nonna,  s’occupe de moi. Sur ses genoux, je l’entends parler de l’Égypte avec poésie et amour et une nostalgie qui me fait envie. Elle a un passé impressionnant et inoubliable.

Je grandis en écoutant les souvenirs de ma Nonna, certainement enjolivés par la distance et le temps mais qui m’enseignent tant de choses sur la vie et la culture de mes ancêtres. Ces récits m’ouvrent des horizons riches et multicolores d’un mode de vie qui n’existe plus. Je m’enrichis de récits passionnants, historiques et en même temps pleins de sagesse et de philosophie. Vers la fin de sa vie, quand ma grand’mère finalement se retrouve dans une maison de retraite à Toronto, je rencontre des personnes elles aussi issues des mêmes origines. J’ai le bonheur de connaître Léonie, une femme exceptionnelle et c’est son histoire que je raconte.

J’ai toujours voulu aider les personnes souffrantes, me dit-elle. Et c’est pour cela que je fais du volontariat. Au cours de mes visites dans différentes maisons de retraite et asiles de vieillards où les pensionnaires souffraient de la maladie d’Alzheimer, de dépression chronique et autres problèmes mentaux, j’emmenais toujours mes chiens. Toutes les recherches que j’avais lues  démontraient que des personnes âgées ou malades pouvaient pleinement profiter de la présence d’un animal même si cela n’était que pour quelques heures par jour. J’en ai bien vite eu la preuve!

Léonie m’explique donc qu’elle constate que des patients apathiques et mélancoliques, les déprimés et les désespérés, se mettent soudain  à sourire et à regarder les chiens gambader. Pour la plupart, ils démontrent le désir de caresser les chats, et les petits lapins blancs qu’elle apporte avec elle. Témoins de cette extraordinaire réaction qu’ont les pensionnaires, la direction de la maison « Fairhill Home» accepte tout de suite sa proposition de planifier un programme régulier de visites.

Sa réussite dans ce champ, l’a encouragée avec le temps à canaliser tous ses efforts sur cette voie. C’est à ce point qu’elle avait décidé de faire de cette activité sa carrière. Suite à cela,  fort en demande comme conférencière, elle s’était engagée à voyager et à donner des conférences un peu partout en Amérique du Nord au sujet de ce type de thérapie.

Le hasard veut que ce soit  à « Fairhill Home » où ma Nonna commence sa résidence que je rencontre Léonie ainsi que plusieurs pensionnaires originaires d’Égypte. Leur histoire est similaire à celle de ma grand’mère et elle éprouve un grand plaisir à échanger avec eux ces souvenirs qui deviennent pour eux une source d’émotion et de détente. Léonie vient tous les jours avec ses chiens et chats qu’elle distribue aux différents étages de la maison. Ces personnes âgées qui pour la plupart sont privées d’affection et de contact avec leur famille, profitent du bienfait que causent les caresses faites à un animal doux et tranquille. A la maison, tout le monde adore Léonie. Les pensionnaires lui confient leurs préoccupations et les problèmes qu’ils ont avec leurs enfants. Sans trop se mêler de leur vie, elle trouve toujours un bon mot ou une gentillesse à leur dire afin de les soulager.

Chaque fois que je vois Léonie arriver avec ses animaux telle une reine de la jungle, je me demande d’où elle puise cette énergie et cet idéalisme qui la motive. Infatigable, elle fait de la marche tous les jours et nage trois fois par semaine. Curieuse à son égard je décide de lui demander de m’accorder une entrevue pour mon article. Durant notre entretien, je remarque qu’elle répond sans hésitation à mes questions et quand finalement je lui demande pourquoi elle ne s’est jamais mariée elle réplique très simplement « Mais…par amour! »

- Mais comment par amour? Tu ne t’es pas mariée par amour? Ma question ne l’a surprend pas.

- Oui, l’homme que j’aimais…que j’aime, n’était pas libre, c’est tout.

- Tu l’aimes encore, mais il n’est toujours pas libre, c’est ça? Ma curiosité éveillée, je ne peux plus m’arrêter. Elle hausse légèrement les épaules et son regard devenu vague m’évite.

- C’est bien plus compliqué Nadine…un autre jour peut-être… Elle se lève en souriant et l’entrevue est terminée.

Avec le temps, je m’habitue à rencontrer Léonie presque tous les jours, elle vient rester avec ma grand-mère quelques minutes pendant les après-midi, ce qui provoque chez ma chère Nonna un beau sourire et une bonne humeur qui dure des heures. Finalement une affectueuse familiarité s’est installée entre nous et à bâtons rompus nos conversations mènent à des sujets plus personnels. Nouvelle mariée comme je suis, mais un peu surpassée par le travail et les responsabilités au foyer je commence à me sentir plutôt stressée. 

Je constate qu’il est très facile de me confier à Léonie qui écoute toujours avec attention et ne fait des commentaires que lorsque je le lui demande directement. Très vite, me voilà en train de lui confier l’histoire de ma jeune vie. Etant  orpheline de mère depuis mon jeune âge, Nonna, ma grand-mère maternelle m’a accueillie et élevée.  Resté seul, mon père inconsolable voyage beaucoup pour son travail et de ce fait n’a pas le temps de s’occuper de moi. D’ailleurs je me préoccupe encore aujourd’hui à son sujet car bien qu’ayant déjà soixante ans il travaille comme pour s’étourdir et est bien incapable de prendre un jour congé pour se reposer.

J’espère le faire venir à la maison de retraite pour lui présenter Léonie et ses chiens. Sachant qu’il aime les animaux, je suis convaincue qu’il s’intéresserait à Léonie. En fait, je joue à Cupidon mais je ne peux m’en empêcher.  Je me souviens quand j’avais 12 ou 15 ans, il m’avait offert un beau chien labrador  qui était resté auprès de nous, compagnon de mon adolescence  jusqu’à sa mort. Cela fait des années que je tente de convaincre mon père à reprendre un autre chien mais en vain. Il a perdu un peu de son enthousiasme, voyageant trop et ne restant pas souvent à la maison! Mon père se sert de maintes excuses pour cacher le fait qu’il est malheureux. Je me morfonds sans cesse pour lui mais ma Nonna me répète que je n’y peux rien. « Un jour, me dit-elle, il retrouvera le goût de vivre! »

Un soir, à la maison de retraite durant une panne d’électricité les gardes-malades et le personnel de la maison font venir tous les pensionnaires dans la grande salle des fêtes. Ils allument des bougies et dans la pénombre une sorte d’intimité s’installe.  Léonie arrive à ce moment avec un chaton dans les bras qu’elle  pose sur les genoux de Nonna qui émue, l’a remercie avec chaleur et elles restent bavarder un bref moment.

Comme le courant ne retourne pas encore, je décide avec l’aide de Léonie d’accompagner Nonna dans sa chambre car étant fatiguée par toutes les émotions de la journée elle désire dormir. Au retour, je demande impulsivement à Léonie « Est-ce que tu vois cet homme dont tu m’as parlé l’autre jour? » Elle s’est mise à rire de bon cœur et me répond « Tu es vraiment curieuse ma fille! Non, je ne le vois plus car il a disparu de ma vie! »

- Mais enfin, tu m’étonnes de plus en plus Léonie! Raconte-moi donc ton histoire, tu peux me faire confiance! Soudain dans le hall d’entrée l’électricité se rétablit. Léonie me lance un coup d’œil  d’un un air sérieux comme pour juger si c’est une bonne idée de se confier à moi.

- Je dois rentrer les animaux au bercail d’abord Nadine et ensuite si tu veux, nous pouvons nous rencontrer au resto du coin, tu connais? Elle incline la tête légèrement, geste typique quand elle pose des questions.

- D’accord, de toute façons mon mari ne m’attend pas de si tôt.

Émue, je considère le fait que finalement je vais avoir la clé du mystère qui entoure la vie de Léonie. Ce n’est pas par simple curiosité, mais grâce à nos conversations journalières j’avais développé pour elle une amitié sincère et une admiration pleine de respect. Son dévouement et sa gentillesse constante, sa patience et aussi sa présence rassurante sont devenus nécessaires pour moi et pour ma grand’mère qui ne jure que par elle. Ce soir-là, nous nous rencontrons  au resto grec du coin et nous nous régalons de bon appétit et voilà que je m’installe carrément devant elle pour écouter le récit de sa vie.

Bien qu’elle ne soit plus très jeune, Léonie a une vitalité admirable et une attitude positive envers tout. Elle semble ne voir que le bon côté des choses sans pour cela être naïve ou simple. Son intelligence se transmet facilement à travers son regard curieux et ouvert et sa façon franche et directe de parler. Elle a d’épais cheveux longs, châtain foncé avec quelques fils gris qui s’y insinuent avec élégance. Quelques mèches lui tombent souvent sur le front et d’un geste gracieux, elle les repousse en rejetant la tête en arrière. Ses grands yeux bruns tachetés d’ambre bordés de longs cils  qui pétillent toujours de bonne humeur. Léonie n’est pas d’une beauté remarquable, ses traits réguliers n’ont rien de particulier. Mais sa peau lisse et presque sans rides, toujours bronzée grâce à s ses longues randonnées dans la nature, reflète la bonne santé. Son allure sportive et énergique, résultat de ses fréquentes activités en plein air rayonne d’une telle sérénité et bonté qu’on ne peut s’empêcher de la trouver belle.

Née au Caire,  Léonie fréquente le Sporting Club où elle joue au tennis avec ses amies. Par un frais matin de printemps elle voit Ramzi, son entraîneur sur le court se démenant en plein, dans une partie de tennis avec un adversaire qui se mesure bien à lui. Ce dernier est un homme de taille moyenne, de carrure athlétique, en pleine forme, aux cheveux légèrement bouclés et aux yeux gris, brillants dans un visage à la peau hâlée. Voyant cet homme pour la première fois, Léonie est très vite attirée par son regard ouvert et son sourire franc et sincère. Quand la partie de tennis se termine, elle va à la rencontre de Ramzi qui lui présente Max en ajoutant que c’est un ami de longue date qui aurait pu être champion de tennis s’il l’avait voulu!

Totalement séduite par Max dont le sourire et les yeux  irradient la bonne humeur, Léonie  accepte de le rencontrer pour une partie de tennis le jour suivant. Sa poignée de main amicale, franche et sincère sans excès de pression, rassure la jeune fille. Ramzi pourtant, l’avise sans ménagements que Max un excellent joueur de tennis et un athlète accompli, qu’il est marié et d’au moins sept à huit ans son aîné. Bien que déçue par le fait que Max ne soit pas libre, Léonie décide quand même de le revoir si toutefois il est prêt à disputer quelques parties de tennis à une novice.

Pour la première fois de sa jeune vie, Léonie ne se méfie point d’un étranger comme elle a l’habitude de le faire; elle qui s’éloigne au moindre geste que les gens font pour initier une conversation au club ou dans un café. Cette fois-ci, elle ne se demande pas si le sourire de Max cache des arrières pensées. Elle, qui ne fait confiance à personne, s’est sentie conquise tout de suite et cette rencontre fortuite un matin de printemps aurait pu s’arrêter là. Mais le hasard, le destin ou la providence a voulu qu’il en soit autrement.

 

à suivre---à suivre---FIN DE LA PREMIERE PARTIE---à suivre---à suivre

 

 

LE 31/08/2008

LA CANNE A SUCRE

(el assab)

 

 

Il me semble aujourd’hui que l’hiver était la saison de la canne à sucre. Je ne suis pas sûre mais ce dont je me rappelle avec certitude, c’est le plaisir énorme et l’impatience avec laquelle ma sœur, mon frère et moi anticipions l’arrivée de ce fruit.

Avec notre dada Fahima nous nous asseyions sur le tapis de notre chambre couvert de papiers journaux.  Elle apportait une longue tige de canne à sucre qu’elle coupait en plus petits segments. Ensuite, elle taillait l’écorce sèche et rigide en bande en l’arrachant pour dégager la chaire sucrée et juteuse de la canne.

Nous la regardions faire avec fascination et l’eau nous venait à la bouche en imaginant le goût délicat et parfumé. Après avoir donc enlevé l’écorce, elle coupait le fruit en petits bâtonnets et tendait à chacun de nous un morceau. En hâte et avec gourmandise nous sucions sur le morceau de canne à sucre en faisait toutes sortes sons et nous déglutinions le jus de la canne qui nous dégoulinait sur le menton et dans les mains. La fibre qui restait du fruit était écartée enfin, sèche et effilochée, vidée de son nectar sur un journal ouvert par terre placé à cette fin derrière elle.

Le rituel continuait jusqu’à ce que nous soyons rassasiés de ce délicieux goûter. Alors, nous avions les mains et le visage collants de sucre et comme notre concentration et patience s’effritaient, nous commencions à nous donner des petites claques et des « caresses », à nous pousser sur le tapis. Nous tombions sur le journal contenant la fibre de la canne et les écorces. Fahima perdait patience avec nous et nous grondait en ronchonnant qu’elle n’allait plus jamais nous donner à manger de la canne à sucre. Nous nous calmions aussitôt car nous n’étions pas sûrs si elle aurait tenu sa promesse ou non. Ensuite, nous l’aidions à tout ranger et rassasiés, satisfaits jusqu’à la prochaine fois, nous allions faire nos devoirs.

Nous avons rarement l’occasion de manger de la canne à sucre maintenant, mais chaque fois que je me souviens de cet épisode, j’imagine facilement ces années d’insouciance pleines de ces plaisirs simples et sains de mon enfance.

 

 

 

LE 30/06/2008

 

MA TANTE LUTFI

 

En fait, elle n’était pas du tout ma tante ! Il n’y avait aucune relation familiale. Par contre, c’était par amour et respect que je l’appelais « ma Tante ».

Lutfia el Nadi, était notre voisine de palier, une grande amie à mes parents et en particulier à ma mère. Elle adorait les enfants qu’elle n’a jamais eus et gagnait l’amitié de tout le monde grâce à une personnalité aimable, courtoise et pleine d’attention. Sa maison était ouverte à ses nombreux neveux et nièces qui venaient la voir et à nous, les enfants des voisins les plus proches.

Depuis ma naissance, je ne me rappelle d’aucun jour sans que la tante Lutfi d’une manière ou d’une autre n’entre dans notre vie. J’admirais sa taille, mince et petite, sa coupe de cheveux à la « garçonne », son aisance et sa grâce, ses yeux bruns doux qui pouvaient devenir sévères et sérieux tout d’un coup. Ma Tante Lutfi vue de profil ressemblait (à mon avis) à Néfertiti. J’avais un buste de cette reine sur mon bureau et quand je la regardais de profil, je voyais immanquablement Lutfi.

Sur notre palier, il y avait plusieurs appartements et je me souviens des familles qui y vivaient. Celles qui comptaient pour nous avant tout, c’était les Morenos. Ma meilleure amie de toujours, Renée, était en classe avec moi. A six mois de différence dans notre âge, nos mères étant également amies, nos vies ont étés depuis longtemps entremêlées; même aujourd’hui après cinquante ans, nous trouvons moyen de nous revoir presque chaque année.

Les autres familles avec qui nous étions moins intimes, les Lieberman, Adès et leur sœur célibataire Angèle composaient le reste des voisins. La Tante Lutfi vivait avec un médecin Dr. Shwartz, qui avait été marié avant elle et qui avait des enfants qui venaient quelques fois lui rendre visite. Donc, en tout six familles sur l’étage.

Dans l’appartement de Tante Lutfi, Dr Shwartz aimait garder la pénombre, donc les rideaux ou les persiennes étaient souvent fermées. Le mobilier simple et sobre rendait l’atmosphère élégante et ordonnée. Ma sœur aimait dire que cela ressemblait à un temple plein de calme et de sérénité avec un souffle de mystère qui nous enchantait.

En grandissant, j’appris plusieurs détails saisissants au sujet de ma Tante Lutfi. Elle avait été la première pilote du Moyen-Orient, elle connaissait bien le roi Farouk et elle dirigeait le fameux « Royal Automobile Club », non loin de notre immeuble sur la rue Kasr el Nil. Lutfi avait fait des études en Europe et parlait à la perfection le français et l’anglais. Avec son mari, elle voyageait souvent en Europe et surtout en Suisse. Elle aidait beaucoup les enfants de son frère et prenait au sérieux leur éducation. Lutfia était très sobre dans sa façon de s’habiller et très moderne dans sa conception de vivre. Elle espérait pour l’Egypte une émancipation des superstitions, de l’ignorance et de la pauvreté. 

Ma Tante Lutfi, patiente et engagée, nous écoutait avec attention et nous conseillait toujours de voir plus loin que la surface des événements et des choses. Quand ma sœur tomba gravement malade d’une fièvre typhoïde, elle ne quitta pas son chevet avec ma mère et trouva mille et un moyens de lui faire plaisir. Elle lui acheta une superbe chemise de nuit et lui offrit de petites babioles pour lui faire prendre patience durant cette maladie.

Ma Tante Lutfia était très fière d’être une femme active et engagée. Elle voulait à tout prix nous rendre conscientes Renée et moi de l’importance que l’éducation, la libre pensée et l’émancipation pouvait apporter à une femme et par conséquent à un pays. Elle avait une façon positive de voir la vie en grand sans crainte, et d’aborder les difficultés avec courage.

Avec le recul des années, je me suis demandé comment elle avait osé braver sa famille pour  vivre avec un homme juif et divorcé, beaucoup plus âgé qu’elle. Avec son nom, son origine de famille célèbre et riche, ses exploits et sa position elle aurait pu épouser n’importe quel pacha! Mais je compris un jour en bavardant avec elle, vingt ans plus tard à Lausanne, qu’elle n’aurait jamais pu épouser un homme dans un mariage de convenances ou vivre avec les restrictions  qu’aurait imposée la « Sh aria » à une femme.

Quand je pense à ma Tante Lutfi, je comprends que d’une manière très précise, elle a influencé ma façon de voir certaines choses qui ont trait à la valeur de la femme dans la société et à sa contribution. Une autre dette que toute ma famille lui doit sans aucune hésitation, c’est son support inébranlable et son aide jusqu’au moment de notre triste départ d’Egypte.

J’ai eu la chance de revoir ma Tante Lutfi, plusieurs fois en Europe et au Canada avant son décès en Suisse. Je suis sûre, comme mon amie Renée, que ce que la Tante nous a apporté est incalculable et incommensurable. Je voudrais que ces quelques mots lui servent  d’épitaphe puisque nous n’avons jamais pu le faire autrement. Elle seule savait à quel point nous l’aimions.

 

 

LE 30/04/2008

 

   ETERNELLEMENT A TOI

( SUITE ET  F I N )

 

 

Merwan, avoua à son ami qu’il était convaincu, que Nefer Hathor essayait de le contacter de l’au-delà. Pour quelle raison? Il était incapable de justifier sa conclusion. Surpris par ce changement advenu chez Merwan, Winters fit un commentaire au sujet du fait qu’il pensait que Merwan ne croyait pas à ces idées de vie après la mort ou de réincarnation!  Dans un sanglot qu’il ne put réprimer, Merwan s’écroula sur son fauteuil et s’épancha en décrivant ses sentiments, son envoûtement et sa fascination avec Nefer Hathor depuis la découverte du manuscrit. Winters se dépêcha de lui commander un verre d’eau froide et de le calmer avec des paroles d’amitié rassurantes.

Inquiet pour l’état d’esprit de son camarade, Winters l’accompagna jusqu’à sa chambre afin de lui donner le temps de se reposer un peu avant de sortir dîner avec les autres membres de l’expédition. Il fallait prendre des dispositions au sujet du site et le groupe devait venir les rencontrer. Winters retourna à son logement dont le balcon donnait plutôt sur le désert que du côté du fleuve. En regardant ce vaste espace de sable et de roches imposantes qui s’étalait à ses pieds, il essaya de mettre de l’ordre dans ses idées. La confession de Merwan et l’angoisse qui l’accompagnait, l’avaient beaucoup touché et en même temps surpris.

Epuisé par le voyage et les événements, Winters regarda autour de lui. La chambre claire, modeste mais spacieuse avait des rideaux aux grandes fleurs multicolores et des meubles confortables en osiers, tout comme la chambre de Merwan. Une horloge aux chiffres romains se trouvait au-dessus d’un bureau de bois énorme sur lequel, une lampe trônait à côté du téléphone. En face du bureau, un lit surplombé d’une moustiquaire, « namouseya » en voile blanc, occupait  tout le coin près du balcon dont les rideaux flottaient à peine dans la brise du soir. Une porte menait vers un placard avant d’arriver à la salle de bain.

Après avoir accroché ses vêtements dans la penderie, Winters prit une douche froide et se coucha sur le lit qui grinça un peu sous son poids. Il ne savait que penser de tous ces incidents advenus à son ami. Soudain, la lampe au-dessus de son lit s’éteignit et pour un moment surpris il ouvrit de grands yeux dans le noir. Quand la lumière fut rétablie, Winters remarqua un détail dans la chambre qu’il n’avait pas vu auparavant. Il y avait une porte attenante à la salle de bain. Il se leva, en se demandant où elle pouvait mener. Curieux, il tendit la main pour tâter la porte et sous la pression de ses doigts, le battant bascula sans effort.Winters, conscient de l’étrange atmosphère qui régnait dans la salle où il fit irruption, s’aperçut que des torches fixées aux murs illuminaient le tout d’une teinte rougeâtre et or. Une forte odeur d’encens flottait dans l’air et une voix entonnait une incantation monotone et répétitive. Winters continua son exploration de la salle qui semblait être énorme et vide. Au moment où il allait se retourner pour retourner dans la chambre de laquelle il était sortit, le jeune homme se trouva en face d’un personnage vêtu d’un pagne de lin blanc comme un ancien égyptien.

Les deux se regardèrent intensément, Winters choqué, reconnut en cet étranger sa propre image. C’était bien lui, Ian Winters en personne, son double en chair et en os. Comme lui, l’Egyptien était grand de taille, athlétique et musclé, avec un visage sérieux et des yeux bleus brillants, et intelligents qui le fixaient sans hésitation. Winters tenta de parler mais aucune parole ne sortit de sa bouche et la gorge serrée, il resta immobile.

A ce moment, la voix qui chantonnait s’arrêta ainsi que la musique qui l’accompagnait. L’image de Winters se retourna pour accueillir la silhouette d’une femme qui s’approchait lentement. Winters fit un pas en avant pour voir de qui il s’agissait et ce mouvement causa la pénétration de son corps dans celui de l’étranger et il devinrent un. Devant lui, apparue la plus belle femme qu’il ait jamais vue, Nawal, elle-même.

Ahuri, il fixa cette Egyptienne, richement parée, élégante et gracieuse. De petite taille, elle semblait fragile et complètement subjuguée par son regard à lui. Un parfum de rose s’émanait d’elle et une clareté lumineuse l’entourait. Sa peau couleur de miel luisait et ses grands yeux ambrés le fixaient avec amour. Elle tendit les mains vers lui et il les saisit en l’attirant dans ses bras. Sans résistance aucune, la femme murmura quelques mots avant de se laisser envelopper par lui. Il n’était pas sûr de la langue qu’elle utilisa mais il comprit qu’elle disait « Finalement mon amour, nous nous retrouvons! »

Une porte claqua dans le silence et la sonnerie du téléphone le réveilla brusquement. Encore sous l’emprise de son extraordinaire expérience, Winters sursauta  et d’un coup, retourna à la réalité. Il fut incapable de répondre au téléphone qui finalement cessa de sonner. Winters regarda autour de lui, tout était différent, disparus la salle illuminée, l’Egyptien et l’Egyptienne qui ressemblait exactement à Nawal, l’encens et la magie de ce qu’il venait de vivre. Pourtant, la sensation qu’il avait eue lui semblait si réelle qu’il avait de la peine à croire que ce fut un rêve. Winters venait de voir Nawal sous l’identité de Nefer Hathor l’Egyptienne, c’était incroyable!  Qu’est-ce que cela voulait dire? Il se leva enfin en entendant de forts coups frappés à sa porte. C’était Merwan qui l’interpellait à tue-tête inquiet du fait que Winters n’avait pas répondu à son appel téléphonique.

Quand, Merwan entra dans la chambre de son ami, il se rendit compte que ce dernier était encore étourdit et il le questionna anxieusement. Winters lui avoua qu’il venait de vivre une expérience extraordinaire, qu’en quelques mots il lui raconta. Abasourdit, Merwan s’assit sur le bord du lit et le regarda son ami avec des yeux hagards.

_Comment? Nawal? Tu dis bien Nawal? Mais Nefer Hathor alors? s’exclama-t-il.

_Mais je ne sais pas, Awad, je ne suis sûr de rien! Cela m’est apparu comme si les deux étaient les mêmes personnes. Déjà, en venant sur la dahabieh je pensais… répond Winters

_Quoi sur la dahabieh? Tu l’avais vue, et tu ne m’avais rien dit? hurla Merwan.

_Eh bien quoi, pourquoi cries-tu? Non, je n’étais pas sûr, je pensais que je rêvais. Rien n’est clair, je ne peux rien expliquer…comme tu as dit, c’est un mystère! continua Winters.

_Mais c’est à devenir fou! Je ne comprends pas comment tu as les mêmes visions que moi! s’exclama Merwan complètement atterré.

_Moi non plus voyons…c’est …tout simplement incroyable…Je n’ai même pas pensé à Nefer Hathor plus d’une ou deux fois depuis ta découverte… Mais quand Nawal m’est apparue…j’étais encore plus choqué…

_Mais c’est ma vision…c’est mon rêve, balbutiait Merwan éperdu.

Ian hochait la tête avec stupeur, tourmenté par mille questions, des sentiments et des idées qui tourbillonnaient de tous les côtés et aucune réponse rationnelle qui lui venait à l’esprit. En perdant Nawal, il était devenu inconsolable, il pensait mourir et si ce n’était pas Merwan et son travail, Ian serait devenu fou. Comment Nawal et Nefer Hathor pouvaient elles se fondre en une femme? Quelle était cette relation qui les liait?

Merwan se leva et fit les cent pas dans la chambre. Il essayait de raisonner, de mettre tous les faits ensemble, de trouver un fil conducteur. Winters lui rappela qu’il était l’heure d’aller rencontrer les collègues qui devaient les attendre au lobby de l’hôtel. Il s’habilla et ils descendirent voir leurs camarades. Durant toute la soirée, les deux amis semblaient distants et préoccupés mais leurs collègues mirent cela sur le compte des problèmes de l’ouverture du tombeau, la clôture du site et toute la paperasse à remplir.

 

Il tardait à Merwan et Winters de rester seuls afin de discuter et de prendre une ligne de conduite. Après avoir bâclés leur réunion ils se retrouvèrent dans le jardin de l’hôtel, loin du bruit et de la commotion habituelle. C’est alors, que Merwan indiqua à son ami la fontaine en lui décrivant l’incident en détails. Il évoqua sa vision, avec sons, lumière, parfums, ainsi que sa troublante émotion. Winters, terriblement ébranlé par sa propre expérience l’écoutait sans l’interrompre. Intuitif et sensible aux besoins de son ami, il comprenait que ce dernier désirait plus que tout parler de son obsession qui durait déjà depuis tant d’années. 

Pendant que Merwan parlait, Winters sans cesse continuait à se remémorer l’expérience qu’il venait lui-même de vivre. Etait-ce possible qu’un monde parallèle existe et qu’on puisse passer de l’un à l’autre au bon moment? Comment pouvaient-ils Merwan et lui, expliquer ces incidents si troublants qui venaient de bouleverser leur conception de vie, leurs croyances et leur profession. Winters se souvint d’histoires qu’il avait lues, de personnes qui avaient pu traverser d’une réalité à une autre. Mais jamais il aurait cru que cela aurait pu se passer pour lui. L’idée qu’ils étaient en train de vivre un épisode qui existait dans une autre dimension lui vint à l’esprit mais comment expliquer tout cela?

Les heures passèrent et la nuit céda le pas à l’aube. Merwan et Winter conclurent de ne pas se quitter, même pour dormir. Winters expliqua à son ami que puisque la porte qui menait vers une autre dimension s’était ouverte dans sa chambre, la meilleure des choses serait de rester dans cette chambre afin de voir si cela se répèterait. Les jeunes gens donc sans hésitation décidèrent de commencer leur veillée.  Tendus et nerveux, tous les deux espéraient de toutes leurs forces que cette expérience réussisse. Toutefois, Winters, avertit Merwan du danger réel qui existait et que suite à cette expérience, les résultats risquaient d’être énormes.

Malgré cela, Merwan n’eut aucune hésitation, au contraire, il se disait que finalement il allait savoir à quoi s’en tenir! Il eut un moment de soulagement parce qu’il avait pu partager ses anxiétés avec son ami. Mais ce qui le chiffonnait c’était le fait qu’il ne semblait pas l’unique joueur dans ce drame. Son ami qui n’avait pas initié la recherche du tombeau de Nefer Hathor et qui ne s’était pas impliqué de la même façon semblait maintenant tenir une grande place dans ce mystère. Il ne put réprimer un sentiment de jalousie qui le rongea. En plus, que venait faire Nawal dans tout cela?

De son côté, Winters lui, s’impatientait durant cette attente. Tout basculait dans sa vie. Indifférent à l’obsession de Merwan qui durant les années passées cherchait sans trêve le tombeau de Nefer Hathor, il éprouvait une sensation d’aboutissement qui ne faisait pas de sens. Winters conscient de cette inégalité entre eux, sentait la frustration de son ami face aux des événements qui se succédaient. Ian se sentait le plus fort des deux, le plus sûr de la situation. C’est comme s’il avait pris les rênes de cette tranche de leur vie. Il répéta son avertissement à Merwan parce qu’il savait qu’un vrai danger existait et voulait rendre son ami conscient des risques. Mais Merwan s’entêta à continuer. Le jour pointait lorsqu’ils sombrèrent tous les deux de sommeil et de fatigue.

Le soleil pénétrait dans la chambre quand les deux amis se réveillèrent. D’un coup d’œil, ils se consultèrent, une nuit sans rêve ni expérience de l’au-delà  se dirent-ils. Ils se mirent d’accord pour se rencontrer plus tard pour aller sur le site des fouilles et compléter les formalités nécessaires.  Ils se séparèrent et chacun de son côté s’en alla vaquer à ses affaires. La journée s’écoula sans incidents et le soir ils se retrouvèrent dans la chambre de Winters, prêts à veiller pour essayer de provoquer une incursion dans l’autre dimension.

Merwan allongé sur le lit et Winters assis sur un fauteuil, causaient à bâtons rompus d’une chose et d’une autre. Dans la chambre, régnait une atmosphère d’agitation et d’émotions réprimées. La présence de Nawal et de Nefer Hathor dont les personnalités se fondaient l’une dans l’autre créait un mystère en suspension qui planait sur eux sans explication. 

_Awad, je pense au tombeau de Ramon Hedef que nous avions découverts, avais-tu traduit toi même les inscriptions qui furent retrouvées? demanda Winters à son ami.

_Non, c’est professeur Sabri El Taher qui l’a fait. Je n’ai pas trop prêté attention à cette sépulture… après avoir trouvé le manuscrit de Nefer Hathor. Mais je sais que c’était un prince obscur, je crois même qu’il n’était pas Egyptien… s’étira Merwan en baillant.

_Hum, je vois, mais c’était bien l’époux de Nefer Hathor n’est-ce pas? Il n’y a pas de doute à ton avis?

_Certain, en fait maintenant que j’y pense, je crois qu’il s’était fait assassiné, ou quelque chose de ce genre…

_Comment assassiné? Tu n’as pas trouvé la momie… Alors comment le sais-tu? Winters debout, agité sans savoir pourquoi, respirait avec difficulté.Voyant l’agitation de son ami et son trouble, Merwan se leva et lescruta avec attention.

_Tu sais c’est à cause du manuscrit… Nefer Hathor et ses poèmes, il y a des allusions voilées et c’est comme ça que je devine…Mais, dis-moi Ian. Tu penses à quelque chose, dis-moi!

_Je suis perturbé au maximum car je ne comprends pas moi-même ce que je pense et où je veux en venir. Je suis totalement bouleversé, j’ai l’impression que c’est de Nawal et moi qu’il s’agit…j’en suis convaincu même…excuse-moi Awad… il s’interrompit en se tenant la tête.

Merwan, agité, regardait Winters dont les remarques lui paraissaient agaçantes commença à faire les cent pas dans la chambre.  Winters, ne sachant comment interpréter le silence de Merwan et son agitation, reprit la parole.

_Tout ce que je sais maintenant, c’est qu’en pensant à ma vision, je réalise que l’Egyptien que j’ai vu avait les yeux bleus et me ressemblait comme un frère jumeau. A un certain point lorsque la femme…Nawal, Nefer apparut je restais seul en face d’elle, l’autre avait disparu, c’était moi…moi. C’est vers moi qu’elle est venue, c’est à moi qu’elle a dit… il  s’interrompit un instant pour respirer comme s’il allait se noyer, avant de reprendre.

_ Awad, cette femme, c’était Nawal, j’en suis sûr, je ne peux pas me tromper! Ce qui veut dire que nous avons été témoins d’un événement assez tragique qui a dû prendre place dans la vie de ces personnes…nous? Je crois que nous sommes en train de revivre ce moment, je ne sais pas pourquoi…

_Ian, tu ne veux pas dire que tous les trois, toi, moi et Nawal avons vécus antérieurement ensemble et que maintenant nous sommes en train de revivre un incident traumatique qui a dû se passer il y a 3 000 ans? Mais c’est malade, c’est fou! s’écria Merwan.

_Awad, il y a quelque chose de très étrange que je ressens et que je ne peux expliquer. Tu as toi-même vécu depuis cinq ans une histoire impossible… Je ne sais plus, je perds la tête…

Winters, debout, les yeux écarquillés, haletant, regardait Merwan qui, bouleversé et dépassé par les propos que lui tenait son ami, restait silencieux. Winters emparé d’une forte émotion essuyait de grosses larmes qui coulaient de ses yeux sans qu’il ne puisse les contrôler. Incapable de continuer à parler et totalement épuisé, Winters regardait son ami avec des yeux suppliants. Merwan, le visage écarlate, les yeux hagards, les poings serrés se tenait debout devant lui dans une pause menaçante et belliqueuse.

Ne comprenant pas cette attitude, Winters s’avança vers Merwan avec sollicitude, mais bien vite il dut reculer avec crainte car dans le visage de son ami, il lut une haine implacable et une colère meurtrière. Merwan respirait avec difficulté, sa bouche ouverte dans un rictus horrible dévoilait ses dents serrées.

_Awad, ya akhi, mon frère…

_Je ne suis pas ton frère! s’écria Merwan couvert de sueur. Il bondit brusquement vers le bureau sur lequel se trouvait un coupe-papier qu’il saisit et Winters affolé comprit qu’il allait s’en servir contre lui.

_Awad, pourquoi, que se passe-t-il? Nous avons besoin de toute notre tête pour résoudre ce problème, supplia Winters.

_Je te hais, persifla Merwan. Tu as ravis ma princesse, la femme que je cherche depuis cinq ans, toi un étranger… Merwan venait vers Winters avec le bras levé menaçant de le poignarder avec le coupe-papier.

_Mais je ne comprends pas…Awad…

_Non, tu ne comprends jamais…c’est toujours de toi qu’il s’agit…Nawal Nefer Hathor…qu’est ce que tu crois, elles t’appartiennent? Et moi?

Tout à coup, la lumière s’éteignit, et dans le noir, les deux hommes s’empoignèrent. Winters essayait de tenir Merwan à bout de bras et c’est alors que la clareté se refit. Ils se retrouvèrent tous les deux dans la grande salle que Winters avait vu dans sa vision. Les torches sur les murs brillaient de tous leurs feux et les deux hommes se faisaient face haletants et troublés par la tournure des choses. Ils se regardèrent et constatèrent qu’ils portaient de riches vêtements égyptiens et qu’il faisait une chaleur lourde et oppressante. Sans dire un mot, ils se retournèrent lorsqu’un parfum puissant et capiteux annonça l’arrivée de Nawal ou Nefer Hathor. Comme une apparition, elle flotta vers eux et tout d’un coup, ils se redressèrent pour la regarder.

_Mon bien aimé, Ramon Hedef, te voilà finalement! J’ai tant attendu et tant prié Ptah Osiris pour ton retour. Nous n’allons plus nous quitter désormais…

Les deux hommes immobiles subjugués par cette voix caressante et tendre, regardaient silencieusement cette merveilleuse vision. C’est quand elle se dirigea vers Winters que Merwan d’un coup saisit le sens de cette scène. Nefer Hathor (Nawal) l’épouse de Ramon Hedef (Ian) ne lui appartenait pas. C’était son mari qu’elle désirait, c’était son mari qu’elle attendait, pas lui Userkaf (Merwan), le scribe qui l’aimait depuis si longtemps.

Userkaf, fils du prêtre de On avait patiemment attendu qu’elle s’aperçoive de son existence. Eduqués au palais, Userkaf grandit avec Nefer Hathor et ses frères, ainsi qu’avec Ramon Hedef, fils adoptif de la mère du pharaon. Il aimait Nefer Hathor depuis qu’ils jouaient ensemble camarades et enfants insouciants. Mais elle, ne prêtait attention qu’à Ramon Hedef.       Userkaf le considérait toujours comme un étranger car il ne ressemblait à personne, et on ne connaissait pas son père. Nefer Hathor, sa princesse, celle pour qui il était prêt à tout sacrifier, elle, amoureuse de Ramon Hedef, l’étranger; il l’avait perdue à jamais.

Userkaf et Ramon Hedef, face à face ne regardaient plus Nefer Hathor. Elle s’arrêta à quelques pas des deux hommes. Inquiète, elle s’adressa à Merwan.

_Userkaf, mon ami dit-elle. Pourquoi cette haine, cette colère? Tu avais promis de nous aider, pourquoi nous as-tu abandonnés? Userkaf regarde-moi!

La tête basse, les bras ballants, Userkaf s’inclina devant la princesse. Ramon Hedef, tremblant, demanda à Nefer Hathor une explication.

_Mon époux bien  aimé, tu sais que tu as toujours été le préféré de mon frère le pharaon. Mais tu avais beaucoup d’ennemis. On te convoitait, on te jalousait et notre ami Userkaf m’a avertit d’un complot qui s’hourdait contre toi. Nous avions décidé de ne rien te dire. C’était pour cela que je t’avais demandé de venir me rejoindre dans le jardin ce soir là… pour que nous puissions partir ensemble. Elle s’approcha de Ramon Hedef et posa sa main douce et gracieuse sur son bras. Il protesta.

_Mais pourquoi me cacher ceci…c’est injuste et dégradant. Pour qui me prenais-tu? Un enfant qui se cache dans les jupes de sa mère? Tu n’avais pas le droit de me faire ceci!

_Mais c’est parce que je te connais, tu aurais pris des chances, tu aurais attaqué tes ennemis… je t’aurais perdu…Un sanglot arrêta le flot de ses paroles et elle se jeta dans les bras de Ramon Hedef. Il la serra contre lui avec une sensation de bonheur jusqu’alors inconnue.

_Ma femme, mon amour murmura-t-il en caressant ce beau visage levé vers lui.

Userkaf, furieux, aveuglé par sa jalousie, se rua vers le couple et enfouit avec force dans la poitrine de Ramon Hedef, le couteau qu’il tenait dans la main. Le sang gicla abondamment en aspergeant les trois. Nefer Hathor hurla comme un animal blessé et serra dans ses bras Ramon Hedef titubant sous le choc. Ils tombèrent à terre tous les deux. Userkaf, choqué par son acte irraisonné, se pencha vers Ramon et tenta de relever Nefer de sa position accroupie. Elle se leva et avec rage le gifla.

_Qu’as-tu fait malheureux? Tue-moi maintenant, tue-moi je t’en supplie! Elle hurlait et lui assénait des coups furieux sur la poitrine .Hébété, Usurkaf la fixait, muet et immobile. Elle répétait sa supplication.

_Tue-moi s’il te plait…Tu m’as laissé vivre une fois, quel cauchemar! Mais pas maintenant, plus maintenant …mon âme et la sienne ensemble…pour l’éternité. Ne me trahis pas encore une fois. Je t’en prie si tu m’aimes comme tu prétends, tue-moi maintenant avant qu’il ne soit trop tard!

Finalement, malgré la brume qui encore brouillait son cerveau, Usurkaf/Merwan comprit  pourquoi elle l’avait hanté. Quand il avait promis de les aider à fuir, il espérait la garder pour lui en poussant Ramon Hedef à partir seul pour se protéger de la conspiration qui le menaçait. Ramon Hedef mort ou enfuit, Nefer Hathor serait restée et peut-être, Radef aurait pu la consoler. Mais rien ne se passa comme Usurkaf avait prévu et sous les yeux de Nefer Hathor, il avait tué son mari! Inconsolable, Nefer pourtant ne l’accusa pas et ne le fit pas poursuivre.

En un clin d’œil qui lui parut un siècle, Usurkaf comprit la raison pour laquelle elle l’avait cherché des années durant, même au-delà de la mort. Il devait remplir son devoir : tout remettre en place. Maintenant, il fallait qu’il s’exécute pour la reposer.  Il s’avança vers elle et lui emprisonna les poings pour la calmer. Le visage inondé de larmes, les cheveux défaits, la beauté de Nefer Hathor quand même rayonnait et toucha Usurkaf au plus profond de son âme. Sa décision fut prise, il se pencha et empoigna le couteau sanglant qui gisait à terre. Il la prit dans ses bras et en hurlant la poignarda. Elle exhala un long soupir de soulagement.

_Merci mon ami. Elle souriait tendrement. Maintenant place-moi à côté de lui s’il te plait. Oui, comme ça…

En sanglotant, Usurkaf allongea les deux corps l’un près de l’autre. De la jupe de Nefer Hathor alors glissa un papyrus roulé. Il jeta un coup d’œil à travers ses larmes brûlantes. Le manuscrit contenait des poèmes d’amour offerts à Ramon Hedef son bien aimé, signés Nefer Hathor. La peine de Usurkaf le rongeait et en regardant les corps des amants devant lui, il ne cessa de sangloter.

C’est alors que brusquement l’obscurité se fit. Le silence tomba et un vent froid balaya les parfums de la nuit. La lumière du soleil levant illumina de sa lueur blanche la chambre où dormaient les amis d’un sommeil agité et plein de rêves. Merwan ouvrit les yeux le premier, il se leva et se regarda dans le miroir. Son visage défait et fatigué attestait au fait qu’il avait eu une nuit agitée, mais tout, autour de lui, semblait normal. Il aperçut Winters qui ouvrait les yeux avec un air éperdu et anxieux. Merwan, le cœur pincé accourut auprès de son ami pour lui demander s’il avait bien dormi.

 

_Awad, si j’ai bien dormi? Elle est bien bonne celle-là. J’ai fait des rêves biscornus desquels je ne me souviens pas! Et toi? Qu’est-ce que tu fais donc dans ma chambre?

_Mais…tu ne te souviens pas? hésita Merwan en regardant son ami surpris

_Quoi donc? Mais je crève de faim moi! Tu ne m’as pas dit ce que tu faisais ici!

_Ian, est-ce que tu te sens bien?

_Moi? Oui, pourquoi? C’est toi qui étais malade, rappelle-toi? Je suis rentré de Londres à cause de ça non? Winters se leva du lit en s’étirant.

_Oui, oui, bien sûr…je …  bégaya Merwan sans savoir que répondre. Je suis certain que tu m’as demandé de dormir ici de peur de te sentir mal à nouveau! Et le rire détendu et communicatif de Winters retentit dans la lumière du matin.

_Tout à fait juste mon ami…confirma Merwan. Moi aussi je crève de faim. On y va? Je sais que le cuisinier ici prépare un « foul médamess » (des fèves) incroyable!

_Qu’est-ce qu’on attend alors? Une journée merveilleuse s’annonce « Ya akhi el aziz », mon cher frère.

 

F I N

 

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LE 29/02/2008

 

ETERNELLEMENT A TOI

(1ère Partie)

 

Awad Merwan observait le visage sérieux du docteur Aboud qui venait de terminer son auscultation. Il appuya sa tête sur l’oreiller en écoutant le médecin lui parler.

_ Awad, vous ne pouvez plus continuer à ce rythme, vous travaillez trop. Il est temps de prendre des vacances. Le docteur Aboud, rangea ses instruments dans son sac et fixa Awad Merwan de son regard bienveillant et direct.

_Mais Docteur, vous ne comprenez pas, nous venons de découvrir une nouvelle tombe. Voilà cinq ans que je la cherche sans répit…c’est l’aboutissement de ma vie…. soupira Awad Merwan en fermant les yeux, à bout de forces, épuisé et désespéré par sa propre fatigue.

_Alors elle pourra certainement attendre encore quelques semaines, cette tombe…Maalesh ya ebni (peu importe mon fils) Ne pouvez-vous pas faire appel à votre collègue Ian Winters pour vous donner un coup de main? Demanda le médecin en se préparant à laisser son patient.

_Tayeb, bien, j’ai compris, vous avez raison Docteur Aboud. Je vais prendre des dispositions. Merci Shukran d’être venu me voir. Répliqua Merwan en se levant pour accompagner le docteur.

_Ne vous dérangez point!  S’exclama le Docteur Aboud. Je connais bien le chemin. Au revoir! El salamou Aleikom!

Après le départ du médecin, Awad Merwan, égyptologue et professeur à l’université du Caire, essaya de mettre de l’ordre dans ses idées. Il fallait prendre des décisions importantes au sujet de ce tournant crucial dans sa vie personnelle et professionnelle. Pour Merwan, qui s’était lancé avec passion dans sa profession, les fouilles archéologiques constituaient, la majeure partie de ses occupations, et il n’était pas question de s’arrêter avant la fin de la saison, ni même pour se reposer. A trente cinq ans, il était à l’apogée de sa carrière, et les tombes dans la vallée et le désert avoisinant avaient été presque toutes découvertes et cataloguées!

Ses parents s’évertuaient à lui demander quand finalement il se marierait. Mais Awad leur disait toujours qu’il n’avait pas le temps de s’occuper d’une femme et d’une famille tant qu’il investissait tous ses efforts dans sa profession. Sa mère l’observait de son triste regard et soupirait en tournant la tête. Elle savait, pensait Merwan, il en était sûr, elle avait tout deviné sa mère. Merwan sentait la tristesse de ses parents qui auraient tant voulus le voir heureux et installé avec une femme et des enfants. Il ne pouvait pas leur expliquer que sa vie avait changé de cours le jour où la femme qu’il aimait avait disparue. Maalesh, un jour viendra et il trouvera peut-être une autre femme qui stabiliserait sa vie! Il ne croyait nullement à ce mythe mais c’est ce qu’il se répétait sans cesse afin de pouvoir se réveiller chaque matin prêt à affronter le monde.

Grâce à d’importants fonds fournis par un riche philanthrope anglais, Merwan excavait un tombeau non loin de la vallée des rois, en marge du désert. Lors de ces fouilles, il découvrit une sépulture pillée et endommagée qui ne recéla que peu d’informations.  Il s’agissait du tombeau de Ramon Hedef, un jeune prince inconnu, d’origine obscure, datant de la dix-huitième dynastie.  Sous une pile de débris Merwan trouva un papyrus qui allait changer sa vie. Ce document portait la signature de Nefer Hathor, la jeune épouse de Ramon Hedef. Dans ce papyrus offert en hommage à son mari, la jeune Nefer Hathor s’exprimait avec émoi tout en lui jurant un éternel amour.

En principe, ce document n’offrait rien d’original car il était similaire à tant d’autres découverts dans d’innombrables tombeaux de la vallée. L’épouse jure fidélité à son époux et désire le rejoindre dans l’au-delà. Pour une raison qu’il ne s’expliquait pas,  Merwan fut obsédé par ce papyrus dont le contenu dévoila une série de poèmes personnels et touchants adressés à Ramon Hedef par sa femme Nefer Hathor.

Il trouva aussi les prières et incantations de rigueur qui faciliteraient, pensait-on, le long et périlleux voyage vers l’au-delà. Tous ces textes d’usage courant n’avaient rien d’étrange ou d’unique. Néanmoins, des fragments de phrases captivèrent l’attention de Merwan et le séduisirent totalement. « …bien aimé compagnon de ma vie, j’attends de te revoir comme tu as promis …comme tu as promis…pour l’éternité …éternellement à toi », « …Isis Hathor n’a pas permis…j’aurais dû être avec toi…retourne… », «… maudis Userkaf… ».

Fasciné et envoûté par les poèmes qu’il ne cessait de relire, Merwan imagina cette femme désespérée par la mort apparemment prématurée de l’homme qu’elle avait aimé. Sans la connaître, il la voyait dans ses rêves, et les écrits qu’il avait mémorisés lui suggéraient une femme affectueuse, tendre et poétique. Pour la première fois depuis des années, la grande tristesse qu’il portait au fond de son cœur se libéra et son attention se fixa sur Nefer Hathor. En dépit des conseils donnés par ses collègues, Merwan se mit en tête de chercher son tombeau afin de savoir comment elle était morte. Ne pouvant penser à rien d’autre, l’infatigable Merwan poursuivit ses recherches qui duraient déjà depuis cinq ans, allant de vaines fouilles à d’inutiles excavations.

Quelques jours avant de s’écrouler d’épuisement, Merwan répondit à un appel de son contremaître Abou Saïd qui lui annonça que ses ouvriers avaient découverts un bas-relief enfoui dans le sable. Quand il se rendit sur place, il conclut qu’ils étaient sur les lieux éventuels du tombeau de Nefer Hathor. L’entrée de la sépulture déblayée, et les débris qui l’encombraient écartés, Merwan avait hâte d’y pénétrer.

Ce jour-là,  une tempête de sable, un « Khamsin » advint et ralentit le travail.  Les ouvriers aveuglés par le sable qui leur fouettait le visage, commencèrent à bougonner. Interprétant l’irruption de cette tempête inattendue comme un présage de mauvais augure, les ouvriers, imbus de leurs superstitions, refusèrent de continuer les fouilles. Ils craignaient de braver la colère des esprits et des dieux égyptiens. Merwan eut beau les exhorter à la raison mais ce fut en vain. Ils quittèrent les lieux sans discuter, en silence et la tête basse.

Pour compliquer les choses encore plus, un des gardiens, cette même nuit entendit des hurlements qui semblaient venir de l’intérieur de la tombe et qui lui glacèrent le sang. Pris de peur, il déserta son poste et alla chercher Abou Saïd le contremaître pour lui faire part de son expérience. Le lendemain aucun des hommes n’accepta de retourner sur le site. Ce fut ce jour là, que Merwan s’écroulait sur le seuil de la tombe, frustré et à bout de force. Abou Saïd le transporta jusqu’à sa tente non loin du site et se chargea d’aller chercher le Docteur Aboud.

Aussitôt remis de son étourdissement, Awad Merwan convoqua son équipe afin de discuter de l’avenir de l’excavation. L’hiver touchait à sa fin et bientôt il ne serait plus possible de continuer à creuser. Il ferait trop chaud et les ouvriers refuseraient de venir au travail. Il fut donc décidé de faire appel à un autre collègue afin de déblayer les lieux et boucler le site jusqu’à l’année suivante. Ce qui voulait dire que Merwan serait obligé de remettre l’ouverture du tombeau à la saison prochaine.

Tristement, Merwan se rendit à l’évidence de la sagesse de cette décision. Il envoya un télégramme à son meilleur ami et collègue Ian Winters, égyptologue anglais qui grandit en Egypte avec lui. Il espérait qu’il accepte de couper court ses vacances pour lui venir en aide. Les parents de Winters, missionnaires de leur profession avaient élus domicile au Caire pour enseigner dans une école secondaire. Après s’être établis, ils ne quittèrent plus le pays jusqu’à leur mort advenue récemment dans un accident d’automobile.

 

Awad Merwan et Ian Winters se connaissaient depuis leur plus tendre enfance. Ils ne se quittaient presque jamais. Ayant les mêmes goûts pour les fouilles archéologiques, ils se portaient volontaires pour travailler sur n’importe quel site où l’on avait besoin d’aide. Leur fascination grandissante pour l’histoire d’Egypte et ensuite leurs études à Londres pour obtenir leur doctorat en égyptologie les liaient étroitement. Malgré les différences qui auraient pu les séparer, leur amitié était sincère, durable et loyale. Winters venait de partir en vacances en Angleterre quand Merwan lui demanda de retourner. Sans hésitations, Winters accepta et lui fit savoir qu’il arriverait  dans un court délai.

Rassuré par la tournure des événements, Merwan décida de prendre quelques jours de repos dans un charmant petit hôtel au bord du Nil, près de Louxor. Cela le changerait un peu de la tente poussiéreuse et encombrée d’objets dans la laquelle il habitait tout l’hiver des fouilles. Il loua une chambre avec un balcon qui donnait sur le fleuve. Elle était spacieuse, avec de confortables meubles en osier et des rideaux de cotonnade imprimée à grandes fleurs multicolores. Les propriétaires de l’hôtel le connaissaient bien et il se sentit tout de suite à l’aise dans leur établissement.

Aussitôt installé, il s’écroula dans le grand lit douillet et confortable. Il négligea de fermer les persiennes de la fenêtre qui donnait sur la cour intérieure de l’hôtel. Le soleil de l’après-midi envahit la chambre, mais trop las pour se lever Merwan sombra dans un profond sommeil. Il lui semblait entendre une douce musique qui le berça et il sentit tout son corps se décontracter et s’alourdir. Mais à peine avait-il atteint un certain degré de sérénité, qu’une voix commença à entonner un chant vaguement familier. La répétition de ces sons étranges l’irrita.

Il se leva et chercha à savoir d’où venait ce chant. Plus il cherchait plus il se sentait agité et une inquiétude s’empara de lui. Il essayait de déchiffrer les mots que la voix répétait sans cesse. Finalement il réussit à comprendre qu’elle disait « par Ma’at, traître…tu m’as trahie…Userkaf… ». Merwan sentait un poids sur sa poitrine qui lui pesait à l’étouffer et son angoisse grandissante le força à ouvrir les yeux. Terrifié, il se dressa sur le lit et regarda autour de lui, désorienté.

C’est alors qu’il prit conscience que c’était un rêve. Trempé de sueur, aveuglé par la lumière qui entrait par la fenêtre ouverte, le cœur battant, haletant presque, Merwan se leva et avec un sanglot rauque qui lui déchira la gorge, il fit un effort pour se situer. Il reconnut la chambre d’hôtel et un coup d’œil lancé à l’horloge sur le mur lui indiqua que sa sieste avait durée deux bonnes heures. Dans la salle de bain, Merwan baigna son visage à grande eau et se regarda dans le miroir.

Grand de taille et bâtit comme un athlète, Merwan se trouva pâle sous son hâle habituel. Ses yeux bruns énormes dans son visage inquiet et maigrit lui semblaient hallucinants.  Il se passa une main tremblante dans ses cheveux noirs bouclés, trop longs déjà, songea-t-il, en soupirant. Les paroles du docteur Aboud lui revenaient à l’esprit. C’était évident qu’il devait trouver moyen de se reposer avant d’ouvrir le tombeau de Nefer Hathor.

Quand il pensa à cette dernière, il sentit son cœur battre encore plus vite et une rougeur lui envahit le visage. Nefer Hathor, son obsession,  était toujours présente dans son esprit et quand il parlait d’elle à Ian, il sentait que son ami aussi démontrait un grand intérêt. Un intérêt professionnel sans doute, tandis que lui, sans se l’avouer à haute voix, il ressentait pour cette inconnue une sorte de passion qui frisait l’envoûtement.

Merwan avait toujours été un homme avec les pieds bien plantés dans la réalité. Scientifique, il cherchait des preuves concrètes pour discuter de n’importe quelle hypothèse ou théorie. Pour Merwan, les superstitions, les croyances de ses aïeux et leur religion n’avaient jamais jouées un rôle important dans sa vie. Il poursuivit ses études en Europe avec un fondement solidement ancré en Occident rejetant tout le passé de ses ancêtres. Merwan répétait à Ian qu’il était un homme moderne de son siècle et qu’il voulait que son pays tout en regagnant son indépendance des anglais, suive l’exemple du monde moderne et se modèle sur l’éducation européenne.

Ian le regardait toujours avec pitié en lui reprochant de s’être coupé de son passé et d’avoir abandonné son héritage si précieux. C’était en fait le point sur lequel les amis ne s’entendaient point. Merwan traitait Ian de romantique qui avait été séduit par le Levant et il le trouvait plus Egyptien que lui. Winters aimait parler l’arabe et utilisait souvent les compliments et expressions d’usage, même quand il parlait l’anglais. Il appréciait la cuisine et les coutumes des mariages et des fêtes. Awad souvent le surnommait « le pacha » ou bien « l’émir ».

Merwan mystifié par ses propres sentiments à l’égard de cette princesse - morte depuis des millénaires - ne pouvait expliquer son engouement avec Nefer Hathor. Il avait perdu la tête pour une femme qui n’existait que dans un lointain passé. L’intérêt professionnel et scientifique, étincelle initiale qui finalement donna naissance à ces sentiments complexes qui le troublaient, ne justifiait pas ce qu’il ressentait maintenant. Que lui arrivait-il? Pourquoi cette femme le hantait-elle à ce point? Elle semblait avoir remplacée Nawal qu’il aimait depuis longtemps et qu’il avait perdue.

Awad Merwan,  s’habilla soigneusement et se rendit au restaurant de l’hôtel car il n’avait pas mangé depuis le matin et il sentait une faiblesse s’emparer de lui. La terrasse du café où s’agglutinaient une quantité de clients verre à la main et parlant haut, offrait un spectacle bariolé et élégant.  Pour la plupart, des touristes anglais ou français, ils se pressaient autour de tables bien garnies et s’interpellaient en riant. Merwan reconnu plusieurs personnes qu’il salua d’un geste de la main et s’attabla dans un coin tranquille en espérant qu’on oublierait sa présence!

Merwan commanda son dîner et demanda au garçon de l’avertir au cas où il recevrait un appel téléphonique. La nourriture était variée et délicieuse, Merwan commença à se sentir mieux et son énergie sembla lui retourner. Cependant, il baillait sans arrêt, et dût se rendre à l’évidence qu’il avait vraiment sommeil. Comme la soirée était encore jeune, il décida de se promener dans les jardins de l’hôtel. Il se glissa dans la pénombre et atteignit en quelques pas la fontaine qui avait un jet d’eau au milieu. Entourée de statues de granite, similaires à celles que l’on pouvait retrouver dans les temples à Louxor ou à Karnak, cette fontaine offrait un petit coin calme et agréable.

La nuit était encore assez chaude mais odorante de jasmin. Merwan trempa sa main dans l’eau tiède de la fontaine et s’assit sur son rebord. Les bruits du restaurant lui parvenaient confus et lointains avec des taches de lumière qui étincelaient dans le fond. L’immobilité des statues autour de la fontaine le frappa car en même temps leurs yeux de pierre semblaient le fixer dans l’obscurité. Il se dit alors que cela devait être une illusion d’optique et se leva pour s’en aller. A ce moment, il eut l’impression que s’échappait un râle de la bouche de l’une des statues, et soudain, l’air vint à lui manquer. Merwan, confus, regarda autour de lui et au lieu du jardin et de la fontaine, un temple de pierre avec de gracieuses colonnes s’élevait devant ses yeux surpris.

Une  silhouette s’avançait, elle marchait vers lui d’un pas mesuré et majestueux. Soudain, une auréole de lumière se forma autour d’elle. Merwan, perdant pied, couvert d’une sueur froide et titubant,  s’appuya  contre une colonne de pierre. L’apparition s’approcha, c’était une femme vêtue d’un voile de lin blanc qui couvrait partiellement son visage et en moulant son corps aux formes harmonieuses, descendait jusqu’à ses pieds chaussés de sandales à languettes d’or.

Elle portait sur la tête une perruque égyptienne richement décorée qui arrivait à ses épaules nues, l’uræus (tête de cobra, décoratif) sur son front brillait comme s’il était illuminé. Merwan complètement sidéré, immobile, incapable de parler ou de se mouvoir, la regardait de tout son être. Il savait qui elle était malgré le voile. Il en était même sûr, il  l’aurait juré! La vision dura si longtemps que Merwan perdit complètement la notion du temps et de la réalité. Il ne pouvait penser à rien d’autre, c’était bien Nefer Hathor. Elle savait qu’il avait trouvé sa sépulture. Est-ce qu’elle essayait de le prévenir d’un danger quelconque? Pourquoi donc le hantait-elle? Pourquoi le voile sur le visage comme pour le soustraire de sa vue?

 

Merwan ne se rendit pas compte  d’être tombé à terre, même quand il cogna sa tête contre l’une des statues à côté de la fontaine. Ismaïl le « ghafir », gardien des lieux, qui fit sa ronde à l’aube ce matin là,  constata qu’un homme dormait sur la pelouse. Il grogna, «  La Illaha Illa el Allah! (il n’y a de Dieu qu’Allah!) Voici un autre touriste qui a bu un verre de trop et qui a pris le gazon pour son lit! Ah! Ces étrangers si seulement on pouvait s’en passer d’eux! ». Il tenta de réveiller Merwan, mais celui-ci complètement désorienté fut incapable de se lever pour marcher tout seul. Ismaïl alla chercher de l’aide et Merwan se retrouva dans sa chambre avec le docteur Aboud à son chevet.

Le médecin inquiet demanda à Merwan s’il ne voulait pas se faire transférer dans une clinique où l’on pourrait le surveiller pour éviter ces épisodes de défaillances. Mais Merwan, insista qu’il était en parfaite santé et qu’il n’avait besoin de personne. Il promit au docteur Aboud de se reposer jusqu'à l’arrivée de Ian Winters. Il avait hâte d'être seul afin de repenser à ce qui c’était passé la veille. Merwan, angoissé et inquiet ne pouvait s’expliquer les événements des derniers jours. Il ne se reconnaissait même pas. Qui était donc ce Merwan qu’il découvrait soudain? Ce dédoublement de personnalité, ces visions, qu’était-ce donc?

 

IAN WINTERS

 

Sur la dahabieh (genre de bateau, ferry sur le Nil) qui le portait vers  Louxor, Winters assis sur le pont au doux soleil d’hiver, sirotait une bière froide en regardant les rives du Nil qui défilaient devant lui. La requête de Merwan, l’avait certainement inquiété tout en ne le surprenant pas. Il avait lui-même déjà avertit son ami qu’il n’aurait pas pu tenir le coup en travaillant sans cesse, et de brûler la chandelle par les deux bouts. C’était pour  les mêmes raisons que Winters   partit en Angleterre, car il sentait qu’il avait besoin de recul. En plus, la situation politique en Egypte détériorait de jour en jour. Les Egyptiens voulaient voir les Anglais quitter leur pays, ce qui était sans doute normal et même désirable, mais il semblait aussi qu’il n’y ait personne capable de prendre les rênes du gouvernement.

Winters soupira en pensant à ses parents qui avaient tellement aimés l’Egypte et qui avaient élevés leur fils à respecter ce pays et admirer son histoire. Ils n’auraient pas reconnu l’Egypte d’aujourd’hui, car leur conception de ce pays n’envisageait pas le départ des Anglais. Winters avait eu beau leur expliquer que les Anglais ne pouvaient rester indéfiniment en Egypte, mais ils  avaient pleinement confiance dans le savoir-faire et la sagesse britanniques. Il se demanda ce qu’ils auraient fait s’ils avaient appris que le général ‘Arabi avait mené des officiers égyptiens à une révolte contre les anglais. Les complots et les conspirations battaient leur plein, et beaucoup de jeunes intellectuels se trouvaient impliqués.

Comme Awad Merwan, Ian Winters impliqué dans son travail, ne s’intéressait à rien d’autre depuis la mort de Nawal. Il ressentit un choc presque physique en pensant à cette dernière. Nawal, sa femme, son amour, sa raison de vivre qui lui fut enlevée si jeune et si brusquement. Les deux amis, rencontrèrent en rentrant d’Angleterre quelques sept ans auparavant, une jeune femme de mère anglaise et de père Egyptien. Belle, intelligente, enjouée et brillante journaliste, Nawal s’était prise d’amitié pour Merwan et Winters qu’elle venait d’interviewer pour son journal. Quant à eux, ils étaient fous d’elle depuis la première minute.

Au bout de quelques temps, il fut évident que la belle Nawal commença à s’intéresser à Ian et quand il la demanda en mariage, elle accepta sans hésitation. Awad Merwan, qui avait tant espéré gagner son amour fut terriblement déçu mais pour garder l’amitié de son ami, joua au beau perdant. Personne ne sut qu’il aimait Nawal et que ce mariage le rendait inconsolable. Il dut feindre une camaraderie vis à vis de Nawal - qu’il était loin de ressentir-  rien que pour ne pas perdre l’estime de la jeune femme et de son ami d’enfance. La mère de Merwan, intuitive comme toujours et connaissant si bien les humeurs de son fils avait deviné son secret, mais jamais n’en parla.

Le lendemain de leurs noces, Nawal et Ian eurent un accident de voiture sur la route du désert.  Nawal conduisait et perdit le contrôle du véhicule qui alla s’écraser contre un camion en détresse, garé sur le rebord de la route. Sa mort fut instantanée et Ian s’en sortit sans une égratignure. Le trauma qui s’en suivit et qui dura un an porta Ian au bord du précipice. Il ne survécut que grâce aux soins intensifs et pressants que lui porta son ami Merwan. Le chagrin les unis profondément et ils réussirent à se soutenir durant cette terrible période.

Winters gardait en lui l’image claire et vivante de sa Nawal. Nawal qui adorait la vie et qui prenait chaque jour d’assaut comme un défi. Nawal, sa femme avec ses yeux d’ambre liquide, profonds et brillants, toujours pétillants. Sa peau dont le goût de cannelle et miel, si douce et son parfum subtil de rose et de jasmin vivait en lui.  Cette image qu’il chérissait et invoquait tous les jours l’accompagnait constamment. En survivant son malheur, Winters avait absorbé comme on avale un médicament, le souvenir de celle qu’il avait tellement aimée. Elle faisait partie de lui, de sa chair et de son esprit.

 Winters, somnolait un peu quand le garçon de café, au restaurant de la dahabieh  vint lui demander s’il voulait encore une bière. « Ya effendi, monsieur » lui dit-il «Khod balak mein el shams! Attention au soleil! Ce n’est pas bien de dormir au soleil! » Winters le remercia en souriant et se leva retrouver son hamac à l’ombre pour faire une petite sieste en attendant d’arriver à bon port. Il se coucha, posa son chapeau de paille sur ses yeux et ne tarda pas à s’endormir.

Bercé par les mouvements nonchalants du hamac et de la dahabieh, Winters crut entendre une voix féminine qui chantonnait une sorte d’incantation dont les mots n’étaient pas compréhensibles. L’intonation de la voix était vaguement familière et il se sentit rassuré et serin. Une main fraîche se posa sur son front en poussant le chapeau qu’il avait posé pour se protéger du soleil brûlant. Winters se laissa aller, content et soulagé de la grande chaleur.

La voix se rapprochait de lui et un souffle parfumé lui caressa le visage. Dans son oreille, elle murmurait des mots d’amour qu’il n’arrivait pas à déchiffrer mais un grand bien être s’empara de lui. Soudain, la main douce et caressante se retira et sur son front le soleil cuisant le brûla de sa violente caresse. En sursaut, Winters ouvrit les yeux, quand il se rendit compte que la dahabieh était arrivée à l’embarcadère et son chapeau avait glissé de sur son visage. Il eut à peine le temps de récupérer sa valise et de descendre à terre.

Sur le quai, Merwan l’attendait souriant en agitant ses bras en signe de bienvenue. Rassuré par la vision de son ami qui semblait en bonne santé et heureux de le voir, Winters se mit à rire et pressa le pas. Ils se saluèrent affectueusement en se frappant dans le dos, en se serrant les mains et en s’interpellant en arabe! « Ahlan ya akhouiya, marhaba! », bienvenue mon frère! « Ezayak enta? », comment ça va? « Mein gheir sharr meinak », tu m’as manqué!

Winters oublia vite le rêve qui l’avait bercé durant la traversée et s’appliqua  à prendre des nouvelles de son ami. Ce dernier tentait de le tranquilliser au sujet de sa santé avec maintes expressions rassurantes mais peu convaincantes.  Merwan, était pâle et très amaigrit, ses yeux surtout paraissaient encore plus grands et en mouvement constant, comme s’il cherchait quelqu’un autour de lui. Il remercia Winters d’être accouru et lui expliqua brièvement ce qui était arrivé avec les ouvriers et la décision de fermer le site jusqu’à la saison prochaine.

_ Awad, dis-moi vraiment ce qui s’est passé. J’ai l’impression que tu me caches quelque chose! Demanda Winters à brûle point.

_Non…oui, je ne sais pas par où commencer Ian. Répliqua-t-il.

_Bien, attendons donc d’arriver à l’hôtel puisque tu m’as dit que tu y avais loué des chambres, conclut Winters. Ils sautèrent dans la jeep que conduisait Merwan.

A l’hôtel, Winters déposa ses affaires dans sa chambre et les deux amis se retrouvèrent sur la terrasse du café à l’ombre d’un grand parasol rouge. En quelques mots Merwan raconta les événements des jours récents à Winters mais sans mentionner la vision dans le jardin. Son ami écoutait avec attention et bien qu’il ait remarqué quelques hésitations dans le récit, il se garda de l’interrompre. Le rêve de Merwan retint toute son attention et il le questionna à ce sujet. Ce dernier décrivit l’angoisse qui accompagnait le rêve, la voix envoûtante, et les mots qu’il avait entendus. Tout cela éveilla la curiosité de Winters qui se rendit bien vite compte que son ami traversait une crise bouleversante et mystérieuse.

Embarrassé par la candeur et la franchise dont il avait fait usage pour  raconter les faits qui l’avaient marqués, Merwan regardait son ami en attendant sa réaction. Winters lui demanda soudain s’il avait eu des visions. Merwan, surpris, hésita assez pour que Winters immédiatement le prie de tout raconter. Finalement, Merwan qui ne pouvait plus se retenir lui avoua dans les plus petits détails son aventure dans le jardin. Winters, silencieux et impressionné par ce récit, rassura son ami en lui disant de ne pas s’inquiéter et que certainement, ensemble ils arriveraient à bout de ce mystère.

 

 

A suivre---à suivre---à suivre---à suivre---à suivre---à suivre---à suivre

SUITE ET FIN DANS LA PROCHAINE MISE A JOUR

 

 

 

LE 31/12/2007

SALEH CHAMS EL DIN

Suite et fin

 

_Sayeda Zeinab, va rendre visite à Sayeda Zeinab avant tout. Recueille-toi sur sa tombe aussi. Fais-lui ta demande, n’oublie pas.

_Oui, merci, je le ferai, murmura Hekmat. Est-ce que c’est tout ce que je dois faire?

_ Elle te dira quoi faire. Tu pourras résoudre ton problème.

_Connais-tu la raison de ma visite?

_J’en ai été avisée. Va maintenant, je ne peux plus rien pour toi!

 

Comme les deux femmes hésitaient, Souheir apparut et les guida vers la porte de sortie. Elle tendit une main maigre et décharnée en disant :

         _Donnez ce que vous pouvez mesdames, ce que vous pouvez et Allah Yefregha aleikom  que Dieu vous vienne en aide. Sett Farheya a parlé. Ses doigts se refermèrent bien vite sur la somme que Hekmat lui remis avant de rapidement sortir à l’air plus frais de l’après-midi.

 

Hekmat et sa mère, déçues de la courte séance se hâtèrent de regagner le taxi qui les attendait. Elles donnèrent l’adresse de  la mosquée de Sayeda Zeinab et s’installèrent dans la voiture une fois de plus. Hekmat reprocha à sa mère de l’avoir traînée jusqu’à cette femme qui en somme n’avait pas été capable de l’aider. Frustrée,  elle se mit à pleurer et sa mère s’évertua vainement à la consoler. A la mosquée, où il n’y avait plus personne, les deux femmes debout devant l’ancien portail virent s’avancer vers elles, un vieillard enturbanné, avec une longue barbe et une galabieh blanche. Il les salua avec le regard à terre et leur demanda si elles étaient là pour consulter le derviche.

 

Très vite, Hekmat répondit que c’était pour cela qu’elles attendaient. Il leur indiqua d’un geste vague la bâtisse de la mosquée en leur disant d’aller de « l’autre côté, à l’arrière » où se trouvait le tombeau de la sainte.  Se serrant l’une contre l’autre les deux femmes se dirigèrent dans la direction indiquée. Elles se retrouvèrent dans un cimetière calme et ombragé de vieux arbres majestueux dans lequel, la tombe de Sayeda Zeinab se trouvait. Devant la lourde pierre tombale, elles restèrent en contemplation dans le silence de la nuit tombante. Hekmat sans regarder sa mère lui souffla, qu’il se faisait tard et qu’il n’y aurait aucune chance pour elles de rentrer à la maison cette nuit. Effrayée par cette perspective Malika Hanem, s’assit lourdement sur un banc de pierre en face de la tombe.

 

Hekmat soupira et rejoignit sa mère en serrant son voile autour d’elle. Pourvu qu’il n’y ait pas de malfaiteurs qui nous attaquent, pensa-t-elle. Soudain dans ce silence et au moment où elles s’attendaient le moins, elles entendirent quelqu’un toussoter.  Malika Hanem sursauta, « Destour Ya rab! La Illah Illa Allah! »  s’écria-t-elle. Hekmat l’entoura de son bras comme pour la protéger et toutes deux relevèrent la tête. La toux se fit entendre à nouveau et venait de la cime d’un arbre qui se trouvait directement au-dessus du tombeau. Dans le feuillage touffu de l’arbre, il  leur sembla voir une silhouette.

_Il y a quelqu’un? Demanda Hekmat d’une voix qu’elle voulait forte et autoritaire mais qui sonna faux dans l’obscurité. Répondez, répéta-t-elle.

_J’arrive, n’ayez aucune crainte répondit une voix d’homme grave et pleine de bonté. A leur grande surprise, un homme de petite taille leur apparut.

 

Vêtu d’une grossière robe de laine avec une corde autour de la taille, et coiffé d’une calotte blanche, pieds nus, son chapelet en main et souriant, le derviche s’installa en tailleur sur la tombe. Ses yeux noirs, sous d’épais sourcils brillaient et sa barbiche blanche reposait sur sa maigre poitrine.

         _Vous venez me consulter? Demanda l’homme

_En effet, nous venons de bien loin pour te parler ya cheikh soupira Hekmat et elle lui expliqua son problème. Le derviche écoutait les yeux fermés tout en égrenant sa sabha (chapelet) entre ses doigts.

 

Il resta longtemps silencieux après que Hekmat lui eut présenté sa requête. Les deux femmes commencèrent à sommeiller dans l’obscurité et l’immobilité de la nuit. Epuisées par les émotions de la journée et bercées par leur propre souffle, elles s’assoupirent en s’appuyant l’une contre l’autre. Hekmat rêva qu’elle se trouvait dans le village de Saleh en train de chercher la maison de sa mère. Soudain, apparue la veuve  Shams el Din qui pleurait en tendant ses mains vers elle. Hekmat, aussi se mit à pleurer en la regardant. Elle cria dans son rêve « Ya Om Saleh, Ya Om Saleh, SamhiniSamhini » Pardonne-moi, mère de Saleh!

 

Les premières lueurs du jour qui pointait réveillèrent les deux femmes en sursaut. Elles se regardèrent surprises d’avoir passé la nuit sur le tombeau de Sayeda Zeinab. Elles cherchèrent le derviche mais il avait disparu. Hekmat embrassa sa mère et lui demanda pardon de l’avoir entraînée dans une telle aventure. Elle se sentait calme mais pleine de remords d’avoir laissé Omar et Saleh sans nouvelles. Elles retournèrent du côté de la mosquée et s’embarquèrent dans le premier taxi pour rentrer à la maison.

 

Malika Hanem s’enquit donc sans tarder de ce que sa fille allait faire.

_Je regrette tout cela ma fille, je ne crois pas que tu as trouvé la solution…

_Mais tout au contraire maman, je sais ce que je dois faire. Le derviche me l’a indiqué.

_Comment le derviche, mais j’étais avec toi, il n’a rien dit, je crois même que c’est lui qui nous a endormies! S’écria sa mère.

_Maman, écoute-moi j’ai fait un rêve et j’ai vu Om Saleh. Elle pleurait et me tendait les bras. Je pense qu’elle demandait son fils.

_Alors, tu vas le retourner? Je pensais que tu voulais le garder.

_A quel prix ma mère? Est-ce que tu aurais accepté de me donner à quelqu’un? En plus tu peux bien voir que Saleh lui-même est malheureux.

 

Calmement Hekmat expliqua à sa mère que le derviche dans son message, probablement à travers le rêve lui indiqua la seule chose à faire qui était de retourner l’enfant.

_J’ai entendu clairement : « Retourne l’enfant à sa mère », et c’est ce que je vais faire bien qu’il m’en coûte.

 

Au retour de son pèlerinage chez Sayeda Zeinab, Hekmat et Omar partirent avec Saleh chez sa mère. Au début, Saleh toujours rebelle, refusa de les accompagner. Hekmat alors lui raconta son expérience avec le derviche et inflexible le força à les suivre. Ils partirent donc au village où ils laissèrent Saleh avec sa mère. Au bout de 2 mois, cette dernière leur demanda de retourner. Elle avait discuté avec son fils pour qui vivre au village de nouveau n’était pas une solution. Om Saleh comprit qu’il n’aurait pas pu se réadapter à la vie de la campagne. Il aimait ses études et désirait devenir médecin. Avec des larmes dans les yeux, elle lui demanda s’il voulait se faire adopter par son oncle et sa tante qui l’aimaient comme leur enfant.

_Non mère, je suis ton fils et je ne peux être que leur neveu. Je les aime plus que tout au monde après toi, mais je suis ton fils.

_Allah Ye barek lak ya ebni, qu’Allah to bénisse mon fils. Qu’est-ce que tu veux faire au sujet de tes études? Elle lui caressait la main émue.

_S’ils sont prêts à me reprendre comme avant sans parler d’adoption, j’irai avec eux, sinon…il y a des moyens d’étudier et de vivre…il s’interrompit en voyant sa mère sourire.

_J’ai été privée de toi pendant longtemps et je priais tous les jours pour ton succès et ton bonheur au détriment du mien…Alla hou Akbar, mais Allah est grand et il a exaucé mes désirs.

_Allons Om Saleh, on ne te prendra jamais ton fils! Et il lui avait embrassé la main avec respect et affection.

 

 

Quelques mois plus tard….

 

La veuve Shams El Din accompagna Saleh qui se hâta de rencontrer son oncle et sa tante Omar et Hekmat.

_Vite dépêche-toi mon fils, ils vont arriver d’une minute à l’autre! Il faut que tu sois prêt. Tu dois retourner aux études au plus vite possible!

 

 

 

LE 31/10/2007

 

SALEH CHAMS EL DIN

Première Partie

 

 

Saleh venait de “monter” à Masr comme on disait.

Masr qui veut dire l’Egypte, veut aussi dire Le Caire, au lieu du nom officiel « El Kahira » que dans le parlé de tous les jours on employait rarement.  Quand on vient de la campagne ou de n’importe quelle ville du pays vers la capitale, on dit « Monter à Masr ». Pour lui c’était vraiment une décision, difficile et pénible. Son père Mahmoud Shams el Din, « omda », maire d’un petit village du Delta, du jour au lendemain le força à faire ce grand changement dans sa vie « pour son bien ». Mais cela voulait dire quitter tout ce qui était familier et rassurant pour un garçon de cinq ans.

 

Ignorant les larmes de sa femme et de sa fille aînée, Mahmoud Shams el Din écrivit à son frère Omar qui vivait au Caire depuis plusieurs années. Ce dernier, devenu médecin avait acquis une excellente réputation et son mariage avec la fille de Ali Sabri pacha lui valait une position enviable dans la haute société Cairote. En dépit de tout son succès et ses richesses, Omar ainsi que sa femme désiraient la seule chose qu’ils n’avaient pas réussie à obtenir de la vie : un enfant. Il aurait pu épouser une seconde femme, mais Omar aimait Hekmat sa femme et n’aurait jamais voulu lui causer de la peine. C’est quand son frère Mahmoud inquiet pour l’avenir de son fils Saleh, lui demanda conseil que dans l’esprit de Omar germa l’idée de le faire venir au Caire.

 

Hekmat avec l’espoir de vivre un peu ce rôle de mère qui lui avait été nié accepta d’emblée l’hébergement de l’enfant au sein de sa famille. Mahmoud Shams el Din, très heureux de la réponse positive reçue de son frère, ordonna à sa femme et sa fille aînée de préparer l’enfant à cet imminent voyage. Tristement, mère et fille se résignèrent et Saleh se trouva sur la plateforme du train avec son père, peu préparé à ce drastique changement de vie. Après avoir fait ses adieux à ses autres sœurs et son jeune frère, et surtout après la forte étreinte de sa mère et ses mille recommandations, Saleh monta dans le wagon aux côtés de son père.

 

Mahmoud Shams el Din, en tant que « omda », avait certains privilèges et sur le train avant de partir, il reçut la visite de plusieurs personnages importants qui vinrent le féliciter et lui souhaiter bon voyage. Saleh, grand pour son âge, calme et posé, accompagnait son père d’une façon très digne et fataliste jusqu’au moment où il fallut descendre à la gare du Caire. Il eut un instant d’hésitation en voyant par la fenêtre du wagon, la foule de vendeurs ambulants qui se pressait sur le quai et le bruit infernal de la circulation et de l’humanité qui grouillait autour de lui. Sur le quai, un homme habillé à l’Européenne agitait en l’air vivement son chapeau. Il était aussi grand que son père et lui ressemblait beaucoup excepté qu’il n’avait pas la grosse moustache de Mahmoud. Bousculé par son père, Saleh se dépêcha de prendre le sac dans lequel il avait entassé ses petits trésors et suivit son père. Il se trouva vite dans les bras de son oncle qui sentait le tabac et l’eau de cologne.

 

Avec enthousiasme Omar et Mahmoud bavardèrent jusqu’à la sortie de la gare, suivis par Saleh qui ne pouvait s’empêcher de les comparer. Quel contraste entre les deux malgré leur grande ressemblance! Tout à fait européanisé, Omar coiffé d’un chapeau de paille blanche, en costume bien coupé et élégant avec ses chaussures pointues semblait sortir d’un catalogue de mode.  Mahmoud avec son énorme galabieh, sa « e’emma » ou turban blanc et sa large écharpe de soie balançait sa canne de bois avec grâce et il s’exhalait de lui une force physique presque palpable.

 

Une impressionnante voiture les attendait, avec un chauffeur en uniforme noir et casquette baissée sur les yeux. C’est ainsi que commença l’aventure de Saleh au Caire! Ce jour-là tout lui apparut étrange et effrayant excepté sa tante Hekmat, qui tout de suite se prit d’une grande affection pour lui. Grâce à elle, la transformation de Saleh se fit sans trop de peine et il s’installa petit à petit dans la peau de Saleh, le fils de Omar et Hekmat Shams el Din.

 

Au début, il ne se rendit pas compte des petits détails journaliers qui s’insinuaient et forgeaient la relation entre lui et sa tante. Elle l’adorait et n’hésitait nullement à lui donner tout ce qu’il désirait même avant d’avoir exprimé sa pensée. Il se confiait à elle volontiers et elle l’aidait à faire ses devoirs car Omar avait insisté à le mettre dans une école française et à l’éduquer à l’européenne. Il rêvait de le voir devenir médecin comme lui et l’emmenait à la clinique privée qu’il dirigeait afin de le familiariser avec ce monde qui serait le sien un jour.

 

Saleh parlait souvent à ses parents au téléphone et allait les voir une fois par année quelques jours pendant les grandes vacances d’été avant de partir avec oncle et sa tante en Europe. Sa mère avait souvent de la peine à se séparer de lui mais le voyant heureux elle se disait agir pour son grand bien. Saleh n’avait plus de relations avec ses sœurs, mariées et occupées avec leur propre famille. Ses frères plus jeunes le considéraient somme un étranger qui venait les visiter une fois l’an! Avec les années, Saleh, ne sentait plus d’attachement vis-à-vis d’eux excepté avec sa mère et son père qui fier de lui, l’encourageait dans ses études et sa nouvelle vie au Caire.

 

Le choc de la mort de Mahmoud Shams el Din,  soudainement bascula l’ordre si bien établi dans la vie de Saleh. Il fut inconsolable durant de longs mois et faillit presque rater son année scolaire. C’est alors que le soutien, l’affection et l’amour de son oncle et sa tante le tirèrent hors de danger. Hekmat et Omar décidèrent qu’il était temps de l’adopter officiellement comme leur fils. Quand ils lui parlèrent de cette possibilité, ils s’attendaient à ce que le jeune adolescent qui  grandissait sous leur toit entouré de leur affection, soit heureux et fier. Ils n’étaient pas prêts à sa réaction qui non seulement les choqua mais bouleversa Hekmat.

 

Saleh se révolta avec violence et les propos virulents qu’il leur adressa les blessèrent profondément. Omar consola sa femme en lui expliquant que le choc de la mort de son père et de nouveaux changements dans la vie de Saleh l’avait certainement marqués. Il fallait user de patience pour que ces nuages de colère s’éloignent et que  Saleh retourne à ses sens. De commun accord, le couple se dévoua à lui rendre la vie encore plus facile, à le couvrir de cadeaux, à anticiper ses moindres désirs. A leur grande déception tous leurs efforts furent vains. Saleh avait changé du jour au lendemain, il les regardait avec une haine dans les yeux, du sarcasme dans la voix et repoussait leurs étreintes et leurs signes d’affection.

 

Hekmat secouée et terriblement affectée par cette situation, en souffrait beaucoup. Omar ne savait plus comment la consoler. La  communication avec Saleh devenait impossible et il perdit son enthousiasme pour les études. Le jeune homme restait des heures enfermé dans sa chambre sans voir personne. Il refusait de sortir avec ses amis et échoua à tous ses examens. Lorsque finalement, Hekmat au bord de la crise nerveuse se confia à sa mère, cette dernière lui suggéra d’aller consulter une dame de sa connaissance qui paraît-il trouvait des solutions aux problèmes de famille les plus épineux.

 

N’ayant plus rien à perdre, Hekmat ne se le fit pas dire deux fois. En dépit des protestations de Omar, elle se rendit chez Sett (madame) Farheya. Etant de famille noble et connue, Hekmat dût se couvrir le visage d’un voile noir pour éviter de se faire reconnaître. Accompagnée de sa mère Malika Hanem, elles firent le trajet en taxi jusqu’à chez Sette Farheya qui habitait à Hélouân dans une petite maisonnette bien modeste. Laissant le taxi en attente, les deux femmes émues et anxieuses se dépêchèrent d’entrer.

 

Dans le vestibule, elles furent reçues par une femme vêtue de blanc de la tête aux pieds. Une forte odeur d’encens imprégnait  les lieux et dans la pénombre on pouvait distinguer quelques bougies qui clignotaient.

_ahlan wa sahlan, khatouwa a’aziza…Vous êtes les bienvenues mesdames. Je suis Souheir, Sett Farheya vous attend.

_Comment elle nous attend? S’écria Hekmat.

_ Allah A’alem, Dieu sait tout, murmura Souheir.

 

Elles pénétrèrent dans une grande pièce sans fenêtres, aux murs blanchis à la chaux. Plusieurs matelas se trouvaient placés le long des murs à même la terre. Dans un coin, sur une banquette légèrement surélevée, elles purent distinguer une forme accroupie, entièrement couverte de blanc. A ses pieds, une large bassine de fer blanc semblait contenir un liquide transparent ou de l’eau. La flamme des lampes à huile créait des ombres mouvantes et des lueurs rouges et jaunes rendaient l’atmosphère mystérieuse et changeante. La femme en blanc poussa doucement Hekmat et Malika Hanem vers un matelas en leur faisant signe de s’installer.

Impressionnées, elles se trouvèrent une place à côté de la figure accroupie qui finalement se leva en silence et tourna autour du bassin d’eau et se rassit. Elle souleva le voile qui lui cachait le visage et commença à hocher la tête en respirant fort et expirant bruyamment son souffle de la bouche. On pouvait vaguement voir ses traits accentués de tatouages avec le henné. Soudain Sett Farheya lança un cri rauque et d’un geste sec lança des objets sur le plancher en terre battue.  Cela ressemblait à des coquillages blancs qui s’éparpillèrent dans plusieurs directions. Elle demanda à Hekmat de se rapprocher d’elle et quand elle fut assez proche, Sett Farheya lui souffla.

_Lis la Fatha avec moi d’abord. Ensemble elles répétèrent les mots familiers. Bismillah el rahman el rahim…

Sett Farheya s’éclaircit la voix et chuchota :

 

la suite de ce conte paraîtra dans la prochaine  Mise à Jour, incha’allah

 

 

 

LE 31/08/2007

 

I REMEMBER THE NILE

 

Bursting out of the darkness, a shaft of light,

Pierces the air and sheds its ray

On the calm waters of the sleeping river.

 

The beam caresses the rocky mountain

And slowly slides along the palms,

Brushing the desert sand in its way.

 

Hush, not a sound, hardly a breath -

Everything seems frozen in the stillness

Of an interior vision untroubled by reality.

 

Heavy shadows drape the landscape

Crowding the horizon, hanging low in the skies.

Similar to a noiseless, shapeless and friendly mass.

 

The sands seem to be vibrating, pulsating with life,

Wisps of fireless smoke, delicate tendrils

Surge gracefully towards the black velvet of heavens.

 

The shaft of light, in its wilful dance

Has touched with a silver radiance

For a brief instant, a mysterious landscape.

 

I alone can see this, magnificent

Imposing, always present in my memory

Longest river of the world, the Nile.

 

 

 

 

PREMIERE NUIT D’ETE

 

Dans l'ombre du crépuscule,

Sous la caresse légère d'une brise,

Le jeune frêne sous ma fenêtre

Frémit en murmurant sa chanson.

Courbant sa tête de feuilles couronnée,

Il semble avoir tant de choses à confier.

 

La nuit tombe, douce et odorante.

Première nuit d'été finalement;

Encore claire et luisant de mille étoiles

Parsemant la voûte du firmament.

Le ciel riche, velouté est balayé

Par une traînée de panache blanc.

 

Les dernières lueurs du soleil couchant

Inondent l'horizon d’une pâle teinte rosée

Embrasant à peine sous son touché

Quelques toits, avant de s'éteindre.

 

Une douce fraîcheur baigne mon front,

Et dans les ténèbres envahissantes

Je ferme mes yeux désormais inutiles.

 

 

 

UN PAYSAGE MILLENAIRE

 

Sur les eaux calmes du Nil glisse gracieusement une felouque. Elle fend les flots en vitesse et sa voile se gonfle. Le soleil couchant tombe rapidement vers l’horizon et le sable se teinte d’or et d’orange. Dans le ciel, pas un nuage ne vient gâcher le bleu profond et un silence mystique plane mystérieusement.

Le batelier « marakbi » offre son visage bruni et hâlé au léger vent du désert qui annonce la tombée de la nuit. La voile blanche de la felouque claque dans l’air au-dessus de sa tête et il s’agrippe fermement au gouvernail. Il a grande hâte de se retrouver parmi les siens pour enfin se reposer d’une longue journée de labeur.

Le long de la rive dans les masures qui longent le fleuve, les femmes s’affairent devant leurs réchauds pour préparer le repas du soir. Dans ces habitations fabriquées de bouses de vache et de paille, l’air est suffoquant et la sueur ruisselle abondamment des fronts et coule dans le dos des habitants. L’odeur du pain finalement domine et fait venir l’eau à la bouche de tous ceux qui attendent le repas.

Autour de ces quelques bicoques parsemées le long du fleuve, le désert énorme, offre un spectacle de vaste espace où ondulent les dunes. Un ou deux palmiers solitaires agitent au vent leurs feuilles jaunies, sous lesquelles des régimes de datte s’alourdissent. On peut apercevoir la coupole et le minaret d’une minuscule mosquée qui se découpe sur l’horizon. Non loin de là, on devine un puits, au bord duquel une silhouette noire se penche.

Le soleil se couche très rapidement. Il n’existe pas de long crépuscule ici. C’est tout de suite la nuit qui tombe. Sur la felouque le « raïs » allume une lampe à pétrole pour signifier sa présence et se hâte d’arriver à l’embarcadère où il retrouvera ses camarades.

Comme une image gelée dans le temps. Un bas-relief sur les murs des temples antiques, c’est un spectacle qui se répète depuis des millénaires. La vie moderne et le progrès n’ont aucun sens pour ce paysage et ses habitants. D’une lenteur inexorable se poursuivent les jours et les événements locaux. Le cycle de la vie, à l’infini, emprisonne ceux qui vivent sur la berge loin des villes, dans la frugalité, la misère et la plus abjecte pauvreté.

 

 

 

LE 30/06/2007

 

BEIT SHE’ARIM

 

As the gates of memories open in front of me, I can witness after centuries the strong desire of individuals who dreamed of coming back to the land of their Fathers.

Hundreds of gates hewn in the heavy rock allow me to enter the world of the dead. Long past gone, yet in essence their presence truly felt. Coming from every part of the ancient world they had finally decided to rest here.

How many miles of traveling on foot, on horseback and on the raging seas to reach their destination! What dangers and hardships they had to endure before arriving dead or alive!

As I stand back and survey the hills, I can make out the numerous white stone gates dotting the landscape shaded by the cedars, cypress and the sycamores swaying in the breeze. The sun is hot, blazing through the leaves as it bleaches the stones and the rocks all around. There is no rest from it for now noon approaches and the dry air burns my throat.

The gates beckon to me as they stand heavy-cut and low. I touch the stones, they’re cool and smooth under my hand. The openings are dark, secretive, with a slightly musty smell but with a colder breath than the open air.

Crossing the threshold with a beating heart, I know I’m now stepping in a world far from the present and it transports me quickly in this silent and unmoving eternal landscape of stone. It takes time for my eyes to accustom themselves to the darkness and to notice that small twinkling lights inside line the rows of sarcophagi.

As I walk past each sarcophagus, I can identify men, women and children of every walk of life. Their names strung together like a chain of melodies testify to their different origins, yet all bound by the same desire, the longing to come to Eretz Israel. Some coffins are decorated with geometric designs while others are cut of plain heavy white stone. How were the stones brought here? Slowly it becomes clear to me that the sarcophagi must have been sculpted right on the spot from the mountain side, cut or dugout deep from the same cave walls.

In the silence and the near-darkness, I walked and touched the stones. I read names and inscriptions partly erased and stood for a long time just absorbing my surroundings. When I left the first cave, I walked to the next one and so on until I felt I had my fill.

For a long while, my eyes closed, my mind opened only for this moment in time, I felt my own spirit’s gates yield in response as an overwhelming emotion overtook me. Peace and serenity seemed to enter my whole being and nourish the fount of my imagination.

Beit She’arim, House of Gates, I thank you for awakening not only my mind and my spirit but also my earthly heart. Beit She’arim in your immovable way bound by the rock that forms you, you reflected for me love and eternity.

 

 

A VOL D’OISEAU, SEPHORIS

 

 

Séphoris, perchée sur la verte colline

Surplombant la campagne voisine,

Tu domines comme un aigle majestueux, élevé

Toute la plaine fertile à tes pieds cultivée.

 

Récemment découverte et à peine restaurée,

Tu restes pour nous l’image d’un passé éloigné.

Tes élégantes bâtisses aux mosaïques élaborées

Dévoilent à nos yeux ces techniques oubliées.

 

Tes ruines s’étalent sur un large périmètre

Révélant l’habileté suprême de tes maîtres

Qui ont réussi avec goût et talent impeccable,

A nous transmettre leur histoire telle une fable.

 

Voilà l’hommage Séphoris à toi rendu maintenant.

Car ces foules qui viennent, soit adultes qu’enfants

Enchantées, charmées par la beauté de ton message

Oublient ton antiquité et pour eux tu n’as point d’âge.

 

 

LE 30/04/2007

LA CUISINE DE MA MERE

 

 

          Avec ses fils solides et invisibles, tissés de parfums subtils et délectables, de couleurs variées et de saveurs délicates et exotiques, la cuisine de ma mère nous retenait, nous reliait et nous réconfortait.

         Dans la cuisine de ma mère se combinaient le sucré et le salé avec des arômes puissants et pénétrants qui se fondaient, se mélangeaient harmonieusement pour créer une inoubliable symphonie de goûts, de textures et de senteurs auquels on ne pouvait rester indifférents. Malgré les années passées, que de fois il me semble encore la revoir dans sa petite cuisine, légère, rapide et bruyante à cause de la vaisselle qu’elle faisait voler des armoires aux comptoirs, dans l’évier et sur les étagères. Je me souviens avec nostalgie de ses marmittes bouillantes desquelles se dégageait ce merveilleux fumet qui embaumait la maison et nous faisait venir l’eau à la bouche.

         Dans la cuisine de ma mère, les ingrédients du Moyen Orient se dosaient instinctivement, se mélangeaient, se croisaient avec viandes et légumes de toutes sortes. Quand j’y pense aujourd’hui, je me souviens de son “hamod”, qui, comme un baume rassurant nous comblait, nous réchauffait en nous enveloppant du parfum fort de citron et d’ail. Dans ma mémoire comme sur un écran, la cuisine de ma mère est projetée en images qui éveillent de précieux souvenirs. Chaque morceau de “mahshi” farci de viande hachée et de riz aux savoureux épices, chatouillait notre palais et régalait nos yeux.

         Quand à la “molokhia”, événement en elle-même depuis l’achat de la plante, la cueillette des feuilles patiemment exécutée par Papa, la hachure à la “demi-lune”, l’envahissante odeur forte et piquante de la “kosbara” avec l’ail, jusqu’à la présentation à table. Tout cela était la somme vitale du dévouement de la cuisine de ma mère.

         Rien qu’à la pensée de la “ménéna” (maamoul) farcie aux dates onctueuses et sucrées, aux diverses pâtes feuilletées, aux amandes et noix croustillantes un bien-être immense me remplit et sans le vouloir, je frémis en imaginant fondre dans ma bouche ce mélange de délicieuses saveurs, tandis que l’odeur du café turc m’enveloppe comme dans un cocon soyeux et riche.

         Est-ce qu’il y a quelqu’un  qui a oublié ses “kobebas”? Je ne pense pas. Chacune façonnée avec patience et amour de ses mains agiles et tendres, frites à point, toujours chaudes et croustillantes à l’extérieur; citronnées et épicées à l’intérieur, elles augmentaient avec chaque bouchée le désir d’en consommer encore et encore!

         Dans la cuisine de ma mère naissaient les plats les plus exquis, les mets les plus nourrissants, les friandises et les pâtisseries dont elle seule semblait avoir le secret. Elle nous donnait généreusement toutes ses recettes mais cela ne nous réussait jamais comme elle. La cuisine de ma mère restait unique, fascinante et ensorcelante.

         Enfin l’aventure n’était pas seulement de déguster ces concoctions, mais d’être avec elle, en sa présence et de voir dans ses yeux la joie, le bonheur et l’affection que cela lui apportait. Pour ma mère la cuisine était sans aucun doute, le don d’elle-même, l’amour incarné et toutes les tendresses qu’elle voulait nous dire et pour lesquelles elle ne trouvait pas de mots adéquats.

 

 

A LA MEMOIRE D’UN PROF

Mademoiselle Enchin

 

Qui se souvient de  Melle Enchin?

Prof de français au Lycée Français du Caire.

 Je ne l’oublierai jamais. C’était mon prof préférée. C’est celle qui m’encourageait et exigeait que j’écrive toujours plus. Elle adorait l’histoire de l’ancienne Egypte et nous régalait tous les vendredis de mythes et légendes qui décrivaient les dieux, les croyances et la vie des anciens.

Elle ouvrait avec grand respect un gros volume qui semblait lui-même antique et lisait d’une voix égale. Ces textes ouvraient un horizon inconnu et étalaient devant nous d’une façon magique et mystérieuse tous les trésors de cette période. Les descriptions étaient précises et détaillées et nous entrions dans le monde des momies et des embaumeurs. Nous glissions sur la barque sacrée qui traversait le Nil pour emporter les morts vers une vie éternelle.

Melle Enchin nous montrait des images de sarcophages, de tombeaux, de bijoux et joyaux. C’est pour cela qu’avec grande curiosité et enthousiasme je courais le dimanche au musée du Caire (Mariette Pacha) au Midan el Tahrir. Ma passion était de recopier les bas-reliefs, les hiéroglyphes et les peintures des anciens Egyptiens.

Je me suis maintes fois demandée où était Melle Enchin, et si elle continuait à enseigner. Une année, comme cadeau de Noël, ma mère lui avait cousu une robe taillée dans un tissu qui était à la dernière mode, et qu’elle portait souvent à l’école. Mon amie Renée et moi avions préparé un almanach pour elle. C’était sa dernière année et puis, j’avais moi-même décidé de quitter le Lycée pour aller à l’école américaine. Alors en souvenir de nous avant son départ pour la France nous lui avons offert ce labeur d’affection et d’admiration.

C’était une sorte de journal, qui comprenait aussi toutes sortes de choses. Nous avions noté les articles qui auraient pu l’intéresser, des mots croisés, des mots mystère, des dessins, des poèmes et des histoires. Etant la principale éditrice, j’ai travaillé fort à produire cette œuvre! Nous n’avions pas d’ordinateurs, tout était écrit à la main!

Je ne sais pas si Melle Enchin avait conscience du temps mis à créer cet almanach, la recherche qu’il a fallu faire pour trouver toutes sortes de « saviez-vous que… » de petites annonces, des photos et par-dessus tout la créativité et l’innovation. A part les devoirs journaliers, nous passions des heures à fignoler une histoire ou à recopier un article intéressant.

Aujourd’hui quand je pense à Melle Enchin, je suis sûre qu’elle a apporté à d’autres élèves une passion pour l’écriture. En croisant mon chemin avec sa gentillesse et sa calme personnalité, elle a su me faire comprendre que j’avais des dons et talents qu’il fallait exploiter. Donc, en tant qu’éducatrice, elle a rempli un rôle auquel tous les profs aspirent. Elle a marqué son élève de la façon la plus positive qui soit.

Où que vous soyez Melle Enchin, je vous remercie de tout cœur et je garde de votre mémoire un souvenir intact!

 

 

 

LE 31/03/2007

 

LES DIMANCHES

 

Tous les dimanches, notre programme d’activités changeait afin de nous agrémenter les jours de congé. Nous avions plusieurs options et choix. On pouvait décider de rencontrer nos amis au Club pour nager, jouer une partie de tennis ou observer notre oncle Clément qui s’entraînait à l’athlétisme avec son équipe.

 

Quand nous avions des visiteurs qui venaient de l’étranger, ou bien nos cousins d’Alexandrie, nous aimions revisiter les pyramides de Giza, ou aller à Sakara admirer la pyramide de Djoser en escalier. Le jardin zoologique était aussi un endroit merveilleux où l’on pouvait passer une journée entière. Les visites au Khan Khalil étaient toujours sur l’itinéraire.

 

         Le jardin des poissons était un rendez-vous avec les amis où j’adorais grimper sur des roches artificielles et entrer dans des grottes où de multiples aquariums abritaient des milliers de poissons rares et multicolores. Il y avait de terribles piranhas, des poissons chats aux longues moustaches qui rasaient le verre de leurs contenants. J’étais fascinée par les méduses, les hippocampes et les anémones de mer qui dansaient un gracieux ballet interminable.

 

         Le jardin andalous « genenet el andalous » au bord du Nil,   lieu favori plus tard aux innocents flirts de notre jeunesse, exhibait des parterres de fleurs et mosaïques dans le style particulier de Granada. Il y avait de superbes bancs décorés de tuiles bleues et vertes avec des motifs élégants et brillants au soleil. Là, aussi se trouvaient  des labyrinthes presque inextricables faits d’arbrisseaux taillés dans lequel on se perdait. Les échos de nos appels et cris de jeux,  résonnent encore à mes oreilles et le parfum du jasmin flotte dans l’air.

 

Comme nous n’habitions pas loin de Midan el Tahrir où se trouvait le musée égyptien, nous marchions accompagnés par notre bonne et traversions le pont Kasr el Nil pour nous y rendre. Dans cette bâtisse immense et magique, je passais les meilleurs moments de ma vie en Egypte. Là, je copiais les bas-reliefs et les hiéroglyphes sur les sarcophages, les peintures des murs et toutes sortes d’objets d’art. De  cette manière, je pouvais me perdre dans le monde mystérieux du passé et de voyager dans mon imagination qui ne connaissait point de bornes.

 

PANIQUE A RAS EL BAR

 

Depuis ma plus jeune enfance, je me souviens d’avoir eu peur du feu. Une peur inexplicable qui me causait des crises de panique. En principe, je crois que c’était à cause du fait qu’à Ras el Barr, où les incendies étaient très fréquents, on entendait constamment les voitures de pompiers avec leurs assourdissantes sirènes qui déchiraient l’air.

 

L’odeur âcre de la fumée me bouleversait et j’étais devenue si sensible que je pouvais flairer la moindre senteur de brûlé. Aussitôt mon cœur battait, je n’arrivais pas à respirer et des nœuds se formaient dans mon estomac.

 

Un soir, que nous étions en villégiature à Ras el Barr, maman nous avait installées ma sœur et moi au lit. Elle nous borda et nous embrassa comme d’habitude. Elle nous dit que la bonne était sortie je ne sais trop pourquoi et qu’à présent elle et papa iraient dîner à la salle à manger de l’hôtel. Donc, nous devions dormir comme des grandes sans sortir du lit pour jouer.

_Je compte sur vous mes grandes. Soyez sages, demain nous irons de bonne heure à la plage!

 

Après le départ de mes parents, je commence à sommeiller et je vois que ma sœur, elle, dormait déjà. Me voilà bientôt au pays des songes moi aussi. Je ne sais pas combien de temps s’écoula depuis ce moment mais, soudain, je sens une odeur de fumée. Je m’assoie dans mon lit et je me mets à humer l’air. Oui, pas d’erreur ça sentait le brûlé. Je rejetais la couverture et je me mis à tourner dans la chambre et à chercher d’où venait l’odeur.

 

Rien à faire, je ne découvris rien de louche mais quand même l’odeur était assez forte. Je réveille ma sœur qui ne comprend  pas ce qui se passe mais en me voyant affolée, elle commença à larmoyer. Je m’énerve encore plus et je m’agite. Finalement mon imagination l’emporte sur la raison. J’imagine les flammes et la chaleur de l’incendie. Je vois les murs de paille de la hutte qui s’embrasent et je panique.

 

Je me saisis de la main de ma sœur et je l’entraînais vers la porte. Nous sortons en pleurant toutes les deux, pieds nus, en chemise de nuit sans même fermer la porte de la hutte. Pour un moment, je perds mon sens d’orientation, je ne sais de quel côté me diriger. Il faisait assez noir mais une grande activité  régnait et autour de nous se pressait une foule de gens qui sortaient dîner ou qui se promenaient.

 

Je n’oublierai jamais comment, ma sœur et moi, toutes petites, égarées, pieds nus, désespérées, nous arrivons finalement à l’hôtel. En courant vers la salle à manger où jouait un orchestre pour les convives, je me calme assez pour chercher du regard mes parents mais ma sœur, elle, hurle de plus belle « Maman, je veux ma maman! »

 

Nous trouvons nos parents attablés avec des amis et en tremblant je me dis que là, une belle punition m’attendra pour mes actions. Ma mère se leva et nous reconduit à la hutte sans mot dire. Elle nous lava les pieds et nous coucha de nouveau. Ensuite je remarque qu’elle hume l’air, elle flaire et flaire. Elle sort en courant sur le balcon et quelques minutes plus tard elle retourne.

 

Je ne me rappelle plus comment la nuit se termina, mais l’épisode resta imprimé dans ma mémoire et dans celle de ma sœur. Beaucoup plus tard, j’appris que la bonne des voisins de hutte avait brûlé leur dîner.

 

 

 

LE 28/02/2007

EN SOUVENIR DE LOLA

(suite et fin)

NONNA LOUNA

 

         La vieille Louna veillait à cette petite comme à la prunelle de ses yeux. C'était en fait, la fille aînée de son fils unique Jacques qui était le centre de sa vie. "Ce dernier a vraiment eu peu de chance se disait-elle, lui si bon, si aimable, un excellent parti à tous les points de vue. En six ans, quatre filles et veuf, che miseria, che sfortuna, si peu de chance." Peut-être que la seconde femme pourra le rendre enfin heureux et lui portera des fils, car étant le dernier du nom de H, cela l'angoissait terriblement de savoir qu'il n'avait pas d'héritier.

         “Pourtant la petite Lola, elle, en vaut plus d'un garçon", se disait la vieille. Si jeune et déjà elle faisait preuve de tant de bon sens, de compassion et de compréhension pour des problèmes bien au-delà de son âge. Oui, elle en aura besoin de chance cette fille avec tous les soucis qui lui tomberont sur la tête. Il faudra la préparer, sans aucun doute, aussi difficile que cela soit. Elle devra être prête à affronter la vie avec ses trois soeurs aux côtés d'une belle-mère, surtout si celle-ci aura des fils!

         "Ya rab! Mon Dieu, je ne suis qu'une vieille femme et il y a tant à faire encore. Che bruta la vechiaia! J'ai déjà tout vu dans cette vie. Mon pauvre Jacques, il faut le protèger lui. Que sait-il de la vie? Qui s'occupera de lui? Oui, la piccola, la petite. C'est bien ça, la petite prendra ma place! Il faut que je la prépare, bene, bene."

         Quand Jacques rentrait tard et que toute la maisonnée était couchée, Louna l'attendait pour s'assurer qu'il n'avait besoin de rien.

“ Mamma, Inti lessa sahyah ? Tu n'es pas encore couchée?"

_Oui mon fils, ya ebni, qui veux-tu que cela  soit? Les filles et les bonnes dorment. Tua moglie, ta femme si reposa, elle prend des forces. Tu as trop tardé ce soir. Tout va bien à la banque? Ils ne peuvent donc plus se passer de toi? Tu vas te tuer au travail! Che peccato!"

         Avec sollicitude et tendresse, elle l'aidait à enlever son veston, lui apportait ses pantoufles, lui tendait en silence, "La bourse égyptienne", le journal qu'il aimait lire avant d'aller se coucher. Il devait toujours être au courant de tout Jacques. Il regardait sa mère avec admiration." Quelle femme!", se disait-il, "Elle voit tout, sait tout et s'occupe de tout!"

         Lorsqu'elle retournait de la cuisine, elle le trouvait attablé dans la chambre de séjour plongé dans son journal mais portant encore sa cravatte et son faux-col. C'était un homme qui avait des habitudes précises et qui n'aimait pas les changements.  C'était peut-être pour cela qu'il avait fait un bon chemin à la banque. Un homme intègre et sérieux, qui inspirait confiance. Il soupirait en se tournant vers elle.

_Rien que des mauvaises nouvelles dans le journal. Jour après jour, la situation s'empire.

_Voilà pourquoi tu ne devrais pas lire ce messager de mauvais augure, lascia stare, niente cambia, ya ebni! Rien ne change mon fils."

         Elle lui servait son thé fort, parfumé, juste à son goût. Lentement il se détendait dans sa chaise et allongeait ses jambes. C'était un homme de petite taille, mais avec une allure digne et fière. Il se tenait toujours très droit, même un peu raide parfois comme pour se donner de la taille. Toujours courtois et aimable, ses paroles étaient mesurées et il se dégageait de lui un air d'authorité ferme et d'assurance, mêlée à une ineffable bonté que ses yeux bruns reflètaient. Il avait la peau blanche et les cheveux noirs abondants et coiffés en arrière. Son visage rond aux joues roses était presque enfantin au repos. Il le savait et c'était pour cela qu'il avait fait poussé son épaisse moustache en brosse qui lui donnait un air sérieux et solide.

         Pour Jacques et sa mère, à cette heure tardive, les quelques minutes passées ensemble avaient une importance qu'ils ne discutaient jamais. C'était une entente tacite qui  s'était établit entre eux et ces moments étaient précieux aux deux. Entourés de tous les objets familiers et confortables de la vie quotidienne, il y avait comme une assurance que tout allait rester tel quel, immutable. Ils s'échangeaient des menus détails de la journée, sans jamais vraiment parler de choses importantes.

         Pourtant cela suffisait à rétablir leur équilibre personnel et à les satisfaire que tout aille bien dans leur vie commune.

         Les dernières années de  Louna se passèrent rapidement. Elle sentait que le temps avançait inexorablement et son anxiété augmentait en pensant à l'avenir de ses petites-filles. "En effet", se disait-elle, "Il faut que je prépare la petite. Elle est l'aînée et la responsabilité lui tombera sur les épaules, il faut l'armer".

         Depuis les secondes noces de son fils, Louna avait pensé qu'il était temps de remettre les responsabilités de la gestion de ce petit monde entre les mains de la nouvelle femme. Mais hélas, délicate de constitution cette dernière n'aurait pas été capable sans heurts de continuer le doux train train de la famille. Louna ne le regretait pas du tout car pour elle ce petit monde était bien le sien. Elle ne se sentait satisfaite que lorsqu'elle s'était assurée que tout se passait comme par le plan qu'elle avait établit pour la sécurité et le bien-être de tous ceux qui étaient dépendants d'elle.

         Dans la maisonnée, il y avait les quatre filles, Lola, Ninette, Yolande, et Nadia, Jacques et sa femme Rachel et la vieille Louna.  Les  deux bonnes Nabiha et Fadda venaient du même village et  servaient la famille depuis longtemps. Nabiha était arrivée avec Angèle la première femme. Elle avait été sa compagne car elles avaient presque le même âge, et elle savait qu'au marriage de la fille aînée, elle l'aurait accompagné dans sa nouvelle vie. Fatma, la laveuse qu'on appelait aussi Om Soussou venait deux fois par semaine, et Hossein, un grand barbarin originaire du Soudan qui avec ses joues balafrées et sa voix grave à l'accent bizarre était le "farrash" ou valet pour les grosses besognes. Durant le jour, il ouvrait la porte et servait les repas à la salle à manger. Imposant, dans ses longues "galabiyehs" brodées avec la taille ceinte de larges bandes de satin colorées, il marchait dans la rue derrière sa patronne et les filles quand celles-ci sortaient prendre de l'air. Hossein, rentrait chez lui tous les soirs.

         Pour Louna, c'était toute une tribu à diriger et organiser. Elle savait tout ce dont ils avaient besoin, et veillait sans répit à leurs moindres désirs. Elle était  en paix de les savoir heureux et en bonne santé. Ces derniers mois, Louna ne savait pas pourquoi, mais elle se prenait à penser souvent à la mort et elle en perdait le sommeil. Ce n'est pas qu'elle avait peur de cette inévitable fin, mais elle pensait aux fillettes si jeunes, sans mère pour les protèger, à son fils si bon, si doux qui ressentirait sa perte cruellement.

         Louna avait grandit en province, dans une petite ville du Delta. Elle avait plusieurs soeurs et deux frères, une tapée de cousins et cousines et ils vivaient tous ensemble dans une énorme maison. La vie semblait être sans soucis et partagée avec plusieurs domestiques et de fréquentes visites entre voisins et amis de différentes religions et croyances. La famille de son père s'occupait de décortication de riz et assurait une vie confortable et plaisante à sa femme et ses enfants.

         Les hommes se rencontraient souvent pour régler leurs affaires au club où les propriétaires terriens et industriels petits et grands se fréquentaient. Il y avait là des Grecs et des Italiens venus d'Europe dans les années 1800, en plus de quelques familles juives qui habitaient l'Egypte depuis de nombreux siècles, et des Coptes et Musulmans qui se côtoyaient facilement en ce temps là, grâce à leurs intêrets communs. Les femmes rejoignaient rarement leurs maris, excepté pour les grandes célèbrations. On reçevait beaucoup à la maison et on connaissait tout le monde. C'était difficile de cacher car en plus les domestiques rapportaient pas mal de ragots.

         Pour Louna et ses soeurs, les voyages au Caire pour visiter le reste de la famille étaient des aventures en elles-même car les femmes y avaient plus de liberté. Elles s'informaient donc de la dernière mode et apprenaient toutes sortes de choses qui n'étaient même pas discutées en public en province. Il semblait que les femmes juives avaient plus d'indépendence, comme les Européennes, pour fréquenter le théâtre avec leurs maris et à être vues en public sans causer de scandales.

         Louna retournait du Caire avec la tête pleine de frivolités vivement réprimées par le milieu traditionnel dans lequel elle vivait. Elle fréquentait avec ses soeurs  l'école italienne dirigée par les Bonnes Soeurs de Charité. C'était une école privée où les familles aisées envoyaient leurs filles, pas précisemment pour le programme académique, mais surtout pour les valeurs morales et les meurs enseignées.

         Lola pensait souvent à cette maison inondée de lumière et de cris d'enfants, retentissant de la joie de vivre. Des querelles bruyantes, entre les filles et leurs cousines éclataient souvent, mais la paix revenait bien vite. Les bonnes et les voisines, sans cesse se lancaient des invectives au sujet de la lessive ou des ordures, mais cela n'ajoutait qu'au plaisir de vivre et de se rencontrer pour prendre d'innombrables tasses de café et se faire dire la bonne aventure et se réconcilier.

         Toute la journée exceptée pour l'heure de la sieste, tout ce monde chahutait, au milieu des parfums odorants de la cuisine et des travaux qu'entreprenaient les femmes. Les fillettes apprenaient à coudre et broder, à faire des confitures et à ranger l'argenterie, au son de chansons, de rires et d'innocentes plaisanteries.

         Quand le maître apparaissait le soir, tout rentrait dans l'ordre, on se calmait et on oubliait ses rancunes et ses jeux, jusqu'au lendemain lorsqu'il repartait au bureau. Il fallait qu'il soit fier de son foyer ordonné et modèle. Il avait droit au repos, lui qui travaillait si fort pour donner l'aisance et la prospérité à tout ce monde.

         On dînait dans la grande salle à manger avec son lustre en crystal, ses tapis persans et toute l'argenterie. Rituellement, Hossein assumait le service avant de repartir chez lui. Jacques trônait en vrai maître à sa table et ses filles, sa femme et sa mère, ne parlaient qu'à son signal. Ce n'est pas qu'il le demandait, mais Louna avait bien entraîné sa tribu. A la fin du repas, les fillettes allaient embrasser la main de leur père et couraient se  retrouver dans la grande chambre au fond de l'appartement qu'elles partageaient avec les “dadas”. Là, même si elles chahutaient on ne les entendait pas au salon, ni dans la chambre à coucher des parents.

         Le maître et sa femme prenaient le café dans leur chambre à coucher, assis sur un divan bas à proximité du balcon. Au court des soirées chaudes, on leur sortait des chaises longues sur le balcon pour prendre le frais. Souvent, après dîner, on reçevait des amis et de la parenté. Les grands plateaux en argent sortaient du placard, brillants de tous leurs feux. On servait d'excellentes confitures, du café noir et de délicieuses pâtisseries faites à la maison.

         Les hommes finissaient par parler politique et commerce, tandis que les femmes discutaient des difficultés domestiques qu'elles avaient. Parfois aussi, on cancannait sur le compte de quelques familles qui réussissaient toujours à faire parler d'elles. C'était souvent là aussi que les femmes plus âgées, celles qui connaissaient la vie, combinaient des futurs mariages en discutant tous les bons partis.

          La chambre contigüe à celle de Jacques et sa femme,  était celle de Louna, et après sa mort, elle devient celle des deux fils Victor et Albert. Un long corridor séparait l'appartement en deux parties. Près de la porte d'entrée se tenait le salon, avec ses meubles formels en velours jaune foncé, placés en rond, sur lequel s'ouvrait la salle à manger, la chambre à coucher des maîtres et la chambre de Louna. Le corridor ensuite menait vers un office avec un balcon intérieur qui servait de dépôt à toute sorte de meubles et d'objets disparates. Plus loin, la salle de séjour, où l'on prenait le petit déjeuner et où la famille avait tendance à se retrouver pour bavarder, déjeuner à midi et même recevoir des amis intimes. La chambre des filles était attenante communiquant par un balcon avec la salle de séjour. Le couloir se terminait en s'ouvrant sur une belle fenêtre qui donnait sur la rue. Deux grands divans étaient disposés sous la fenêtre, et ici, les femmes pouvaient travailler à la couture, broder, ou tout simplement se reposer.

         Le mur qui faisait face à la chambre des filles à côté de la fenêtre s'ouvrait pour conduire vers la cuisine, énorme, sombre et mystérieuse. De cette pièce même, une porte menait vers la sortie de service où venaient les vendeurs ambulants, le laitier et le boulanger. De cette porte sortait et entrait la domesticité.

         En ligne avec la porte de la cuisine, toujours en face de la chambre des filles s'étalait la salle de bain, également de grandes proportions, avec une énorme baignoire, un lavabo et la toilette, tel un gigantesque trône. Toutes les pièces étaient

spacieuses, bien aérées et pleines de lumière.

         Pendant un court laps de temps, Lola était heureuse et insouciante, passant ses journées à écouter et à imiter sa grand-mère. Cette dernière se pressait de lui enseigner tout ce qu'elle pouvait avant qu'il ne soit trop tard. Elle se plaisait à observer comment la fillette n'avait pas besoin de répétitions pour apprendre quoi que ce soit. Tout semblait lui venir d'une façon naturelle. Jamais Louna ne se préoccupa du fait qu'elle enlevait à cette enfant l'insousiance de son âge et les plaisirs même de l'enfance. Ce n'était point par méchanceté mais plutôt par nécessité, car Louna une fois partie, la petite Lola allait se retrouver sans secours, seule, face à la vie cruelle.

         Louna avait inculqué à sa petite-fille une sûreté d'action et de moralité rarement retrouvées chez des enfants avec ce sens du devoir et de la responsabilité poussé au maximum. La famille devait être sa préoccupation primordiale, avec le souci de faire tout en son pouvoir pour défendre les siens de la médisance d'autrui et du mauvais oeil des jaloux. Lola devait en tous moments rassurer les siens et sacrifier, à leur bien-être ses propres désirs. La vieille avait donc promis à la fillette une vie charmée.

"Rien ne peut te toucher ya binti, rien. Avec ma bénédiction, cara mia, tu auras tout ce que tu veux de la vie. Rappelle-toi, toujours, ta grand-mère te l'a dit. Ti prometo cara, tutto per te. N'oublie pas, quand je serais appelée à mes aieux, que je te protègerai quoiqu'il en soit! Non dimenticarti ya amoura!"

          La mort de sa grand-mère déchira l'enfant. Advenue trop tôt et si inattendue, c'était comme un effondrement pour toute la famille. Celle qui rassurait tout le monde, qui les dirigeait, qui les soutenait, qui les soignait, n'était plus là. Chaque membre de la famille à son tour et à sa façon porta en lui pendant longtemps la blessure vive que causa la disparition de la vieille Louna. Le temps de l'insoucience était terminé pour Lola qui petit à petit assuma la tâche pour laquelle sa grand-mère l'avait si bien préparée.

         Grâce au tempérament d'acier bien forgé par elle-même et sa grand-mère, Louna prit les rênes et le fardeau du petit monde qu'elle hérita. Pendant longtemps elle ne voulu pas penser à sa grand-mère car cela lui déchirait l'âme, mais chacun de ses gestes, ses actions et ses attitudes était un calque de ce qui lui avait été enseigné par elle.

         En se recherchant elle-même, Lola avait décidé d'échapper au moule dans lequel elle avait été enfermée. Elle s'était imaginée fille moderne, dynamique, indépendante, transcendant les traditions et la religion qui ne l'intéressait pas. Mais en fait, bien que tout ces attributs fassent partie de sa personnalité, elle arriva à contre-coeur à admettre qu'une part de son caractère et de son esprit était sans aucun doute tissée et enrichie de la vieille tradition apprise sur les genoux de sa grand-mère et de sa nourrice Nabiha.

         C'est au moment même ou elle devait donner naissance à son premier enfant qu'elle retrouva avec émotion le legs de son passé  qui l'aidera à se réaliser dans l'avenir. Elle accepta ce qui lui paru être son destin avec sérénité et en même temps une fatalité qui ne lui était point naturelle. Lola comprit qu'elle ne devait pas se débattre contre un chemin déjà emprunté par elle depuis son enfance. Elle assuma donc ce rôle pour lequel elle fut destinée, comme une reine qui accepte la responsabilité de conduire son peuple vers de merveilleux horizons et de splendides lendemains.

Lola mit au monde 2 filles avant le fils attendu et Nabiha, comme elle l’avait prédit, se retira finalement, malade, vieille mais heureuse pour mourir dans son village natal.

 

 

                                                       Conclusion

 

         C'est ainsi que je connus ma mère, forte, fière, indomptable et très sûre d'elle-même. Toutes les personnes qui lui furent proches se sentaient appaisées, protégées et aimées d'elle. Une foule de gens venait prendre son conseil et son avis, se confiait à elle et comptait sur elle soit pour un mariage ou une réconciliation, une recommandation ou simplement sa compagnie enjouée et agréable. Autour d'elle il y avait toujours des cousins, oncles et tantes, des amis, des voisins ou des clientes, car après avoir quitté l'Egypte et jusqu'à sa mort Lola dirigeait une maison de couture de laquelle elle était la principale étoile.

         Lola quittait rarement son appartement, mais elle reçevait sans cesse une foule de gens. Son intérieur était toujours acceuillant et impeccable. Parfaite cuisinière et pâtissière, sa table était très fréquentée et sa personnalité plaisante et généreuse attirait non seulement la famille, mais ausi des étrangers qui avaient entendu parler d'elle. Parmi ses visiteurs, on pouvait reconnaître des personnes de toutes les professions, et de tous les niveaux d'éducation. Maintes fois, nous, ses enfants devions faire place à des invités venant de l'étranger envoyés par des amis ou de la famille.

         Lola travaillait sans cesse et se donnait complètement à tous ceux qui avaient besoin d'elle, même au détriment quelquefois de son mari et de ses enfants. Mais, on ne pouvait lui en vouloir, car elle n'avait pas de favoris et elle traitait tout le monde de la même façon. Depuis notre plus tendre enfance, ma soeur, mon frère et moi avions compris qu'il fallait la partager sans arrières pensées. Car ce que nous aimions en elle, en fait avait été créeé justement par ce dévouement et ce charisme qu'elle possédait et qui attirait tout un monde autour d'elle.

         Au courant de sa vie, maintes fois, elle nous fit le récit de nombreux incidents tirés de son enfance avec et sans sa grand-mère. Et qui d'entre-nous n'a pas entendu "Ma grand-mère me l'a dit!". Nous savions tous qu'elle obtiendrait ce qu'elle désirait de la vie parce que sa grand-mère le lui avait promit. Il faut dire que Nonna Louna ne manqua jamais à sa promesse.

        

 

LE 31/01/2007

 

LES YEUX BLEUS DE MON PERE

A CESAR ZEITOUNI

 

 

Dans les yeux bleus de mon père,

Rayonnaient toutes les lueurs

D'un doux soleil sans fureur

Tel l'azur du ciel et de la mer.

 

Dans les yeux bleus de mon père,

Brillait de tous ses calmes feux

Un monde serein et généreux,

La nature et la bonté de la terre.

 

Dans les yeux bleus de mon père,

Clignotait avec humour

De la vie un grand amour

Et une joie impossible à taire.

 

Dans les yeux bleus de mon père,

Une lueur d'admiration étincelait,

Quand, du passé il parlait,

Surtout au souvenir de sa mère.

 

Dans les yeux bleus de mon père,

Jusqu'à la fin existait

Une douceur où flottait

L'innocence de naguère.

 

S'il y a une chose que je ne pourrais

De lui, jamais oublier,

Ce n'est ni sa voix, ni sa générosité;

Ni son pas léger,  sa douce gaîté

Ni sa façon de plaisanter;

Mais plutôt, son regard illuminé

Comme un phare guidant dans l'obscurité:

Ce sont les yeux bleus de mon père.

 

 

EN SOUVENIR DE LOLA

        

Note de la Rédaction :

LOLA est la mère de la narratrice.

Nonna LOUNA est son arrière-grand-mère

 

 

         Lola avait souvent un rêve qui se manifestait nuit après nuit, jusqu'au jour où elle se rendit compte que ce n'était point un rêve mais un événement de son enfance qui lui retournait sans cesse. Elle avait noté que c'était surtout dans des moments de crises  et de difficultés que cette vision la hantait. La vie n'avait pas toujours été facile pour elle, mais déterminée et courageuse comme elle l'était, Lola ne pensait pas beaucoup à son propre confort. Pour elle, l'insistance de ce qu'elle décrivait à son amie Beba, comme une vision, devait à son avis être un omen ou au moins un message qu'elle tenait à éclaircir. Plus superstitieuse qu'elle, Beba lui répétait que c'était peut-être parce qu'elle avait oublié l'anniversaire de la mort de grand-mère, que la vieille lui faisait avoir ce rêve.

- Je me souviens de ta grand-mère, elle était très  superstitieuse, si tu n'as pas dit une prière pour son âme, elle va te hanter, soupirait-elle.

- Mais qu'est-ce que tu racontes Beba? Ma Nonna était la femme la plus merveilleuse au monde pour moi. Je n'ai aucun souvenir de ma mère, mais Nonna, elle, m'a tout donné. Je refuse de penser qu'elle me veut du mal, s'obstinait à dire Lola.

- Bon d'accord, ne te fait pas de mauvais sang, tiens, tu dois bientôt accoucher. Nous espérons que tu feras l'honneur à ton mari de lui donner un fils, comme ta belle-mère te l'a demandé, plaisanta Beba en souriant et tapotant la main de Lola.- -  Oui, oui, mais si ce n'est pas un garçon, je ne me frapperai pas tu sais. Mon mari est moderne et puis il m'a dit qu'il aimait mieux les filles, ajouta- elle.

- A Dieu ne plaise ! Tse, tse... Arrête de dire des bêtises ma chérie. Tu auras un beau fils pour commencer, lui assura Beba avant de partir.

         Laissée seule, Lola continua sa rêverie. Elle avait été élevée par sa grand-mère paternelle Louna. Sa propre mère Angèle, mourru d'une fièvre typhoïde six mois  après avoir mis au monde une quatrième fille. A la consternation de toute la famille qui attendait un héritier pour Jacques H son père, dernier de ce nom, Angèle, désespérée ne pu produire qu'une autre fille.

         A la mort de sa mère,  Lola n'avait que six ans et sa plus jeune soeur six mois à peine. Heureusement,  Louna sa grand-mère paternelle qui vivait avec eux  s'occupa de diriger la maison de son fils, et, de cette façon, pendant les quelques années à venir, les quatre filles eurent un substitut de mère. Jacques H fut forcé de se remarier, car il lui fallait des garçons pour continuer la branche de sa famille. Il épousa en secondes noces Rachel A qui avec le temps lui donna deux fils.

         Depuis son plus jeune âge, Lola se sentait mère, responsable de ses soeurs et demi-frères pour qui elle éprouva tout de suite un grand amour. Elle les avait toujours protégé et écouté, elle était à la fois confidente, amie, mère et soeur. Pour eux tous,  Lola fut tout de suite le lien, la force et la vitalité de leur unité. Il exista un sens et une cohérence dans leurs relations même lorsque la vie les sépara à cause de la guerre et des dispersions de leurs destins individuels. Il se créa un sentiment indéfini, presque télépathique entre eux six, qui durera jusqu'au dernier jour de Lola.

         Vers la fin de cette année 1940, avec la peur de la guerre et toutes les rumeurs terrifiantes qui venaient de l'étranger, Lola se trouva enceinte de son premier enfant. Alourdie par sa grossesse et inquiétée par cette vision d'elle-même  dans ce passé qu'elle croyait oublié, Lola cherchait à comprendre pourquoi cet événement lui revenait avec tant de force et d'insistance.         

         Nabiha, sa nourrice, lui apporta un café et s'assit à ses pieds en soupirant. Elle avait beaucoup vieillit, et Lola s'aperçu avec un choc à quel point ses cheveux étaient devenus blancs sous son coquet foulard noir à paillettes. Le visage de la vieille Nabiha, sa "Dada", sa nourrice, s'était creusé de tant de rides que Lola n'avait pas remarqué. Son regard brun soucieux et tendre était levé vers la femme, qui avait été la petite fille d'Angèle, son premier enfant. Elle l'avait veillée et portée sur son dos en jouant. Elle avait été témoin de ses premiers pas titubants et de ses balbutiements de bébé. Elle avait lavé et repassé son linge et ses premières robes de soir. Elle l'avait vu grandir et devenir femme, assisté à la veille de son mariage à grands cris de joies et de sonores "Mabrouk ya habibti!". Elle sentait cette affinité entre elles grandir encore plus maintenant qu'elle allait avoir le privilège de tenir dans ses bras le premier-né de celle qu'elle considérait  comme la fille qu'elle n'avait jamais eu.

         Lola se pencha avec affection vers la vieille et fidèle nourrice, lui mettant la main sur l'épaule elle  la rassura et finalement lui demanda:

- Pourquoi penses-tu que j'ai ce rêve Nabiha? Penses-tu qu'elle me veut du mal, la Nonna?

- Mais non, pas elle ya rohi, pas elle. Elle doit te voir prête à devenir mère et elle veut simplement te rappeler tout ce qu'elle t'a enseigné. C'est sa façon de te dire qu'elle est toujours avec toi. Ne te préoccupes pas ya benti!

- Toi tu as toujours raison Dada. Merci.

- Tu veux un bain de pieds, ya binti, ma fille? répliqua la vieille Nabiha en évitant de la regarder.

         Lola la dévisagea attentivement. Cette question voulait toujours dire que sa Dada désirait lui faire une confidence importante. Alors, dans l'intimité crée par leur proximité dans la salle de bain, les pieds dans l'eau tiède et la fidèle servante la dorlotant comme une enfant, le moment était propice pour d'importantes révélations. De plus, Lola avait comprit que dans l'âme de cette simple femme, l'eau purifiait tout, séparant le prophétique du quotidien pour ainsi dire. C'est donc par le moyen de l'eau ou en sa présence que certaines choses se passaient entre la jeune femme et sa nourrice.

         Aussitôt qu'elles étaient installées dans la salle de bain, Lola tourna son visage arrondi par la grossesse avec une question dans les yeux. Il ne fallait pas se dépêcher, la déclaration viendrait à son heure. La vieille Dada, ouvrit le robinet dans l'évier comme pour couvrir leurs voix et dans un souffle, sans regarder sa maîtresse, elle dit clairement:

__ C'est une fille, ya binti, c'est une fille que tu as dans le ventre. Inchaallah, que la volonté du tout puissant soit faite. Je vivrais jusqu'à ce que tu aies un fils. Amin. Ainsi soit-il. Elle dirigea son regard vers Lola qui la fixait de toutes ses forces. Elle referma le robinet et se retourna pour chercher la serviette blanche et moelleuse, légèrement parfumée pour sécher les pieds de la jeune femme.

- Dada, je n'ai jamais questionné ta sagesse, mais...

- Alors ne le fais pas maintenant ya habibti, ma chérie. Allah est grand et lui seul sait et décide pour nous. Viens, Sidi, mon maître va rentrer bientôt, nous avons à faire.

         La conversation était close. Les deux femmes s'affairèrent chacune de son côté. Lola préoccupée par ce qu'elle venait d'entendre n'était nullement inquiète par le fait qu'elle attendait une fille et pas un garçon. Mais par la réalisation de deux choses, l'une, qu'elle avait négligé son devoir et ne s'était pas aperçue que  Nabiha était peut-être malade et qu'il fallait la faire visiter par le médecin, l'autre, que son attitude de femme moderne et émancipée n'était après tout qu'une idée balourde.

         Son enfance et son éducation, son expérience  tout au long de sa vie et son entourage, tout complotait contre cette image d'elle-même qu'elle voulait réaliser. Elle ne pouvait donc pas se détacher entièrement de son passé et de ce que Nonna avait fait d'elle. Elle était pétrie dans les superstitions juives et arabes de cette Egypte dans laquelle elle avait toujours vécue et de laquelle il était impossible de se détacher. Comment disait donc ce proverbe? "Celui qui boit de l'eau du Nil y retourne!"

         Angoissée en pensant que la vieille Nabiha était malade, Lola était décidée à la prendre chez le médecin le lendemain même. Elle s'efforça de rester calme et de l'épier discrètement pour ne pas la mettre en colère. La nourrice était plus lente que d'habitude et elle se fatiguait plus vite. Elle avait un visage à la peau basané qui  depuis très longtemps déjà était noblement ridé. Personne ne savait son âge, ni elle-même non plus. Elle avait été prise au service de la mère de Lola, Angèle, quand elle avait à peine douze ans. Elle avait grandit avec sa maîtresse, et quand cette dernière avait épousé Jacques H, elle l'avait emmenée avec elle. "Je devrais l'envoyer en vacances dans son village pour qu'elle reprenne un peu." Se dit Lola en soupirant et en pensant à son accouchement prochain.

         Cette nuit-là, Lola accueilla le rêve qui l'obsédait depuis quelques semaines avec sérénité et résignation. Elle ouvrit son coeur à la tendresse et l'affection témoignée par sa grand-mère dans son enfance. Dans le silence de la nuit noire et à peine consciente de la calme respiration de son mari à ses côtés, Lola voyagea dans le monde de son enfance et de ses souvenirs. Dans ce sommeil réparateur, Lola retrouva enfin la paix et l'acceptation de ce qu'on appelait "El maktoub", sans pour cela jamais perdre son ambition de se réaliser comme une femme moderne, une femme du XXe siècle.

- Allons cara mia, lève-toi. La voix douce chuchote dans le silence de la nuit noire. Au fond de son sommeil confortable la jeune enfant refuse d'ouvrir les yeux et de sortir de son chaud cocon.

- Allons ya habibti, il le faut, continue la voix.

         Une main ferme éloigne les couvertures et la petite se trouve assise dans son lit à peine consciente. La vieille lui enfile les pantoufles de cuir rouge toutes froides d'être restées sous le lit et la petite se lève en titubant.

         Avec son mélodieux mélange d'italien, d'arabe et de français, la grand-mère continue à exhorter la petite fille jusqu'à la salle de bain. Cette pièce, énorme et caverneuse, avec ses grandes dalles noires et blanches lui parait encore plus froide que d'habitude. Il n'y a qu'une seule fenêtre à vasistas et les murs sont d'un blanc d'hôpital. Les deux se dirigent vers la grande baignoire en émail qui trône dans un coin de la pièce, avec ses énormes pieds en forme de pattes de lion. Là, la vieille ouvre le robinet et la petite place machinalement ses mains en les frottant l'une contre l'autre, sous le jet froid de l'eau qui semble lui couper la peau comme un couteau.

- Allons, tu sais quoi dire cara mia, qu'est-ce que tu attends?

         Comme dans un rêve la fillette s'exécute et psalmodie les phrases apprises, qu'elle répétait presque deux ou trois fois par semaine quand son père tardait à rentrer la nuit : "Jacques H, rentre à la maison sain et sauf, que Dieu te bénisse Jacques, rentre à la maison". Elle continue sa supplication pendant que la vieille la soutient et l'encourage.

         Finalement, la grand-mère ferme le robinet d'un geste sec et rassure la fillette en lui séchant les mains. "Très bien ya habibti, brava, brava. Adesso fa la nanna ! Va dormir, ton père,  il sera bien".

         La vieille embrasse la petite avant de la coucher dans son lit chaud et douillet où elle pourra poursuivre son sommeil jusqu'au matin. Le lendemain, la fillette ne se rappellera pas de grande chose excepté du fait que sa grand-mère lui faisait confiance et la mettait dans le secret des grandes personnes. Elle se sentait importante et nécessaire, car la vieille lui avait dit que seul l'appel d'une fille sage et innocente pouvait faire réussir ce sort bénéfique qui protégeait son père, alors qu'il travaillait tard la nuit, au milieu d'étrangers jaloux et intrigants. Cet appel qu'elle faisait, ramenait Jacques sain et sauf vers ceux qui l'attendaient.

         Depuis son plus jeune âge la fillette adorait sa grand-mère, la suivait partout et l'écoutait de toutes ses forces. L'affection de la vieille avait su parer le coup de la mort de sa mère si cruellement advenue. On n'avait pas vraiment expliqué à  la petite de quoi sa mère était décédée mais tout ce qui importait  à Lola c'était que la vieille Nonna  Louna, comme on l'appelait était là et lui rendait toute son affection. Elle se sentait protégée et aimée, surtout après le tout nouveau mariage de son père avec  Rachel une belle et grande femme mais dont la santé délicate exigeait qu'on s'occupe beaucoup d'elle.

         La fillette se trouvait donc responsable à un âge si tendre de ses soeurs qu'il fallait garder silencieuses, sages et tranquilles dans leur chambre pour ne pas déplaire à la nouvelle femme. En plus, tout le monde chuchotait qu'enfin Jacques H allait avoir les fils dont il avait été privé jusque là. Quatre filles, ce sont des  frais sans fin, des bijoux, des trousseaux et des dots.

         Elle avait souvent le sentiment qu'elle et ses soeurs étaient un fardeau pour son père et elle s'efforça toute son enfance à retourner à son père ce qu'elle croyait lui devoir. Elle apprit à gérer son foyer d'une façon économique, à se garder de dépenser inutilement. Elle prit des cours de couture pour confectionner ses vêtements et ceux de ses soeurs pour ne pas demander trop d'argent à son père, quand en fait rien de tout cela n'était nécessaire. Dans sa vie, plus tard, elle su se donner en se sacrifiant pour les autres, mais sans jamais rien exiger pour elle-même en retour.

 

(la suite de cette narration, portant le titre de Nonna LOUNA, paraîtra le mois prochain, incha’allah)

 

 

 

 

LE 31/12/2006

L’ ENFANT

 

Si tu manges tout, tu deviendras grand

Tu seras fort et certainement puissant.

Si tu écoutes les paroles de tes aînés,

Tu apprendras et connaîtras tout le succès.

Si sans cesse tu imites leurs actes de dévotion,

Tu n’accompliras que de bonnes actions.

 

N’oublie pas qu’il faut à tout prix réussir

Faire beaucoup d’argent, travailler et servir;

N’avoir pitié de rien et aller de l’avant

Malgré les obstacles et moments décevants.

N’oublie pas qu’il faut être toi, le plus fort,

Pas seulement de l’âme mais aussi de corps.

 

Si tu ne laisses rien dans ton plat,

Tu travailleras sans être jamais las.

Tu plairas à ton père et ta mère, et puis quoi?

Laisses-les faire pour cette fois:

Ils ne veulent que ton bien, tu le sais?

Ils savent quand est-ce que c’est assez!

 

Quand tu seras grand tu partiras à la guerre

Pour la glorieuse patrie, héro tu mordras la terre.

Et ton sang abreuvera à l’infini le blé des champs,

Et ton nom survivra sur la pierre pour tous les temps.

Personne ne te demandera ce que toi tu désires

Tu accompliras ta dure tâche sans rien dire.

 

Mais dit l’enfant:

 

“Je ne veux pas grandir,

Travailler, servir et mourir.

Je préfère regarder voler au soleil les papillons;

Attraper de mes mains nues les petits poissons

Qui dans la mare nagent en agitant leurs nageoires;

Et poursuivre des abeilles la folle trajectoire.”

 

“Je ne veux pas grandir

Avoir de l’argent, réussir.

Je préfère dans mon jardin voir les plantes fleurir,

Pousser au printemps et gaiement s’épanouir

Les graines que de mes propres mains j’ai semé

Et qu’avec amour j’ai arrosé, soigné, et taillé.”

 

“ Je ne veux pas grandir

Aller me battre, conquérir.

Je préfère vivre et aimer, cultiver dans mon coeur

L’amitié et la compassion comme de belles fleurs.

Je voudrais chaque jour protéger de mes propres mains

La vie de chaque enfant avec tous ses lendemains.”

 

 

 

LE  BAWAB

(portier, concierge)

 

         C’était un personnage célèbre et important au Caire car il régnait comme un roi sur l’immeuble qu’il gardait. Notre Abou Mahmoud, formidable personnage, n’était point un simple concierge mais bien plus : un protecteur. Il connaissait très bien tous les habitants de la bâtisse et savait se faire obéir des vendeurs, livreurs, domestiques et tout ce monde qui entrait et sortait de son domaine. Il faut dire que conscient de son importance il prenait ses responsabilités sérieusement et, en fait pour nous dans notre immeuble, Abou Mahmoud avait l’allure d’un héro des mille et une nuit.

 

         Tout d’abord, Abou Mahmoud venant du Said était de grande taille majestueuse, aux joues balafrées affublé d’un large caftan blanc, ceint d’une large bande noire et portant une « a’abaya » en toute saison. Sous sa « galabiya » on pouvait distinguer un « sherwal » qui tombait sur ses énormes babouches noires. La voix grave et autoritaire de Abou Mahmoud résonnait dans le « hosh » qui unissait les deux immeubles et communiquait avec le jardin.

 

         Avec  lui, il y avait encore trois autres « bawabin » qui ensemble assuraient la sécurité de notre petit monde de tous les jours.  Je les voyais souvent assis, sur leur banc ou « mastaba » avec une «  shisha »qui ronronnait ou bien  en train de jouer au « trictrac ». Mais rien ne leur échappait, car ils savaient à chaque moment qui entrait et qui sortait de l’immeuble.

 

         C’est grâce à leur loyauté et à leur calme rationnel que notre immeuble ne fut pas attaqué lors des manifestations du 26 janvier 1952. La présence d’esprit et la précaution de ces hommes leur permis de rapidement juger le danger. En refermant les lourdes portes de fer et en convainquant les chefs de la foule en délire qu’ils n’avaient rien à faire dans notre immeuble, nous sauva ce jour-là.

 

         La famille d’Abou Mahmoud vivait toujours au village et ce n’est que de temps à autre que l’une de ses femmes venait le visiter. Il avait une tapée d’enfants que n’avions jamais vus. Mais un jour, un de ses fils, l’aîné je crois, qui s’était distingué dans les études monta au Caire pour aller à l’école. Mahmoud devait avoir quinze ou seize ans. Grand de taille mais très mince, il ne ressemblait pas du tout à son père. Je me souviens de ses grands yeux noirs car ils paraissaient énormes. Mahmoud avait des pommettes hautes et des cheveux frisés qu’il portait courts. Sa peau très noire luisait toujours comme s’il venait de se huiler le visage et ses dents blanches éclataient dans  un sourire constant.

 

         Quand Mahmoud apparu dans notre jardin, nous fûmes tous curieux de savoir qui il était et timidement, il nous expliqua. Je compris à demi mot par la suite, qu’ Abou Mahmoud lui avait recommandé de ne pas trop fraterniser avec les enfants de l’immeuble.  Il lui avait dit je pense, que nous étions des « khawagat » et beaucoup d’entre nous des « afrang » et qu’il ne voulait pas entendre de plaintes à son sujet.

 

Mahmoud avait la responsabilité d’aider Hanafi le jardinier et ce dernier le malmenait assez en lui faisant des remarques désobligeantes ou en le grondant souvent. Mais Mahmoud souriait toujours. J’étais très intriguée par ce jeune garçon et je lui posais une foule de questions. C’est là que me rendis compte qu’il avait un talent naturel et inné de conteur.

 

Avec le temps, il s’apprivoisa et presque tous les jours il nous racontait des histoires tout comme Shéhérazade en s’arrêtant au point crucial pour continuer le lendemain. Je me souviens avec grand émoi à ces histoires simples et touchantes. Quelques une sans doute étaient des remaniements des fables de la Fontaine et d’autres des contes des mille et une nuit.

 

Mahmoud se concentrait toujours pour quelques secondes avant de commencer un conte, comme s’il cherchait les mots dans sa mémoire. Ensuite, il prenait une grande inspiration et le voilà partit. Il mettait l’emphase sur les mots importants, changeait sa voix pour faire les différents personnages et utilisait un langage poétique mais en même temps terre à terre pour se faire comprendre. Plusieurs d’entre nous parlaient à peine l’arabe.

 

Un jour Mahmoud disparu. Son père nous dit qu’il avait été accepté dans une école importante, un pensionnat je crois. Nous ne le vîmes plus jamais. A aucun moment, Mahmoud n’avait donné une indication qu’il allait quitter notre immeuble. Mais depuis, je crois que je fut celle qui regretta le plus son départ. Je pense avoir été la plus âgée des enfants et les histoires qu’il racontait avaient éveillées en moi cette soif d’en connaître plus. Je le revois dans ma mémoire assis parmi nous heureux de parler et d’être écouté avec tant d’attention. Je me suis demandée par la suite si Mahmoud n’était pas devenu instituteur

 

 

LE 25/11/2006

 

NOTRE  JARDIN

        

 

Nous habitions au numéro six de la rue Kasr el Nil (Immeubles Benzion), dans une belle rue élégante au centre d’un quartier résidentiel du Caire.

Ma mère me raconta que lorsqu’elle s’installa, jeune mariée, dans ce quartier, elle avait été séduite par les beaux arbres qui ombrageait l’avenue. Avec le temps, ces arbres furent coupés pour faire place aux automobiles et à la circulation intense, typique du Caire.

         Le numéro six comportait deux immeubles reliés par la terrasse sur le toit et par un grand jardin au niveau de la rue. Ce jardin était en arrière des immeubles et occupait une large superficie. Tous les enfants de l’immeuble se rencontraient dans ce jardin pour jouer et les parents promenaient leurs bébés en bavardant.

         Il est bien rare de trouver au centre du Caire un jardin si on n’habite pas une villa ou un palais. J’estime que nous avons eu beaucoup de chance d’habiter dans cet endroit et je me souviens avec grand plaisir les bons moments passés dans ce jardin.

         Le jardinier Hanafi s’affairait dans ce monde de palmiers et

d’arbres fruitiers, sans compter les belles plates-bandes fleuries, le gazon toujours tondu à temps et les allées bien sablées. Sur les murs qui entouraient le jardin, croissait le lierre avec de longues lianes. Au-delà du mur, il y avait une autre bâtisse de trois ou quatre étages qui donnait sur notre jardin.

         Au fond du jardin, une cabane basse et caverneuse servait de remise à Hanafi. C’est là qu’il gardait tous les outils de jardinage. Mais je pensais aussi qu’il devait cacher quelque chose de précieux car il avait l’habitude de verrouiller la porte en regardant tout autour de lui d’une façon, qui à mes yeux semblait suspecte. Mon imagination souvent galopait à imaginer toutes sortes de méfaits dont il aurait été coupable. Hanafi nous semblait à tous un peu louche et quand il criait après les enfants, nous nous dispersions bien vite pour ne pas nous faire prendre par lui!

         Dans ce merveilleux jardin, nous passions des heures à sauter à la corde, jouer à la marelle, aux cow-boys et indiens et au ballon prisonnier. Nous grimpions aux arbres pour agacer Hanafi qui nous poursuivait en nous menaçant des pires tortures. Il nous avait appris à tresser les longues tiges des feuilles de palmier pour faire des panier ou des chapeaux. Nous façonnions également des arcs et des flèches pour rendre nos indiens plus véridiques!

         J’aimais à me coucher tranquillement dans l’herbe haute qui poussait au fond du jardin dans un espace que Hanafi avait laissé complètement sauvage. Là, j’attrapais des sauterelles vertes pour les observer de plus près, de beaux papillons vivement coloriés et des fourmis qui voyageaient en longues caravanes lentes.

         Un énorme mûrier non seulement faisait une grande tache d’ombre fraîche, mais aussi nous approvisionnait de feuilles pour nourrir des vers à soie que nous gardions dans des boîtes à chaussures. Dans cette atmosphère de nature et de liberté, nous avons forgé des amitiés solides et à mon avis uniques. Nous avons jouis du plein air en bonne santé. Nous avons appris à partager nos jeux et à communiquer avec autrui.

         Quelle fut donc notre tristesse lorsque cet espace vital fut vendu! Oui, bien vendu à « Gaafar Frères » pour construire une salle de cinéma! Tous les enfants et leurs parents déplorèrent ce jour, mais qui peut discuter et se battre contre l’argent? C’est ainsi que notre innocente enfance se termina pour faire place à une salle de cinéma.

J’y suis allée une fois avec mon père pour entendre Gamal Abdel Nasser faire un discours.

 

 

 

AL  KAHIRA

 

Stretched along the banks of the river Nile,

Languorous, mysterious, graceful as a tiger-cat,

Al-Kahira, all decked out is ready to beguile.

The innocents, the strangers who cross her path,

Are mere mortals, their fate is cast.

 

Nourished with the miraculous water Nile,

She's moulded modern Egypt's history,

As well as, her events, ideas and philosophy.

She has young eyes wise, in a body fragile.

However, she's older than most cities.

 

Mirrored in her every sight

Is the story of millions of people!

Conquered by many a fight,

She rises proud yet fickle:

She's known the greatest of names!

 

Adorned by temples to many gods,

Reflecting the vanity of men

Whose power stands symbolized by rods,

Whose names resound in anthems,

They are in fact, her unfortunate victims.

 

Al Kahira is like the prostitute painted

With all the colours of deceit.

Under the fresh look she's tainted:

Lepers' sores and cruel defeat,

For better days, she still remembers.

 

Masked by sweet orange blossom scent,

Al Kahira hides the smell of rotten flesh.

Beneath her passionate love accent

She seeks to attack her prey afresh

Using skilful and subtle ways.

 

In the narrow black, dark alleys

Bristling with murderers and thieves,

She ceaselessly the desperate rallies

To do her will with poisoned leaves,

Rape or back knifing feats.

 

Cruel, bloodthirsty, she only rests

When nothing more is left.

She leaves her victims spent, bereft,

Incapable still to forget her face

Her charms, and her deadly grace.

 

 

 

LEAVING EGYPT

 (for my grand-children)

 

The presence of Jews in Egypt can be traced to Biblical times before the Romans. It is estimated that only 15% of the Jews in the twentieth century have always been in Egypt. However, their ranks increased every time there was a crisis in another Jewish community in the Middle East or in another place in the world.

 

In 1956, most Jews who were poised to leave Egypt after the Suez Canal crisis had a variety of nationalities and origins. Those who had lived in Egypt for two or three generations and could not obtain the nationality were without papers and called “apatrid”, without a nation. When they left Egypt, it was with a “laissez- passer”, a document valid only for once. “No return” was printed on it.

 

Leaving Egypt under such circumstances meant fear for the future, insecurity and some measure of despair as one was leaving behind family and friends. Many families had been expelled and their properties sequestered or out right confiscated because they held a French or British passport. Quite a few people were arrested and accused of Zionism or spying without proof whatsoever. Others were asked to leave within a very short time. For people who had not known any other “home” or country but Egypt, they trembled in the eve of such an undertaking.

 

For some Jews immigration to Israel made the only sense, but others just went where they had family or friends. Few who had a valid nationality received help in order to be repatriated in the countries of the passports they bore. In any case, needless to say that these were very trying days and many people suffered hardship both psychological and financial.

 

I was born in Cairo, first child in a traditional Jewish family and I lived there until the age of sixteen. I have a sister, two years my junior and a brother seven years younger. Our father was born in Lebanese and our mother, although born in Egypt had a Tunisian, “French protected” nationality.

 

Up to this time, all my experiences in Egypt were my whole childhood, my earliest memories, all I knew of love and friendship that connect me today to this past. Even though we left in dire circumstances, I still carry within me the sun, the smells and the sights of this very happy childhood.

 

What did it mean to live in Egypt? As Jews, we were not considered Egyptians, we didn’t vote or participate in public life. Even though we were fairly safe and had friends among Moslem and Christian families, our situation was always precarious. Our parents repeatedly told us that we had to be careful not to attract attention to us. Not to gather on street corners with friends or openly offer our opinions.

 

Truthfully, when I think of it rationally, it was a mixed bag where sweet and bitter mixed almost equally. Even today, many years after, I am aware of how deep Egypt penetrated my psyche. The older I grow, the more events I remember, of those days gone by and in me, rises the desire to share this with my children and grand-children.

 

In spite of all this, we lived well and comfortably. We had servants and could circulate freely, attend theaters and public places. Many Jews owned businesses and beautiful homes. They traveled inside the country and outside, all over Europe and the States. Jews enjoyed higher education in different languages and became well-known in various fields: medicine, finances, music, the arts and education.

 

 

 LES  PYRAMIDES DE GIZA

 

Sous la caresse brutale

D'un soleil tropical,

La terre craque et se fend

A tout bout de champs.

Le sphinx, gardien muet des lieux

Reste immobile sous ces cieux.

 

Voilà qu’un souffle brûlant

Balayant le paysage, rasant,

Le sable rouge du désert,

Déplace dans cet air ardent

Des grains de poussière mouvants

Vivement emportés par le vent.

 

Voilà ces pyramides majestueuses

Qui depuis des millénaires durent.

Le mystère continue, le silence règne,

Sans que nulle eau ne les baigne.

Immuables ces énormes pierres résistent

A l’usage du temps qui point ne désiste.

 

Trois pyramides côte à côte

Droites, fortes sans fautes

Se dressent gardiennes des sables,

Autour desquelles se racontent des fables

Témoins d’une fabuleuse histoire

Odyssée parfois difficile à croire!

 

 

LE 28/10/2006

 

29 OCTOBRE 1956   

 

Ce jour a commencé normalement. Je me suis rendu en autobus à l’école comme d’habitude. Il n’y avait rien dans l’air pour présager ce qui arriva plus tard. Mes cours étaient aussi ennuyeux qu’à l’accoutumé et ce ne fut que vers midi que je fus convoquée au bureau de Dr. Martin notre directrice. Avant d’entrer, je notais mentalement que deux autres camarades attendaient dans l’antichambre.

 

Dans cette école «The  American College »pour filles, dirigée par des missionnaires américaines, il n’y avait que trois juives en tout sur mille ou plus élèves. Nous avions eu toutes les trois des permissions spéciales afin de nous faire inscrire à cette école. La journée d’étude était longue et les cours se prolongeaient jusqu’à seize heures. Racheline et Raymonde étaient les élèves qui étaient dans l’antichambre de Dr. Martin.

 

Dr. Martin, me regarda sévèrement et d’une voix calme m’invita à m’assoire. Elle m’annonça que je devais chercher mes affaires parce que ma tante Esther qui habitait à proximité de l’école viendrait me chercher. Prise de court et terriblement surprise et je lui demandais de me donner la raison. Elle m’informa qu’une situation grave s’était développée et que mon père irait chez ma tante pour me ramener à la maison. Le cœur battant et la gorge serrée j’insistais à la questionner mais elle refusa de s’expliquer.

 

Je fus prête en quelques minutes. Mes camarades de classe me regardèrent ramasser mes livres sans m’adresser la parole et je me rendis directement à la grille dans la cour où en effet je trouvai ma tante. Elle me prit par la main et nous traversâmes la rue pour arriver chez elle. Ma tante ne me donna pas de détails non plus mais confirma que mon père venait me chercher.

Ce n’est que lorsque nous arrivâmes à la maison que mon père finalement m’informa que la guerre avait éclatée. Choquée et anxieuse, je saisi que se préparaient de grands changements dans notre vie. En effet, le soir même j’entendis mes parents qui chuchotaient entre eux et je crus même entendre un sanglot dans la gorge de ma mère. Pendant la nuit, j’entendis en tremblant des soldats égyptiens qui montaient l’escalier en faisant résonner leurs bottes et cliquer leurs armes. A l’étage au-dessus du nôtre, ils frappèrent avec insistance en criant « Ouvrez la porte Mr. Israël nous avons un mandat d’arrêt! »

 

Je tremblais comme une feuille et je sentais la nausée qui allait me terrasser. Ma dada me serra la main en me faisant « chut » du doigt. Je compris qu’on arrêtait notre voisin et je couru vers la chambre de mes parents. Mais soudain, je vis mon père et ma mère debout près de la porte d’entrée. Papa avait une petite valise à la main et son visage trahissait des sentiments de frayeur et de crainte. A ce moment, nous entendîmes les soldats qui redescendaient mais nul ne frappa à notre porte! Avec un soupir de soulagement mon père s’effondra sur un fauteuil. « Ce n’est pas mon tour aujourd’hui! », souffla-t-il.

 

Il n’y eu point de sommeil pour nous ce nuit-là. Ma sœur, mon frère, notre dada et moi, blottis les uns contre les autres attendîmes le jour pour discuter avec nos parents des événements. Durant les jours que dura la guerre, nous hébergeâmes la tante Allégra et son petit-fils Roger car ces derniers habitaient Héliopolis. Ce quartier étant à proximité de l’aéroport du Caire n’était pas sécuritaire.

 

Je n’ai pas de souvenirs précis de ces jours-là, excepté pour l’insécurité de minute en minute de ce qui pouvait se passer. Mes parents qui jusqu’à maintenant étaient toujours certains de ce qu’il fallait faire ou dire, me semblaient bien vagues et maintes fois même inquiets et craintifs. Pour nous, les enfants, c’était un grand congé! Pas d’école, ni de devoirs, nous passâmes de bonnes heures à échanger des confidences et plaisanteries avec notre cousin!

 

Les semaines qui suivirent étaient souvent une suite d’événements pleins d’émotion et de graves décisions. Séquestres, confiscations, arrestations, mauvaises nouvelles et l’évidence claire qu’il nous fallait partir, quitter l’Egypte finalement. Mon père né au Liban et détenant la nationalité libanaise avait un passeport valide. Mais ayant dû détruire tous les papiers prouvant ma mère tunisienne protégée française, il fallait pourvoir maintenant  à la mettre sur son passeport.

 

Le consulat du Liban lui fit la faveur de s’exécuter mais la condition était d’utiliser ce passeport afin de quitter l’Egypte seulement, et pas plus. Donc, ces papiers ne valaient plus rien après la sortie de ce pays. Papa devait se contenter de perdre sa nationalité et se servir de ce passeport pour se sauver la peau, un point c’est tout!

 

Nous quittâmes l’Egypte le 19 décembre 1956, au lendemain de mon 16ieme anniversaire en destination de l’Italie. Là nous restâmes deux semaines à Rome où il pleuvait presque sans cesse d’une petite pluie fine et pénétrante. Il faisait plus froid qu’au Caire bien sûr et je me souviens d’avoir eu le nez et les extrémités constamment gelés. La grisaille semblait bien accompagner l’humeur noire de mes parents!

 

En Italie, après quelques jours frustrants pendant lesquels mon père essaya de communiquer avec des hommes d’affaires qui lui devaient de l’argent, il se rendit à l’évidence que c’était peine perdue. Il a fallut donc décider de ce que nous devions faire. Ma mère ayant famille proche en Israël, désirait les revoir. C’est ainsi que nous partîmes pour ce pays.

 

Le 3 janvier 1957 est encore une date très importante dans ma vie et celle de ma famille. C’est le jour de notre arrivée en Israël où nous fûmes reçus à bras ouverts par la sœur de ma mère et sa famille et le quatorzième anniversaire de ma sœur. Même si aujourd’hui je ne vis plus dans ce pays, mon cœur y est encore. Je lui suis redevable d’avoir moulé ma personnalité d’adulte et donné à ma vie un but, un sens et une direction.

C’est là, à Haïfa que j’ai rencontré mon mari et où sont nés mon fils aîné et ma fille cadette puisque la benjamine naquit à Ottawa au Canada quelques années plus tard.

 

 

 

LES  PEUPLIERS

 

A la queue leu leu, se pressant l'un contre l'autre

Une armée de peupliers se balance

Au rythme cadencé de la brise.

 

Tantôt à gauche, tantôt à droite,

Ce balancement gracieux produit

Dans le silence un doux chuchotement.

 

Les peupliers tremblent et frémissent

A chaque souffle d'air. Leurs longs bras maigres

Remuent sans arrêt en se touchant.

 

Serrant les rangs comme de fidèles soldats

Les peupliers se courbent et se redressent

A tous vents, sous tous les cieux.

 

Toujours présents, ils garnissent l'horizon

De leur fière allure. Élégants et unis

Ils se découpent avec précision, surtout,

Au crépuscule, quand le ciel, dans sa splendeur

Prends feu sous les derniers rayons du soleil couchant.

 

 

 

MA  DADA  ET  SES  SUPERSITIONS

 

Quand je pense à certains de mes souvenirs d’enfance, je ne peux m’empêcher d’évoquer mes peurs de petite fille. C’est que pour nous discipliner, les dadas aimaient souvent nous raconter des histoires de diables, de mauvais esprits et démons (baboula) qui avaient le but de nous apprendre à rester sur le droit chemin!

 

C’était surtout des superstitions qu’on nous inculquait. Elles avaient deux sources: l’une, celles de nos dadas qui jaillissaient du folklore égyptien lui-même et l’autre, des croyances religieuses musulmanes. Pour moi, c’était un monde extraordinaire, peuplé de faits magiques et merveilleux. Je savais distinguer la vérité de la fantaisie mais n’empêche que vivre avec ces mythes et contes avait quelque chose d’enrichissant qu’instinctivement je percevais.

 

Je me souviens que Fahima ma dada avait en grippe certaines amies de ma mère et qu’elle était persuadée que ces femmes étaient envieuses. Fahima était convaincue que ces dernières nous donneraient le mauvais oeil. Alors quand ces personnes s’attardaient chez nous ou venaient trop souvent, elle s’armait du balai et introduisait des épingles dans le poil en marmonnant je ne sais qu’elle incantation. Aussitôt qu’elle faisait cela les invitées se levaient tout d’un coup pour partir. Le visage de Fahima s’éclairait d’un grand sourire qui découvrait ses dents en or. Elle était certaine d’avoir sauvé la famille d’une mauvaise passe!

 

Pour complémenter sa bonne oeuvre, Fahima avait un moyen “infaillible” de savoir qui nous voulait du mal. C’est alors, qu’elle plaçait des clous de girofle dans un contenant de métal. Ensuite elle mettait le feu à chaque clou en murmurant le nom de la personne qui nous avait visité. En brûlant, le clou de girofle soit fumait tranquillement, soit s’éclatait en faisant des étincelles ou

 

 

en émettant des sifflements. C’est à ce moment que Fahima déclarait que cette personne ou une autre nous avait mis le mauvais oeil. Il fallait à tout prix éviter de l’inviter et on devait se méfier d’elle!

 

Notre chère Fahima que nous adorions, était totalement fidèle et dévouée à notre famille. Elle s’était prise la fonction de protectrice des enfants! Jamais elle ne nous disait que nous étions belles, ma soeur ou moi car elle avait peur que le diable l’entende parler et alors cela nous aurait mises en danger! Elle faisait semblant de cracher tout le temps afin d’éloigner le mal. Fahima marmonnait sans cesse des prières sotto voce au cas ou un sort nous avait été jeté.

 

Fahima dormait dans notre chambre et si jamais nous avions un cauchemar et que l’un de nous se réveillait en sursaut, elle était tout de suite a notre chevet “dastour, besmellaah, yhehrossek Allah”. Elle nous faisait boire de l’eau ou nous lavait le visage en sens contraire. C’est à dire du menton vers le front.

 

Je me souviens que lorsqu’ une croûte de pain tombait à terre, il fallait tout de suite la ramasser et l’embrasser avant de la poser sur la table. Quand on avait des invités à dîner, on priait ces derniers de ne pas plier leur serviette de table. La raison donnée était que c’était pour assurer leur retour à notre table au plus vite.

 

Comme chez tout le monde, il y avait toutes sortes d’objets en verre qui se cassaient. S’il arrivait que deux choses se brisaient, on avait l’habitude de prendre une allumette de bois et la casser en deux pour éviter une troisième perte. En plus, suivant la forme de la cassure on pouvait déterminer si la cause était dû au mauvais œil ou au hasard. C’est à ce moment donc, que Fahima procédait à faire brûler les clous de girofle afin d’identifier qui nous avait envoyé ce mauvais sort ou qui nous enviait.

 

Quand j’ai eu la rougeole, on a mis ma soeur, mon frère et moi dans le même lit. La chambre était tendue de rouge, nous portions des pyjamas rouges et Fahima très sérieuse était déterminée à nous garder au chaud pour nous guérir. Ma mère souvent combattait Fahima mais ne parvenait pas à la convaincre de l’inutilité de tous ces efforts. Les croyances de notre dada n’étaient nullement ébranlées par ses propos et alors, c’était plus simple de la laisser faire.

 

Avant d’aller dormir chaque nuit, elle nous avertissait que sous la terre il y avait des esprits qui n’aimaient pas être dérangés par les humains. Alors on devait se rendre au dodo au plus vite possible en faisant le moins de bruit possible. De cette manière aussi on avait plus de chance d’avoir de beaux rêves.

 

Notre dada nous régalait d’histoires et de contes qui mélangeaient la fantaisie, les superstitions et les maximes du Coran. Une foule de détails qu’elle nous racontait s’ajoutaient ou entravaient nos connaissances sur Abraham, Adam et Eve et Moise qui nous venaient de notre tradition juive. Dans ses histoires, prises du Coran, Moïse, Zacarie, Jésus et Miriam se mélangeaient dans une cacophonie de voix et de noms qu’elle apostrophait de dictons.

 

Quand nous quittâmes l’Egypte en 1956, notre pauvre Fahima était inconsolable. Elle aurait voulu venir avec nous et je suis sûre que si c’était possible nous l’aurions emmenée. Je me souviens des larmes versées, elle qui savait toujours contrôler ses émotions. Quelques fois quand on se fâchait d’elle, ma sœur et moi l’appelions « Le Sphinx » ou la « Momie ». Fahima n’a pas survécue longtemps après notre départ. Six mois seulement.

 

 

 LA CONQUETE

 

 

Un papillon, insouciant et multicolore, se pose

En tremblant légèrement sur la rose.

Respirant le parfum intoxicant qui le grise

Le voilà séduit, ravi, au piège de cette emprise.

 

Il vacille, bat ses belles ailes fragiles,

Se penche encore sur la fleur gracile

Dont le pouvoir est habilement caché

Sous ses délicates pétales parfumées.

 

Il résiste quelque peu, tente de s'éloigner,

Mais hélas, il ne peut que s'abandonner:

Ivre, fou d'amour, vibrant de tout son être

De la rose, il essaye inutilement de se rendre maître.

 

Indifférente, se mouvant à peine sous sa conquête,

La rose se pavane et légèrement penche la tête

Sous la caresse du jeune soleil d'Avril.

Elle ne prête aucune attention au manège puéril.

 

Hélas, pauvre papillon que la défaite certaine

Finalement paralyse. Avec grande peine

Il cherche à se débattre, s'enfuir, se libérer,

Voltiger comme naguère sans se soucier.

 

Mais hélas, il est désormais trop tard!

Pris à son propre jeu, il ne peut que reculer car,

Bientôt, éperdu, terrassé, sans force, battu,

Il doit se rendre, comprendre qu'il est vaincu!

 

 

LE 28/09/2006

 

LES JOURS DE GRAND MENAGE

 

 

Les jours heureux de mon enfance se passaient à un rythme bien précis et se distinguaient en périodes spécifiques. Comme un ballet bien cadencé, les événements se suivaient avec une régularité constante et bienfaisante. Même le menu journalier était souvent décidé à l’avance par notre mère.

Plusieurs personnes faisaient irruption dans notre vie bien réglée, et avec le recule des années je me rends compte combien ils étaient importants dans notre vie. Tout d’abord, il y avait les jours de lessive  hebdomadaires. Chaque semaine Fatma la ghassala (laveuse) venait prendre le linge. Elle montait sur la terrasse ou le toit de notre immeuble avec ses baquets et les primus (réchauds au pétrole), ses savons et les « bleus » à lessive pour blanchir le linge.

Accroupie elle allumait le réchaud et plaçait par dessus un grand bidon d’eau dans le lequel elle faisait bouillir l’eau et le savon. Ensuite le linge y était placé et elle le remuait avec un gros bâton de bois, similaire à un court manche à balai. Le blanc était séparé en pile, et les couleurs aussi. L’odeur du savon et les vapeurs de l’eau bouillante flottaient et rendait l’air humide difficile  à respirer.

Après la bouillie, le linge était frotté, rincé et passé au bleu à grande eau fraîche. Le tout était essoré avec de gros efforts, spécialement quand il s’agissait de draps et de couvertures en cotton. Finalement le linge était prêt à être étendu sur des cordes placées à cette fin.  Ce travail prenait bien quelques heures. On s’arrêtait pour déjeuner et pour le café. Notre bonne montait un plateau pour Fatma qui mangeait accroupie non loin de ses réchauds. Toujours de bonne humeur elle riait facilement des blagues et des ragots que les autres laveuses racontaient ou des remarques flatteuses d’un des bawabs qui de temps à autre montait voir si tout allait bien sur le toit.

Quand le linge avait séché, on l’enlevait de sur les cordes, on le pliait et le tout était descendu chez le repasseur qui avait sa boutique au bas de notre immeuble. Bien entendu, le linge de corps personnel était plié par notre dada et rangé dans nos armoires avant. Quand le repasseur (makoigui) avait terminé la besogne il remettait des piles de linge odorant et impeccable qui retrouvaient leurs places dans nos armoires prêt à être utilisé. 

A part la lessive qui occupait pour une journée entière notre maisonnée, c’était le tour des grands nettoyages. Pour cela, nous avions une bonne Umm Soussou et un domestique Hassan qui venaient pour les grosses besognes. Là alors, on descendait les rideaux pour les laver, les tapis étaient « battus » avec une batteuse en osier et ensuite on passait un chiffon au vinaigre dessus. Les tapis étaient ensuite roulés et mis de côté afin que les parquets de bois soient astiqués et enduits de cire que l’on nommait « encaustique ». Les meubles étaient bougés pour que l’on puisse nettoyer derrière ou au-dessus. Les vitres des fenêtres et balcons étaient également frottés et brillaient de tous feux.

Pour nous, les enfants, ce jour-là était plein d’aventures et de possibilités de jeux. C’était l’occasion rêvée de se cacher sous les meubles et de se poursuivre en criant d’une chambre à l’autre. Souvent notre mère nous demandait de ranger notre chambre et nos affaires qui traînaient un peu partout. On discutait avec elle afin d’éviter de le faire mais en fin de compte, il n’y avait pas moyen de se dérober.

A la fin de cette journée, toute notre maisonnée était épuisée et ne pensait qu’à aller se coucher plus tôt à la nuit tombée. Quelque fois, Umm Soussou retournait pour faire des travaux comme faire briller l’argenterie, changer les papiers qui tapissaient les étagères et une foule d’autres choses. Elle remplaçait notre bonne régulière quand elle prenait un jour de congé. Nous l’aimions bien Umm Soussou qui nous racontait aussi beaucoup d’histoires et dont la bonne humeur ne se gâtait jamais. Sa fille, Soussou, jeune femme timide et gentille venait apprendre à coudre chez ma mère ainsi qu’une autre nommée Hekmat. Nous avons eu le bonheur ma sœur et moi d’avoir une mère qui était douée pour la couture. En fait, elle nous façonnait toutes les tenues dont nous avions besoin chaque saison. Pour cela donc elle avait besoin d’aide. Soussou et Hekmat venaient pour compléter les petits travaux de couture.

Quand j’y pense, je me sens vraiment chanceuse d’avoir pu grandir avec tout ce monde. La maison était toujours pleine et nos rapports avec ces personnes étaient plein d ‘affection et de respect mutuel. Nous parlions l’arabe avec toutes ces personnes qui faisaient bien partie de notre vie de tous les jours, bien qu’avec nos parents et amis, nous communiquions toujours rien qu’en français. Certains d’entre nous fréquentaient les écoles françaises (lycée français, les écoles des frères) ou anglaises (le Victoria College, la Scotch, l’American College). Nous avions des voisins de toutes les religions et nationalités et nous entendions régulièrement de nombreuses langues telles l’italien, le grec, le ladino, et le yiddish à part l’arabe et le français.

L’Egypte que nous avons connue, n’existe plus et les générations qui n’ont pas « connues Joseph » n’ont aucune idée de ce qu’était leur pays dans les années 40/50. Période extraordinaire qui a certainement influencée même ceux d’entre nous, qui sont seulement nés en Egypte et dont les parents sont venus de différents pays du monde. Nous ressentons tous encore une forte attirance vers ce pays et le souvenir de notre passé.

 

 

L‘ECHO DU PASSE

(En pensant à l’Egypte)

 

 

J’entends dans le vent

Une voix qui susurre

Qui murmure:

« C’est le fleuve, un revenant. »

 

Je me laisse bercer

Je me laisse aller,

A cette douce caresse

Me grisant sans cesse

Comme une musique lointaine

Mêlant bonheur et peine.

 

J’entends dans le vent

Une voix qui susurre

Qui murmure:

« C’est le Nil : cris d’enfants. »

 

Je me laisse glisser

Je me laisse flotter

Au grés de cette cadence,

Et voilà que je pense

Avec amertume et joie

Au passé, il était une fois...

 

J’entends dans le vent

Une voix qui susurre

Qui murmure:

« L’Egypte, amours d’antan. »

 

Je me laisse porter

Je me laisse transformer

Par une vague de douceur

Empoignant mon coeur,

Envahissant mon âme

D’une langueur calme.

 

J’entends dans le vent

Une voix qui susurre

Qui murmure,

Message fuyant...

C’est finit, mourrant dans le vent.

 

 

 

 

EN VILLEGIATURE

 

 

Chaque année après les cours, une grande émotion s’emparait de nous! Les grandes vacances nous attendait avec tout ce que cela comportait. Après avoir chanté « Vive les vacances! » à l’école et pris congé des profs, on se préparait pour partir à Ras-el-Bar et quitter les grandes chaleurs du Caire.

Le taxi se présentait à la porte de notre immeuble vers les cinq heures du matin. Nous étions déjà debout avec les bagages à la porte et l’excitation du départ créait une atmosphère inoubliable. Mes parents faisaient un dernier tour dans l’appartement pour inspecter que les fenêtres soient bien fermées et le gaz débranché et que nous n’ayons plus rien oublié.

On nous installait dans le taxi et en route! Tout le monde était de bonne humeur et on commençait à chanter car le trajet était long et ennuyeux alors il fallait trouver un moyen de faire passer le temps ! Souvent l’un de nous s’endormait la tête sur les genoux de notre Dada Fahima et finalement le premier arrêt était  à Mansurah.

Là, dans un petit café sur la route, nous mangions de grand appétit du foul médamès et de la tehina, avec la salade baladi et le pain frais qui sortait du four encore chaud. Les odeurs me retournent encore et l’eau me vient à la bouche avec le goût du cumin, de l’huile d’olive et des oignons verts, du citron frais et

Cette atmosphère unique et palpable, celle des vacances et de la liberté.

Pour ceux qui ne connaissent pas cette région, Ras-el-Bar, bande de terre entre le Nil et la Méditerranée offrait une perspective unique. En été ces terres se dégageaient de l’eau mais en hiver, le Nil se jetait dans la mer. C’est à dire en fait, que la ville pouvait être habitable seulement en été. Voilà pourquoi on construisait des habitations qu’on nommaient  « huttes » en arabes « e’esha » fabriquées de paille avec quelques murs bas de maçonnerie. En hiver le tout était démantelé jusqu’à la saison suivante.

Un côté donc, sur les rives du Nil niché dans un sable fin et blanc, présentait des plages sur lesquelles il fallait s’y rendre en fellouka, barque typique  conduite par un « battelier » el marakbi et qui pouvait prendre plusieurs passagers. On prenait de la nourriture et des boissons parce qu’on passait toute la journée à se dorer, à nager et à s’amuser avec les amis!

Sur le Nil se trouvait une promenade qu’on appelait « la languette » qui s’avançait sur le fleuve et aboutissait a un phare. Le soir, à la fraîcheur, les vacanciers se promenaient et rencontraient leurs amis pour prendre l’air. Les cafés et restaurants offraient de la bonne nourriture, des boissons et de la musique de danse pour les amateurs des thés « dansants ».

L’autre côté de Ras-el-Bar, sur la mer méditerranée, se multipliaient aussi les hôtels ou de vastes demeures « e’esha » où des familles entières se rendaient pour passer les vacances. C’est là où nous nous installions avec la famille et plusieurs familles d’amis. Notre hutte faisait face à la plage et nous avions l’habitude de passer de longues heures à jouer aux « palettes » avec les amis, faire voler des cerfs-volants, nager ou tout simplement flirter!

Après déjeuner, c’était l’heure de la sieste à l’abri du soleil cuisant. Lorsqu’on se réveillait, mes parents prenaient le café sur la véranda seuls, ou en compagnie et j’entendais la chanson du vendeur de glace qui résonne encore dans ma tête en me suggérant le délicieux goût de la « dandorma », glace mastiquante qui s’étirait dans la bouche au parfum de la gomme arabique.

 

« kirimak korkanti bistachi, yanabak ya dan dorma, kaymak, kaymak.

kirimak korkanti bistach chokolat! »

Mots magiques évocateurs de délices et de douceurs promises, rafraîchissants et dont le son rappelle des mots turcs ou européens, ce n’est pas clair.

         Il y avait aussi le vendeur de lait caillé qui avait sa propre chanson : « laban zabadi eshta el laban! ». Je me souviens d’avoir dégusté cette spécialité dans de petits contenants de terre cuite et jusqu’à ce jour je cherche en vain ce goût dans tous les yaourts que je mange. Tard le soir, après avoir passé une belle journée, ce n’était pas possible d’aller se coucher sans manger une « fetira », sorte de pâte feuilletée avec soit du fromage ou de la crème fraîche et bien sucrée. Quel délice!

A Ras-el-Bar on se déplaçait en « teuf-teuf », petit train sur roue tiré par une sorte de jeep où s’accommodait une foule de gens bavardant gaiement et riant de bon cœur! Les hôtels offraient des concours de beauté pour enfants, des compétitions de tennis, ou d’échecs, des défilés de mode et des bals masqués. Il y en avait pour tous les goûts.

Nous restions tout l’été avec ma mère car mon père retournait au travail après la première semaine et ensuite, il venait passer les fins de semaine avec nous. Le retour au Caire en septembre, se faisait avec beaucoup moins d’enthousiasme et moins de tapage comme vous pouvez vous imaginer.

 

        

 

 

 

PREMIERE NUIT D’ETE

 

Dans l'ombre du crépuscule,

Sous la caresse légère d'une brise,

Le jeune frêne sous ma fenêtre

Frémit en murmurant sa chanson.

Courbant sa tête de feuilles couronnée,

Il semble avoir tant de choses à confier.

 

La nuit tombe, douce et odorante.

Première nuit d'été finalement;

Encore claire et luisant de mille étoiles

Parsemant la voûte du firmament.

Le ciel riche, velouté est balayé

Par une traînée de panache blanc.

 

Les dernières lueurs du soleil couchant

Inondent l'horizon d’une pâle teinte rosée

Embrasant à peine sous son touché

Quelques toits, avant de s'éteindre.

 

Une douce fraîcheur baigne mon front,

Et dans les ténèbres envahissantes

Je ferme mes yeux désormais inutiles.

 

 

 

 

LE 25/08/2006

 

LES PARFUMS DE MON ENFANCE

                                                                                                                                  

« La réalité  ne se forme que dans la mémoire » (Proust)

 

En Egypte, tout avait plus de senteur, de couleur et de puissance. Les fruits et la nourriture avaient un goût plus prononcé. L’air même que nous respirions semblait plus piquant, mordant et certainement plus chaud.

En fermant les yeux je peux revoir les rouges et les oranges vifs, les jaunes brillants et les pourpres veloutés. Mais les parfums, plus que tout, me ramènent facilement en arrière vers un passé délicieusement ponctué d’enivrantes odeurs et souvenirs.

Il y a avant tout, la cuisine de ma mère qui me revient avec ses fumets réconfortants de menthe, cannelle, cardamome et cumin. L’odeur mordante de l’ail et de l’oignon qu’on faisait frire à petit feu avant d’ajouter la viande, le poulet ou les légumes. Les plats mijotés au citron qui répandait une senteur acidulée que j’aimais à humer.

A la saison des fruits, fraises, cerises, oranges ou coings, c’était le sucre qui régnait en maître. Ma mère, brassant avec énergie ses marmites bouillantes semblait une vision de douceur, la reine des confitures! Le parfum qui s’émanait de ses fourneaux allumés rendait la cuisine littéralement similaire à l’antre fantastique d’une fée bienfaisante.

Je me souviens bien de la belle vaisselle en argent et cristal que l’on employait pour mettre en relief et servir les bonnes confitures aux temps des fêtes. C’était les dates farcies d’amandes, le « safargel » dégoulinant de son sirop, les pétales de roses rouges en confiture douces et veloutées. Mais quand arrivait le café noir, odorant nectar sucré, fort et fumant dans de minuscules tasses, je revois mon père qui en versait quelques gouttes sur sa soucoupe et nous donnait à boire. Quelle extase!

Le parfum le plus enivrant et qui perdurait le plus longtemps c’était celui des fleurs d’orangers. On choisissait un jour spécifique, où avec la bonne, ma mère distillait l’essence. On mettait un alambic spécial sur le réchaud avec les fleurs à l’intérieur. Pendant des heures le tout bouillait et l’essence, goutte à goutte, s’écoulait dans le récipient pourvu à cette fin. La maison sentait les fleurs pendant plusieurs jours et tout notre petit monde en était imbibé. Je retrouvais ce parfum sur les draps de lit et sur les habits accrochés dans les armoires. Ma mère utilisait cette essence dans plusieurs sucreries, gâteaux ou plats cuisinés.

Les soirées d’été, surtout en villégiature, quand nous allions à Ras-el-Bar, les guirlandes de jasmin en fleur répandaient un parfum intoxicant et délicat dans l’air. Ces senteurs me rappellent nos premiers émois, nos premiers amours de jeunesse. Souvent les garçons les offraient aux filles et j’en suis sûre que plusieurs d’entre elles s’endormaient avec la guirlande sur leur oreiller en pensant à leur Roméo!

A Alexandrie, c’était l’odeur de la mer, du sel et des algues qui m’assaillait à peine nous arrivions dans cette ville, même avant d’aller à la plage. Ensuite c’était les senteurs dominantes de la nourriture vendue dans les rues :les « locomades », « ta’amia », « dora mashoui » et « attayeif » répandaient une foule d’odeurs qui à certains attisaient l’appétit de certains ou répugnaient d’autres.

Où sont donc passés ces beaux jours? C’est parfois comme un rêve. J’évoque ces moments avec mes enfants qui sont si curieux de la « période Egyptienne », et me demandent souvent d’en parler. C’est pour cela en fait que j’ai tout documenté car mes petits-enfants également curieux posent toutes sortes de questions.

Je dis toujours aux enfants qu’on ne doit jamais oublier d’où l’on vient afin de savoir vers où l’on va ! Plus que jamais ce qu’a écrit Proust, s’applique à notre situation et je cite :

 

 « Quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules plus frêles mais plus vivaces plus immatérielles plus persistantes plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir ». 

                             (Marcel Proust : « A la recherche du temps perdu »)

 

 

 

QUE FAIRE ?  QUE DIRE ?

 

 

Que faire? Que dire, après que les cartes sont jouées?

Le destin dévoile ses plans par des moyens tortueux.

Comme des pions nous sommes touchés, nous sommes joués;

Et dans la tempête, le fracas, nous restons là, malheureux.

 

Souvenirs dEgypte qui font pleurer mon cœur.

Mon enfance, pleine d’odorant jasmin en fleur

Perdue, mais jamais oubliée. Le goût et la douceur

De l’eau du Nil, me remplie d’une ardente vigueur.

 

 

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Eternelle Egypte : Je te porte en moi...

 

 

Je te porte en moi, comme on porte un enfant qui va partout avec moi, caché dans le creux de mon sein.

 

Je te porte en moi,  comme on porte une pierre précieuse, habilement dissimulée loin des regards envieux.

 

Je te porte en moi, comme une graine bénite qu’on réserve à la semence pour sauver de la famine ceux qui n’ont rien!

 

Je te porte en moi, comme on porte un code secret bien enfouit dans ma mémoire sans accès à personne.

 

Je te porte en moi, comme on porte un voeu, solennel, durable, connu seulement de soi et scellé par une prière.

 

Je te porte en moi, comme on porte le souvenir de sa jeunesse et le parfum enivrant de son premier amour.

 

Je te porte en moi, comme on porte la mémoire d’un miracle, d’un moment de beauté bouleversant que l’on ne peut oublier.

 

Je te porte en moi, comme on porte la beauté du ciel bleu et le doux rayonnement du soleil qui me fait revivre au printemps.

 

Je te porte en moi, comme on porte bien caché tout au fond de soi-même la peur du danger, le risque de la mort à chaque instant.

 

Je te porte en moi, comme on porte son propre coeur, invisible à l’extérieur et de qui dépend l’existence, la vie même!

 

Je te porte en moi, comme on porte son âme de qui rien ne peut nous détacher, ni même la mort puisque l’âme est éternelle!

 

 

 

COUCHER DE SOLEIL

(Ras el Bar)

 

Dans l'immensité du firmament, le disque orange

Avance dans sa trajectoire en inondant

L'univers d'une lueur qui embrase

Tout sur son chemin...

 

Le Nil s'unit à l'horizon et s'y confond.

Ses eaux lourdes, opaques et sereines

Se teintent de reflets dorés et miroitants.

C'est à peine si sur la rive calme,

 

Ses flots en retrait murmurent leur douce chanson.

C'est le moment le plus silencieux,

C'est l'heure où le temps est suspendu.

Un voile presque invisible,

Semble s'être posé imperceptible,

Sur toute la plage.

Quelques baigneurs isolés, remuent à peine.

Sur le sable blanc, l'ombre s'allonge.

 

Le soleil couchant irradiant mille lueurs

De feux, couvant l'or, l'argent et le bronze,

Enveloppe soudain comme d’une chrysalide:

Le Nil et tout ce qui pour un infime instant,

Dans l'évolution du cosmos est notre univers!

 

 

 

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