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28/02/2009
L’EGYPTE
D’AVANT L’AFFAIRE DE SUEZ
LE FOLKLORE EGYPTO-EUROPEEN – LES QUARTIERS MIXTES
NOS
DERNIERS JOURS EN EGYPTE : NOVEMBRE 1956
BOKRA, INCHA’ALLAH
ET MAALECHE
L’HOSPITALITÉ PROVERBIALE
DES ÉGYPTIENS
US &
COUTUMES DANS LE
COMMERCE
Un enterrement bourgeois
egyptien
LES RAMASSEURS
DES ORDURES - EL ZABBALINE
MÉTIERS
INSOLITES ET AUTRES MÉTIERS
Le 21/01/2006
C’est un sentiment de reconnaissance qui m’a fait écrire ce recueil. J’ai eu la
chance de naître et de vivre durant trente
sept années dans un pays exceptionnel. Exceptionnel par son histoire, par sa
culture, par ses habitants. D’autres plus qualifiés que moi ont parlé
de la fabuleuse Égypte
pharaonique. Mon ambition est de faire mieux connaître « l’Égypte de tous les jours », vécue « de l’intérieur », en contact direct avec ses
habitants et, de plus, de faire découvrir des aspects insolites de la vie
égyptienne en grande partie disparus, à l'époque où les communautés européennes
et étrangères, les khawagates*,
tenaient le haut du pavé. Pour paraphraser un titre célèbre, je ne suis pas
« Un homme (qui) se penche sur son passé » mais, tous les jours que
Dieu fait, je pense à mon passé et je remercie le Seigneur de m’avoir
permis de vivre dans ce pays-ci,
dans cet environnement-là et dans le milieu familial qui fut le mien. Certains
diront que vivre dans le passé est un comportement négatif. Mais, pour moi,
lorsque le passé est plein de charme et de souvenirs merveilleux il peut
devenir, en le recréant de temps en temps, une source de « bonheur
intense » que je souhaite partager avec autrui.
Si la lecture de ce recueil pouvait inciter
le lecteur à aller visiter l’Égypte et retrouver certains détails que
j’évoque et à les apprécier, à
contacter les Égyptiens dont la plupart sont chaleureux, gentils, hospitaliers,
alors j’aurais l’impression d’avoir « rendu » un peu de ce que l’Égypte
m’a octroyé. De tous ceux de ma connaissance qui ont visité ce beau pays, pas un seul n’en a
été déçu.
À L ÉGYPTE
ÉTERNELLE.......
À
ALEXANDRIE LA BELLE
Sous ton ciel bleu
J’ai vu le jour.
Sous ton ciel bleu
J’ai été comblé d’amour.
D’abord, celui de ma famille
Puis, celui de mes amis
Enfin, celui de mon épouse chérie.
Sous ton ciel bleu
Les fils du Nil
M’ont abondamment octroyé :
Considération, Confiance, Amitié.
Sous ton ciel bleu
Je me suis toujours efforcé
De mériter ce qu’ils
m’ont donné.
Loin de ton ciel bleu
Je clame sans cesse
Ta générosité et ta gentillesse
Et, si le célèbre adage ne ment pas
Qui dit : « Qui a bu l’eau
du Nil en boira »
Alors, je reviendrais me désaltérer
Aux sources de l’hospitalité,
Sous ton ciel bleu.
* Hommage à la
ville et au pays qui m’ont vu naître.
Le 28/02/2006
L’ÉGYPTE D’AVANT L’AFFAIRE
DE SUEZ
Ce qui distinguait l’Égypte
de cette époque des autres
pays, c’était la composition de sa population et la mainmise des communautés étrangères sur son économie.
Dans tous les pays, la population comprend
d’une
part les autochtones qui forment une majorité possédant la plus grande partie des terres, du commerce et de l’industrie,
et d’autre part une minorité d’étrangers
composée en grande partie de travailleurs immigrés ayant un permis de séjour
pour une durée déterminée, plus ou moins renouvelable. Cette minorité cherche à
s’intégrer
là où elle a trouvé refuge et son ultime aspiration est de s’en voir octroyer la nationalité par
naturalisation.
C’était tout le contraire en Égypte. Une minorité d’étrangers possédait ou
dirigeait la majorité des grands commerces, l’industrie ainsi qu’une partie non négligeable des terres.
Tout en ayant le sentiment qu’elle
se trouvait là, dans ce pays, « chez
elle », elle n’a jamais cherché à en acquérir
Cette langue était prépondérante après l’arabe
et, dans les quartiers européens, on se serait cru à Marseille, Lyon ou Paris. Les agents de change et leurs
collaborateurs dans les Bourses de Valeurs l’étaient aussi et les
cotations ainsi que les ordres d’achats
et de ventes étaient lancés en français. Le nom des rues sur les plaques, les
enseignes des magasins, les affiches étaient doublés en français ou en anglais
alors que de nombreuses autres ne comportaient même pas la traduction en arabe.
D’innombrables
journaux paraissaient dans
toutes les langues y compris l’arménien, le russe, le grec…En français,
il y avait entre autres,
Des centaines de cercles, clubs, théâtres,
cinémas, sociétés culturelles étaient spécifiques à telle ou telle communauté
où l’admission
d’Égyptiens était interdite. Le jour férié hebdomadaire officiel était le
dimanche et non pas le vendredi qui est le jour de repos religieux des
musulmans qui formaient plus de 95% de
Dans les grandes villes, la plupart des
commerçants des artères principales étaient Européens ainsi que les produits
vendus dans les magasins.
Le chef de
Un Italien avait la haute main sur tout ce
qui concernait l’entretien, la décoration et l’ameublement des palais royaux et, naturellement, il faisait appel pour
les travaux à ses compatriotes entrepreneurs, artisans et ouvriers. Partout,
même dans les ministères, (cela jusqu’à l’indépendance du pays) les postes clés
étaient détenus par des
étrangers qui devenaient ainsi des fonctionnaires ″égyptiens″ tout
en gardant leur propre nationalité d’origine. Mais tous ces étrangers étaient tellement intégrés au pays que vous les
auriez fort étonnés en les traitant « d’étrangers ».
Lorsque je reçus l’ordre
d’expulsion comme sujet ennemi
après que
On pourrait se demander, cependant, comment
se fait-il que, y vivant de père en fils depuis plus d’un
siècle, aucun de mes
ascendants et moi-même n’ayons opté pour la nationalité
égyptienne. La raison est que,
jusqu’à
l’indépendance de l’Égypte, les étrangers étaient attachés aux privilèges qu’ils
avaient acquis et il est illogique pour quelqu’un qui trouve, à sa naissance, des avantages qu’il
les abandonne en renonçant à sa nationalité d’origine,
et cela, sans même qu’on le
lui demande.
Après l’indépendance, il y eut
chez certains civils et
fonctionnaires égyptiens un désir de vengeance contre les étrangers, réaction
bien compréhensible après les abus de certains d’entre ces derniers. Ils firent subir donc aux
étrangers toutes les tracasseries possibles, chacun dans sa zone d’influence.
Ceci a provoqué chez les Européens
d’Égypte
un sentiment d’insécurité qui ne les a pas incités, non plus, à se défaire de leur nationalité et ce pour le
cas où ils seraient obligés de quitter le pays, ce qui, par la suite, a
effectivement eu lieu.
Mais d’où venaient donc ces étrangers si influents sur la vie économique, culturelle
et sociale de l’Égypte ?
Il appartient à plus qualifié que moi de répondre à cette question d’une
façon précise ou historique.
Cependant, il y a des faits notoires concernant certaines communautés à
différentes périodes qui pourraient donner des indications utiles. Ainsi, les
Arméniens y immigrèrent fuyant l’extermination par les Turcs en 1895/96 et surtout en
1915/16. D’autres, tels les Grecs, en raison de la pauvreté de leur terre natale, s’y
installèrent comme cafetiers,
pâtissiers, boulangers, épiciers, restaurateurs, industriels,…
D’autres encore, avant eux,
comme les Français, encouragés et adulés par le vice-roi d’Égypte, Mohamed Ali, y trouvèrent des faveurs et
des hauts salaires et contribuèrent pour beaucoup à la modernisation de ce
pays. Ils le firent entrer dans une ère de progrès et de civilisation, et leur
empreinte y est marquée profondément, notamment par la culture française
largement répandue. Enfin, les Anglais l’occupèrent pendant près de trois quart
de siècle en tant que protectorat
britannique. À ceux-ci vinrent s’ajouter les Italiens, Portugais,
Maltais, Espagnols,
Hollandais, Suisses, Belges, Allemands, Polonais, Russes, Tchèques et d’autres encore lors du percement du Canal de Suez.
Nombre d’entre eux s’y fixèrent, y firent souche et leurs descendants devinrent les Européens d’Égypte,
les khawagates. Chaque communauté a certainement enrichi le pays d’apports
dans un domaine ou un autre. C’est grâce
à celles-ci que l’Égypte devint un pays moderne et qu’il put prendre un essor considérable.
Chacune de ces communautés apporta avec
elle, encore, ses us et coutumes, sa manière de vivre, ses traditions, sa
cuisine, sa langue. L’autochtone en adoptait certains éléments
et les étrangers, en s’adaptant
à la vie égyptienne, s’imprégnaient de certains autres. Chaque communauté comprenait des chrétiens, des juifs
et même des musulmans comme les Bulgares, les Yougoslaves, les Albanais, les
Turcs, et chaque religion comprenait ses sectes et ses réformés.
Chez les chrétiens, il y eut les catholiques,
les protestants, les orthodoxes, les coptes, les anglicans, les baptistes, les
saints des derniers jours, les témoins de Jéhovah, les mormons,... Chez les
musulmans, les sunnites, les chiites, les soufies et, chez les juifs, les
séfarades, les ashkénazes et les caraïtes*. Les villes comptaient des centaines
de mosquées, églises, temples, synagogues, oratoires,… De nombreux européens et même des Anglais
adoptèrent le port du tarbouche* et
certains Égyptiens abandonnèrent leur galabeya*
et s’habillèrent
à l’occidentale. Tous ces gens avaient ensemble des rapports de voisinage, d’affaires et des
relations de toutes sortes.
Alors que je trouvais cela normal du temps où je vivais là-bas, je me suis
souvent demandé, depuis, comment ces multitudes si différentes de race, de
couleur, de religion, de langue, de culture, avaient pu vivre ensemble pendant
des décennies non seulement amicalement mais, souvent, affectueusement. J’en
attribue le mérite surtout au
caractère pacifique et à la générosité du peuple égyptien. Le fait est que ces
étrangers et, par la suite, leurs descendants avaient dans la majorité des cas un niveau d’instruction
plus élevé que celui des Égyptiens, surtout dans les classes laborieuses car chez les riches bourgeois
égyptiens, les enfants faisaient leurs études dans les écoles, collèges et
lycées européens et souvent même à l’étranger et ils étaient aussi cultivés que ces derniers et
parlaient plusieurs langues.
Ainsi, les étrangers purent au fil du temps
accaparer par la force des choses les métiers, les postes techniques, les
professions libérales et les situations clés qui se créaient au fur et à mesure
du développement du pays.
Même après que l’instruction
se fut étendue petit à petit
au sein de la population égyptienne, les Européens avaient toujours une
longueur d’avance et, pourquoi ne pas dire la vérité, ils étaient plus dynamiques que leurs hôtes qui ne
réagissaient pas beaucoup à cet accaparement de l'économie du pays.
Cette situation était favorisée par le fait
de l’occupation
britannique. C’est à son ombre que les Européens d’Égypte virent l’apogée de leur
suprématie et ce jusqu’au début
de la dernière guerre.
C’est à partir de là que date son déclin. Après que les Français et les Anglais
eurent été expulsés en 1956, les autres étrangers d’Égypte
craignirent pour leur sécurité et quittèrent volontairement et définitivement ce pays en quelques
années. Il n’en reste plus qu’un nombre infime, la plupart très âgés, qui préfèrent finir leurs jours
sous les beaux cieux qui les ont vus naître.
Le 25/03/2006
LES QUARTIERS
MIXTES
Raconter « la vie égyptienne »
sans mentionner le folklore égypto-européen serait l’amputer
de sa partie la plus
savoureuse qui a définitivement disparu par suite du départ des étrangers. Pour
imager les choses, on pourrait dire que, du temps où les Européens vivaient
là-bas, ils faisaient partie d’une certaine troupe, qui jouait une certaine pièce dans un certain théâtre…La troupe
est maintenant dispersée aux
quatre coins du globe, la pièce est devenue anachronique et seul le théâtre
existe toujours mais plus l’environnement.
Il est indispensable de sauver cette
« pièce de théâtre », cette richesse humaine, de l’oubli
qui
Lorsque nous avons dû quitter l’Égypte, bien malgré nous, la mienne y résidait
depuis plus d’un siècle sans avoir
jamais abandonné sa nationalité française. De plus, nous étions, avec notre
père et notre mère, une petite tribu de douze personnes dont chacune, par l’âge,
le sexe, la situation et le caractère, avait des rapports différents avec l’habitant. Je crois que
nous avons représenté ainsi, par le nombre et l’ancienneté,
un microcosme de société
étrangère ayant évolué dans un milieu égyptien. (Voir A l’ombre
du Sphinx – la vie familiale.). Celui qui n’a pas vécu en Afrique du Nord, au Liban, en Syrie, du temps où
- des quartiers totalement indigènes habités
uniquement par des autochtones musulmans et des coptes chrétiens.
- des quartiers essentiellement européens
comprenant aussi des Egyptiens de la grande bourgeoisie parlant couramment le
français, l’anglais et, plus rarement, l’allemand.
- des quartiers mixtes où vivaient ensemble
Egyptiens et Européens de toutes nationalités.
La vie la plus intéressante se passait dans
les quartiers mixtes où nous avons vécu tout au long de notre parcours. Même
dans ces quartiers, les immeubles habités par des étrangers n’avaient
pas de locataires égyptiens et
vice versa, à de rares exceptions près. Mais le bon voisinage, les contacts et
la chaleur humaine s’établissaient rapidement entre les uns et les autres.
Ainsi, je me souviens que, du temps de ma
prime enfance, nous recevions très souvent des visites de dames égyptiennes
habitant les immeubles alentours, venues demander à ma mère des conseils pour
soigner un enfant malade. Les maux de gorge, de tête, de ventre, d’yeux, d’oreilles étaient légions.
Ayant élevé dix gosses, notre mère avait
une grande expérience et de multiples recettes. Dès que nous emménagions
quelque part, sa réputation était vite connue dans le quartier et on venait
Contrairement aux quartiers européens où la
majorité des commerçants l’étaient également, ceux des quartiers mixtes étaient égyptiens, à l’exception
des cafés, débits de boissons et certaines épiceries qui
appartenaient, généralement, à des Grecs. Ceux-ci faisaient partie du paysage
et, dans toutes les villes, dans tous les grands et petits villages, même les
plus isolés, il y avait toujours une ou plusieurs épiceries/débits de boissons alcoolisées
appartenant à des Grecs qui, à l’occasion, faisaient aussi des prêts
d’argent.
Le 25/04/2006
NOS DERNIERS JOURS
EN ÉGYPTE -
NOVEMBRE 1956
Du
balcon de notre appartement à
Bien
qu’Égyptien, Ezzat commerçait presque exclusivement avec une clientèle
européenne et il parlait couramment le français, le grec, l’italien et
l’anglais. Devant ma réaction, il me regarda longuement et me demanda :
Est-ce que vous êtes de nationalité française ? Je lui répondis par
l’affirmative et il ajouta : Je comprends ! Il me conseilla cependant
de ne rien prendre au tragique, que la situation allait sûrement s’arranger et
que, de toutes façons, je n’avais personnellement rien à craindre puisque
j’étais né dans le pays.
Je
le quittai aussitôt et me précipitai à la gare pour rentrer au Caire. Une foule
était massée aux guichets et je trouvai difficilement un billet mais seulement
pour le dernier train qui n’arrivait à destination qu’à vingt heures. Il
n’était que dix heures et je ne savais comment tuer le temps jusqu’au départ.
J’étais angoissé à l’idée que le pays étant à la veille d’une guerre, on
pouvait réquisitionner les trains, ce qui laisserait ma femme et mes enfants
séparés de moi pour un temps indéterminé où tout pouvait arriver.
Habituellement, mes visites aux fournisseurs étaient si prenantes et nos
relations, si agréables, que je trouvais le temps toujours trop court ;
mais ce jour-là, ne pouvant rien faire, il ne s’écoulait pas ! Je
m’efforçais d’entreprendre quelques visites amicales dans le quartier des
grossistes où je connaissais tout le monde et partout il n’était question que
de la guerre qui pointait à l’horizon. Certains achetaient dans l’expectative
d’une hausse rapide et d’autres vendaient à des prix inespérés
Dans
le compartiment où je pris place se trouvaient de nombreux officiers de l’armée
égyptienne rappelés au Caire. Des conversations passionnées s’engageaient entre
eux et les autres voyageurs civils. J’étais le seul khawaga. On m’ignorait. Aucune hostilité mais c’était comme si cela
ne me regardait pas, contrairement à ce qui se passait d’habitude où l’on
faisait connaissance dès les premiers kilomètres.
Mais…
ce n’est pas possible ! Ils parlaient à voix basse ! Chose incroyable
en Égypte ! Pas de plaisanteries, pas de rires, rien de ce qui fait la vie
même des Égyptiens ! J’entends souvent les mots arabes de Frannssa, Enngleterra, Issraïl.
Diable ! Je suis Français et Juif… S’ils l’avaient su ils m’auraient fait,
peut-être, un mauvais parti. Pourtant, sur le moment, je n’étais pas inquiet.
Pourquoi
l’aurais-je été ? Je suis né dans ce pays, comme d’ailleurs mon père et
mon grand-père. Je connais bien les Égyptiens*. Je parle couramment leur
langue. Je vivais avec eux : des voisins, des amis, des clients…Nous avions
les meilleures relations et ils me considéraient comme l’un des leurs. Ils
sont, la plupart, gentils, accueillants, hospitaliers. Ils ont même de la
considération pour ceux des Khawagates
qui ne se comportent pas comme en pays conquis.
Et
pourtant, un rien pourrait les transformer. Il suffirait pour cela d’un article
tendancieux dans un journal, un peu de propagande à la radio pour que certains
d’entre eux deviennent haineux. C’est humain car ils ont été trop souvent
occupés par l’étranger et ont trop souvent subi des avanies multiples. Ils sont
maintenant indépendants et leur nationalisme est à fleur de peau.
Enfin,
le train arrive en gare du Caire. Je descends du compartiment et…je ne vois
rien à un mètre de moi ! Au cours de mon trajet d’Alexandrie au Caire le black-out a été décrété et immédiatement
appliqué.
J’ai
cependant la chance de dénicher un taxi et j’arrive rapidement chez moi. Les
grilles de l’immeuble sont fermées mais, dès ma descente du taxi, elles
s’entrouvrent et Abdou, le portier*, demande : Est-ce vous Monsieur
Albert ? Et il ajoute : Dieu soit loué ! J’étais préoccupé
à votre sujet : n’ayez aucune crainte, madame et les enfants sont en
sécurité là-haut. Brave et dévoué Abdou ! Cela se passait donc il y a
quelques jours à peine.
Depuis
lors, nous sommes assignés à résidence c’est-à-dire que nous ne devons pas
quitter notre domicile, sauf aux heures spécifiées pour faire nos courses et
accomplir les formalités qu’on nous indique. Mes employés me rendent visite
tous les jours. Ils sont tous Egyptiens. Ils me réconfortent et m’assurent que
tout rentrera dans l’ordre incessamment.
Entre-temps,
des parachutistes français et anglais ont sauté sur Port-Saïd et Port-Fouad. Le
Caire est coupé de ces deux villes. On annonce à la radio que le Gouvernement
égyptien met sous séquestre les biens des ressortissants français et anglais.
En
effet, le lendemain, mon personnel m’informe que les scellés ont été apposés
sur mes bureaux, entrepôts et magasin de vente. Il n’en mène pas large et tous
sont inquiets pour moi car toutes sortes de rumeurs circulent à propos des
mesures qui vont être prises à l’encontre des Français et des Anglais. On parle
même de camps de concentration et je tremble à l’idée qu’on y enferme les
hommes et qu’on laisse les femmes et les enfants à la merci de toute racaille
qui émerge dans les périodes troubles. Bientôt, chaque jour apporte une
nouvelle réglementation :
- Inscription au commissariat de police du
quartier.
- Attribution d’une carte spéciale de la
préfecture.
- Interdiction de vendre nos biens meubles et
immeubles.
- Blocage de tout compte en banque.
- Interdiction est faite aux Égyptiens de
régler aux Français et aux Anglais toute dette civile ou commerciale. Etc, etc.
Un matin, à six heures, deux policiers
en civil se présentent chez moi et me remettent une convocation à
Il
y eut, hélas, de nombreux abus de cette sorte, surtout envers les étrangers qui
ne savaient pas bien parler l’égyptien ainsi que les gens âgés, sans défense.
À
Jamais
l’idée d’une expulsion ne nous serait venue à l’esprit. Les aéroports civils et
les ports maritimes étaient fermés. Il n’y avait ni départs ni arrivées. Par
ailleurs, il y avait une foule de formalités à accomplir pour ma femme et mes
enfants auprès du Consulat de Suisse qui, par suite de la rupture des relations
diplomatiques entre l’Égypte et
Mais
je ne raconterai pas les avanies que nous avons subies avant de partir, par le
fait de quelques-uns. Je ne voudrais pas ternir tous les beaux souvenirs que
nous gardons de l’Égypte car, plus les jours passaient, plus le prestige des khawagates* déclinait et certains
Égyptiens se rendirent compte qu’ils avaient là une occasion unique de les
pressurer ; ils ne s’en privèrent
pas.
Les
plus nombreux furent les apatrides qu’on expulsait sans qu’ils sachent où ils
pourraient aller n’ayant ni nationalité ni patrie pour les accueillir étant
tous nés en Égypte de parents eux-mêmes apatrides et sans avoir pu acquérir la
nationalité égyptienne. Ils furent la proie des vampires qui les dépouillèrent
pour leur octroyer quelques jours de sursis, le temps de convaincre un consulat
étranger de leur accorder un passeport provisoire. À la douane, certains
fonctionnaires sans cœur leur enlevèrent tout ce qui pouvait avoir une valeur.
Le
pays était en guerre et les autorités avaient autre chose à faire qu’à protéger
ces malheureux. Alors, l’impunité des méchants qui trouvaient moyen de
s’enrichir rapidement incita même les bons à suivre leur exemple et cela empira
de jour en jour. Mais je ne veux me rappeler de l’Égypte que la gentillesse de
ses habitants, leur générosité, leur hospitalité, leur joie de vivre, leur côté
bon enfant, leur tolérance car quelques grains d’ivraie ne peuvent faire
oublier des tonnes de bon grain.
Je
veux me rappeler intensément Abdou, le portier*, Sayed le livreur qui m’était
si dévoué ainsi que les autres collaborateurs et des centaines d’autres qui
méritent mon respect et mon amitié. La dernière belle image que nous avons
emporté de l’Égypte fut celle-ci : lorsque nous descendîmes de l’immeuble,
le jour de notre départ, pour nous engouffrer dans le taxi qui devait nous
emporter vers l’aéroport qui fut ouvert au trafic dans l’entre-temps, nous
trouvâmes une haie vivante que composaient les commerçants égyptiens du
quartier, les portiers des immeubles alentour, le boucher, le boulanger, le
vendeur de cigarettes, le repasseur, le pharmacien… et même certains habitants
du quartier que nous ne connaissions pas qui tinrent à nous dire adieu, à six
heures du matin, en nous réconfortant et en nous assurant que ce n’était là
qu’une séparation momentanée et qu’ils attendaient notre retour.
Nous
avons été pleinement heureux dans ce pays. Je lui dois beaucoup et souhaite
payer une partie de ma dette en lui dédiant ce livre. Si mes descriptions
pouvaient intéresser le lecteur et l’inciter à visiter l’Égypte et à rencontrer
ses merveilleux habitants, alors j’aurais le sentiment de partager avec lui le
cadeau que j’ai reçu en y voyant le jour et en y vivant de nombreuses années.
Et toute joie partagée n’est-elle pas plus intense ?
Le 25/05/2006
Il était de tradition, pour les Cairotes*,
de fuir leur ville pendant les mois les plus chauds de l’été et d’aller estiver
en bord de mer. Ceci, du moins, pour les habitants égyptiens fortunés ainsi
qu’une bonne partie des européens.
On estivait principalement à Alexandrie
ainsi qu’à Rass El Barr. Rass El Barr est situé sur
Toutes les habitations particulières ainsi
que les nombreux hôtels étaient construits sur un seul plan, le temps d'un
estivage, avec des nattes en osier tressé, dressées autour d’un soubassement en
dur. Les cloisons séparant les pièces les unes des autres avaient une double ou
une triple épaisseur de ces nattes, ce qui n’empêchait quand même pas souvent
de suivre, par l’ouïe, tout ce qui se passait chez le voisin. La vie qu’on y
menait tenait en même temps du camping que d’un séjour de nabab. Les hôtels
avaient une forme rectangulaire dont les quatre côtés comprenaient des chambres
qui donnaient, vers l’intérieur, sur une grande cour et, vers l’extérieur, sur
une galerie couverte qui comportait des escaliers de trois ou quatre marches
par lesquelles on descendait sur la rue, si on peut appeler « rues »
des allées sablonneuses, non asphaltées.
On pouvait donc accéder à sa chambre, en
venant de la plage, directement par l’extérieur ou bien passer par l’entrée principale de l’hôtel,
donc par
Lorsqu'on y louait une chambre ou deux,
suivant l’importance de la famille, on se sentait tout de suite chez soi.
Chaque famille apportait avec elle la batterie de cuisine et était accompagnée
d’une bonne*.
On se débarbouillait le matin dans la cour,
en vêtements d’intérieur, muni de savon, rasoir, serviette ; en attendant son tour, on taillait une
bavette avec les autres estivants.
Des amitiés se nouaient, fort utiles pour
le déroulement du séjour, pour l’organisation de parties de cartes, de tric-trac* ou autres passe-temps. On
regagnait ensuite sa chambre, de laquelle on ressortait sur la galerie couverte
où on trouvait table, chaises, chaise
longue et, tout de suite, la ronde des vendeurs ambulants commençait : le
pain, le lait, les beignets, le foul*
et les falafels*, les fruits et
légumes, les poulets, lapins, canards, pigeons, vivants et prêts à être
sacrifiés et accommodés pour le repas de midi, les poissons tout frais pêchés
et tout frétillants. L’hôtel comprenait aussi une grande salle commune, une
cuisine et un grand four comme celui du boulanger, le tout à la disposition des
estivants.
Pour chaque famille, la bonne préparait la
nourriture, guidée et aidée par sa maîtresse.
Les célibataires, tous mâles, trouvaient petits déjeuners et repas dans
les cafés et restaurants alentours. Je dis bien célibataires mâles car il était
impensable, à cette époque, qu’une jeune fille, même européenne, voyageât ou
séjournât seule n’importe où en Égypte. Cela ne se faisait pas encore.
La galerie couverte sur laquelle
s’ouvraient toutes les chambres ne comportait pas de séparations et on liait
vite connaissance avec ses voisins de chambre de droite et de gauche, parfois
même ceux de l’autre côté de la rue, et c’était très agréable. Dès le premier
repas, on échangeait des assiettes des mets qu’on avait préparés et, si la
sympathie s’instaurait, on s’attablait carrément tous ensemble. Les enfants
s’assemblaient pour manger et jouer ; les bonnes fraternisaient.
Je ne sais pas ce que recèle l’air ou le
climat de Rass El Barr mais le fait est
qu’on n’avait presque pas besoin de sommeil. On y dormait très peu sauf aux heures de canicule, après le repas de
midi, durant lesquelles on faisait une longue sieste. Le moment de celle-ci était
respecté même par les vendeurs ambulants de l’après-midi qui ne recommençaient
leur tintamarre qu’à partir de 16 heures. Mais là, alors, ils se déchaînaient.
Les vendeurs de glaces, de sirops glacés et
de boissons gazeuses, de bonbons, de caramels, biscuits roulés, pâtisseries,
friandises de toutes sortes, qui affolaient les enfants. Les ambulants ne
travaillaient pas pour leur propre compte mais pour celui d’un patron qui les
rémunérait au pourcentage. Tout était
chasse gardée et personne n’osait prendre le risque d’y pénétrer. Le plus
célèbre d’entre eux était un certain Mohammad Eid. Les glaces, bonbons,
fromages, beignets qu’il écoulait par l’entremise de ses ambulants portaient,
sur les emballages, sa marque et son portrait.
C’était un homme du peuple, un grand
gaillard bien bâti avec une superbe moustache noire fournie, en guidon de vélo,
les pointes fièrement dressées.
Au Moyen-Orient, les moustaches symbolisent
la virilité et il était courant, chez les Égyptiens du peuple, lors d’un
engagement important, de jurer « sur sa moustache ». Cela équivalait
à une signature. Personne ne faisait ce serment devant témoins s’il n’était pas
sûr de pouvoir tenir parole car, à défaut, il aurait été obligé de se la faire
raser ce qui était la pire des humiliations.
Les
ambulants annonçaient donc à haute voix les produits qu’ils vendaient ainsi que
le nom de leur patron comme actuellement, à la télévision, on vante telle ou
telle marque. Ceux de Mohammad Eid vantaient leurs produits en ajoutant, au nom
de leur patron, son attribut principal : « sa moustache » qu’ils
qualifiaient « de fer » ce qui, en arabe, rimait avec son nom. Ainsi,
pour les beignets par exemple, à partir de cinq heures, ils tonitruaient cette
annonce :
Lokmadis
lokma Beignets, beignets
Sabahh
sharif Bonne journée
Mohammad Eid Mohammad Eid
Abou
chanab hhadid À la moustache de fer
Dans
leur esprit, la prestance et la vigueur de la moustache de leur patron
rejaillissaient sur ses produits ce qui inciterait les clients à les acheter de
préférence aux autres marques dont les fabricants avaient des moustaches
débiles !
La vie nocturne était très animée. Il y
avait un cinéma, des dancings dont
un en plein air, le HOME dont la
musique baignait la station de ses derniers airs à
Nous étions tous habitués à ce genre de vie
joyeuse et exubérante où se côtoyaient amicalement, fraternellement et souvent
affectueusement plusieurs nationalités.
Ceux qui avaient des fourmis dans les
jambes et surtout les jeunes des deux sexes, allaient danser au HOME ou bien
arpentaient infatigablement, aller et retour, la longue jetée de Rass El Barr,
au clair de lune où leurs bandes entonnaient des sérénades en français,
italien, grec, jusqu’au petit matin ou bien encore couraient vers les plages
pour un bain de minuit, mais habillés. Les magasins, restaurants, cafés, ne
fermaient que vers les premières heures du jour et vous pouviez acheter des cigarettes, un kilo de banane, une boîte
de conserve, un pain ou un maillot de bain à deux heures du matin et plus tard
encore.
Pour se rendre à Rass El Barr, il fallait
prendre le train du Caire jusqu’à Damiette et arrivé là il y avait un service
de bateaux à moteur qu’il fallait emprunter pour arriver enfin à destination.
Entre ces deux moyens de communication, les arrêts dans chaque gare, les
transferts, il fallait compter à peu près cinq à six heures. Habituellement, un
estivage moyen durait deux mois.
Les hommes ne pouvaient pas abandonner
leurs affaires pendant si longtemps. Ils accompagnaient donc leur famille pour
son installation sur le lieu d’estivage, passaient avec elle une ou deux
semaines et, par la suite, ils retournaient seuls au Caire pour revenir tous
les week-ends, c’est-à-dire du vendredi soir au dimanche après-midi.
Un été, j’étais venu estiver à Rass El Barr
avec ma femme, mes enfants et une bonne. Un ami et sa petite famille nous
accompagnaient et nous louâmes des chambres dans le même hôtel. Tous les
week-ends donc, lui et moi quittions ensemble le Caire pour Rass El Barr, après
quoi nous rentrions ensemble les dimanches après-midi pour être au travail les
lundis matin.
Durant le restant des jours de la semaine
nous déjeunions ensemble à
L’un de ces lundis, nous nous sommes
retrouvés mon ami et moi à notre table réservée, pour déjeuner. Cela se passait
pendant la guerre 1939 durant laquelle
de nombreuses denrées d’importation manquaient. Le garçon qui nous servait
habituellement s’approcha de mon ami et lui glissa à l’oreille que
l’établissement venait de recevoir quelques caisses de bière Guinness
Stout en grandes bouteilles, qu’il
réservait à ses clients fidèles.
Bien qu’à l’époque mon ami et moi fussions
bien résistants à l’alcool, ces trois bouteilles agirent sur nous comme s’ils
contenaient non pas de la bière mais du whisky ! Nous devînmes rapidement
gais, euphoriques et perdîmes quelque peu la notion des choses…Nous n’avions
plus du tout envie de retourner à notre travail et nous sentîmes une irrésistible
envie d’être avec nos familles. Nous tînmes un bref conciliabule, arrêtâmes le
premier taxi de passage et lui demandâmes s’il voulait bien nous conduire à
Rass El Barr et à quel prix ? Pour plus de deux cent kilomètres il n’était
pas question de faire marcher le compteur ! À notre question, le chauffeur
sursauta, nous regarda plus attentivement et comprit de quoi il
retournait ; il nous demanda un prix exorbitant que nous marchandâmes pour
la forme et par habitude (voir Le marchandage) et montâmes à l'intérieur du
véhicule.
Au bout d’une heure de trajet, les vapeurs
qui embrumaient mon cerveau commencèrent à se dissiper quelque peu. Je demandais au chauffeur de s’arrêter au
premier village et là, je téléphonais à mon jeune frère qui travaillait avec
moi, l’informant que j’avais un voyage urgent à faire et qu’il avisât mes
parents que je ne rentrerais pas de quelques jours. Nous reprîmes
Mais comment faire avec ce taxi immobilisé
? Finalement, le chauffeur partit à la recherche d'un collègue qu'il
connaissait dans cette ville, le réveilla et celui-ci accepta de nous emmener
dans son propre taxi jusqu’à destination. Nous réglâmes au premier le prix
convenu dont il remit une partie à son collègue.
Enfin, nous arrivâmes à Damiette, fîmes la
traversée en bateau et arrivâmes à l’hôtel à… minuit passé. Nos femmes et
enfants dormaient. Nous étions dans nos petits souliers ! Quelle
explication pouvions-nous donner ? Partis la veille après-midi et revenus
le lendemain à minuit ? Nous convînmes de dire la vérité.
Réveillées en sursaut, nos épouses ne
voulurent pas nous croire. Elles pensaient que nous leur cachions quelque
mauvaise nouvelle, le décès d’un proche parent ou un accident survenu à un être
cher…Enfin, elles nous crurent et nous pardonnèrent, flattées peut-être de
constater qu’elles nous manquaient ainsi que les enfants.
A notre dernier estivage à Rass El
Barr, mon épouse attrapa la fièvre typhoïde. Grâce à un médecin ami qui
estivait lui-même là et qui connaissait les notabilités de la ville, il nous
fit réserver un compartiment particulier dans le train afin de rentrer sans déclarer la maladie aux autorités
sanitaires lesquelles, autrement, nous auraient empêchés de rentrer au Caire et
nous auraient retenus dans un hôpital de Damiette jusqu’à guérison complète de
mon épouse ou bien ...
Ce fut
notre dernier estivage à Rass El Barr et, par la suite, nous louâmes chaque été
à Alexandrie.
Ah ! Alexandrie ! Combien
méritais-tu ton surnom de « Perle du Moyen-Orient » Maints écrivains et poètes ont évoqué
son atmosphère sensuelle et suave, sa douceur de vivre, ses plages, ses palais,
ses casinos, ses dancings, ses lieux de plaisir, ses hôtels, ses restaurants,
ses brasseries, ses quartiers qui s’appelaient, qui s’appellent toujours :
San Stefano, Stanley Bay, Glymenopoulos, Camp de César, Mazarita, Sporting Bay,
Smouha…En été, elle était une Côte d’Azur européenne avec, en plus, tous les
charmes de la vie orientale.
Dans la matinée, on prenait le temps de
savourer la vie sans se presser, dans les cafés et sur les plages.
L’après-midi, les pâtisseries et salons de thé qui portaient le nom de Délices,
Pastroudis, Tornazaki, Trianon, Athinéos et
tant d’autres étaient bondés et là, les commérages, les cancans, les potins
allaient bon train. Le soir, on se rendait dans les dancings, les casinos, les
brasseries, les restaurants à la mode comme Le Monseigneur, Le Romance, Le
Scarabée Bleu, Le San Stefano, où les dernières attractions internationales se
produisaient, après quoi on dansait jusqu’à l’aube sur les mêmes airs à la mode
qu’à Paris, Londres ou Rome…Les femmes étaient belles et élégantes et la
plupart d’entre elles oisives dont les seules occupations étaient de courir les
magasins, les couturières, les réunions de jeux entre amies et, pour certaines
d’entre elles, les 5 à 7. Cette atmosphère toute spéciale d’Alexandrie que
certains ont appelée « la pervertie » « la
dépravée », agissait sur et en même temps était entretenue par cette
société cosmopolite composée d’hommes d’affaires à l’argent gagné facilement et
de femmes à la recherche de nouvelles sensations pour égayer leur spleen. Évidemment,
pas toutes. En fréquentant ces mêmes lieux de plaisir, les estivants du Caire
entraient, par la force des circonstances, dans cette atmosphère où ils
évoluaient, le temps d’un estivage.
Tout comme à Rass El Barr, ceux-ci venaient
donc y rejoindre leur famille tous les week-ends, en auto ou en car par la
route du désert, ou en empruntant le Diesel,
un train rapide entre Le Caire et Alexandrie, surnommé par les mauvaises
langues « Le train des cocus » dont la renommée était, sans aucun
doute, pure méchanceté.
Nous avions l’habitude, mon ami et moi de
louer à Alexandrie, à chaque estivage, un grand appartement meublé, de six
chambres avec tout le confort de l'époque : réfrigérateur, téléphone,
piano et batterie de cuisine où nous avions largement de la place pour loger
nos deux familles et nos deux bonnes.
Un certain été, la chanson « Jezabel » était sur toutes les lèvres et
j’essayais, chaque week-end, de l’interpréter sur le piano en écorchant le
moins possible les oreilles de tout le monde car je n’ai jamais appris le
solfège. Comme nous aimions beaucoup danser, nous dînions tous les samedis au
Monseigneur sur les airs qu’un excellent orchestre dispensait, accompagné d’un
ou d’une chanteuse de charme, en provenance de Paris, égrenant les dernières
chansons françaises. Nous quittions l’établissement vers les deux heures du
matin et, au lieu de prendre un taxi, nous louions un fiacre qui nous emmenait,
par
Il fallait plus d’une heure pour
arriver à destination et la promenade nous réveillait si bien, dans
l’air marin du petit matin, que nos femmes nous confectionnaient un petit souper,
après quoi nous faisions encore une partie de cartes jusqu’aux aurores.
Quelques
semaines avant que nous quittions l’Égypte, une diseuse de bonne aventure, qui
lisait l’avenir dans un couffin plein de sable, nous prédit que nous
entreprendrions bientôt un long voyage « SANS RETOUR » et c’est ce
qui eut effectivement lieu.
Le 30/06/2006
Les cafés jouent un rôle
social important en Égypte. Chacun a son café attitré. Il lui reste fidèle
quelquefois même s’il déménage dans un quartier éloigné. Certains ont leur
table réservée. Ils viennent à heure fixe et partent de même. D’autres y
passent pratiquement leur vie : ils arrivent à l’ouverture, ne s’en vont
qu’aux heures des repas pour y revenir ensuite jusqu’à
En tous cas, on pourrait croire qu’un café
n’appartient à personne : le client fidèle ou de passage s’installe et,
s’il a envie de consommer, il fait signe au garçon. Certaines fois seulement
pour demander un verre d’eau glacée qui lui sera servi aussitôt. Dans quelques
grands cafés, un ou deux jeunes garçons n’ont pour seule occupation, à longueur
de journée, surtout en été où il fait particulièrement chaud, que de garnir des plateaux avec des dizaines de verres d’eau
glacée et de circuler entre les tables pour étancher la soif inextinguible de
centaines de clients, à l’œil bien entendu. Cela fait partie de la publicité
pour retenir ou augmenter la clientèle.
Dans le centre ville et les
quartiers chics où le standing est plus élevé, il est tacitement entendu que
les clients doivent commander au moins une consommation, généralement dès leur
arrivée. Mais ce tribut payé, vous preniez possession de votre table et de
votre chaise pour toute la journée si vous le désiriez et si le garçon venait
vous relancer, non pas en paroles mais en essuyant énergiquement votre table,
vous le regardiez d’un air outré, semblant lui dire : « j’ai déjà
consommé ! »
Heureusement pour la survie
des cafés, il se trouve un certain nombre de clients qui prennent plus d’une
consommation.
Au café on peut jouer aux
dominos et au trictrac*. Les joueurs émérites de trictrac ont leurs
admirateurs, leurs fans et dès qu’ils arrivent ces derniers s’agglutinent
autour d’eux pour commenter chaque coup. En principe, celui qui perd la partie
paye les consommations. Une partie peut durer longtemps et entre les grands
joueurs les enjeux ne sont plus les consommations mais des sommes souvent
importantes.
De leur côté, leurs fans
tiennent entre eux des paris et la partie déchaîne les passions. Chaque joueur
a ses tics, ses manies, ses superstitions et ses lubies. Il y a celui qui
crache sur les dés avant de les lancer, lorsque le coup est décisif. Celui qui
change souvent de chaise pour faire tourner la chance a son profit. Celui qui
passe rapidement et furtivement les dés sur les parties pour conjurer le
mauvais sort. Mille et une manière de lancer les dés mais une seule de placer
les pions, lourdes et épaisses rondelles de bois ou de corne ouvragée de
Dans certains quartiers, en
été où on ne peut fermer les fenêtres à cause de la chaleur étouffante, cela
devient infernal surtout que les horaires des cafés sont habituellement de très
tôt le matin à très tard la nuit.
On ne peut parler des cafés
sans parler des garçons. On consommait évidemment de tout dans les cafés :
thé, limonade, Coca-Cola et Pepsi-Cola, boissons rafraîchissantes de toutes
sortes, glaces, sandwiches et, dans les établissements autorisés, bières et
boissons alcoolisées. Mais d’abord et avant toute chose : le café.
Celui servi partout en Égypte
est le café turc, cuit avec son sucre. Chacun le prend à son goût : amer
(sans sucre), légèrement sucré, à point, c’est-à-dire ni trop amer ni trop
sucré ou, enfin, bien sucré. Dans le temps, la plupart des cafés appartenaient
à des Grecs et l’usage est de lancer à haute voix, en langue grecque, la
commande du client au préparateur se tenant au fond de la salle et ce pour
éviter les centaines d’allers et venues inutiles des garçons. Cela avait un
certain panache et un certain folklore.
Les garçons égyptiens qui
travaillaient chez ces patrons grecs faisaient de même bien que le préparateur
fut Égyptien comme eux. Et dès qu’un
garçon économisait quelques livres
égyptiennes*, il s’empressait d’ouvrir à son tour un café, généralement
dans les quartiers populaires arabes de la ville où la mise de fond est peu
élevée. Et alors, bien que le patron, les garçons, le préparateur et les
clients fussent tous Égyptiens, les commandes étaient quand même lancées en
grec ! C’était un spectacle de voir Ahmad ou Sayed ou Omar, fièrement
campé dans sa galabeya* étincelante
de blancheur, tonitruant à pleins poumons, de la terrasse de son café, en
langue grecque : Ena varigliki
"un bien sucré", ena metrio sto
potiri "un à point, dans un verre" ou encore dia tchay "deux thés" etc.
Encore une image
inoubliable : dans un quartier commerçant près de la vieille ville se
trouvait un grand café en plein air, ouvert vingt quatre heures sur vingt
quatre, appartenant à un certain Metwalli. C’était un colosse obèse devant
peser, pour le moins, cent cinquante kilos. Une fois par mois, sans doute pour
toucher une pension qu’il lui versait, la mère de ce Metwalli venait rendre
visite à son fils. Elle s’asseyait à une table inoccupée et l’un des nombreux
garçons s’empressait d’avertir Metwalli de son arrivée. Ce dernier accourait
péniblement en haletant pour accueillir sa mère, lui baisait les mains et, pour
manifester publiquement auprès de ses centaines de clients le respect qu’il lui
vouait, il s’accroupissait sur ses talons auprès de la chaise de celle-ci, se
jugeant indigne de s’asseoir lui-même sur une chaise, au même niveau qu’elle.
C’était un spectacle émouvant autant qu’insolite de voir cette énorme masse de
chair écroulée aux pieds de cette dame aussi frêle qu’un roseau. Au moment de
son départ, deux garçons accouraient pour aider Metwalli à se relever.
Le 25/08/2006
Comme
le Métro à Paris, on ne peut imaginer Le Caire sans tramways. La différence est
que, dans le métro, malgré la cohue, le passager est isolé dans sa sphère
personnelle et même si on lui marche sur les pieds c’est comme s’il n’existait
physiquement pour personne. Ici, le Tramway,
c’est autre chose…
Il y a d’abord la petite plate-forme du
conducteur à chaque bout du wagon. Puis, un compartiment de deux banquettes en
vis-à-vis, réservé aux dames qui ne désirent pas se mêler aux hommes, sur
lequel est écrit, en arabe et en français le mot H a r e
m. Enfin, au milieu de chaque voiture, de nombreuses banquettes en bois,
faites de larges lattes vernies avec, pour chacune, un dossier mobile que le receveur rabat, à
chaque terminus, dans le sens de
À chaque arrêt, il descend du véhicule,
s’assure que personne n’y monte ni n’en descend plus et alors, portant à ses
lèvres une toute petite trompette qui dégage un son aigrelet, il y souffle
avisant ainsi le conducteur qu’il peut repartir.
Le tramway est une tranche de vie
ambulante. Les gens se parlent, commentent les nouvelles du jour dans le
journal qu’ils sont en train de lire, marchandent avec les innombrables
vendeurs ambulants qui montent et descendent sans cesse en voltige des tramways
en marche, se disputent avec le receveur qui prétend obliger un type âgé à
descendre parce qu’il dit n’avoir pas d’argent pour régler le prix du parcours,
lancent des lazzis et des quolibets
d’une banquette à l’autre, manifestent leur admiration lorsque monte ou
descend du tram une jolie femme, s’invectivent parfois à propos d’un désaccord
sur la politique du gouvernement dont certains sont pour et d’autres contre, se
congratulent pour son attitude ferme à l’O.N.U. face à tel problème international,
aident à monter ou à descendre les trois enfants d’une dame qui porte encore un
bébé sur le bras, font de la monnaie au receveur qui n’en a plus, avisent un
voyageur qu’un pickpocket est en train d’essayer de le voler, donnent à ce
dernier une raclée s’ils arrivent à l’attraper, etc. etc. Les resquilleurs qui
évitent de payer le prix du parcours sont légions. Ils s’ingénient à monter du
côté opposé de celui où se trouve le receveur ou de celui qu’il vient de
quitter ou bien encore restent sur le marchepied, prêts à sauter du tram en
marche et à emprunter le suivant.
Le receveur a tant à faire avec la cohue
des passagers que certains arrivent ainsi à destination sans avoir payé. S’il
les coince en cours de route ils lui disent calmement : « Je descends
au prochain arrêt ! ». Il
ne peut passer sa vie à se battre avec les récalcitrants.
On raconte ainsi cette histoire pour
rire : un resquilleur qui avait dit au receveur : « Je descends
au prochain arrêt » voyant ce dernier interpeller son jeune frère sur le
marchepied à l’autre bout du tram, lui lança de loin d’un air indigné :
« Laisse-le, il est avec moi » comme s’il avait acquitté le
prix de deux tickets ! C’est ce qu’on appelle le comble du toupet.
Je me souviens d’un événement tragique
arrivé à un pickpocket qui avait l’habitude de monter du côté opposé au
marchepied où ni le receveur ni personne ne pouvait l’attraper. Il s’accrochait
d’une main au compartiment réservé aux dames seules, le Harem et là, relevant soudainement de l’autre main sa galabeya*, il exhibait son sexe. Les
pauvres passagères poussaient des cris effarouchés et portaient instinctivement
leurs mains à leur visage pour couvrir leurs yeux afin de ne pas voir ce
spectacle affreux, laissant ainsi sans protection les sacs à main que le voleur
s’empressait de récolter prestement et de sauter du tram en pleine marche.
Malheureusement pour lui, il advint une fois où il calcula mal son coup et
sauta au moment précis où un autre tramway arrivait en sens inverse ; il
fut fauché et tué net.
Le marchandage, ici, est une tradition.
On ne peut rien acheter, fut-ce une botte de radis, sans marchander. A
l’exception de quelques grands magasins européens qui pratiquent le « Prix
Fixe », tout achat fait l’objet d’un marchandage.
C’est
une coutume et si vous voulez ne pas la pratiquer vous risquez de payer
beaucoup plus cher vos emplettes, quelquefois même au grand dépit du vendeur
dont la joie d’avoir réalisé un surplus de bénéfice est gâchée par le plaisir
manqué du marchandage.
Au
départ, par exemple, le vendeur de figues voudrait vendre le kilo à cinq piastres*. Combien devra-t-il demander
pour obtenir finalement ce prix ? Il y a plusieurs facteurs qui entrent en
ligne de compte mais une chose est certaine : s’il demande d’emblée ce
prix , il ne fera pas une seule vente à cinq piastres le kilo. Si dans le
coin de rue où il a installé son cageot d’une trentaine de kilos il n’y a pas
de concurrent trop rapproché…Si les fruits sont particulièrement beaux…Si la
journée n’est pas trop chaude d’où risque de détérioration rapide de la
marchandise, auquel cas il devra se montrer très coulant sur le prix… Si toutes
ces conditions sont réunies alors il commencera par demander à un Égyptien,
sept à huit piastres et, à un khawaga*,
huit à dix piastres. Avec le premier,
tout ce qu’il risque est d’entendre deux ou trois insultes bien senties et à
moins de revenir rapidement à de meilleurs sentiments, c’est-à-dire une baisse
sensible du prix, il ratera sa vente.
Avec
le second, il verra soit le client partir sans discuter, excédé déjà par de
multiples marchandages pour les emplettes déjà faites et rebuté à la
perspective de recommencer encore plus âprement, soit le contraire : les
nerfs usés, il est prêt à toutes les concessions surtout si la marchandise est
belle et le climat, lourd. Il veut en finir et retrouver la fraîcheur de son home. Dans ce cas, le vendeur obtiendra
facilement cinq à six piastres et
encore plus s’il est assez astucieux pour arriver, sans en avoir l’air, à faire
vibrer la mauvaise conscience du khawaga aisé envers un pauvre diable chargé de
famille et suant sang et eau pour gagner son pain ce qui, en fin de compte,
n’est que la triste réalité.
Non,
ce n’est pas une sinécure d’être marchand de quoi que ce soit dans ce pays pour
ceux qui n’ont ni charrette ni boutique. Les plus malheureux sont les marchands
ambulants de fruits et légumes transportant sur leur tête d’énormes couffins
pleins d’artichauts ou de courgettes ou encore d’aubergines, choux-fleurs,
pastèques, melons ou autres.
Le
vendeur avec charrette crie à tous les échos le nom de la marchandise qu’il
transporte : « mes pastèques tout sucre » ou encore « mes melons tout miel ». Une
cliente se penche à sa fenêtre et le marchandage a lieu à haute voix à travers
l’espace. En cas d’accord, l’acheteuse descendra le panier attaché à une corde
en surveillant de haut la balance romaine que, certaines fois, pour se
rattraper sur un prix jugé trop bas, le vendeur fait pencher bien fort en
exerçant une pression sur le fléau avec le petit doigt de la main tenant la
balance, sans que le poids véritable y soit. Lui et sa chance car, dans le cas
où la cliente aurait une balance dans sa cuisine, elle découvrira
Mais
le vendeur ambulant sans charrette est encore plus à plaindre. La hauteur des
étages en Égypte est presque le double de celle d’ici et si l’acheteur est de
mauvaise foi il joue lâchement sur le harassement du vendeur. Ce dernier a
enfin atteint péniblement le troisième étage d’où on l’a appelé. L’acheteur
l’aide à descendre le couffin, de sa tête à terre. Le marchand s’accroupit près
de sa marchandise et le marchandage commence… Dès les premières annonces ce
dernier se remet debout et se penche, faisant semblant de reprendre le couffin
pour le remettre sur sa tête. Alors la cliente augmente légèrement son offre.
Les voisins sortent sur le palier et, généralement, apportent leurs concours à
l'acheteur dans l'espoir de profiter de
l’aubaine si le prix est vraiment trop bas.
C’est
une guerre des nerfs qui se termine, presque toujours, par la capitulation du
vendeur. C’est inhumain, c’est révoltant et absurde car, à n’importe quel prix
obtenu, le marchand ambulant est quand même victime du client même honnête car
inconscient de l’ état de dépendance auquel le malheureux vendeur est
confronté.
Le 28/09/2006
Riches ou pauvres, la majorité des
Égyptiens et de nombreux Européens prennent le petit déjeuner hors de la
maison.
Le choix est vaste et varié mais le plus
courant des petits déjeuners est un sandwich de foul medammess* ou de falafel*, appelé aussi taameya*. Le foul est une
variété de fève sèche qu’on met à bouillir dans de l’eau, à feu doux, toute la
nuit avec une petite quantité de lentilles rouges qui finissent par fondre en
donnant une belle coloration au foul. Quant au falafel
ou taameya c’est du foul mis à tremper puis finement moulu
avec de l'oignon frais, ail, persil, coriandre, cumin, sel, etc., Cette pâte
est, ensuite, transformée en boulettes frites dans l’huile. Dans chaque rue
populaire égyptienne, il y a un ou plusieurs restaurants de foul et falafel. C’est la nourriture habituelle des gens de petite
condition qui en consomment plusieurs fois par semaine, matin, midi et soir.
Mais tout le monde en consomme également, riches ou pauvres, Égyptiens ou
Européens car c’est très bon.
Il y a aussi les marchands ambulants
qui s’installent très tôt dans les rues pour servir ceux qui se rendent à leur
travail ou à l’école sans pouvoir s’attabler dans un restaurant populaire, par
manque de temps. Entre ces marchands, il y avait une concurrence effrénée pour retenir
ou augmenter
Un sandwich de foul
medammess se compose habituellement d’un petit pain rond et plat dans
lequel le marchand enfourne une louche de foul,
une ou deux cuillerées de salade verte, composée de laitue, tomates,
concombres, oignons, persil, le tout coupé menu, une cuillerée de tehhina, (genre de crème préparée avec
des graines de sésame écrasées et assaisonnée) et, enfin, de l’huile, du jus de
citron et du sel. Il mélange le tout intimement et remet ce sandwich au client,
dans un morceau de papier journal. C’est délicieux et consistant.
Quant au sandwich falafel, il comporte toujours le petit pain rond dans lequel le
vendeur met quatre ou cinq boulettes de falafel
accompagnées de salade verte et de tehhina.
Mais, pour attirer le chaland, chacun
ajoutait un petit quelque chose en plus et,
celui qui avait ma faveur, ajoutait au sandwich de foul, en plus de tous les ingrédients énumérés plus haut, un demi
œuf dur et une boulette de falafel.
Malgré le prix modique auquel ils vendaient
leur marchandise, certains d’entre eux firent bâtir des immeubles de
rapport ! En hiver, on préférait
parfois prendre un plat de belila chaud.
La belila est une variété de blé rond
qu’on fait bouillir avec de l’eau et du lait, comme les flocons d’avoine. Une
grande bassine contenait cette bouillie, sous laquelle brûlait une petite
flamme pour la maintenir chaude car, en refroidissant, elle se figeait. Quand vous demandiez une belila, le marchand
prenait un bol et y mettait : trois cuillerées de sucre en poudre, une
louche de belila, un jet de lait
frais, une noix de beurre, une cuillerée de raisins secs, une giclée d’eau de
fleurs d’orangers, une cuillerée de noisettes pilées, une autre de noix de coco
râpée, quelques pignons de pins, une pincée de cannelle en poudre… et j’en
oublie. On pouvait ajouter, à volonté, chacun suivant son goût, un surplus de
lait, de sucre ou de cannelle.
Ceux qui, pourtant, aiment un petit
déjeuner consistant mais désirent changer du foul medammess ou du falafel
habituels ou encore de la belila,
n’ont que l’embarras du choix. Composé
de lentilles entières et de riz cuits ensembles, le kochari se sert dans de petites assiettes profondes. Avec des
gestes rapides ponctués de coups de louche sur la bassine ad hoc, le marchand y
prélève rapidement plusieurs louches de kochari,
très peu remplies, et construit dans l’assiette un petit monticule bien symétrique, sur la cime
duquel il ajoute, avec ses doigts, une petite quantité d’oignon frit,
grossièrement haché, dont il a préparé une haute pyramide sur une desserte à
pied, dès potron-minet.
Le vendeur de makarona est souvent un ambulant. Il
utilise une variété de très gros macaronis bouillis, dont il remplit une assiette
qu’il asperge de sauce tomate. La sauce se trouve dans des bouteilles fermées
par un bouchon en bois, troué, qui est à l’origine une bobine de fil vide dont
il a enlevé un côté pour l’enfoncer dans
La kounafa est un genre de vermicelle cuit au four avec du beurre et
arrosé d’un léger sirop de sucre et d’eau de fleurs d’orangers. La baklawa est faite de couches alternées
de mille feuilles et de noix pilées et recouverte du même sirop que
Je me souviens d’un
vieux vendeur de mehalabeyya oué rozz qui partait de grand matin de chez lui,
poussant une voiture vitrée des quatre côtés et comportant plusieurs claies
superposées sur lesquelles étaient posées les petites assiettes contenant ce
flan. Il criait à longueur de journée « méhalabeyya
oué rozz » et parfois, simplement « r.o.o.o.o.z.z. » en allongeant cette syllabe. Il rentrait très
tard le soir chez lui car il attendait
la sortie des cinémas populaires pour écouler ce qui lui restait de
marchandise. Après quoi, tout en poussant sa voiturette vide, dans les rues
sombres et désertes, à moitié endormi, il murmurait d’une voix faible, par
habitude ou pour se tenir compagnie « r.o.o.o.o.z.z.»
bien qu’il n’eut plus rien à vendre ni client en perspective.
Fetir
mechalttete: une pâte à
l’eau divisée en tas gros comme un petit poing. Le pâtissier prenait une des
boules, l’aplatissait du plat de la main puis la laminait avec un rouleau à
pâtisserie ; quand elle atteignait un certain diamètre, il saisissait
cette feuille de ses deux mains rapprochées, pouces au dessus, les autres
doigts en dessous, l’arrachait du marbre, la projetait en l’air sans la lâcher
tout en lui imprimant un mouvement circulaire et la
plaquait enfin sur le marbre. Et encore et encore et, à chaque fois, la
pâte s’étendait comme par magie, sans se déchirer. Lorsqu’il jugeait qu’elle
avait un diamètre suffisant, il rabattait les pans en son centre plusieurs
fois, de façon à former un carré d’une
vingtaine de centimètres de côté, qu’il mettait alors au four. Dix minutes plus
tard, elle était cuite et il la servait toute chaude, nappée de beurre fondu et
recouverte de sucre glace. Les raffinés
la préféraient salée. Alors, avant de rabattre les pans et de l’enfourner, il
cassait en son centre un ou deux oeufs
entiers qu’il malaxait de ses doigts,
avec un gros morceau de fromage blanc féta. Fameux ! Kobeba : composée d’une pâte de semoule et de farine, elle
avait la forme d’un obus pointu des deux côtés, d’une dizaine de centimètres de
longueur, farcie de viande et d’oignons
frits, le tout haché menu.
Au Mousky, quartier des affaires, un
vendeur de kobéba transportait sa
marchandise, maintenue chaude dans un four portatif et criait, en
français : « chic, magnifique,
sympathique, el Kobéba » ce qui faisait rire les passants et les
incitaient à en acheter. Enfin, des dizaines d’autres pâtisseries salées ou
sucrées constituaient de petits déjeuners pour leurs amateurs, sans compter les innombrables gâteaux, croissants,
kaisers, chtanguels, kiefels, et autres variétés européennes.
Une
plaie de l’Égypte d’avant la guerre était l’usage des stupéfiants par les
petites gens du peuple. La drogue la plus commune, bien qu’interdite, était le
hachisch, réputé chez ses adeptes pour ses vertus multiples. Du moins d’après
eux. Les uns disaient qu’il donne de l’appétit. D’autres, qu’il aiguise
l’esprit et rend gai et on appelle un hachasch
celui qui raconte des nokates,
histoires cocasses et spirituelles. D’autres, enfin, les plus nombreux,
croyaient à ses effets aphrodisiaques.
Il
m’a été donné d’en user, à mon corps défendant, à trois ou quatre reprises.
C’était à l’occasion de mariages égyptiens* où j’étais invité. L’usage était de
faire circuler, parmi l’assistance mâle, un narguilé portatif appelé goza* et
chargé de hachisch au lieu du tabac habituel.
L’appareil passait de main en main et chacun aspirait une grande bouffée qu’il
soufflait par la bouche et les narines. Une fois la tournée terminée, on
chargeait à nouveau de hachisch la goza
et on recommençait. Cette drogue dégage une fumée abondante et odorante. Après
quelques tournées, on se trouve en plein nuage tant au sens propre qu’au sens
figuré.
J’ignorais
cette cérémonie du hachisch dans les mariages égyptiens et la première fois que
je me trouvais coincé avec une goza*
en mains, je fus pris de panique. J’étais le seul khawaga* présent et refuser
l’honneur que l’on me faisait en m’admettant dans le cercle des intimes eût été
une offense grave envers mes hôtes. Mais, d’autre part, tout mon être se
refusait à fumer cette drogue et à poser mes lèvres sur l’embout en ivoire de
l’appareil, qui était déjà passé par une vingtaine de bouches. Une idée subite
me permit de sauver la situation, du moins en partie. J’entourai de ma main
l’embout de la goza et, posant mes
lèvres sur mon poing fermé… j’aspirai. Mes lèvres n’entrèrent donc pas en
contact de la goza et j’aspirais
beaucoup plus d’air ambiant filtrant entre mes doigts écartés que de fumée
provenant de l’appareil. Sauf était donc mon honneur ainsi que l’amour-propre
de mes hôtes ! Mais je dois à la vérité d’avouer que je n’ai jamais
ressenti aucun des effets prônés par les adeptes de cette drogue. Quant à
l’opium, il est utilisé de trois manières différentes : fumé, comme le
hachisch, avalé en l’accompagnant généralement d’une tasse de café ou, enfin,
sous forme de…..suppositoire ! Des goûts et des couleurs….Mais ses ravages
sont autrement plus graves.
Ayant
eu maintes occasions de côtoyer ouvriers, employés, petits commerçants, j’ai
été témoin de situations tragiques car l’opium crée chez certains un tel état
de dépendance que j’ai vu des gens de peu de moyens donner la préférence à
l’achat de leur dose quotidienne plutôt qu’à celui de pain pour leurs enfants.
Comme pour toutes les histoires, il y en a de tristes et de drôles. Commençons
par ces dernières.
UN CONNAISSEUR : L’un de mes amis, farceur
impénitent, ayant appris que l’un de ses voisins commerçants s’adonnait à
l’opium, lui promit un jour de lui en procurer quelques doses de toute première
qualité, à titre de cadeau. Il ramassa
des crottes de chèvre qu’il malaxa sur la semelle de sa chaussure avec un peu
de poussière du chemin. Il en fit de petites boulettes dont il enveloppa
chacune dans un morceau de papier cellophane, comme se présentait
habituellement l’opium et il mit le tout dans une petite boîte d’allumettes
vide qu’il offrit à son voisin. Le lendemain, ce dernier lui jura qu’il n’en
avait jamais fumé de meilleur et le harcela pour qu’il lui en procure à
nouveau, à n’importe quel prix !
LE VENDEUR DE NOIX DE COCO : Avec la noix de coco épluchée et
râpée, additionnée d’une certaine quantité de sucre et d’eau, on fait une
confiture épaisse qu’on étale sur une plaque et que l’on découpe, après
séchage, en losanges. C’est délicieux, nourrissant et pas cher. Un vendeur de
cette confiserie passait tous les jours près de mon magasin vers les 5 heures
de l’après-midi et il était aussitôt assiégé et dévalisé par les ouvriers du
quartier. Il est vrai qu’il était d’une propreté remarquable. Habillé d’une
galabeya* et d’une calotte immaculées, il déambulait en portant sur l’épaule un
genre de léger chevalet en X et, sur la tête, un plateau rond en bois sur
lequel était posée une cage de fil de fer en forme de cône, entourée d’un
calicot blanc. Sous cette cage, la marchandise était ainsi protégée de la
poussière et des mouches. Quand il s’arrêtait, il ouvrait le chevalet sur
lequel il déposait son plateau.
Mais
je ne m’expliquais quand même pas la faveur dont il jouissait auprès de ses
nombreux clients habituels qui accouraient dès qu’il lançait son cri :
« le délicieux, le fondant, » surtout que cette friandise était
prisée habituellement des enfants plutôt que des grandes personnes.
Un
jour, j’eus le fin mot de l’histoire. Au moment de servir le client, il
glissait sous chaque losange de noix de coco, avant de l’envelopper dans le
papier, une dose de hachisch. Le client achetait donc la drogue plutôt que la
friandise, celle-ci servant de « couverture » à celle-là.
On
s’apercevait, de temps à autre, qu’on ne l’avait plus revu depuis une ou deux semaines. C’est qu’il
avait été coincé par la police et condamné à une peine de prison, généralement
de 3 à 6 mois. Puis, un beau jour, il lançait à nouveau son cri dans le
quartier et on savait ainsi qu’il avait purgé sa peine. Et le cycle
recommençait.
LE POLYGLOTTE MUET : Derrière mon magasin, il y avait
une imprimerie appartenant à un certain Awad. C’était un Égyptien natif
d’Alexandrie, établi au Caire depuis quelques années. Un bel homme d’une
quarantaine d’années, d’une grande prestance, toujours souriant, aimable et
d’une parfaite courtoisie. Il avait, comme apprenti, son jeune beau-frère, âgé
d’une quinzaine d’années. Alexandrie était une ville où le pourcentage
d’européens était beaucoup plus important qu’au Caire et chaque communauté
avait son ou ses journaux. Awad avait fait son apprentissage auprès de
plusieurs imprimeurs européens. Une longue pratique lui permettait la composition
de textes de toutes les langues étrangères sans en connaître aucune. D’abord
les caractères latins, que le texte fut en français, anglais, italien,
espagnol, portugais ou autre. Ensuite, les caractères grecs, russes, arméniens,
etc. dont il avait des dizaines de tiroirs pleins, achetés auprès d’imprimeurs
qui, petit à petit, venaient à quitter l’Égypte pour rentrer dans leur pays
d’origine. Son imprimerie ne désemplissait pas de clients pour des faire-part
de mariage, de décès, de vœux, de prospectus dans toutes les langues et
j’étais, à chaque fois que je me
trouvais chez lui, impressionné de le voir composer rapidement n’importe quel
texte en suivant simplement l’original du regard. Un matin, j’arrive et trouve son
beau-frère pleurant à chaudes larmes, secoué de sanglots et entouré de quelques
voisins commerçants essayant de le consoler. Je demande la raison de ce
désespoir et j’apprends que Awad l’imprimeur était mort dans la nuit par suite
de l’absorption d’une forte dose d’opium.
Un
talent admirable allié à une ignorance fatale !
Le 28/10/2006
Le
défunt, dans son cercueil, est placé dans une voiture entièrement vitrée et
tout le bois dont elle est bâtie est sculpté avec, dans chaque coin de dessus, un
ange portant une couronne de fleurs à bout de bras, le tout doré à l’or fin.
Très haut suspendu se trouve le siège du cocher. Le nombre de chevaux, toujours
pair, dépend de la position sociale du mort ou, plutôt, de la classe à laquelle il sera enterré.
En
quatrième classe, une seule paire de chevaux. En troisième, deux. En seconde,
trois et, en première classe, quatre paires de chevaux. Imaginez ce carrosse
doré, tout droit sorti d’un conte de fées, tiré par huit chevaux dont les rênes
sont tenues d’une main par un cocher en haut de forme et en redingote noire à
gros boutons dorés et tenant, dans l’autre main, un immense fouet !
Cet
attelage est suivi d’un nombre impressionnant de fiacres pleins de parents et
d’amis du défunt et précédé de deux coureurs pieds nus, habillés de pantalons
blancs bouffants et de boléros bleu roi couverts de passementeries dorées,
portant chacun un long bâton sur l’épaule (on n’a jamais su pour quel usage) et
criant : Place ! Place !…Avant de monter sur son siège, le
cocher boit un dernier verre de tafia. Il paraît qu’il ne peut conduire cet
attelage que fin saoul. Le malheur des uns….
Vous
avez besoin de fromage, de charcuterie et d’olives. Vous allez chez votre
épicier et vous lui demandez un demi kilo de l’un, un quart de l’autre et deux
hecto du dernier.
Le
bonhomme met sur le plateau de la balance le poids correspondant. Il commence à
découper et met la marchandise sur un papier puis le tout sur le second
plateau. Le poids n’y est pas…Il ajoute un morceau. Cette fois-ci il y en a de
trop… Il en prélève une partie et ainsi de suite jusqu’à ce que le poids exact
soit atteint.
À
l’heure du déjeuner le magasin est envahi de clients. Il fait chaud et les
mouches bourdonnent. On a hâte de rentrer chez soi et, cependant, tout le monde
est habitué à attendre longuement, trouvant normal que l’épicier recherche le
poids idéal pour chaque vente afin de ne léser ni le client ni lui-même.
Mais
s’il est radin et peu commerçant, il fignolera la chose et perdra ainsi beaucoup de temps et, du même coup, ses
clients le quitteront l’un après l’autre pour un confrère plus rapide ou plus
large dans sa pesée.
Chaque
fois que j’entre dans une alimentation, ici en France, je suis hypnotisé par la
balance électronique qui pèse le poids et calcule le prix en même temps et je
ne peux m’empêcher de penser au temps perdu chez l’épicier, à l’époque où nous
étions « là-bas » !
Le 25/11/2006
EL
EEIN
Il
y a quelque chose que l’on craint comme la peste dans tout le
Moyen-Orient : c’est « Le mauvais oeil » ! Cela englobe
l’envie, la jalousie, la haine ou tout autre mauvais sentiment envers
quelqu’un. Partant de là, on attribue tout grand ou petit malheur qui vous
touche à l’effet du « mauvais oeil » de telle ou telle
personne : la voisine, la belle-mère, la vieille tante du mari, la nièce
nécessiteuse ou quiconque envers qui on n’est pas bien disposé ou que l’on
n’aime pas. On la soupçonne de jalouser votre bonne santé, votre fortune, les
bonnes relations que vous avez avec votre mari et vos enfants, etc. On pense
aussi à la dernière personne qui vient de vous rendre visite juste avant qu’un
désagrément vous soit arrivé.
En
tous cas, « Le mauvais oeil »
a bon dos en Égypte.
Si
la bru n’arrive pas à procréer, c’est Lui ;
Si le bébé tombe et se fait une bosse,
c’est Lui ;
Si un commerçant voit ses affaires
péricliter, c’est Lui ;
S’il se dispute avec sa femme, c’est Lui ;
S’il a mal au ventre d’avoir trop mangé,
c’est Lui ;
Encore Lui ; toujours LUI !
En
conséquence, chacun craint, en manifestant son admiration envers qui ou quoi
que ce soit, d’être taxé d’avoir « Le mauvais oeil ». C’est une
réputation que l’on vous fera à votre insu et tout le monde est vite renseigné.
Cela pourrait vous être préjudiciable.
Alors,
pour s’en défendre, des comédies étonnantes se
jouent. La dame qui rencontre une amie avec un gros et beau bébé dans
les bras, s’écriera: « Mon Dieu que ce bébé est laid ! Il est
maigre à faire peur ! Et ainsi de suite. Plus elle abondera dans ce
sens, plus la maman du petit sera heureuse. Chaque qualificatif employé voudra
dire exactement le contraire mais, dit de cette manière, il ne défiera pas le
sort et ne provoquera pas l’effet néfaste du « mauvais oeil ».
D’ailleurs,
pour s’en prémunir, il y a des méthodes que l’on pratique. On se procure chez
le Aattar,* un amalgame d’herbes
aromatiques et d’encens que l’on brûle dans un petit brasero. On promène cet
ustensile allumé dans chaque pièce de la maison, sur et sous les meubles, lits,
bibelots, etc. et la fumée dégagée fera fuir « le mauvais œil »;
cela, en même temps que l’on récite des incantations propices. Voici l’une
d’elles, savoureuse, en langue arabe mais en caractères latins, avec sa
traduction en français :
Ya
fassoukh*, ya fassoukhani Encens, bel encens,
Ya
abiad oue moeguebani, Blanc et merveilleux,
Ouelhhiyat
El Rab El Foani, Au Nom Du Tout Puissant,
Te’laa
eein yahoudi, Crève le mauvais œil du juif,
Oue
moslem, oeu nasrani. Du musulman et du chrétien.
Laou
kanou yahoud, S’ils sont juifs,
Aaleihom Rabb El maaboud. Ils
auront affaire à Dieu.
Laou
kanou nassara, S’ils sont chrétiens,
Aalehom
bel khessara. Ils perdront leurs biens.
Laou
kanou mosslemine, S’ils sont musulmans,
Aaleihom Rabb El aalamine. Dieu
les punira.
Ya
fassoukh, fassoukh hheloue Encens,
bel encens
Laou
kane aamal, hhel-lou Si c’est un sort, défais-le
Oue kane eein e-elaaha. Et
si c’est un mauvais oeil, crève-le.
Ya
fassoukh, ya fassoukh, Encens, bel encens,
Ouehhayat
Sayedna Nouh, Par Saint Noé,
Takhod
el Hafoua, Prends l’hébétude,
Ouel
el kafoua, Et la prostration
Ouel
charr, Et le mal,
Oue
trouhh, el babe mafftouh. Et va-t-en, la porte est ouverte.
Cette incantation sert à exorciser les
lieux : appartement, magasin, bureau, etc. Quant aux personnes, on pose à
terre un brasero allumé, on y rajoute du fassoukh
et des herbes aromatiques de façon à provoquer une épaisse fumée odorante et
tout le monde, père, mère, enfants, bonne et domestique, l’enjambe chacun sept
fois aller et retour, pendant que la
maîtresse de maison récite plusieurs fois l’incantation ci-dessus.
Une autre méthode consiste à faire appel à un
soi-disant exorciste. Il récitera des formules appropriées, brûlera des herbes
et de l’encens et munira la victime supposée du « mauvais œil »,
d’une amulette prétendument préparée spécialement à son intention. Le
« mauvais œil » est craint par tout le monde, Égyptiens et même
Européens tant s’avère exact le fait que l’on fini par adopter les us et
coutumes du pays que l’on habite.
Chez nous, lorsqu’un enfant tombait malade
et que cela durait plusieurs jours malgré les visites du médecin, on
soupçonnait alors que cette maladie était due au « mauvais œil » On
envoyait quérir un vieux rabbin réputé pour ses capacités dans ce domaine. Ce
dernier s’asseyait près de l’enfant, lui prenait sa petite menotte dans l’une
de ses mains et là, il se mettait à marmonner interminablement des prières à
voix basse. Ses yeux commençaient à clignoter sous l’effet du ronron religieux
et il se mettait à bailler de plus en plus longuement, une fois, dix fois, cent
fois…Il était notoire que, plus il baillait, plus le « mauvais œil »
était puissant et que les bâillements expulsaient les effets de celui-ci.
Les femmes se regardaient d’un air entendu
en hochant la tête et en essayant de deviner à qui elles pouvaient attribuer ce
mauvais œil néfaste…
J’étais tout jeune à l’époque ; en
regardant les bâillements du rabbin, je commençais à bailler moi-même aussi et
je ressentais la somnolence m’envahir. Mais je m’efforçais à tenir les yeux
ouverts pour ne pas manquer la phase finale de l’opération : sa tête
dodelinait de plus en plus, il s’arrêtait de marmonner puis il sombrait dans un
profond sommeil ponctué de ronflements sonores. J’étais alors très fier d’avoir
gagné. Les femmes de la maison attribuaient ce somme à la fatigue ressentie par
le saint homme à extirper ce terrible « mauvais œil ». Elles
faisaient sortir tout le monde de la pièce et le laissaient se reposer tout en
lui préparant un bon repas suivi d’un bon café. Il arrivait parfois que, à la
suite de la visite du rabbin, l’enfant se rétablisse. Je dois être certainement
un mécréant car je pense que c’était plus par coïncidence que par l’effet de
ses prières.
Jusqu’aux
années trente, de nombreuses monnaies étrangères en pièces d’or, d’argent ou en
billets de banque avaient cours légal en Égypte.
Des changeurs, installés derrière un comptoir vitré minuscule, se tenaient dans
les coins des rues des souks et des artères commerçantes des villes. Leur
travail consistait à convertir, à changer, contre une rémunération minime, les
pièces d’or, d’argent ou tout billet de banque
de diverses origines dans telle autre monnaie que le client désirait. Il n’y avait pas encore, comme
aujourd’hui, de nombreuses succursales
des banques. Par la suite, ces succursales
furent installées dans tous les quartiers de la ville et remplacèrent
les changeurs.
Les
monnaies étrangères furent
également remplacées petit à petit par des pièces ou des billets égyptiens mais
ces nouvelles monnaies égyptiennes conservèrent leur appellation étrangère bien
qu’elles étaient titrées en langue arabe et en français. Ainsi, la livre égyptienne s’appelait gueneh, de l’anglais guinee. Elle était divisible en mille
parties appelées mallim, déformation
de la consonance française Millième.
La pièce de 2 millièmes s’appelait Nekla,
de l’anglais Nickel. Le Erch était d’origine ottomane ; il
servait à nommer la pièce de 5 millièmes ou Erch
Taarifa (ou encore Petite Piastre)
et celle de 10 millièmes, Erch Sagh
ou Grosse Piastre toutes les deux
d’appellation étrangère. La pièce de 20 millièmes s’appelait Noss Frannk ce qui veut dire demi franc.
Celle de 50 millièmes portait le nom de Chellene,
dérivé de l’anglais Shilling. Celle
de 100 millièmes s’appelait Bariza,
du français Parisis. La pièce de 200
millièmes s’appelait soit Reyal, de
l’espagnol Real soit Tallari, de l’allemand Thaler. Jusqu’à notre départ en 1956
toutes ces pièces gardaient encore leur appellation d’origine étrangère,
éteinte depuis des décennies. C’est pour illustrer combien l’influence des
communautés étrangères perdurait.
Les actes et documents du commerce comme
factures, traites, chèques, etc. étaient libellés en français en Piastre qui est la centième partie de la
livre et qui équivaut à 10 millièmes. Mais
« Veuillez payer à l’ordre de
Monsieur Untel, la somme de Piastres Au
Tarif… ». Ce mot de Tarif dont je n’ai pu trouver l’origine, a un
petit relent de convention « imposée », sans doute par les autorités
étrangères d’occupation et, malheureusement pour l’Égypte, cela a été
souvent malheur au vaincu.
Le 31/12/2006
BOKRA, INCHA’ALLAH ET
MAALECHE
Si vous êtes de ceux qui vivent avec un
petit agenda en poche sur lequel ils notent soigneusement les rendez-vous
donnés et pris et qui s’attendent à ce qu’ils soient respectés, alors, un
conseil : n’allez jamais vivre en Égypte, vous deviendrez vite coléreux.
Allez-y en touriste pour quelques jours ou semaines car le pays vaut largement
le déplacement. Mais vous n’aurez pas la joie de connaître les Égyptiens.
L’Égypte est un merveilleux pays. Ses habitants sont des gens hospitaliers,
accueillants, chaleureux et très gentils. Pour mériter tout cela, il vous
faudra faire un petit sacrifice : oubliez votre agenda. BOKRA signifie « demain. »
Mais la logique veut que « demain » sera un nouveau jour lequel, à
son tour, aura son « demain » et ainsi de suite…Donc, si le
cordonnier à qui vous avez donné vos chaussures à réparer vous dit taala bokra ce qui signifie « venez
demain » ne prenez pas cela à la
lettre ! Remarquez qu’il se pourrait fort bien qu’ils soient réparés à
l’heure dite mais il serait plus sage de laisser passer quelques jours.
Autrement, vous vous entendrez dire, encore une fois, « venez demain » et ainsi de suite…
INCHA’ALLAH signifie « si Dieu le veut. »
C’est plus grave que bokra car c’est
très vague. Si, donc, vous demandez à votre tailleur: « mon costume
sera-t-il prêt mercredi » et qu’il vous réponde : incha’allah, sachez qu’il ne vous a dit,
par là, ni oui, ni non. Et si vous vous emportez parce que bokra et incha’allah
n’ont pas tenu parole, ils vous diront Maaleche
ce qui veut dire : « ça ne fait rien » ou mieux
encore : « cela n’a pas d’importance ». Vous les étonnerez
beaucoup en vous énervant de plus belle et ils vous diront, étonnés et pleins
de sollicitude pour votre santé :
« calmez-vous, mon frère, le monde ne s’est pas encore
écroulé ». Ce n’est pas de la
malice, ils sont sincères. Quelle importance que le repasseur (voir Les
Repasseurs ) ne vous ait pas livré à
l’heure dite la chemise que vous devez porter ce soir pour assister à la
réception offerte par votre patron ? Ils n’ont pas la même conception des
choses que vous ! Ils sont fatalistes et acceptent tout, même la mort,
stoïquement car, pour eux, « rien n’est durable sur cette terre et tout
est éphémère. Donc, rien n’a de l’importance ! »
Ils
sont heureux de vivre au jour le jour, avec peu ou prou. Ils ne se compliquent
pas la vie comme ces cinglés de khawagates* qui s’énervent pour tout ce qui n’est
pas classé, rangé, étiqueté et… daté. Et croyez-moi, ce sont eux qui ont
raison. Acceptez donc Bokra, Incha’allah
et Maaleche de bon cœur et vous emporterez de l’Égypte le meilleur souvenir
de votre vie. Alors, vous vous attacherez à ces gens simples et charmants et
comme eux, vous aurez acquis une chose qui n’a pas de prix : la sagesse de
rire de tout et de rien ainsi que la joie de vivre. Et à votre tour, vous
apprendrez à dire Bokra, Incha’allah et Maaleche sans déclencher des tempêtes.
La
première vente, pour un commerçant égyptien, est l’opération la plus importante
de la journée même si elle n’est que d’un montant insignifiant. Certains
porteront ce premier argent d’abord à leurs lèvres puis à leur front, plusieurs
fois de suite, avec dévotion. Cela s’appelle Essteftahh ce qui signifie littéralement « ouverture » ou mieux encore,
« étrenner »… Tant qu’il n’aura pas étrenné sa première vente de
la journée, il n’entreprendra aucun acte commercial : acheter une
marchandise, régler une facture et, surtout, aucune sortie d’argent n’aura lieu
pour quelque cause que ce soit. Cette coutume a une si grande importance
qu’elle illustre encore mieux ce que m’a raconté mon père sur ce sujet :
Dans son jeune temps, tous les commerçants d’une même branche de commerce
étaient groupés dans la même rue ou le même quartier ; c’est ce qu’on
appelle un « souk »*. Certains d’entre eux existent encore
actuellement et il y a le souk des tissus, celui de l’alimentation en gros, des
orfèvres, des épices, des parfums, des papiers, etc.
À
cette époque, les relations entre concurrents de la même corporation étaient si
cordiales que, lorsque l’un d’eux avait étrenné sa première vente
et qu’un second acheteur se présentait, il lui glissait à l’oreille :
Fais-moi plaisir, achète aujourd’hui chez mon voisin car moi j’ai étrenné et
lui, pas encore ! Autres temps, autres mœurs ! Jugez-en plutôt par ce
qui se passe de nos jours : il arrive parfois que le premier acheteur qui
se présente n’ait pas un « bon pied »; comprenez par là que, après sa
visite, le magasin ne reçoive plus d’autres acheteurs pendant quelques heures
et le commerçant sera d’une humeur massacrante. Pour peu que cela se renouvelle
deux ou trois fois avec le même client, celui-ci sera considéré comme un
guignard et le dit commerçant hésitera à étrenner avec
lui. Il finira par prétendre qu’il n’a pas l’article désiré et il l’enverra
faire son achat chez son plus proche concurrent afin qu’il colle sa guigne à ce
dernier.
Le 31/01/2007
Cette place centrale du Caire, dont le nom
veut dire « Place De
Là se trouvait le terminus de plusieurs
lignes de tramways dont la création et l’exploitation étaient le monopole d’une
compagnie belge.
À l’arrivée de chaque tram, on voyait le
receveur rabattre les dossiers des bancs
dans le nouveau sens de la marche, relever et rabattre le marchepied de
chaque wagon et abaisser ceux du côté opposé afin de permettre aux voyageurs de
grimper dans le tram.
Le conducteur, appelé wattman, quittait la plate-forme où il se trouvait en emportant
avec lui les manivelles de manœuvre du véhicule. Il regagnait l’autre poste de
conduite vers la nouvelle direction. Il tournait également vers celle-ci la
perche reliant le tram au câble d’alimentation électrique. À chaque arrivée
d’un tramway, une foule de gens le quittait et d’autres y montaient et cela sur
plusieurs quais en même temps. Il y avait là des foules bigarrées d’effendis* en tarbouche*, des khawagates*
portant chapeau, des villageois en galabeya*
et taëya* et d’autres en caftan et éémma* imposante. Des villageoises en melaya* portant sur la tête de lourds
paniers contenant Dieu sait quoi, entourées d’une ribambelle d’enfants dont le
dernier-né accroché au sein ; des européennes habillées à la dernière mode
de Paris, portant des bibis coquins et des parapluies fleuris, tout cela
baignant dans une cacophonie de klaxons, de coups de freins de voitures
automobiles, de furieux coups de sonnettes des conducteurs d’autres trams pour
faire dégager les voies envahies par les passants, des hurlements de pauvres
villageoises habituées au calme des espaces vides des campagnes et pensant que
leur dernière heure était arrivée dans cette ruée de véhicules divers dont des
fiacres à chevaux, des autobus, des charrettes à bras ou à mulets, des autos de
toutes les marques, tous imbriqués les uns dans les autres, jusqu’au moment où
chacun, en tournant autour de la place, se dégagerait dans la rue recherchée.
En débouchant de
Tout de suite après le commissariat se
trouve
Après la caserne des pompiers se trouve la
poste centrale du Caire ou débouche
Chaque 14 juillet, on tirait de ce jardin
un feu d’artifices en l’honneur de
C’était un vrai régal. Mon père y emmenait
ma mère de temps à autre ainsi que l’une de mes deux grandes sœurs à tour de
rôle, l’autre devant garder les enfants à
Après le jardin de l’Ezbékieh, une rue
débouche sur
Mais, après la dernière guerre, ils
sortirent de leur réserve et commencèrent à fréquenter les lieux publics qui
étaient, jusque là, réservés aux Européens sans qu’il y ait ségrégation de
ceux-ci envers eux ; ils s’abstenaient d’eux-mêmes car personne n’aurait
empêché un Égyptien d’entrer là où il voulait sauf dans les clubs privés. Les
clients de ces brasseries étaient donc surtout des Européens de toutes
catégories sociales. Pour les gens d’une certaine classe, il y avait, rue Elfi
Bey, de brasseries chics : Parisiana, Gambrinus,
La plus modeste des consommations, soit un
demi de bière, était accompagnée d’une dizaine de mezzés* gratuits, servis dans des soucoupes : des petits cubes
de fromage, des minuscules boulettes de kofta*
grillées ou frites, trois ou quatre petits rougets frits, du lupin salé, des
quartiers de concombre marinés dans la saumure, des olives vertes, des noires,
de la salade de téhina*, des pois
chiches au cumin, des haricots blancs bouillis, un mélange d’œufs durs et de
pommes de terre bouillies et assaisonnées et une infinité d’autres variétés.
Pour les clients qui commandaient des boissons fortes, plus chères, comme
whisky, raki*, cognac* et ceux qui
étaient larges dans leur pourboire aux serveurs, c’était un va et vient de
ceux-ci entre les tables de ces bons clients et le comptoir où se préparaient
les commandes et les mezzés ; à chaque passage du serveur portant sur son
plateau les consommations des autres clients, il déposait sur la table des
premiers deux ou trois amuse-gueule supplémentaires à ceux déjà servis.
Quant aux clients réguliers et fidèles, les
piliers de l’établissement, le patron lui-même venait ajouter quelques gâteries
spéciales : des tranches de poutargue* ou de bastourma*, une soucoupe de foies de volailles grillés, le tout
accompagné de salamalecs. Le client ainsi distingué par le patron de la
brasserie était fier des attentions que celui-ci lui portait devant ses
compagnons de beuverie et les autres consommateurs, ce qui incitait ces
derniers à rester fidèles à l’établissement dans l’espoir de bénéficier à leur
tour de ces faveurs qui chatouillaient leur amour-propre.
La psychologie joue un rôle important dans la
direction de ces brasseries. Leurs propriétaires savaient bien que les serveurs
gavaient de mezzés les bons clients
qui leur donnaient des bakchiches
substantiels ; les salamalecs dont il les gratifiait lui-même les
rendaient, le temps de leur passage à la brasserie, des personnages importants
ce qui les incitait à y rester le plus longtemps possible et à consommer
davantage. Le buveur invétéré a besoin de ces attentions car c’est précisément
leur manque, au bureau, à la maison ou ailleurs qui le pousse, en partie du
moins, à se tourner vers la boisson, jusqu’à en perdre le sens des réalités.
Une foule de vendeurs ambulants
sillonnaient ces établissements en tous sens. Il est impensable, au
Moyen-Orient, de boire sans manger et, une fois la brasserie quittée on ne
pouvait plus dîner, rassasié d’amuse-gueules et de petits plats de mezzés en
plus des produits achetés chez ces vendeurs ambulants. Voici d’abord l’éternel
vendeur de semit* ; il vend
aussi des œufs durs et des tranches de fromage des Balkans appelé Kachkaval. Un homme corpulent et de
haute taille, habillé d’une galabeya
blanche et d’une toque de cuisinier, portant une belle barbe noire, promène sur
sa bedaine un récipient en tôle plein de boulettes de falafels avec, dans la partie inférieure de ce petit réchaud
portatif, des charbons ardents pour maintenir les falafels, chauds.
Il transporte dans sa main gauche un broc
contenant de la salade composée de tout petits cubes de concombres, oignons,
tomates et, surtout, de poivre de Cayenne ; aux clients qui achètent ses
boulettes il sert, sur une deuxième soucoupe, deux ou trois cuillerées de cette
salade qui emporte la bouche ; aux clients qui le demandent et qui ont
sans doute le palais blindé, il leur sert en plus un petit verre de la sauce de
cette salade explosive qu’ils dégustent à petits coups avec un plaisir évident
et qui les incite à boire davantage. Voici le vendeur de poutargue* (batarekh
en arabe) qui pèse cette denrée chère dans une petite balance de bijoutier.
Le vendeur des crevettes est toujours
accompagné d’un gosse installé par terre, dans un coin de l’établissement, qui
décortique les crustacés au fur et à mesure des commandes car en Égypte on ne
les sert jamais non décortiqués. Pour vous montrer qu'il vous gâte, tout en
s’approchant de votre table pour y déposer votre commande, il presse sur vos
crevettes le jus d’un demi citron.
Voilà le vendeur de Dehane El Hendi une pommade soit disant indienne, réputée pour ses
vertus aphrodisiaques. Un monsieur grec portant lui aussi un tablier blanc
passe en criant : Trippa,trippa :
il tient dans sa main et appuyée sur son épaule comme un fusil, une longue
brochette de tripes grillées, enfermée dans un étui de verre pour que la viande
reste chaude ; dans une rue, derrière la brasserie, son jeune fils ou
neveu s’occupe à griller sur un barbecue, une autre brochette. Si vous le hélez
lorsqu’il passe près de vous, il mettra dans votre assiette des rondelles de
tripes grillées, pour deux ou trois piastres*.
Voici encore le vendeur de pistaches grillées. Vous ne pourrez pas échapper au
sempiternel marchandage car elles sont vendues par douzaines (tant de douzaines
à une piastre*) ou bien, si vous êtes d’humeur joueuse, il
jouera avec vous à pair-impair où il est très fort. Ses doigts sont assez
agiles pour coincer entre leur base une pistache qu’il garde ou dépose
habilement sur les pistaches lorsqu’il ouvre son poing fermé pour laisser
tomber leur contenu sur votre table, ce qui vous fait perdre presque à chaque coup.
Le vendeur de becafiguas* porte, comme celui de falafels, un réchaud à charbon sur son ventre et, autour de la
ceinture, des grappes de ces minuscules oiseaux qui traversent
J’arrête ici l’énumération des dizaines de
vendeurs qui sillonnent ces brasseries, tout au long de la soirée, vendant
toutes sortes de denrées et de produits, pour le plus grand plaisir des
consommateurs et qui, parfois, profitent de leur euphorie alcoolisée pour leur
fourguer n’importe quoi.
Je ne citerai donc pas les vendeurs de
billets de loterie, les cireurs des chaussures, les mendiants, saltimbanques et
autres mangeurs de feu et avaleurs de sabre. En sortant du passage où se trouve
le Tout Va Bien, voilà sous l’Immeuble Tiring le glacier Le Parnasse où, dans un kiosque y attenant, une foule de clients de
passage vient s’abreuver de sirops glacés : de roses, abricots, fraises,
bananes, citrons, oranges, orgeat…En été où la chaleur est insupportable, les
gens s’y agglutinent pour se désaltérer. Il y a ensuite
Puis,
À ce propos, je me souviens d’une affaire
dont avait été victime l’un de ces commerçants. Un importateur d’articles de
bureaux avait importé d’Allemagne une grande quantité de classeurs en carton
dont le format et le système de fermeture ne correspondaient pas à ceux
utilisés en Égypte. Il les avait proposés à ces papetiers mais, naturellement,
personne n’en voulut à cause de ces défauts. Pour s’en débarrasser, il envoya
une connaissance à lui, demander à ces papetiers s’ils pouvaient fournir ce
genre de classeurs, prétendant qu’elle avait une grosse commande pour le Soudan
et qu’elle était prête à payer le prix
fort pour s’en procurer. Vous devinez la suite : l’un d’eux mordit à
l’hameçon et s’empressa d’aller chez l’importateur auprès de qui il acheta tout
le stock avec l’intention de réaliser cette bonne affaire avant ses
concurrents ; mais son acheteur supposé disparut de la circulation et ces
classeurs lui restèrent sur les bras. C’est une histoire que les vieux
commerçants racontent à leurs enfants pour les mettre en garde contre les aigrefins.
Jusqu’aux années 1930, il y avait encore à
L’un des trottoirs de cette fameuse place
était le quartier général des laveuses en quête de travail et c’est là qu’on
venait, de grand matin, les embaucher pour la journée. (Voir Les Laveuses).
Pendant un certain temps, le quartier où
nous habitions fut secoué par une bataille homérique que se livrèrent deux
fabricants de biscuits secs qu’on appelle Kahhk
El Châm et qu’on consomme habituellement en les trempant dans du thé, du
café, etc. Ce biscuit légèrement salé est fabriqué sous deux formes :
comme un bracelet de 6 ou
C’est sur les biscuits en plaques que la
guerre se déclencha. Il est d’usage, ici, que les vendeurs ambulants annoncent
l’objet de leur commerce en lançant leur cri sur l’air d’une chanson. Voici,
par exemple, la traduction de celle concernant les biscuits sucrés :
Ya
nannouss ! Bambin !
Rouhh
aayat lommak, Va pleurer auprès de ta mère,
Oué
hatlak félouss Et apporte de l’argent
Oué
khodlak Et prends-toi
Bascota
béaachara ! Un biscuit à un sou !
Les vendeurs du biscuit sec
salé qui nous concerne avaient une voiturette pleine de cette denrée et, munis
d’une tarabokka*, criaient en
chantant : « 24 biscuits à une petite piastre* ». Tout en
faisant résonner la tarabokka* de
coups ponctuant leur chant. Mais un jour le quartier fut réveillé par un
concurrent qui hurlait : « 30 biscuits à une petite
piastre ! ». Il était
accompagné de deux compères dont l’un tapait sur une tarabokka et l’autre,
dansait. La clientèle délaissa le premier vendeur pour acheter chez le second.
Le surlendemain, le premier arriva en criant à tue-tête : « 36
biscuits à une petite piastre ! » et il reconquit ses clients au
détriment de son concurrent. Et ainsi de suite jusqu’au jour ou l’un d’eux
annonça : « 60 biscuits à une petite piastre » ! Cela ne
dura pas longtemps car tous les deux firent faillite et on ne les revit plus.
Le 28/02/2007
L’HOSPITALITÉ
PROVERBIALE DES ÉGYPTIENS
En parlant des pays d’Europe pendant les
leçons de géographie, nous avions appris à l’école que les Français étaient
galants ; les Anglais, flegmatiques ; les Espagnols, fiers ; les
Italiens, volubiles ; les Allemands, belliqueux, etc. Qu’en est-il
aujourd’hui ? Il y a certainement eu des changements dans ces caractères.
En ce qui concerne les Égyptiens, on ne peut les situer en employant un seul
qualificatif car ils sont tout autant hospitaliers que chaleureux, tolérants,
gentils, bons vivants et optimistes. J’affirme que rien de cela n’a changé au
cours des dernières années alors qu’il y a eu tant de bouleversements dans leur
pays. Cela signifie-t-il que tous les Égyptiens sont des petits saints ?
Loin de moi cette pensée. Ce n’est pas rendre service à un ami que de nier ses
défauts.
L’Égyptien en a comme tout le monde et je
ne manque d’ailleurs pas de l’illustrer dans certains chapitres. Mais ce que je
peux affirmer c’est que les qualités qu’il possède sont plus nombreuses et plus
importantes que ses défauts. En tous cas, son
trait dominant est son hospitalité. Si vous passez devant n’importe quel
Égyptien en train de manger il vous dira besmellah ou
encore etfaddal qui est une
invitation à partager son repas et ce, même s’il ne vous a jamais vu
auparavant.
S’il vous connaît, il insistera jusqu’à ce
que vous vous attabliez avec lui. Ce trait de caractère est commun à tous les
habitants de l’Égypte, riches ou pauvres sans exception. Comme dans la plupart
des pays du Moyen-Orient, en Égypte, boire et manger sont des occupations qu’on
pratique partout sans aucun complexe : dans les innombrables
restaurants populaires, au magasin, dans les bureaux, dans la rue et même, pour
les ouvriers et les petites gens, par terre,
l’assiette et le pain posés sur un journal ou un morceau de
papier ; ils déjeunent en attendant
l’ouverture du lieu où ils travaillent.
Dans les villages, le fellah* est
pauvre. Si vous en rencontrez l’un d’eux à l’heure du déjeuner et que vous
liez conversation pour demander votre
chemin ou un renseignement quelconque, il insistera pour que vous déjeuniez
avec lui.
Il se privera pour vous sans même que vous
le deviniez. Il tuera son seul poulet ou son dernier lapin que sa femme
accommodera en dehors de votre vue
pendant que vous sirotez le thé en compagnie de son mari. Elle vous aura
ainsi donné à déjeuner sans vous connaître ni même vous avoir vu avant ou après
le repas car dans les pays arabes, les femmes
ne se montrent pas aux visiteurs mâles, du moins dans les campagnes. Si,
au moment de vous retirer, vous faites mine de vouloir le dédommager
pécuniairement, le bonhomme se sentira gravement offensé et, bien que pauvre et
parfois misérable, son maintien de grand seigneur vous fera vite arrêter votre
geste.
US & COUTUMES
DANS LE COMMERCE
Dans le commerce et l’industrie, les
Égyptiens et les khawagates* se
côtoyaient et avaient des relations
étroites. Les uns ne pouvaient se passer des autres, à tous les échelons. En
général, le climat dans les affaires était agréable et détendu surtout si le khawaga connaissait les usages et les
observait. Par exemple, quand on va
prospecter un client égyptien, il n’est pas correct de lui faire part ipso
facto de l’affaire qui vous amène. On fera d’abord beaucoup de salamalecs de
part et d’autre. Le prospecté, qui
pourrait être cent fois plus riche que son visiteur, se mettra debout
pour recevoir ce dernier en signe d’hommage.
Certains n’ont pas appris le savoir-vivre à
l’école ou chez leurs parents et il y avait des gros bonnets qui n’avaient
aucune instruction.
C’est une politesse qui vient du cœur et
qui est innée en chaque Égyptien de la ville ou de
Après avoir parlé de la pluie et du beau
temps, laissé boire le café et fumé la cigarette qu’il vous aura offerte il vous demandera ce qui lui vaut l’honneur
de votre visite. Plus délicat encore était le recouvrement d’une facture. Je me
réservais cette tâche pour les gros clients. Ils étaient flattés que je m’en
charge moi-même au lieu de mon encaisseur et cette visite provoquait souvent
une nouvelle commande.
Je vais donc chez l’un de mes clients pour
encaisser une facture. Lui, il sait bien pourquoi je viens. Et moi aussi je le
sais mais l’usage veut que je ne parle de la facture que s’il m’en ouvre
question…S’il désire payer, il demandera : « A propos, quels sont nos comptes ? » Mais s’il
est gêné ce jour là dans sa trésorerie, il n’en portera pas question et il
serait du dernier manque de savoir-vivre que d’y faire allusion. Toutefois, là
où les choses se compliquent singulièrement c’est lorsqu’un mauvais payeur
profite de la situation pour faire le mort ! Après deux ou trois visites
infructueuses on se voit obligé d’en parler. Il prendra quelquefois un air
offensé et répondra de revenir plus tard car il est actuellement gêné dans sa
trésorerie. Il faudra user de beaucoup de diplomatie et d’une longue patience pour
se dépêtrer de ce guêpier autrement on risque de le cabrer et il sera difficile
de rentrer dans sa créance.
Rares étaient les commerçants vraiment
malhonnêtes. Souvent, ce n’était pas de la mauvaise foi mais une ignorance
totale des règles les plus élémentaires d’une bonne gestion. Le départ d’Égypte
de nombreux commerçants étrangers pendant et après la guerre de 1939 avait
occasionné la prolifération de nouveaux commerçants égyptiens dont la plupart
étaient des petits employés qui prenaient la suite de leur patron européen.
Ils n’avaient jamais manipulé d’autre
argent que le montant de leur maigre salaire. Ils se trouvaient, du jour au
lendemain, à la tête d’une affaire dont tous les éléments leur avaient été
procurés à crédit : fonds de commerce et marchandises. Ayant peu
d’instruction et aucune formation commerciale, ils étaient vite dépassés.
Pour eux, le mot « crédit »
signifie recevoir de suite de la marchandise sans payer. D’autre part, le terme
« marge commerciale » n’est pas approfondi. Ils savent bien que
vendre à perte n’est pas profitable mais ils pensent aussi qu’il faut faire le
plus grand roulement possible. Même à partir du prix coûtant s’ils ne peuvent
pas faire des bénéfices, pourvu que çà roule. Ils se contentent quelquefois,
pour ne pas dire souvent, de ce que peut leur rapporter la vente des emballages
vides : caisses ou tablettes en bois, feuillards et tout ce qui a servi à
l’emballage des marchandises, c’est-à-dire un profit négligeable ! Ils
n’étaient jamais aussi heureux que lorsqu’il y avait un grand mouvement
d’entrées de marchandises, à crédit et de sorties au comptant si possible,
sinon par traites escomptables. Ils étaient contents de voir défiler entre
leurs mains des sommes importantes en espèces et en billets à ordre.
L’euphorie les submerge d’autant plus que
certains oublient que cet argent ne leur appartient pas. À un point tel qu’ils commencent la réalisation du
rêve le plus cher enfoui dans le cœur de chaque Égyptien : la construction
d’un immeuble de rapport ! Un étage pour commencer, deux appartements
qu’on pourra louer…Si le roulement était important, la vente des nouvelles
marchandises achetées à crédit financerait les traites venues à échéance et, en
même temps, on surélèverait d’un étage le nouvel immeuble. Et ainsi de suite
jusqu’au moment où, pour pouvoir continuer à payer ses dettes en cas de baisse
des ventes, on sera obligé de vendre à perte pour maintenir le roulement.
Les pertes s’ajoutant aux frais généraux du
commerce et aux frais personnels du nouveau commerçant, il suffisait d’une ou
de deux semaines de mévente ou du retour de quelques traites impayées par
quelques clients insolvables pour que tout l’engrenage se grippât et provoquât
une cessation de paiement rapide, au grand étonnement du néophyte qui ne
comprenait rien à ce qui lui arrivait. Il voyait, avec désespoir, le risque de
faillite et de la saisie de son cher immeuble en cours de construction. Et il
était paniqué à l’idée de l’écroulement de sa nouvelle position sociale ce qui
lui ferait perdre la face auprès de ses parents et amis. Alors, il se démenait
de droite et de gauche pour faire un arrangement amiable avec ses fournisseurs
et créanciers et il comprenait à partir de ce moment et comme une révélation
que, sans profits, le commerce est dangereux.
Cette parenthèse fermée concernant certains
commerçants, il faut dire que c’était un plaisir d’avoir des relations avec les
commerçants établis, traditionnels. Elles étaient basées sur la considération
et la confiance réciproques et une parole était aussi valable qu’un écrit. En
dehors des relations commerciales, des rapports d’amitié se nouaient et une
fois l’affaire, pour laquelle on était venu, expédiée, c’était des
conversations agréables qui s’installaient de part et d’autre. Bienheureux
Moyen-Orient où le temps n’était pas : Time Is
Money.
Le 31/03/2007
Dans les caracols "commissariats" le commissaire était secondé
dans sa tâche par une foule de constables anglais à pied, à cheval ou à moto
qui maintenaient l’ordre et la sécurité publique dans les rues de
Ceci créait des situations comiques comme
en témoignent les deux anecdotes suivantes :
Un chaouiche
traînait deux individus à l’intérieur du commissariat. S’adressant à son
supérieur, un Italien, il lui explique ceci : (Certains mots sont en
italien mais prononciation égyptienne ; les autres sont en arabe):
Açl el baroufa kanou tchinkoué,
Strada
dalma oué fanouss non tché.
Etnén
darabou oué talata harabou,
Qouesto darab kouélo,
Némssékou
ouala lacha lo staré ?
Ce qui veut dire :
"Au début de la bagarre ils
étaient cinq ;
La rue était sombre et il n’y
avait pas de réverbères.
Deux se sont battus et trois se
sont enfuis ;
Celui-ci a frappé celui-là
Je le coffre ou je le laisse
s’en aller ?"
En voici une autre :
Un villageois se rendit au Caire pour la
première fois de sa vie pour une affaire importante. Une envie d’uriner le
saisit et il se comporta comme dans son village en plein champ : il
souleva sa galabeya et se soulagea
dans
UN ENTERREMENT BOURGEOIS
ÉGYPTIEN
Le musulman voit la main de Dieu dans tout
évènement de
Dans le temps, on envoyait chercher des
« pleureuses » dont le métier
était de pleurer le ou la morte ce qui provoquait encore plus les pleurs des
parentes, voisines et amies de la personne décédée.
Avant d’arriver, elles s’informent de son
nom et de son degré de parenté puis, dès le début de la rue où se trouve la
maison endeuillée, elles marchent en hurlant, pleurant, gémissant, se frappant
les joues enduites de bleu d’outremer en signe de deuil, tout en gesticulant
avec une écharpe noire tenue à bras tendus derrière la tête et, appelant le mort par son nom, elles évoquent
toutes ses qualités réelles ou supposées, en les magnifiant : « O toi
Si Ahmad qui était si doux avec ta famille et si charitable envers tous !
Malheur à moi de t’avoir perdu. Que
deviendrai-je sans toi, très cher….. ! » Ou bien encore :
« O toi sett* Zeinab, lumière de
ma vie, beauté resplendissante, mère et épouse dévouée, pourquoi m’as-tu quitté
ya hhabibti ma chérie ? ». Ces lamentations avaient le don
de raviver la douleur de tous et dès que l’assistance se calmait un peu par
suite de fatigue d’avoir tant pleuré et gémi, les pleureuses reprenaient leurs
lugubres lamentations qui déchaînaient les femmes à nouveau ! Je peux vous
assurer que même si on ne connaissait pas la ou le défunt, on finissait par
avoir du chagrin et de la tristesse par suite de cette ambiance tragique
entretenue par les pleureuses. Pour rappeler à chacun que nous ne sommes ici
bas que de passage et que tout est vanité, le mort était enseveli dans un
cercueil en bois tout simple.
Le moment venu le cortège, composé
exclusivement d’hommes, se formait à la porte de l’immeuble. À la descente du
corps, les femmes de la famille se déchaînaient par les fenêtres et les balcons
pour un dernier hommage ; les pleureuses, les voisines dans les autres
appartements de l’immeuble et même des immeubles alentour faisaient de même
pour honorer cette pauvre famille. Elles adjuraient le mort de ne pas les
quitter ; certaines, faisant mine d’enjamber les balcons pour sauter dans
le vide, étaient retenues par d’autres.
Enfin, le cortège s’ébranlait et
disparaissait au bout de
Les passants s’arrêtaient un moment au
passage du cortège et, indiquant de l’index le cercueil, récitaient avec
recueillement : « Achhadou
enna la ilaha illa Allah oua Mohammad rasoul Allah ! »
« Témoignez qu’il n’y a de Dieu que Dieu et que Mohammad est son Prophète ».
Dès le départ du cortège, plusieurs
charrettes arrivaient avec des hommes et du matériel. Ils dressaient en pleine
rue un chader* commandé par la
famille.
C’est un échafaudage de poutres qu’on dressait,
liées à leurs extrémités par des cordes, sur lequel on tendait des grosses
toiles de tente. Le tout formait un espace rectangulaire qui abritera les
visiteurs, tous des hommes, qui viendront le soir et jusque tard dans la nuit,
présenter leurs condoléances et tenir compagnie aux hommes de la famille
pendant qu’un cheikh religieux
récitera des versets du coran pour le repos de l’âme du défunt et pour rappeler
aux vivants qu’ici-bas, tout est éphémère.
Des rangées de chaises sont dressées dans
le chader* et, dans un coin, un
préposé prépare d’innombrables tasses de café sans sucre qui sont servies aux
visiteurs, seul breuvage offert en signe de deuil, accentué par la couleur
noire symbolique et son goût amer. Quant aux dames visiteuses, elles montaient
directement dans l’appartement rejoindre les femmes de la famille pour les
réconforter en louant le défunt.
Des globes "luminaires"
fonctionnant au pétrole, munis d’un manchon
identique à celui des réverbères, étaient suspendus dans le chader et dispensaient une lumière
vive ; de temps à autre, un homme à bicyclette arrivait et faisait
descendre, par la corde qui le suspendait à une poulie, chaque globe dont la
lueur faiblissait ; il y introduisait de l’air comprimé au moyen d’une
pompe à bicyclette ce qui avait pour effet de raviver aussitôt la flamme
défaillante. Il allait ainsi par la ville, toute la nuit, d’un chader à
l’autre, pour remplir son office.
Dans les enterrements officiels d’un membre
de la famille royale ou du gouvernement ainsi que pour les notabilités de toute
religion, étaient présents un représentant du roi, les membres du gouvernement
et du corps diplomatique, des délégations des communautés étrangères et des
différents cultes, des unités de l’armée et des différentes armes, qui défilaient
au pas, aux accents de la marche funèbre de Chopin.
J’ai assisté en badaud au défilé du cortège
funèbre du roi Fouad. Le cercueil, recouvert du drapeau égyptien, reposait sur
un fût de canon tiré par un nombre imposant de chevaux richement harnachés
pendant que, de
Le 30/04/2007
UN MARIAGE
POPULAIRE ÉGYPTIEN
Quelques jours avant la dokhla*, on emménage dans l’appartement
des futurs mariés. Le mobilier est transporté, en une seule fois, par une foule
de porteurs. Chaque petite pièce est posée sur la tête d’un homme :
fauteuil, guéridon, table de nuit, etc. Quant aux gros meubles comme armoire,
lit, buffet, canapé, ils sont portés, pièce par pièce, sur la tête de deux
porteurs, un à l’avant et l’autre à l’arrière. Pour démontrer leur maestria, ils déambulent de
concert sans même tenir le meuble de leurs mains et en balançant les bras. Les
chaises, la batterie de cuisine etc. suivent, portés par des jeunes garçons.
Derrière le défilé du mobilier vient celui du Chouar* de la mariée, ses habits ainsi que la garniture de la
literie du couple : draps, traversins, couvertures, coussins, couvre-lits
et, enfin, les cadeaux offerts par les parents et les amis.
Tout en avant de ce défilé une troupe de
musiciens ambulants s’en donnent à cœur joie. Le flûtiste a beaucoup de succès
car il aspire une si grande quantité d’air qu’aussitôt ses joues se gonflent
comme des gros ballons. Deux ou trois femmes de la famille, voilées comme le
veut la coutume, lancent des bonbons et des pièces de menue monnaie aux enfants
qui s’agglutinent à cette procession ; d’autres lancent de temps à autre des zagharites*
d’allégresse. Le jour des noces un cheikh
religieux vient dresser le contrat de mariage.
Un chader*,
le même que celui des enterrements, est dressé en pleine rue mais il n’est plus
question d’offrir des cafés sans sucre aux invités ; le sirop de roses*
est roi accompagné de pâtisseries de toutes sortes. On accroche à l’intérieur et à l’extérieur du
chader des grosses boules de verre multicolores qui augmentent encore
l’ambiance de fête. Une troupe de musiciens joue des airs joyeux et
entraînants. De temps en temps, l’un des invités puis d’autres, à tour de rôle,
afin de faire honneur à leurs hôtes, s’approchent du chef du groupe de
musiciens à qui il tend un billet de banque, sans le lâcher; ce dernier, faisant signe aux musiciens de
s’arrêter, agrippe de ses doigts l’autre bout du billet et le donateur crie à
haute voix les noms de ceux qu’il désire honorer, noms répétés aussitôt par le
chef d’orchestre : « Au père de la marié »,et l’autre
répète à haute voix : « Au père de la mariée ; à la
famille de la mariée », l’autre : « À la famille de la
mariée ; à l’assistance », bis ; « Aux voisins
de la mariée » bis ; « aux habitants du quartier », bis, et ainsi de suite pour
terminer toujours par : « Et à toi et moi », bis. Après
quoi il lâche le billet de banque et aussitôt les musiciens se déchaînent en
son honneur.
Dans le temps, il était courant que le
futur ne connaisse pas la femme que ses parents lui destinaient et qu’il ne
l’ait même pas vue jusqu’au jour de son mariage. Les parents des futurs
conjoints arrangeaient les choses entre eux et la marieuse* et c’était parfois
des drames quand le marié constatait que sa compagne n’était pas à son goût.
Par ailleurs, à moins qu’il s’agisse d’une veuve ou d’une divorcée, la future
mariée devait obligatoirement arriver vierge et elle était déflorée, le soir de
ses noces, non pas par son mari mais par une matrone dont c’était le métier.
La chose se passait au cours de
À cette époque, il était impensable qu’une
jeune fille fautât ; c’était pour elle une condamnation à mort, surtout
dans les villages de province. Si cela lui arrivait, elle était obligée de
s’enfuir du village et terminait misérablement sa vie dans la grande ville.
Dans le cas où elle venait à être découverte,
tout homme de la famille se devait de laver le aar, le déshonneur, la honte qui atteignait tout le clan. Alors, le
père, le frère, l’oncle ou le cousin se chargeait de la tuer même s’il devait
terminer son existence en prison. Telle était la coutume
Le bakchiche*
est une institution héritée des anciens occupants ottomans. C’est la onzième
plaie d’Égypte. On y est confronté à tout bout de champ. Dans les quartiers
pauvres, les enfants tendent la main en demandant avec insistance :
« bakchiche, bakchiche »,
tout en vous poursuivant. Je crois personnellement que son origine provient de
la grande disparité entre les riches et les pauvres. Ces derniers, par fatalisme,
trouvent normal cet état de choses et, en s’adressant à la générosité des
riches, ils leurs rappellent leur devoir envers les déshérités sans avoir le sentiment de déchoir. C’est
presque un droit qu’ils réclament. Ce n’est pas de la mendicité car les
mendiants ne demandent pas, eux, un bakchiche mais une hhassana*. Même dans ce cas, par dignité, ils disent : « Eetina menn ma aatakom allah »
ce qui veut dire "donnez-nous (un peu) de ce que Dieu vous a donné."
Ce n’est pas seulement les enfants qui
demandent le bakchiche ! Des
adultes inventent mille et un prétextes pour vous rendre service et avoir ainsi
le droit de vous le réclamer. Voici un exemple. Si vous garez votre voiture
pour aller au cinéma, au restaurant ou ailleurs il y aura toujours un quidam
qui a investi l’endroit de sa propre autorité et qui, à votre arrivée, vous
indiquera les manœuvres à effectuer pour garer votre
véhicule alors que vous n’avez pas besoin de lui pour le faire : « Un
petit peu à droite, non, non, plus à gauche, reculez, avancez, etc. ». Il
vous assurera qu’il en prendra la garde pendant votre absence (que vous le
vouliez ou non) et à votre retour, il se dépêchera d’aller d’un véhicule à
l’autre pour, comme la mouche du coche, donner ses directives pour quitter le
parking. Au moment où vous voilà enfin dégagé, il s’accrochera à votre portière
pour recevoir son bakchiche.
Aux heures d’affluence ou de sortie des
cinémas et afin de ne pas risquer de voir un client se défiler sans payer ce tribut, il est
capable d’organiser une pagaille monstre, un embouteillage de première
afin que vous ne puissiez pas quitter la
place sans son secours…
Suivant son importance et la personne à qui
il est servi, le bakchiche deviendra
tour à tour pourboire, passe-droit, coupe-file, dessous de table ou pot-de-vin.
Rares étaient les fonctionnaires réellement malhonnêtes qui exigeaient une rashou, (qui se rattache à la
prévarication), pour vous faire bénéficier, par exemple, de tuyaux sur les
prix présentés par vos concurrents lors
d’une adjudication gouvernementale, ce qui vous permettrait de vous y aligner
en hausse ou en baisse et de l’obtenir. Cependant, nombreux étaient ceux qui
s’attendaient à recevoir une petite ou une grande enveloppe lors de la délivrance, par exemple, d’une licence d’importation
ou de quelque document officiel que ce soit. Si le fonctionnaire responsable de
sa délivrance était lui-même intègre, vous n’aurez pas échappé aux demandes de bakchiches formulées par son secrétaire
ou son farrache*. Il faut dire aussi
que la plupart d’entre eux étaient peu payés et qu’ils essayaient ainsi
d’arrondir leurs revenus. Cet usage faisait partie de la vie de tous les
jours et on ne pouvait pas faire
autrement que de s’y adapter, aussi amoral fut-il. En le pratiquant vous-même
vous participiez à sa pérennité et si vous refusiez de donner des bakchiches, vos affaires étaient
bloquées au profit de ceux qui étaient plus compréhensifs.
Le 30/06/2007
LE ZÂR
Les femmes des bourgeois égyptiens étaient visitées
par de nombreuses matrones qui avaient des professions différentes :
masseuses, épileuses, déchiffreuses de l’avenir en lisant dans la paume des
mains ou dans le marc de café, laveuses, bonnes et cuisinières en extra, etc.
Avant la deuxième guerre
mondiale, il était courant qu’un bourgeois égyptien eût plusieurs épouses
légitimes ce qui était autorisé par la religion musulmane. S’il était très
riche, chacune d’elles occupait un appartement séparé dans des rues ou des
quartiers différents. Mais si sa fortune était réduite, deux ou trois épouses
cohabitaient dans le même appartement avec leur progéniture respective d’où,
souvent bagarres, crêpages de chignons et, quelquefois, drames. Lorsque le mari
prenait une nouvelle femme, en général plus jeune que les précédentes, elle
était souvent en butte aux tracasseries des anciennes qui se liguaient contre
elle. Si la nouvelle épousée n’avait pas beaucoup de caractère combatif pour se
défendre contre les méchantes entreprises de ses rivales, il arrivait qu’elle
tombât en langueur, se laissât aller ou encore qu’elle subit une dépression
nerveuse.
Alors intervenait l’une des
matrones qui suggérait au mari que la jeune femme était possédée par le démon
et qu’il fallait organiser un zâr en
vue de l’exorciser. La cérémonie du zâr était
pratiquée par un groupe composé de femmes et d’hommes ; mais, comme au
Moyen-Orient il était impensable de mettre les femmes de la maison en contact
avec des hommes, ceux-ci étaient généralement, ou se faisait passer pour, des
homosexuels passifs. Ils portaient les cheveux longs et se maquillaient les
yeux de kohl. Les maris les
considéraient donc comme des eunuques.
Le chef du groupe venait
conférer avec le mari, la matrone et les femmes de la famille : mère,
belle-mère, tantes, etc. Après avoir fixé la date de la cérémonie, ces
dernières invitaient le ban et l’arrière-ban de la famille, les voisines, les
amies…Uniquement des femmes.
Un jour, un zâr eut lieu dans notre immeuble, dans
l’appartement de notre voisin, un riche propriétaire égyptien. Dès la pointe du
jour, une charrette arriva avec le groupe d’hommes et de femmes ; une
seconde charrette transportait d’innombrables marmites, des victuailles et
plusieurs tambourins de près d’un mètre de diamètre. Une fois la mise en place
faite, le tam-tam des tambourins commença. C’était un battement sourd,
monotone, lancinant que produisaient tous ces instruments en même temps.
Les officiants formaient un cercle dans
lequel se trouvaient trois ou quatre de leurs comparses avec, au centre, la
"possédée". À chaque battement, ils penchaient le buste d’un
côté, le relevaient puis le penchaient de l’autre tout en se déplaçant
d’un pas dans le sens contraire de
aiguilles d’une montre. Le rythme des tambourins s’accéléra, le son devint de plus en plus puissant. Parmi
les assistantes, certaines se levèrent et s’intégrèrent au groupe dansant.
Cette musique primitive et sauvage agissait sur leurs nerfs. Les femmes
dansaient, tournoyaient sur elles-mêmes comme les derviches tourneurs ou
gesticulaient d’une manière saccadée, les cheveux défaits, suivant le rythme
ininterrompu, de plus en plus rapide, allant en s’amplifiant jusqu’à devenir
assourdissant.
Les participantes entraient alors en
transes ; elles perdaient l’équilibre, tombaient à terre, continuaient à
suivre les battements par des soubresauts et l’écume aux lèvres. Alors, les
battements s’arrêtaient un moment. On réconfortait les participantes en les rafraîchissant avec
de l’eau fraîche et de l’eau de Cologne. Des plats de nourriture circulaient
parmi la nombreuse assistance. Après un moment de repos, les battements
reprenaient et ainsi de suite jusqu’à la tombée de
Ils ont été créés, à l’origine, en vue
d’inciter les Européens à venir s’installer en Égypte pour apporter leurs
compétences et leur culture et où, grâce à ces tribunaux, ils seraient sûrs de
voir leurs biens et leurs personnes protégés par des lois et des magistrats
européens. Par la suite il y a eu des abus et maint Égyptien se vit dépouiller
par des étrangers indélicats, grâce à ces tribunaux et avec la complicité d’avocats sans
scrupules. Vers la fin de l’occupation britannique, ils personnifièrent, aux
yeux des Égyptiens, l’oppression des étrangers sur leurs personnes et leurs
biens. Les juges étaient Français, Anglais, Américains, Italiens…Quant aux
avocats, ils étaient de toutes origines. Les lois appliquées étaient
essentiellement françaises, Codes Civil et Commercial, etc. et la
jurisprudence, glanée dans le Dalloz et les Pandectes Françaises.
Les actes de procédure, les plaidoiries,
les conclusions étaient réalisés uniquement en français et tout document :
témoignage, attestation, devait être traduit dans cette langue. Il y avait
l’École Française de Droit pour la formation des futurs avocats.
Il y
a de nombreuses anecdotes sur les Tribunaux Mixtes et les avocats. Je vous
livre celle-ci : un avocat d’origine arménienne faisait sa plaidoirie à
l’encontre d’un débiteur indélicat qui avait fait faillite. Emporté par son
indignation face à la mauvaise foi flagrante du débiteur il s’écria, en
remplaçant dans son émotion la syntaxe française par l'arménienne :
Monsieur le Juge !
Juge vous êtes, auto vous n’avez pas !
Avocat je suis, auto je n’ai pas !
Failli il est, auto il
a ! ! ! !
À cette époque, une auto était un objet de
luxe que seuls les gens fortunés pouvaient posséder ce qui laissait supposer
qu’il s’agissait, dans ce cas, d’une faillite vraiment frauduleuse.
Le 31/08/2007
Je
me souviens que lorsque nous nous sommes mariés, nous avons habité un immeuble
où se trouvait un couple égyptien d’un certain âge. Quand ma femme est tombée
enceinte, notre voisine lui envoyait tout le temps un plat de la recette
qu’elle était en train de préparer (la cuisine égyptienne est très odorante)
afin qu’elle n’ait pas une « envie » qui s’imprégnerait sur la peau
du futur bébé sous la forme d’une tâche
représentant la denrée qu’elle était en train de cuisiner. Telle était la
croyance populaire. Par la suite, elle demandait souvent de s’occuper du bébé
pour donner du répit à mon épouse, fort jeune à cette époque.
Autres
traits de gentillesse : quand arrivaient les fêtes juives, des amis de mon
père nous envoyaient à la maison, à titre de présents, des volailles, des œufs
ou des pâtisseries orientales.
Et
puis, une pratique courante dans la vie égyptienne est de couvrir ses
interlocuteurs de titres ronflants et dithyrambiques. On est traité, à longueur
de journée, de bey ou même de pacha. Dans la réalité, le titre de bey vient
tout de suite en dessous de celui de
pacha lequel est directement inférieur à celui de prince. Même dans la vie
professionnelle, le plus petit des gratte-papiers est bombardé de hhadrett
el bâche kateb "Monsieur le Chef comptable" et le simple
surveillant de travaux devient, pour le moins, bâche mohandez "Ingénieur en chef". Quant au maire du
petit village d’à côté, il sera investi du titre de gouverneur de province.
C’est un trait de caractère de l’Égyptien en général qu’on peut rattacher non
pas à la basse flatterie mais plutôt à sa grande gentillesse et
générosité ; tout en vous faisant plaisir, il s’en fait aussi à lui-même.
Le proverbe n’affirme-t-il pas : « Dis-moi qui tu fréquentes je te dirais qui tu es ».
EL GHEYYA
Un
homme habillé d’une galabeya*, sur la
terrasse* d’un immeuble situé en plein quartier indigène, agite un drapeau
blanc de droite à gauche et vice versa ; en même temps, il siffle comme un
perdu. À qui donc sont destinés ces signaux ? On dirait qu’il veut se
rendre à un ennemi invisible…Au bout de quelques minutes, un groupe de pigeons
vole vers lui en effectuant des cercles concentriques et ils finissent par se
poser sur le pigeonnier bâti sur
EL ZABBALINE
Au
Caire, il n’y a pas de service municipal pour le ramassage des ordures
ménagères. Depuis des temps immémoriaux, ce travail est effectué par une
corporation dont les membres s’égaillent de grand matin dans la ville et,
méthodiquement, rue par rue, immeuble par immeuble, appartement par
appartement, ils ramassent les ordures ménagères des habitants. Ils n’ont ni
bureaux ni planificateurs ; il n’empêche que, pas un jour, le ramassage
n’est resté en souffrance. Flanqué d’un pauvre âne miteux tirant une petite
carriole brinquebalante, le ramasseur du quartier, muni d’un genre de couffin
en feuilles de palmier tressées, monte au dernier étage de l’immeuble. Il sonne
à chaque porte pour qu’on lui passe la poubelle qu’il vide dans son couffin. Il
fait de même à chaque étage et, arrivé en bas, il porte son chargement jusqu’à
la carriole, le vide, fait avancer l’âne de quelques mètres jusqu’au prochain
immeuble où il procède de même. Et ainsi de suite.
Les
carrioles sont vidées de leur contenu dans un emplacement qui leur est réservé,
aux confins de
Le 31/10/2007
(EL
ORADATI)
Il arrive sur la placette, au croisement de
plusieurs rues. Il est suivi de deux disciples et porte sur lui un troisième,
caché, invisible. Nous le savons et notre cœur bat plus fort tant de frayeur
que d’impatience et de curiosité. L’un des disciples, la chèvre, porte à
califourchon sur son dos, le singe habillé comme un mousquetaire et dans des
couleurs vives. Le montreur choisit l’emplacement qui lui semble le meilleur, à
l’abri du soleil. Il dépose à terre un sac de cuir qui s’agite doucement et un
sac de toile contenant les accessoires habituels. Aussitôt, les enfants
accourent par dizaines des rues avoisinantes. Une T.S.F. mystérieuse les
ameute. Ils font cercle autour du montreur. Dès que celui-ci juge la foule
suffisante, il tire sur la laisse du singe qui saute à terre d’une cabriole, à
notre grand amusement.
Les différentes parodies se suivent et se
ressemblent toujours dans un ordre immuable. Nous les connaissons toutes par
cœur pour les avoir vues des dizaines de fois par différents montreurs mais
nous ne nous en lassons jamais. Pour aider le singe à jouer ses nombreux rôles,
le montreur accompagne chaque sketch
d’un commentaire, ponctué de petits coups sur le tambourin.
Le montreur annonce le premier titre de la parodie et lance sa badine au
singe : ″Machye el sakrane″
″Le comportement de
l’ivrogne″.
Le singe se saisit de la badine, pose l’un des
bouts sur l’épaule et, sautant sur une seule jambe, au rythme du tambourin, il
dodeline de la tête d’un côté et de l’autre. On jurerait qu’il vient de quitter
la taverne après des libations multiples.
D’un coup sec sur le tambourin, le montreur met
fin au sketch pour passer à la parodie suivante : Aaguine el fallaha ″Le pétrissage de la pâte par la paysanne ″ Le singe
s’accroupit et, dans une bassine invisible, il pétrit. Quel mime ! Il nous
semble voir, sous ses mains noires et minuscules, la pâte immaculée qu’il
ramasse de droite et de gauche pour l’incorporer à la masse, avec un balancement
du buste d’arrière en avant et d’avant en arrière qui accentue les gestes. Bref, du Nome
el aazeb ″Sommeil du célibataire″ à
Et il attire à lui
Arrivé là, le montreur commence à taper sur son
tambourin en chantant une mélopée qui menace la chèvre de punitions effroyables
si elle tombe : elle sera écorchée vive, écartelée, grillée, etc. Nous
sommes tout impressionnés et avons très peur pour
Il prend le petit sac de cuir et défait le lacet
qui le ferme hermétiquement. Il tire sur la laisse du singe dont l’inquiétude a
commencé et, lui désignant le sac ouvert posé à terre, il lui ordonne Hatt el makarona, ya oualad ! ″Petit,
apporte le macaroni !″. Le singe est effrayé de ce que contient le
sac et ne s’exécute pas. Deux ou trois coups de badine bien appliqués le font
se rapprocher du sac tout en protestant énergiquement par des cris aigus. Il
glisse avec appréhension sa petite main dans le sac et bondit en arrière,
paniqué
Les coups pleuvent. Les enfants sont à bout de
souffle à force de rire car les mimiques du singe les déchaînent mais ils ne se
rendent pas compte que la malheureuse petite bête est aux abois. Entre les
coups du montreur et la peur qui l’habite, le singe finit par attirer à lui le
contenu du sac qu’il lance aussitôt à son maître et il s’enfuit en hurlant,
aussi loin que le lui permette sa laisse : C’est un
Serpent ! ! ! Le montreur l’attrape au vol et feint de le
relancer sur l’assistance dont le cercle s’élargit aussitôt. Nous sommes
hypnotisés par la vue du serpent avec lequel le montreur fait des nœuds et
quelques autres tours.
Enfin, le spectacle s’achève. Le montreur donne le
tambourin au singe qui le met sur la tête et fait le tour des spectateurs dont
la plus grande partie se disperse aussitôt. Quelques-uns jettent dans le
tambourin qui une pièce de monnaie, qui un morceau de pain ou une orange que le
singe s’empresse de rapporter à son maître. Une explication s’impose. Comment
se fait-il que tous les montreurs, avec des singes différents, leur fassent
exécuter les mêmes tours dans un ordre immuable ? C’est qu’il y avait, dans
un quartier éloigné de la ville, des dresseurs qui apprenaient ces tours aux
nouvelles recrues, avec l’aide de vieux singes dressés, ce qui créait chez eux
un mimétisme automatique qui facilitait les choses. Les montreurs venaient louer, pour la journée,
le singe, la chèvre et le serpent.
Il est
pressé ! Très pressé ! Ne doit-il pas allumer tous les réverbères de
son secteur avant qu’il ne fasse complètement nuit ? Il porte une perche
sur son épaule, terminée par un quinquet allumé. Un ergot y est planté avec
lequel il ouvre la porte vitrée. Il introduit la petite flamme dans le
réverbère, déclenche le dispositif et ô merveille ! Que la lumière
soit ! Et la lumière fut ! Si le réverbère ne s’allume pas, c’est que
le dispositif est défectueux ou bien le manchon, percé. Il le signalera à son
collègue de jour lequel, une légère échelle sur l’épaule, parcourt la ville
d’un réverbère à l’autre, nettoyant les vitres et remplaçant les manchons
détériorés.
L’allumeur de
réverbère me fait penser au dictionnaire Larousse familial de mon enfance qui
nous a accompagnés toute notre vie et sur la première page duquel une femme
souffle sur une fleur, avec en dessous la devise : ″Je Sème À Tous
Vents″. Notre allumeur méritait
de porter, lui, celle-ci : ″Je Dissipe Les Ténèbres″. Bien
avant que nous quittions l’Égypte, l’allumeur de réverbères avait disparu,
remplacé par un dispositif automatique allumant tous les réverbères de
Quand la compagnie
du gaz, en quelque sorte l’″E.D.F.-G.D.F.″ de là-bas qui s’appelait
d’ailleurs
une fuite de gaz
dans un quartier de la ville, elle y dépêchait son renifleur attitré. Celui-ci,
muni d’une série de tubes creux d’environ
Il procédait de
même cinq ou six mètres plus loin avec un autre tube et ainsi de suite. Quand
il avait fini de les planter tous, il revenait sur ses pas et, retirant le
premier tube, il le portait à sa narine, droite ou gauche mais toujours la
même, afin de déceler l’odeur du gaz qui indiquerait la fuite.
Et, à chaque coup, je
remarquais d’abord l’espoir suivi de
(MOBAYAD EL NEHHASS)
Dans le temps,
tous les ustensiles de cuisine étaient en cuivre et il fallait les faire
rétamer de temps à autre afin d’éviter la formation de vert-de-gris. Cuivre, en
arabe, se prononce néhhass et
culotte, lébass. Cette rime facile
est de tout temps utilisée par des jeunes loustics qui suivent à bonne distance
le rétameur ambulant et, aussitôt qu’il lance son cri : abayad el néhhass c’est-à-dire ″je
rétame le cuivre″, ils lui répondent en chœur oua chokhe fél lébass ce qui veut dire ″et je fais dans ma
culotte″. Le rétameur ambulant est l’objet de cette taquinerie de père en
fils et il a toujours sur lui quelques petites pierres choisies avec soin,
qu’il lance avec adresse à ses provocateurs. Enfin ! Une cliente !
Elle l’appelle. Il monte. Marchandage. Accord. Pendant qu’il s’installe dans la
rue, à la porte de l’immeuble, on lui descend les ustensiles à rétamer :
casseroles, marmites, bassines, poêles, cuillers, fourchettes, louches, etc… Il
fait un trou dans la terre[1],
y introduit le bout d’un soufflet, recouvre le tout de charbon et allume son
feu. En attendant que celui-ci prenne, il récure à fond chaque pièce avec de
l’eau et du sable car l’étain ne prendra pas si l’ustensile est sale. Lorsque la
marmite ou la bassine est assez grande, il y met un peu d’eau et de sable et la
récure avec…. ses pieds nus ! Pour ce faire, il entre debout dans la
marmite et, se retenant des deux mains appuyées sur le mur de l’immeuble, il se
déhanche de droite à gauche et de gauche à droite en effectuant ainsi une danse
sur place qui a pour effet de nettoyer complètement la pièce à rétamer. Les
enfants et la bonne l’approvisionnent en
eau. Un cercle d’enfants l’entoure ; subjugués par le feu, ils lui rendent
de menus services dans l’espoir de manœuvrer le soufflet.
Enfin, le feu a
bien pris et les ustensiles sont propres. Il met chaque pièce sur le foyer, il
la tourne et la retourne avec une longue pince. Quand il juge qu’elle est
suffisamment chauffée, il la retire et trace dessus quelques traits avec le
bâton d’étain qui se déposent sur l’ustensile. Il attrape aussitôt une grosse
poignée de coton brut se trouvant dans une assiette devant lui et pleine, à ce
qu’il me semble, d’alun ou de potasse en poudre, qu’il passe rapidement sur
l’étain pour l’étendre. Et c’est un ballet rapide : quelques secondes sur
le feu, une caresse avec le coton et, au fur et à mesure, l’ustensile de cuivre
se transforme en argent étincelant ! A midi, on lui envoie son déjeuner.
Il mange rapidement
pour ne pas laisser tomber le feu et reprend son travail qu’il termine vers la
fin de l’après-midi. S’il a trop lésiné sur l’étain, qui est cher, le rétamage
ne tiendra pas longtemps et c’est un client de perdu. Mais, s’il est
consciencieux, il servira pendant de longues années les mêmes clients qui le
recommanderont aux parents et amis. On se méfie toujours d’un nouveau venu dans
le quartier et les enfants se relayent auprès de lui toute la journée. En
effet, combien de rétameurs inconnus non surveillés, n’ont-ils pas disparu en
emportant avec eux toute la batterie de cuisine ?
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Ce
GLOSSAIRE englobe, par ordre alphabétique, TOUS les mots comportant un
astérisque. Il donnera, pour chacun d’eux, leur traduction et les explications
qui les concernent.
Aattar Marchand d’épices, encens et
herboristeries. Il prépare aussi,
à la demande, des compositions d’herbes
contre le « Mauvais œil » ou encore pour telle ou telle maladie,
ainsi que des amulettes et des talismans.
Artous Composition
d’une quinzaine d’épices sélectionnées par le "Aatar" pour la préparation de
la fameuse "Méfata’a".
Becafigua Becfigue,
petit oiseau migrateur.
Bakchiche Mot d’origine turque
signifiant "Pourboire".
Baouab Portier.
Chaque immeuble a un concierge mâle appelé
"baouab".
Bastourma Pastrami.
Viande de bœuf séchée au soleil.
Batarekh Poutargue.
Œufs de poissons, séchés et agglomérés, très appréciés dans tout le Moyen- Orient.
Bey Titre
honorifique d’origine ottomane, de rang inférieur à celui de pacha.
Bonne Domestique. Il était courant pour
les Européens et les bourgeois égyptiens d’avoir à leur service des bonnes et
des domestiques. Ce n’est pas un terme de dédain et ceux-ci étaient souvent
traités comme des membres de la famille et, en tous
cas, avec gentillesse et affection. Les gens fortunés avaient également des
bonnes, des domestiques, des nurses, des chauffeurs européens.
Cachère Préparé
suivant les rites israélites.
Caïrote Habitant
du Caire.
Caraïsme Secte
juive.
Chaouiche Agent de
la voie publique recruté dans les couches populaires,
généralement peu instruit.
Chouar Trousseau
de mariage.
Cognac Cette
liqueur était employée comme le whisky, coupée
ou non d’eau minérale genre Perrier. Tous les deux pouvaient accompagner
tout un repas.
Coptes Égyptiens christianisés depuis des
siècles, descendants des Égyptiens de l’époque pharaonique.
Ils sont réputés pour leur extrême honnêteté et toute affaire commerciale avait
son ou ses coptes.
Dokhla Littéralement,
signifie « entrée ». La dokhla symbolise la nuit des noces chez les
Égyptiens musulmans.
Domestique voir
« Bonne ».
Dot Somme
d’argent que le père de la mariée verse au futur gendre. Accompagnée souvent de
bijoux, meubles, trousseau, etc. Dans certains cas, chez les israélites et certaines communautés
européennes, les parents de la mariée s’engageaient à héberger le couple durant
une ou plusieurs années ; on appelle "meza franca" c’est-à-dire
« table franche ». Les jeunes filles sans dot trouvaient rarement à
se marier sans le secours d’associations philanthropiques.
Edra Jarre
en cuivre ou en terre cuite.
Eema Coiffure
composée d’une "taêyya"
calot entourée d’un turban.
Eerg-souss Jus de
réglisse.
Effendi Titre
honorifique d’origine turque de rang inférieur à celui de bey ; très
couramment employé en Égypte pour interpeller quelqu’un.
Égyptien Par
opposition à l’appellation "Khawaga "
(pluriel :"Khawagates") ce terme désigne
essentiellement le natif d’Égypte musulman ou copte.
Encenser Agiter
l’encensoir devant quelqu’un ou le faire passer par-dessus sa tête.
Envie Tâche
sur la peau d’un enfant figurant parfois la forme d’un fruit, fraise, cerise,
etc. La croyance populaire veut que cette tâche résulte d’une « envie » non satisfaite de la
mère, pendant la grossesse.
Falafel Appelé
aussi "taameya". Boulette
frite composée de févettes trempées puis moulues avec de la coriandre, cumin,
ail, persil, cébette, sel, etc.
Fassouh Variété
d’encens. À noter que le fassoukh n’est pas blanc mais au contraire d’un noir
foncé et brillant. On le flatte pour qu’il soit plus efficace. Toujours la flatterie.
Farrache Employé
subalterne chargé des travaux de ménage, des courses, etc.
Fellah Villageois.
Foul Variété
de fèves très appréciée en Egypte par tout le monde, riches ou pauvres.
Préparé, on l’appelle "Foul Médamess".
Galabeya Robe
d’homme typiquement égyptienne que portent surtout les gens du peuple et ceux
de la province.
Gandoura Blouse
sans manches portée sous le burnous.
Ganzanbil Gingembre.
Goza Un
genre de narghileh rudimentaire.
Hag Titre religieux attribué au
fidèle musulman qui a fait le pélerinage de
Hhassana Aumône.
Kafas Cageot
fabriqué avec des branches de palmier.
Khawaga Pluriel :
Khawagates. Personne d’origine
étrangère et de confession non musulmane ; s’applique essentiellement aux Européens d’Égypte.
Khochaf Sirop
contenant des fruits secs.
Kofta Boulette
de viande hachée, grillée ou frite.
Maalèche Littéralement
"cela ne fait rien". Mot très employé en Égypte pour aplanir toute
difficulté.
Mabrouk Félicitations.
Melaya Pièce
de tissu de couleur noire avec laquelle les femmes
égyptiennes du peuple s’entourent de la tête aux pieds, par dessus leur robe.
Mezouzah Talisman
apposé sur le panneau droit de la porte d’entrée d’un juif pratiquant,
contenant des versets de
Mezzes Amuse-gueule
typiques au Moyen-Orient accompagnant tous les breuvages alcoolisés. Il y en a des dizaines de variétés.
Millième Pièce
de monnaie représentant la millième partie d’une
livre égyptienne.
Narguileh Pipe à eau composée d’un grand récipient
en verre, en forme de carafe, sur l’ouverture de laquelle est vissée une tête,
sur laquelle est fixée d’une part, une rondelle en terre cuite supportant le
tabac et, d’autre part, un tube en cuivre prolongé par un long tuyau flexible
comportant un embout en ivoire duquel on aspire
Omm La mère de…La mère de Salem, la
mère de Morsi. Chez les Égyptiens
on n’appelle pas les femmes mariées par leur prénom mais par celui de l’aîné ou
de l’aînée de ses enfants.
Pacha Titre
honorifique d’origine turque, de rang supérieur à celui de bey.
Piastre Centième
partie d’une livre égyptienne, qui vaut dix
millièmes. La "petite piastre"
vaut cinq millièmes.
Portier voir
"Baouab" .
Raki Anisette.
Coupée d’eau, elle peut accompagner tout un repas.
Roof-garden Ce mot est d’origine anglaise. Sur la
terrasse du dernier étage des
immeubles abritant certains grands hôtels est aménagé un restaurant-dancing en plein air.
Roses Sirop
et confiture de roses. Élaborés à partir de pétales de roses additionnées de
sucre, Ils sont offerts au cours de toute réception et évènement heureux : naissance, mariage,
fiançailles, réussite à un examen, guérison d’une maladie, retour d’un voyage, etc. Ici, la rose symbolise la joie.
Sahleb Breuvage
servi chaud à base de lait sucré additionné
d’un peu de poudre de la racine d’une certaine variété d’orchidée.
Semit Bâtonnet
ou bracelet de pain tendre recouvert de graines de sésame.
Sett Madame.
Se dit SI au masculin.
Si Monsieur.
Diminutif de Sidi. Se dit SETT au
féminin.
Souates Plaintes
bruyantes et hurlements de douleur.
Souk Lieu comprenant une ou plusieurs
rues où se groupent les commerçants en gros ou en détail d’une même branche
d’articles. Il y a ainsi le Souk des tissus, celui de l’alimentation, des
papiers, des bijoux, des épices, des parfums, etc.
Taameya Voir :
Falafel
Taeya Coiffure
masculine qui couvre le sommet du crâne.
Taraboka Poterie
en argile, évasée d’un côté, sur laquelle est tendue une peau fine sur laquelle
on tape avec les mains
nues.
Tarbouche Coiffure
typique égyptienne, rigide, de couleur rouge éclatant, de la forme d’un pot de
fleurs renversé.
Tehina Pâte de
graines de sésames écrasées. Diluée avec de l’eau, vinaigre, citron, sel plus
cumin, ail et persil haché elle donne un genre de coulis très apprécié ici.
Terrasse En
Égypte, la toiture des immeubles est horizontale en plate-forme, entourée d’un
parapet en maçonnerie d’environ un
mètre de haut.
Trictrac Jeu qui
se joue à deux personnes avec des pions et des dés sur un tableau à deux
compartiments. Un genre
de jacquet typique du Moyen-Orient.
Zhagharites Cris poussés en tournant rapidement, en même
temps, la langue dans
SOMMAIRE
S0MMAIRE de L’ EGYPTE QUE J’AI CONNUE
|
Page |
Introduction
|
9
|
Poème :
Sous ton ciel bleu
|
10
|
|
|
|
|
HISTORIQUE
|
|
|
|
L’Egypte que
j’ai connue
|
11
|
L’Egypte
d’avant l’Affaire de Suez
|
13
|
Le folklore
égypto-européen-Les quartiers mixtes |
19
|
Nos derniers
jours en Egypte-Novembre 1956 |
21 |
|
|
|
|
TRANCHES DE VIE
|
|
|
|
Les estivages
|
29
|
Les cafés |
38 |
Les tramways |
43 |
Le marchandage |
45 |
Les petits
déjeuners |
47 |
Histoires de
drogues |
51 |
Un enterrement
européen |
55 |
La pesée |
56 |
Le mauvais oeil |
57 |
La monnaie |
60 |
Bokra,
Incha’allah et Maalèche |
61 |
Essteftahh |
63 |
Place Ataba el
Khadra |
64 |
La guerre des
biscuits secs |
72 |
L’hospitalité
proverbiale des Egyptiens |
73 |
Us et coutumes
dans le commerce |
76 |
La maréchaussée |
79 |
Un enterrement
bourgeois égyptien |
82 |
Un mariage
populaire égyptien |
85 |
Le zär (Exorcisme) |
88 |
Le bakchiche |
90 |
Les tribunaux
mixtes |
92 |
Gentillesse et
générosité |
93 |
La passion
"El gheyya" |
94 |
Les ramasseurs
des ordures "El zabbaline" |
95 |
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METIERS
INSOLITES ET AUTRES METIERS
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Le montreur de
singe "El oradati" |
97 |
L’allumeur de
réverbères |
101 |
Le renifleur de
gaz |
102 |
Le rétameur
ambulant "Mobayad el néhass" |
103 |
Le placeur en
chef "Cheikh el mokhadémine" |
104 |
L’entrepreneur
de pompes funèbres |
106 |
Les ramasseurs
de vieux journaux |
107 |
Les laveuses
"El ghassalates" |
109 |
Le brûleur de
graines "El ma’la" |
111 |
La marieuse
"El sémssara" |
114 |
La bouza |
119 |
La boutique aux
salaisons "El torchagui" |
120 |
Les ramasseurs
de mégots "El sabbarssaguéya" |
121 |
Robabékia et
Bottiglia |
123 |
Les repasseurs
"El makouagueya" |
125 |
Le laitier
"El Labbane" |
129 |
Les vendeurs
ambulants |
130 |
L’éternel
accidenté |
134 |
Le réparateur de
réchauds à pétrole |
135 |
Le cardeur
ambulant "El ménagued" |
138 |
Le fabricant de
bastourma |
139 |
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L’ENFANCE ET
L’ECOLE
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Collège des
frères des écoles chrétiennes
|
141
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Sur le chemin de
l’école |
146 |
La roulette des
délices |
152 |
La boîte des
merveilles "Sandou’ el aagabe" |
154 |
Maccabi World |
156 |
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L’ADOLESCENCE
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Ma rencontre
avec un nazillon
|
159
|
Sur le chemin
de la vie
|
161
|
S.A. des
Drogueries D’Egypte
|
164
|
British army
|
167
|
Intermezzo |
172 |
|
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|
L’AGE DES RESPONSABILITES
|
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Ahmad Salah
|
175
|
Le souk des
papiers |
177 |
Le charretier en
chef "Cheikh el chayyaline" |
182 |
Hag Mahmoud et
Hag Latif |
184 |
Une noce
mémorable |
188 |
Un hasard
providentiel |
190 |
PARCOURS EN
EGYPTE D’UNE FAMILLE D’IMMIGRES EUROPEENS
|
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A l’ombre du
Sphinx |
193 |
Mon père |
197 |
Cartes de visite |
204 |
Pérégrinations |
205 |
Ma mère |
207 |
La fête de Pourim |
210 |
La droguerie de
l’oncle Mose |
212 |
Un homme trop bon |
219 |
Hango Zada Hanna
et son frère Madhi |
222 |
Tonton Félix |
223 |
Le médecin de
famille |
226 |
Les deux compères |
227 |
Jo et Maurice |
228 |
L’épicier
malhonnête |
229 |
Le singe trop
gourmand |
230 |
Jo «Von Braun» |
231 |
La veillée |
233 |
La charrette de
Azzari |
234 |
La mefata’a |
237 |
Les musiciens |
241 |
Le pacha
irascible |
243 |
Le fils de la
voisine |
245 |
La séance
hebdomadaire de cinéma |
247 |
Le délicieux
suppositoire |
250 |
La bouteille de
champagne |
251 |
La bibliothèque
familiale |
252 |
Le mystérieux
Monsieur Moreno "Takhabiles Moreno" |
254 |
Eid el farkha |
255 |
La table et la
vitrine |
257 |
Mon hommage à
Sayed |
259 |
GLOSSAIRE |
263 |
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